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voir, n'ayant pas le droit de connaître du fond des affaires, sont appelés seulement à vérifier si les formes légales n'ont pas été violées, si les conseils de guerre ont observé toutes les règles prescrites pour maintenir l'ordre des juridictions, assurer les droits de la défense, la régularité de la procédure et des débats, la véritable qualification des faits reconnus constants et la légalité de la condamnation (1). Ils ne sont nullement compétents pour apprécier les éléments de fait qui motivent les décisions qu'on leur soumet; leur pouvoir se borne, en reconnaissant ces faits comme constants, à rechercher si le juge leur a donné leur véritable qualification légale. Le procès, pour eux, est exclusivement entre la loi et le jugement attaqué, et non entre l'inculpé et ses juges. Ils ne forment point un deuxième degré de juridiction; ils sont, en un mot, aux conseils de guerre, dans l'administration de la justice militaire, ce qu'est la Cour de cassation aux juridictions souveraines et de dernier ressort du droit commun. Or, la Cour de cassation n'est nullement compétente pour juger de nouveau les faits à l'occasion desquels sont intervenues les décisions qu'on lui défère; mais c'est à elle, lorsqu'elle est saisie par un pourvoi utile ou dans l'intérêt de la loi, qu'il appartient de redresser les erreurs commises dans la distribution de la justice criminelle; c'est à elle qu'est réservé le soin de vérifier et de décider si les formes voulues ont été observées, si les faits poursuivis ont été bien qualifiés et si la loi pénale a été légalement appliquée.

M. Foucher a défini ainsi les graves devoirs qui s'imposent à l'attention et à la conscience des militaires appelés à participer à la mission des conseils de révision: « Leur opinion personnelle sur le bien ou le mal jugé des décisions qui sont soumises à leur examen, ne saurait exercer la moindre influence sur l'appréciation qu'ils ont à faire de la légalité de ces décisions... Si les jugements ne renferment aucun des vices spécifiés en l'article 74 (2), ils doivent les laisser passer, et il ne leur est pas permis d'en arrêter l'exécution en les annulant; de même, si le vice est constant, quelles que soient les conséquences de leur décision, ils ne peuvent, sans manquer à leur premier devoir, se dispenser de le reconnaître et de le constater. C'est au souverain à intervenir s'il arrivait qu'une décision de conseil de guerre fût entachée d'une de ces erreurs de fait dommageable pour le condamné, et dont le caractère du magistrat n'exempte pas toujours la faillibilité humaine.

Dans l'appréciation des moyens qui sont produits, les conseils de révision doivent surtout se guider par le texte de la loi qui aurait été violé, rechercher si les prescriptions en ont été accomplies en réalité, sans trop s'attacher aux expressions employées pour les constater, à moins que la loi en ait fait des termes sacramentels ou ait prescrit un certain mode, à peine de nullité (3). »

Le délai du recours, la nature et les effets du pourvoi en cas d'acquittement ou d'absolution, sont réglés par les articles 141, 143 et 144 (4),

(4) V. Foucher, Commentaire, etc., p. 202.
(2) Voir, plus loin, cet article et son commentaire.
(3) V. Foucher, Commentaire, etc., p. 204.
(4) Voir, plus loin, ces articles et leur commentaire.

ART. 74.

Les conseils de révision ne peuvent annuler les jugements que dans les cas suivants :

1° Lorsque le conseil de guerre n'a pas été composé conformément aux dispositions du présent Code;

2o Lorsque les règles de la compétence ont été violées;

3° Lorsque la peine prononcée par la loi n'a pas été appliquée aux faits déclarés constants par le conseil de guerre, ou lorsqu'une peine a été prononcée en dehors des cas prévus par la loi ;

40 Lorsqu'il y a eu violation ou omission des formes prescrites à peine de nullité;

5° Lorsque le conseil de guerre a omis de statuer sur une demande de l'accusé ou une réquisition du commissaire impérial, tendant à user d'une faculté ou d'un droit accordé par la loi (1).

