Le demandeur a soutenu que le mot fermes n'indiquait nullement la nature et l'espèce des biens hypothéqués; qu'une ferme peut aussi bien être composée de terres labourables ou de vignes seules, qu'uniquement de jardins ou de prairies, qu'elle peut même, ainsi que l'a dit le tribunal de première instance, ne consister que dans un corps de bâtiment servant au logement du fermier et à l'exploitation des terres; que c'est même là l'acception particulière de ce mot dans la province où sont situés les biens dont il s'agit; qu'ainsi, loin que les parties eussent été dispensées, à raison de la signification particulière de ce mot, d'entrer dans le détail de la nature des biens, elles s'y trouvaient plus strictement obligées, à raison de l'usage du lieu. A l'appui de ce moyen, le demandeur invoquait plusieurs arrêts de la Cour de cassation, notamment celui qu'elle a rendu le 16 août 1815, sur le pourvoi du sieur Tourat (1). Les observations que nous avons faites en rapportant cet arrêt, peuvent également trouver ici leur place. Nous y renvoyons nos lecteurs. ARRÊT. LA COUR, - sur les conclusions de M. Lebeau, avocat général; - ATTENDU qu'en jugeant que les expressions fermes de la Gadelière, situées à la Gadelière, employées tant dans l'acte constitutif de l'hypothèque concédée à Guyot, que dans l'inscription qui la conserve, contiennent une désignation suffisante de l'espèce et de la situation des biens soumis à cette hypothèque, l'arrêt attaqué ne fait qu'une juste application des articles 4 et 17 de la loi du 11 brumaire an 7, et n'a pu dès-lors encourir le reproche d'avoir violé lesdits articles, non plus que l'art. 2148 du Code civil; - REJETTE. Du 1er avril 1817. Section des requêtes.-M. le baron Henrion-dePenser, président. -M. le conseiller Lepicard, rapporteur.-M. Leroyde-Neufvillette, avocal. CULTES.-RÉGLEMENT DE POLICE.-PROCESSIONS DE LA FÊTE-DIEU. Les maires peuvent-ils, par des réglemens de police, imposer aux habitans de leurs communes l'obligation de tapisser le devant de leurs maisons, pour les processions usitées dans le culte catholique? Rés. aff. Ces réglemens sont-ils obligatoires pour les citoyens qui professent un culte différent? Rés. aff. Le 6 juin 1817, arrêté du maire de Puy-Laurent, qui ordonne aux habitans de cette commune de tapisser ou faire tapisser le devant de leurs maisons, le 8 du même mois, jour de la procession de la Fête-Dieu. Dans cette commune, se trouvent beaucoup de citoyens qui professent la religion protestante réformée. La demoiselle Madière et les sieurs Juntes et Cabrol sont traduits devant le tribunal de police, pour ne s'être pas conformés à l'arrêté du maire de Puy-Laurent. Ils opposent, pour moyen de défense, qu'ils ne professent pas le culte catholique, mais la religion protestante réformée, à laquelle les cérémonies de la Fête-Dieu sont étrangères. Le 23 juin 1817, jugement qui rejette ce moyen de défense, et condamne chacun des contrevenans à six francs d'amende, par application de l'article 475 du Code pénal. Sur l'appel, jugement confirmatif du tribunal correctionnel de Lavaur, en date du 24 juillet suivant : «Attendu, portent les motifs de ce jugement, que les appelans n'ont point tapissé le devant de leurs maisons, ainsi que cela leur était prescrit par l'arrêté du maire de Puy-Laurent, du 6 juin dernier; qu'il est dans les attributions que la loi a données à l'autorité municipale, de régler tout ce qui a rapport aux cérémonies publiques, et que par conséquent le refus de se conformer aux dispositions que cette autorité prescrit à cet égard, constitue une contravention prévue par le numéro 1.er de l'article 475 du Code pénal. » La demoiselle Madière et les sieurs Juntes et Cabrol se sont pourvus en cassation pour fausse application de l'article 475 du Code pénal, pour contravention à l'article 3, titre 11 de la loi du 24 août 1790, et pour violation de l'article 5 de la Charte constitutionnelle. La fausse application de l'art. 475, n.o 1 du Code pénal,qui constituait le premier moyen des demandeurs, était évidente; le n.o de cet article punit de six francs d'amende ceux qui auront contrevenu aux bans des vendanges ou aux autres bans autorisés par les réglemens .Cette disposition