Page images
PDF
EPUB

ENFANT NATUREL.- ALIMENS. AÏEUL PATERNEL.

L'enfant naturel reconnu peut-il, après le décès de son père, demander des alimens à son aïeul? Rés. nég.

La cause qui a donné lieu à l'examen de cette importante question, a déjà été rapportée dans ce recueil, avec l'arrêt de la Cour de Douai dont la cassation vient d'être prononcée (1). Il suffira donc d'exposer ici très-succinctement comment l'affaire a été portée devant la Cour suprême.

On a vu que, par arrêt de la Cour royale de Douai, du 19 mars 1816, le sieur Lenglart a été condamné à payer une pensiou alimentaire de 300 fr. à deux enfans naturels nés de la demoiselle Demangeot, et reconnus par un de ses fils, décédé.

Le sieur Lenglart s'est pourvu en cassation contre cet arrêt. Il est mort depuis l'admission de son pourvoi par la section des requêtes. Les sieur et dame Lenglart, ses enfans, en qualité d'héritiers de leur père, ont comparu devant la section civile.

Les enfans naturels, ont-ils dit, ont tour à tour occupé dans la société un rang tout-à-fait opposé. On les a vus, à certaine époque, jouir des mêmes droits que les enfans légitimes, et, dans d'autres temps, former une classe plus ou moins sévèrement réprouvée.

A mesure que la dignité du mariage a été plus respectée, la loi a traité les enfans naturels avec moins de faveur. Avant la révolution, une jurisprudence constante les a écartés de la succession de leurs père et mère, ils ne pouvaient réclamer que des secours, alimentaires. La rigueur de la législation devint même extrême. Lorsqu'ils mouraient sans descendans légitimes et sans testament, leurs biens appartenaient au roi par droit de bâtardise; ils étaient assimilés à des étrangers.

Pendant la révolution, on se jeta dans un excès contraire et bien autrement dangereux. Alors le vice n'eut plus de frein; la tache de la naissance ne fut plus qu'un vain préjugé.

Aujourd'hui que le Code civil a tracé avec impartialité la ligne qui doit séparer l'enfant naturel de l'enfant légitime, il s'agit de savoir si ce n'est pas méconnaître la dignité du mariage et l'intérêt des familles ; accorder à l'humanité des droits trop étendus; excéder enfin les bornes de la bienveillance du législateur envers les enfans naturels, que de les autoriser, après la mort de leur père, à demander des alimens à leurs aïeuls naturels.

Il n'est point vrai d'abord, quoique la Cour de Douai ait avancé le contraire dans les motifs de son arrêt, que cette question ait toujours été jugée dans le même sens par les anciens parlemens. Si quelques arrêts et

(1) Voyez ce Recueil, vol. de 1816, p. 107, suppl.

quelques jurisconsultes sont favorables au système adopté par cette Cour d'autres arrêts et d'autres autorités tout aussi respectables peuvent leur être opposés. Les parlemens de Paris, de Toulouse et de Bordeaux se sont constamment prononcés contre l'enfant naturel. (Voyez Louet, lettre D, somm. 1., pag. 392, édit. 1762; le Journal des Audiences, tom. 4, liv. 4, chap. 35, p. 199; Maillart, p. 304; Augier, tom. 1.er, p. 153, art. 180; M. de Juin, tom, 5, pag. 312, et l'Annotateur de Lapeyrère, lettre B, n.o 17, pag. 31).

Parmi les auteurs dont la doctrine est conforme à cette jurisprudence, on remarque surtout Delaville, dans son recueil des Maximes et Décisions du palais, au mot bátard, pag. 109, décision 924; Claude Henrys, tom. 3, p. 657, el Bourjon, Droit commun de la France, tit. 3, sect. 6, art. 36. Mais laissons de côté l'ancienne jurisprudence, et ne consultons que le texte et l'esprit du Code civil.