La disposition de cet article est rigoureusement, exclusivement LIMITATIVE: ne peuvent annuler les jugements que dans les cas suivants..... Toutes les règles énoncées dans ses cinq numéros sont substantielles; elles forment les garanties de l'accusé,-disait le rapporteur M. Langlais, et la conscience publique s'indignerait si un citoyen pouvait être condamné par un tribunal sans compétence; s'il subissait une peine non prononcée par la loi; si, dans ce grave débat, on pouvait le dépouiller des formes protectrices de la loi, sans qu'il eût le droit d'en référer à une plus haute juridiction. Sortir de ce domaine, en étendre les limites jusqu'au jugement du fait, ce serait manquer aux vrais principes de la législation, et porter une grave atteinte à la discipline de l'armée. »

Les jugements des conseils de guerre ne peuvent donc être annulés que dans les cinq cas qui suivent:

1° Conseils de guerre non légalement composés;

20 Violation des règles de la compétence (2);

3o Non application de la peine prononcée par la loi aux faits déclarés cons

(4) Voici comment était conçu l'article 46 de la loi du 48 vendémiaire an vi :

Article 46. « Le conseil de révision prononce, à la majorité des voix, l'annulation des jugements dans les cas suivants, savoir:

4° Lorsque le conseil de guerre n'a pas été formé de la manière prescrite par la loi;

• 2 Lorsqu'il a outrepassé sa compétence, soit à l'égard des prévenus, soit à l'égard des délits dont la loi lui attribue la connaissance;

• 3° Lorsqu'il s'est déclaré incompétent pour juger un prévenu soumis à sa juridiction;

4 Lorsqu'une des formes prescrites par la loi n'a point été observée, soit dans l'information, soit dans l'instruction;

« 5o Enfin lorsque le jugement n'est pas conforme à la loi dans l'application de la peine. >> (2) Le conseil de guerre qui constate qu'un de ses membres ne peut prendre part au jugement comme ayant déjà connu de l'affaire en qualité de juge instructeur, doit se borner à déclarer ne pouvoir statuer en l'état actuel de sa composition, et non pas se déclarer incompétent. (C. révis.. de Lyon, 44 janvier 1868, affaire Moulis.) Dans l'espèce, le conseil de révision a annulé le jugement d'incompétence rendu par le conseil de guerre, en renvoyant l'affaire devant un autre conseil. (D., R. P. 1874, 5, p. 264.)

tants par le conseil de guerre, ou application d'une peine en dehors des cas prévus par la loi (1);

40 Violation ou omission des formes prescrites à peine de nullité (2);

50 Omission par le conseil de guerre de statuer sur une demande de l'accusé ou une réquisition du commissaire du gouvernement tendant à user d'une faculté ou d'un droit accordé par la loi.

Lorsqu'ils annulent un jugement, les conseils de révision statuent toujours avec renvoi devant un autre conseil de guerre, afin qu'il soit procédé de nouveau sur l'affaire, à partir de l'acte annulé (3).

Il leur est interdit d'annuler dans le seul intérêt de la loi, à moins qu'ils ne soient saisis en vertu d'un recours formé par le ministère public, en cas d'acquittement (4).

Les conseils de révision peuvent annuler les jugements, lorsque la peine prononcée par la loi n'a pas été appliquée aux faits déclarés constants par les conseils de guerre, ou lorsqu'une peine a été prononcée en dehors des cas prévus par la loi.

Que décider, dans le cas où le jugement attaqué aurait prononcé une peine plus faible que celle encourue par le condamné?

Il y a plusieurs distinctions à faire.

Si le jugement a été, en même temps, l'objet d'un recours formé, dans les délais de la loi, de la part du ministère public, et d'un recours formé par le condamné, le jugement pourra être annulé.

Si le jugement n'a été l'objet d'un recours que de la part du condamné, ce dernier n'ayant pas intérêt à se pourvoir, le conseil devra, tout en constatant l'irrégularité de la peine prononcée, rejeter le pourvoi.

Si le jugement n'a été l'objet d'un recours que de la part du condamné, mais si ce recours est motivé sur ce que le jugement constaterait, en droit, au préjudice de ce dernier, une situation judiciaire qui ne serait pas la sienne, par exemple, celle résultant de l'état de récidive, alors qu'elle ne pourrait pas lui être légalement attribuée, le condamné ayant intérêt à se

(4) « Attendu, -porte un jugement du 43 janvier 4874, du conseil de révision de la garde nationale de la Seine, que s'il est vrai que dans l'armée les rapports d'inférieur à supérieur sont indépendants du service et tiennent uniquement au grade, il en est autrement dans la garde nationale; attendu que la portée donnée par le conseil de guerre à la qualification de supérieur ressort du fait même qu'il a appliqué une peine édictée par le Code de justice militaire, au lieu d'appliquer une peine de droit commun; attendu que le jugement décidant ensuite, sur la huitième question, que le fait n'avait pas eu lieu dans le service ou à l'occasion du service, s'est mis en contradiction avec la solution précédente; que, dès lors, entre ces déclarations inconciliables, il est impossible de reconnaître si la peine a été régulièrement appliquée, et qu'il y a lieu d'annuler le jugement pour tout ce qui concerne l'inculpation d'outrages.... etc.... » (D., R. P. 4874, 1, p. 35, 36.)