est absolument étrangère aux cérémonies religieuses et à la liberté des cultes. Mais si, comme on le verra dans l'arrêt de la Cour de cassation, d'autres dispositions législatives prononçaient contre les demandeurs la peine qui leur a été appliquée, la fausse application de l'art. 475 devient indifférente, aux termes de l'art. 411 du Code d'instruction criminelle, Les demandeurs soutenaient, pour second moyen, que l'arrêté municipal qui ordonnait de tapisser le devant des maisons pour les cérémonies de la Fête-Dieu, ne reposait sur aucune disposition législative. Après avoir énuméré les différens objets que la loi du 24 août 1790 soumet aux réglemens municipaux, ils prétendaient que l'obligation imposée aux habitans de la commune de Puy-Laurent par le maire de cette commune, ne rentrait dans aucun des cas prévus par la loi citée. Mais il suffit de lire l'art. 3 du titre 11 de la loi du 24 août 1790, pour se convaincre que le maire de Puy-Laurent n'avait pas excédé ses pouvoirs. On voit, notamment dans le n.o 3 de cet article, que les maires ont le droit d'ordonner tout ce qui peut être utile pour le maintien du bon ordre dans les cérémonies publiques. Ils peuvent donc, d'après cela, obliger tous les habitans de leur commune à tapisser le devant de leurs maisons lors des processions de la Fête-Dieu, s'ils croient cette mesure nécessaire pour le maintien du bon ordre pendant ces cérémonies. Les demandeurs tiraient un troisème moyen de cassation de l'art. 5 de la Charte constitutionnelle, qui est ainsi conçu : « Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son » culte la même protection. » En supposant, disent les demandeurs, que l'arrêté du maire de Puy-Laurent ait pu imposer aux habitans de cette commune l'obligation de tapisser le devant de leurs maisons, il est certain du moins que cette obligation ne pouvait concerner que les personnes qui professent la religion catholique et non celles qui suivent un culte différent. Un protestant ne peut pas plus être obligé d'honorer la religion catholique, qu'un catholique ne peut être contraint de se conformer aux usages de la religion protestante. Chacun d'eux, dit la Charte, professe sa religion avec une égale liberté. Vouloir dès-lors qu'un protestant observe les cérémonies de la Fête-Dieu, quand cette fête est étrangère à son culte; vouloir qu'il tapisse le devant de sa maison pour honorer une religion qui n'est pas la sienne, c'est évidemment méconnaître le principe de la liberté consacrée par la Charte constitutionnelle; c'est refuser à la religion protestante la protection qui lui est assurée. Vainement on oppose l'art. 6 de la Charte qui porte que « la religion ca»tholique, apostolique et romaine est la religion de l'État. Parce que la religion catholique est celle de l'Etat, faut-il en conclure que ceux qui ne professent pas cette religion, soient obligés d'en suivre les rites, d'en pratiquer les actes extérieurs? Mais entendre ainsi cet article, c'est anéantir entièrement l'article précédent. A quoi se réduira la liberté accordée aux protestans et aux sectateurs des autres religions non catholiques, s'ils sont obligés d'observer toutes les cérémonies extérieures du culte romain? Assurera-t-elle autre chose, cette liberté, que la faculté de penser? Mais une telle liberté avait-elle besoin d'être garantie? et n'est-ce pas prêter à la loi le sens le plus ridicule, que de réduire à ce point toute la protection qu'elle accorde aux religions qui ne sont pas celle de l'Etat? La liberté d'un culte ne peut consister que dans la pratique extérieure de tous les devoirs et de tous les actes que ce culte commande, et en même temps dans la dispense de se conformer aux rites et à tout ce que commandent les religions qui lui sont étrangères. Voilà la liberté que la Charte a consacrée ; voilà la protection qu'elle a entendu accorder à tous les cultes. Dès-lors donc que les céré→ monies de la Fête-Dieu sont inconnues dans la religion protestante, ceux qui professent cette religion ne peuvent être obligés d'y prendre part par des actes extérieurs, soit en tapissant le devant de leurs maisons, soit de toute autre manière. Tel est le troisième moyen de cassation que faisaient valoir