« L'enfant naturel reconnu, porte l'art. 338, ne pourra réclamer les » droits d'enfant légitime. Les droits des enfans naturels seront réglés au » titre des Successions. »

[ocr errors]

D'après la première partie de cet article, l'enfant naturel ne peut donc invoquer aucune des dispositions qui concernent les enfans légitimes, et par conséquent il ne peut nullement se prévaloir des articles qui leur accordent des alimens sur les biens de leurs aïeuls. Tous les droits que la loi lui donne, dit l'article cité, sont réglés au titre des Successions. Voyons donc quels sont les droits que ce titre lui confère.

«Les enfans naturels, porte l'art. 756, ne sont point héritiers. La loi » ne leur accorde de droit sur les biens de leur père ou mère décédés, » que lorsqu'ils ont été légalement reconnus; elle ne leur accorde aucun » droit sur les biens des parens de leur père ou mère. »

On voit donc qu'ici la loi, au lieu d'autoriser spécialement la demande d'alimens d'un enfant naturel contre son aïeul, déclare, au contraire, d'une manière générale et formelle, qu'il n'a aucun droit sur les biens des de ses père et mère.

parens

Vainement dit-on qu'il ne s'agit ici que de droits successifs et non d'alimens. D'abord les termes de la loi sont positifs et absolus, et les juges ne peuvent, sans la violer, admettre une distinction qu'elle n'a- point faite. En second lieu, nous venons de voir qu'il ne suffisait pas que la loi fût muette au titre des Successions pour que la demande de l'enfant naturel pût être accueillie, mais qu'il fallait y trouver une disposition formelle qui l'autorisât, parce que, c'est là, avons-nous dit, que tous les droits de l'enfant naturel sont réglés. Or quand, loin de rencontrer cette disposition formelle, on en trouve une autre qui présente un sens littéraldirectement opposé, quelle apparence de fondement peut avoir encore la prétention de l'enfant ?

D'autres raisons encore viennent à l'appui du texte de la loi. On sait que l'obligation de se fournir des alimens ne peut exister qu'entre personnes unies entre elles par un lien de parenté ou d'alliance. Or, aux yeux de la loi, il

n'est aucun lien de parenté entre l'enfant naturel et les parens des auteurs de ses jours. Pour s'en convaincre, il suffit de lire le discours de l'orateur du gouvernement, en présentant au Corps législatif le titre où il est question des enfans naturels. « La restriction principale des effets de la reconnaissance, a-t-il dit, est celle qu'imposent la dignité du mariage et le privilege de la légitimité. La reconnaissancé d'un enfant naturel manifeste et rend certains, aux yeux de la société, les rapports que la nature a mis entre lui et son père; elle établit devant la loi leurs droits et leurs devoirs réciproques; pour le père, l'obligation de fournir à son enfant les moyens d'exister; pour l'enfant, l'obligation d'obéir à son père, de le respecter et de le secourir; mais là se bornent les effets de la reconnaissance: tous ceux du mariage qui donne la légitimité sont étrangers à l'enfant naturel, et, dans aucun cas, cet enfant, même reconnu, ne peut prétendre à aucun des droits assurés aux enfans légitimes. Le mariage seul établit et distingue les familles. Les rapports naturels consacrés par la reconnaissance n'existent qu'entre le père ou la mère et l'enfant; ils ne peuvent atteindre les parens du père ni ceux de la mère. L'enfant naturel n'est pas dans la famille. »

M. Chabot de l'Allier se prononce d'une manière non moins énergique dans son Commentaire sur le liv. 3 du Code civil, pag. 158; et telle est aussi la jurisprudence de la Cour de cassation. Par arrêt du 10 juin 1813, celle Cour a jugé qu'un enfant naturel qui avait enlevé des vêtemens au père de sa mère, était coupable de vol, et ne pouvait se prévaloir du bénéfice de l'article 380 du Code pénal, parce que la loi ne reconnaît de lien civil en faveur des enfans naturels que vis-à-vis de leurs père et mère qui les ont reconnus (1).