(2) Il a été jugé que la question par laquelle un conseil de guerre est interrogé cumulativement sur le fait principal et sur une circonstance aggravante, est complexe et irrégulière; il en est ainsi, notamment, de la question dans laquelle il est demandé tout à la fois si le prévenu a détourné des deniers appartenant à des militaires, et s'il en était comptable. Cette irrégularité emporte nullité, au moins lorsque le conseil de guerre, répondant affirmativement sur le fait principal, a gardé le silence sur la circonstance aggravante. Il s'agit ici, en effet, d'une forme essentielle, dont la violation fait grief à la défense comme à l'accusation. (Cons. révis. 48 novembre 1870, affaire Prévost. Dalloz, R. P. 4874, I, p. 258. - Voir, plus loin, les articles 432 et 248, et leur

commentaire.)

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Il a été jugé aussi que le jugement d'un conseil de guerre, rendu sur la simple lecture du procèsverbal, sans qu'il y ait eu débat oral, et lorsqu'aucun témoin, ni l'accusé, ní son défenseur n'ont été entendus, est vicié de nullité. (Cass. crim. 30 novembre 1832, affaire Soulier.)

(3) Voir, plus loin, les articles 167, 170, et leur commentaire.

(4) Voir, plus loin, l'article 444 et son commentaire.

pourvoir, le conseil de révision devrait annuler le jugement quant à la déclaration et quant à l'application de la peine qui en aurait été la conséquence (1).

Les conseils de révision peuvent, dit l'article 74, annuler les jugements lorsqu'il y a eu violation ou omission des formes prescrites à peine de nullité. » Il ne s'agit que des formalités prescrites à peine de nullité, soit par une disposition du Code de justice militaire, soit par une disposition de la loi à laquelle ce Code se réfère. Quant aux formalités dont l'absence ou l'irrégularité ne peuvent exercer sur la marche de la procédure, sur la découverte de la vérité, sur les droits de la défense, une influence telle que l'on puisse craindre que la décision des juges en soit affectée et qu'elle ne soit pas. rendue en parfaite connaissance de cause, leur violation ou omission ne saurait entraîner l'annulation du jugement rendu. C'est surtout, fait observer M. Foucher, en matière de procédures et de décisions émanées de juges militaires, qu'on ne saurait pousser l'exigence à ce point sans faire souvent tomber un jugement d'ailleurs bien rendu au fond, dont la prompte exécution importe à la discipline ou à la sûreté de l'armée, par suite de l'irrégularité d'une pièce de procédure qui, en définitive, n'a exercé et n'a pu exercer aucune influence sur la décision du juge, ni même sur les droits de l'accusé (2) ».

La Cour de cassation a jugé que l'erreur commise par le conseil de guerre dans la citation de la loi pénale n'entraine pas l'annulation du jugement,

(4) Voici un arrêt qui développe et éclaire cette dernière solution. Il s'applique à un pourvoi en cassation contre un arrêt d'une Cour d'assises, mais le principe est le même quant aux conseils de révision:

«En ce qui concerne l'application de la peine :

« Vu l'article 56 du Code pénal, dont la disposition portant, alinéa 4 et 5: « Quiconque, ayant été condamné à une peine afflictive ou infamante, aura commis un second crime emportant la peine des travaux forcés à temps, sera condamné au maximum de la peine, qui pourra être élevée jusqu'au double

;

Attendu que l'arrêt attaqué, en prononçant la peine de vingt ans de travaux forcés contre Joseph Bonnet-Ballon, ne s'est pas fondé exclusivement sur le vol dont il a été déclaré coupable par le jury, et qui était punissable de la peine des travaux forcés à temps, d'après les articles 384 et 384 du même Code; mais que cet arrêt s'est fondé aussi sur la condamnation à quatre années d'emprisonnement prononcée contre ledit Ballon par la cour d'assises du département de l'Isère, du 23 novembre 1846; qu'à la vérité cette condamnation avait été prononcée pour vol et tentative de vol qualifiés, lesquels étaient passibles de peines afflictives et infamantes, aux termes des articles 2, 384 et 386 du même Code, aussi visés dans l'arrêt attaqué; mais que la peine prononcée par cet arrêt de novembre 1846 a été réduite à quatre années d'emprisonnement à cause des circonstances atténuantes déclarées par le jury, en vertu de l'article 463 du Code pénal;

«Attendu néanmoins que l'arrêt attaqué a conclu, de l'existence de cette première condamnation, rapprochée des nouveaux faits reconnus constants par le jury, qu'il y avait récidive, dans les termes de l'article 56 du Code pénal, et qu'il y avait lieu à l'application du paragraphe 5 de cet article;