les demandeurs et dont le peu de fondement est aussi facile à démontrer que celui des deux premiers. La religion catholique étant celle de l'État, l'État peut l'environner de toute la splendeur qu'il juge nécessaire, et donner à ses cérémonies un éclat et une solennité qui honorent la nation elle-même. Tout ce qu'il prescrit à cet égard, doit être réputé une charge publique, dont aucun citoyen ne peut s'affranchirl, à moins que la chose qui est exigée de lui ne soit directement contraire à la religion particulière qu'il professe et dont la Charte lui permet le libre exercice. Or, un protestant, un juif ou toute autre personne qui suit un culte différent de la religion catholique, ne peut craindre, en tapissant le devant N. XI.-Année .1817 65 de sa maison, de faire un acte contraire à sa croyance; il ne prend par-là aucune part aux cérémonies religieuses qui sont entièrement indépendantes et distinctes des mesures prises par l'autorité pour en augmenter la splendeur. On peut d'ailleurs être obligé de tapisser le devant de sa maison pour un tout autre objet que celui d'une cérémonie du culte, par exemple pour une fête nationale ou pour des réjouissances publiques. Ainsi, sans examiner, en aucune manière, le motif pour lequel une semblable mesure est ordonnée, tout citoyen doit la considérer comme une charge publique et générale; et nul ne peut, par conséquent, sous prétexte de religion, se dispenser de s'y conformer. ARRET. LA COUR, sur les conclusions de M. Henri Larivière, avocat général, et après un délibéré en la chambre du conseil;-ATTENDU, sur les deux premiers moyens présentés par les recourans, que, suivant l'article 411 du Code d'instruction criminelle,« lorsque la » peine prononcée sera la même que celle portée par la loi qui s'applique au crime, nul ne » pourra demander l'annullation de l'arrêt, sous prétexte qu'il y aurait erreur dans la cita» tion de la loi. » que, d'après cet article, l'erreur, dans l'application à l'espèce de la cause du n.o 1 de l'article 475 du Code pénal, ne pourrait done donner ouverture à cassation contre le jugement attaqué, si d'ailleurs la condamnation prononcée par ce jugement est justifiée par une autre disposition de la loi pénale;-Et ATTENDU que le réglement municipal du maire de Puy-Laurent, auquel le jugement attaqué a déclaré que les condamnés avaient contrevenu, portait sur des objets de police confiés à la vigilance et à l'autorité des corps municipaux, par la disposition du titre 11 de la loi du 24 août 1790, et particulièrement par les n.o 1 et 3 de l'article 3; que, d'après l'article 5 du même titre, les coutraventions aux réglemens municipaux sur les objets de police confiés par la loi à leur surveillance, doivent être punies d'une peine de police; qu'ici c'est une peine de ce genre qui a été prononcée par la condamnation à une amende de 6 fr.: d'où il suit que cette condamnation a éte régulièrement prononcée; -ATTENDU, sur le troisième moyen, que le réglement municipal du maire de Puy-Laurent n'a rien de contraire à la liberté de professer sa religion, assurée à chacun par les art. 5 et 6 de la Charte constitutionnelle; que ses dispositions n'ont mis aucune entrave à l'exercice du culte particulier que peuvent professer les demandeurs;-ATTENDU d'ailleurs que l'instruc-. tion est régulière;-REJETTE. Du 29 août 1817. -Section criminelle. M. le baron Barris, président. -M. le conseiller Ollivier, rapporteur.-M. Duprat, avocat. COMPÉTENCE.-COUR PRÉVOTALE.-CRIMES CONTRE LA SURETÉ DE L'ETAT.-VOL. Une tentative de vol commise par une réunion d'hommes armés, dans l'habitation d'un simple particulier, est-elle de la compétence de la Cour prévótale? Rés. nég. En d'autres termes: Sous le nom de bandes armées dont se sert l'article 9 de la loi du 20 décembre 1815, faut-il entendre seulement celles qui ont pour but d'envahir des domaines, propriétés ou deniers publics; en un mot, de se rendre coupables des envahissemens et autres crimes énoncés en l'article 96 du Code pénal? Rés. aff. L'arrêt qui juge cette question, renferme tous les faits de la cause qu'il est nécessaire de connaître. ARRÊT. de LA COUR, sur les conclusions de M. Giraud, avocat général ;-Vu la demande du procureur