Il est vrai que, d'après l'article 161 du Code civil, le mariage ne peut avoir lieu entre l'enfant naturel et les ascendans et descendans légitimes de leurs père et mère; mais un motif d'honnêteté publique a seul dicté cette prohibition, et l'on ne peut nullement en conclure qu'il existe entre l'enfant naturel et les parens de son père un lien de parenté civile qui les! soumette à des obligations réciproques, et notamment à celle de se fournir des alimens.

Dans l'impossibilité de trouver ici une parenté civile, on prétend qu'il y a du moins, entre l'enfant et le père de celui qui l'a reconnu, une parenté naturelle, et que cette parenté suffit pour autoriser une demande alimentaire. Mais, dès que cette parenté n'est pas reconnue par la loi, elle ne peut produire aucune obligation véritable. La loi civile seule peut donner des droits; elle seule peut servir de fondement à une action. Une obligation purement naturelle, dit Pothier, dans son Traité des obligations, p. 1.re, est une obligation imparfaite que personne ne peut être contraint d'accomplir.

En vain oppose-t-on qu'aucune disposition du droit civil n'oblige le père

(i) Voyez ce Recueil, vol. de l'an 1813, p. 338.

lui-même à fournir des alimens à son enfant naturel, et que pourtant il n'est pas douteux qu'il puisse y être contraint.

Cet argument tombe a faux. Divers textes, et notamment l'article 762, autorisent implicitement, par l'ensemble de leurs dispositions, l'action de l'enfant naturel contre son père, et le doute d'ailleurs, s'il y en avait, scrait complétement levé par le discours de l'orateur du gouvernement que nous avons transcrit. A l'égard de l'aïeul, au contraire, non seulement aucun article du Code ne peut indirectement servir de base à la demande de l'enfant, mais encore des textes positifs condamnent sa prétention.

Il suffit d'ailleurs de rappeler ici les principes les plus élémentaires en matière de contrat pour détruire entièrement le système que nous combattons. C'est un principe d'une vérité éternelle qu'on ne peut être obligé par le fait d'autrui. L'enfant naturel, qui n'a d'autre titre que la reconnaissance consentie par son père, n'a donc aucun droit contre l'auteur de celuici, à qui cette reconnaissance est étrangère.

Ajoutons enfin que la décision de la Cour de Douai n'est pas moins contraire à la morale qu'aux dispositions de la loi. Le tribunal de Lille l'a dit 'avant nous; s'il plaît à un fils de reconnaître les enfans de toutes les femmes avec lesquelles il aura eu des habitudes, et qui, peut-être, ne sont pas les siens, faudra-il que le père soit la victime de son libertinage; qu'il soit obligé de se dépouiller pour soutenir les fruits du vice; de partager, avec des personnes étrangères à sa famille, le pain de ses propres enfans? Un tel système ne peut être accueilli par la Cour régulatrice; chargée de faire respecter tout à la fois la morale et les lois, elle cassera, dans ce double intérêt, l'arrêt qui lui est dénoncé.

La demoiselle Demangeot, défenderesse, en qualité de tutrice de ses enfans, a commencé par citer les arrêts et les jurisconsultes anciens dont la cour de Douai a adopté la doctrine. Ces arrêts sont ceux des parlemens de Flandres, Grenoble, Aix et Rennes. Ils sont rapportés par differeus auteurs cités par MM. Royez et Rioltz dans le Dictionnaire de jurispru dence et des arréts.