Attendu qu'en jugeant ainsi la Cour d'assises du département de l'Isère a fait une fausse application dudit 5e alinéa, et a formellement violé la disposition de l'alinéa 4er, qui n'attache plus, comme le Code de 4840, l'état de récidive à la perpétration d'un second crime, mais seulement à une peine afflictive et infamante;

« Attendu qu'il résulte, par conséquent, de la réforme introduite en 1832 dans la législation pénale, que la récidive du crime n'est pas susceptible d'aggravation lorsqu'en vertu des circonstances atténuantes déclarée spar le jury, ce crime n'a été puni par la justice que des peines correctionnelles ;

« Attendu que l'erreur commise par la Cour d'assises du département de l'Isère ne consiste pas dans la citation inexacte de la loi pénale à appliquer, mais dans la fausse interprétation de cette loi, et que cette fausse interprétation a pu être prejudiciable à l'accusé; qu'ainsi ce n'est pas le cas d'appliquer la disposition de l'article 444 du Code d'instruction criminelle. » (Cass. crim., 22 janvier 1852, affaire Bonnet-Ballon. >>

(2) Commentaire, etc., p. 206.

si la peine a été prononcée dans les limites de la disposition applicable. Les conseils de révision doivent, sur ce point, se conformer aux dispositions de l'article 411 du Code d'instruction criminelle, ainsi conçu: « Lorsque la peine prononcée sera la même que celle portée par la loi qui s'applique au crime, nul ne pourra demander l'annulation de l'arrêt, sous le prétexte qu'il y aurait erreur dans la citation du texte de la loi (1)

En ce qui concerne la violation ou l'omission des formalités prescrites à peine de nullité, peu importe qu'elle soit antérieure ou postérieure à l'ordre de convocation des conseils de guerre. Le recours en révision, qui ne peut être formé qu'après le jugement rendu sur le fond, embrasse et les actes de la procédure antérieurs à l'acte de convocation renvoyant devant le conseil de guerre, et l'instruction d'audience (2).

Les jugements des conseils de guerre peuvent être annulés, lorsque ces conseils ont « omis de statuer sur une demande de l'accusé ou une réquisition du commissaire du gouvernement tendant à user d'une faculté ou d'un droit accordé par la loi. » Déjà l'article 408 du Code d'instruction criminelle avait dit: Il en sera de même (c'est-à-dire, il y aura lieu à l'annulation de l'arrêt de condamnation), tant dans les cas d'incompétence que lorsqu'il aura été omis ou refusé de prononcer, soit sur une ou plusieurs demandes de l'accusé, soit sur une ou plusieurs réquisitions du ministère public, tendant à user d'une faculté ou d'un droit accordé par la loi, bien que la peine. de nullité ne fût pas textuellement attachée à l'absence de la formalité dont l'exécution aura été demandée ou requise.

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Il ne suffirait pas que la demande de l'accusé ou que la réquisition du commissaire du gouvernement résultassent de simples observations; il est nécessaire qu'elles soient formulées par des conclusions, écrites ou verbales, mais, dans ce dernier cas, le procès-verbal d'audience devra en faire mention. Il est, en effet, de principe constant consacré par la jurisprudence de la Cour de cassation, que « l'omission de statuer ou l'absence de motifs ne peuvent déterminer l'annulation d'un arrêt, qu'autant qu'elles portent sur des conclusions prises formellement devant la Cour qui l'a rendu (3) ».

Dans le cas de conclusions verbalement formulées, le procès-verbal d'audience pourrait ne pas les mentionner, si le fait était allégué dans une requête ou toute autre pièce sur laquelle le tribunal aurait statué, car il en résulterait que l'oreille du juge aurait été touchée par ces conclusions (4).

Bien que le no 5 de l'article 74 ait parlé d'une demande ou d'une réquisition « tendant à user d'une faculté ou d'un droit accordé par la loi », il est cependant admis par la jurisprudence que du moment où il y a eu con

(4) Cass. crim. 15 juillet, 1858, affaire Tessier.

(2) L'accusé n'est pas autorisé, en effet, comme dans le droit commun, à se pourvoir en nullité contre l'ordre de convocation du général qui le renvoie devant le conseil de guerre. Il doit, au contraire, être procédé sans interruption, jusqu'au jugement sur le fond, par ce conseil, sauf au prévenu à former son recours en révision pour le tout, après cette décision intervenue. Voir, Foucher, Commentaire, etc., p. 207. Voir aussi, plus loin, les articles 408, 422 et 123, et

leur commentaire.

(3) Les arrêts sur ce point sont nombreux. Nous citerons particulièrement celui du 27 févr. 1845, affaire Richault.

(4) Cass. crim., 14 août 1823, affaire Aymouin et André.

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