général à la Cour royale de Riom, à fin de réglement de juges, sur un conflit négatif résultant de deux ordonnances rendues par la chambre du conseil du tribunal de première instance de l'arrondissement d'Issengeaux et d'un jugement rendu par la Cour prévôtale du département de la Haute-Loire, relativement à une tentative de vol, commise envers un simple particulier, dans son habitation, par quatre personnes, dont l'une était armée d'un sabre, et les trois autres de bâtons;-Vu l'ordonnance de la chambre du conseil dudit tribunal, en date du 9 juin 1817, par laquelle, sur le motif que, d'après les dispositions des articles 214 et 215 du Code pénal, toute réunion pour un crime ou un délit, étant réputée réunion armée, lorsque deux personnes portent des armes ostensibles, et que réunion, troupe et bande sont synonymes dans le sens de la loi, ladite chambre a renvoyé les prévenus devant la Cour prévôtale, en vertu de l'article 9 de la loi du 20 décembre 1815, qui soumet à la juridiction prévôtale tout individu qui a fait partie d'une bande armée;-Vu le jugement rendu le 3 juillet suivant par la Cour prévôtale, par lequel elle s'est déclarée incompétente pour connaître du fait dont il s'agit, sur le motif que l'article 9 de la loi du 20 décembre ne met dans les attributions des Cours prévôtales que les crimes de rebellion armée, réunion séditieuse ou de bande armée contre l'autorité, ou menaçant ouvertement l'ordre public, et que, dans l'espèce, les faits de la prévention ne rentrent dans aucun de ces cas', et elle a en conséquence déclaré délaisser l'instruction de l'affaire au même tribunal d'Issengeaux;-Vu enfin la nouvelle ordonnance rendue par ce tribunal le 9 dudit mois de juillet, par laquelle il a déclaré persister dans sa première décision; -ATTENDU qu'en l'état et par l'effet desdits ordonnances et jugement, le cours de la justice se trouve interrompu, et que c'est à la Cour de cassation qu'il appartient de le rétablir; — ATTENDU que l'art. 9 de la loi du 20 décembre 1815, qui soumet à la juridiction prévôtale tout individu qui aurait levé et organisé une bande armée, où qui aurait fait partie d'une telle bande ou lui aurait fourni des armes, des munitions ou des vivres, se réfère évidemment et nécessairement à l'article 96 du Code pénal, d'après la disposition duquel, une réunion quelconque d'individus armés ne peut avoir le caractère de bande armée que lorsque, organisée et dirigée par des chefs, elle a eu pour objet, soit d'envahir des domaines, propriétés ou deniers publics, places, villes, etc., soit pour piller et partager des propriétés publiques, ou celles d'une généralité de citoyens, soit enfin pour faire attaque ou résistance envers la force publique, agissant conire les auteurs de ces crimes;-ATTENDU que si l'article 12 de la même loi met dans les attributions des Cours prévôtales les crimes d'assassinat ou de vol avec port d'armes et violences, ce n'est que lorsque ces crimes ont été commis sur les grands chemins;-ATTENDU que, dans l'espèce, les faits n'ont aucun caractère qui puisse les faire rentrer dans l'application desdits articles 9 et 12 de la loi du 20 décembre 1815; qu'ainsi la Cour prévôtale s'est conformée à la loi, en se déclarant incompétente; et que le tribunal d'Issengeaux a, au contraire, méconnu et violé les règles de compétencé, en renvoyant à la Cour prévôtale une affaire dont la connaissance appartenait à la juridiction ordinaire. Par ces motifs, la Cour, faisant droit sur la demande du procureur général à la Cour royale de Riom, et statuant par réglement de juges en vertu de l'article 527 du Code d'instruction criminelle, sans s'arrêter ni ávoir égard aux deux ordonnances rendues les 9 juin etg juil let derniers par la chambre du conseil du tribunal d'Issengeaux, lesquelles seront regardées comme nulles et non avenues;-RENVOIE l'affaire et les prévenus devant le juge d'iustruction du tribunal de première instance de l'arrondissemeut du Puy, pour, sur l'instruction déjà faité ou à compléter, s'il y a' lieu, être procédé conformément à la loi, dans l'ordre de la juridiction ordinaire. Da 22 août 1817.-Section criminelle.-M. le baron Barris, président.M. le conseiller Rataud, rapporteur. |