[ocr errors]

Les jurisconsultes, dont elle invoque la doctrine, sont les auteurs de ce dictionnaire: Surdus, de alimentis, tit. 1, quæst. 12, n.° 3, pag. 19; le président Favre, definit. 5, lib. 4, tit. 9, pag. 293; Carpzovius, definit. forens, part. 2, const. 10, definit. 20; Tuldenus ad titul. C. ne filius pro parte; Voel, ad. tit. ff. de agnoscend. et alend., lib. 2, n.° 7; Patou, Commentaire de la coutume de Lille, tom. 1.er, pag. 220; Pollet, Recueil des arrêts du Parlement de Flandre, 5.part., n. 272; Deghwiel, Institution au droit belgique, tom. 1.er, S. 27; Argou, Institution du droit français, liv. 5, chap. 21, et enfin les auteurs du Répertoire de jurisprudence, au mot Alimens, S. 1.cr

"

La demoiselle Demangeot est entrée ensuite dans l'examen de la ques

tion.

ll ne serait pas difficile de démontrer, a-t-elle dit, qu'il existe, entre l'enfant naturel et le père de celui qui l'a reconnu, une véritable parenté civile. L'art. 161, qui défend le mariage entre eux, en est une preuve que

l'on a vainement essayé de détruire; mais, en supposant que cette parenté n'existe pas, il est impossible du moins de ne pas trouver, entre l'enfant et le père de celui dont il tient la vie, au moins une parenté naturelle. Comment, en effet, aux yeux de la nature, un enfant pourrait-il devoir le jour au fils, et n'avoir pas pour aïeul le père de celui-ci ?

Or, cette parenté naturelle doit suffire pour autoriser une demande d'alimens. La nature qui n'admet aucune distinction entre le fils légitime ct celui qui ne l'est pas, impose à tous les pères l'obligation de nourrir leurs enfans. Jus naturale est quod ommia animalia docuit.... Hinc descendit liberorum procreatio; hinc EDUCATIO. INSTIT. de jure naturali.

A défaut du père, cette obligation doit être remplie par l'aïeul qui succède à toutes ses charges comme à tous ses droits. La loi le confond même avec le père, et met ses petits-fils au nombre de ses propres enfans. Justá interpretatione recipiendum est, ut appellatione filii nepos videatur comprehendi, et patris nomine, avus quoque demonstrarı intelligatur. L. 201, ff. de verb. signif.

Si cependant on trouve dans le Code civil des dispositions expresses sur l'obligation où sont les enfans légitimes et les pères de se fournir réciproquement des alimens, il ne faut pas en conclure que, dans le silence de la loi positive, un père aurait pu refuser de nourrir son enfant. Le législateur n'a consacré un principe qui était déjà gravé dans tous les esprits, que parce qu'il a cru devoir en étendre l'application à des personnes que le droit naturel ne pouvait atteindre, c'est-à-dire aux beaux-pères et bellesmères, aux gendres et aux belles-filles; mais, lors même que la loi civile serait entièrement muette, un fils ne pourrait pas moins réclamer des alimens de ceux qui lui ont donné l'existence. A défaut de la loi civile, la loi naturelle parlerait; ce n'est qu'une disposition expresse du droit positif qui pourrait étouffer sa voix. La Cour de cassation a fait elle-même l'application de ces principes. Malgré le silence absolu du Code, cette Cour a jugé, par arrêt du 27 août 1811, qu'un enfant naturel avait pu contraindre son père à lui fournir des alimens; attendu, portent les motifs de son arrêt, « qu'à la vérité le Code ne contient aucune disposition. expresse quant aux alimens en faveur des enfans naturels, mais que, dans. le silence des lois positives, il faut recourir au droit naturel (1). »

Les demandeurs contestent cette doctrine sans pourtant oser soutenir que le père n'est pas obligé de donner des alimens à son enfant naturel; mais ils prétendent que divers textes, et notamment l'art. 762, lui imposent implicitement cette obligation.

Mais, s'il est des textes qui autorisent implicitement la demande de l'enfant contre son père, les mêmes textes peuvent fonder également celle qu'il a le droit de former contre son aïeul. L'aïeul, avons-nous dit, est consi-déré comme le père. Si donc c'est par voie de conséquence seulement que le père est obligé, l'aïeul doit l'être aussi par une conséquence ultérieure. Pour décider le contraire, il faudrait que des dispositions particu

(1) Voyez ce Recueil, vol. de 1811, p. 455.

« PreviousContinue »