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reprennent leur compétence à l'égard du militaire, puisque le complice de l'ordre civil perd le droit de l'attirer vers sa juridiction (1).

En comparant l'article 2 de la loi du 22 messidor an iv et l'article 76 du Code de justice militaire de 1857, on trouve dans les termes une différence notable. La loi de messidor parle du cas où parmi deux ou plusieurs prévenus du même délit, il y aurait un ou plusieurs militaires et un ou plusieurs individus non militaires. L'article 76 du Code de 1857, prévoyant le même cas, suppose que la poursuite comprenne des individus non justiciables des tribunaux militaires et des militaires ou autres individus justiciables de ces tribunaux. Le terme de justiciables employé dans cet article a son importance. Il rappelle que quel que soit le titre auquel la juridiction militaire saisisse son justiciable, que ce soit comme militaire ou assimilé aux militaires, en vertu des lois sur l'état de siége, ou à cause de l'état de guerre, ou parce que le délit a été commis aux armées, ou encore parce qu'il devient son justiciable par une disposition de loi spéciale, dès le moment où la compétence du tribunal militaire, du conseil de guerre, est établie à raison de la personne, à quelque titre que ce soit, le conflit de deux juridictions ne peut être soulevé, puisque la loi le tranche par les expressions mêmes dont elle formule ses prescriptions. Mais quand le conflit s'élève parce que l'un des prévenus est justiciable et l'autre non justiciable des conseils de guerre, en temps normal, dans les divisions territoriales en état de paix, c'est la juridiction ordinaire qui est compétente et devant laquelle tous les prévenus doivent être renvoyés; seulement on doit saisir la juridiction la plus élevée, alors même que celle-ci ne serait compétente qu'à raison de la peine à prononcer contre les complices, et cette peine ne fût-elle portée que par la loi militaire (2).

Il y a toutefois à faire attention ici à la question des délits distincts.

(4) Enlever, dans quelque circonstance que ce soit, un soldat à son drapeau et à ses juges naturels, ce serait toucher, sans raison, à ces bases essentielles sur lesquelles reposent l'esprit militaire et la discipline de l'armée. Si cette règle s'efface dans des cas exceptionnels, tels que la complicité avec des individus non militaires, c'est qu'il y a obligation de la faire céder à des nécessités d'ordre public et aux inconvénients que présenterait la disjonction des procédures. Le caractère distinct de l'armée au milieu des populations; la haute mission qui lui est donnée de maintenir l'ordre au dedans et l'indépendance nationale au dehors; la nécessité, pour arriver à ce but, de n'arracher que dans des cas exceptionnels un soldat à l'autorité de ses chefs, pour le livrer à la justice civile et à toutes les lenteurs qu'elle peut entraîner; les devoirs étroits qui sont la règle de toutes ses actions, et dont il ne peut se dépouiller, même en commettant un délit ordinaire; l'uniforme dont il est revêtu : tout concourt à rendre complexe le plus simple délit de l'ordre commun lorsqu'il est commis par un militaire en activité, et à obliger le coupable à venir en répondre devant sa juridiction naturelle.

La loi militaire suffit, du reste, à tous les cas, puisqu'elle renvoie au Code pénal ordinaire pour les crimes et délits qu'elle n'a pas prévus, et elle ne laisse jamais désarmée la justice du pays, pas plus qu'elle ne prive le soldat d'aucune des garanties auxquelles il a droit. » (Exposé des motifs.)

(2) D'après l'article 337 du Code militaire d'Italie, lorsque un ou plusieurs délits prévus dans le présent Code auront été commis par complicité par des militaires et des personnes sujettes à la justice ordinaire, la connaissance de ces délits sera pour tous les prévenus soumise aux tribunaux ou magistrats ordinaires.

De même, le Code belge (article 44) s'exprime ainsi : « Le juge militaire s'abstiendra de connaître ou de prononcer dans le cas des militaires ou des employés, lorsqu'ils auront commis un délit conjointement avec d'autres personnes qui sont du ressort du juge civil, ou que ces dernières y sont compromises; mais alors ces militaires ou employés seront remis au juge civil ou laissés à sa juridiction, à cause de la connexité. `»

L'article 25 du Code militaire espagnol porte que « Les peines, à l'exception de celle de la mort, infligées par les tribunaux militaires à des coupables non militaires, seront exécutées par l'entremise de l'autorité civile ».

Ainsi, lorsqu'un militaire est prévenu de plusieurs crimes et délits distincts pour l'un desquels il a un complice non justiciable des conseils de guerre, il doit d'abord être traduit devant la juridiction militaire ou ordinaire qui doit statuer sur l'infraction emportant la peine la plus forte, sauf ensuite à ordonner son renvoi devant l'autre juridiction, fût-ce celle qui devrait connaître du crime ou délit pour lequel il y aurait un complice non justiciable des tribunaux militaires.

Le fait par des militaires d'avoir vendu des munitions de l'État, et le fait d'un individu non militaire d'avoir acheté sciemment ces objets, constituent des délits distincts qui doivent, par suite, être déférés séparément, celui des militaires au conseil de guerre, et celui de l'acheteur non militaire à la juridiction de droit commun (1). La jurisprudence est fixée en ce sens (2). Les délits de droit commun, tels que des vols ordinaires, commis par un militaire postérieurement à l'obtention d'un congé de réforme et à la réception d'une feuille de route pour se retirer dans ses foyers, ne peuvent être déférés au conseil de guerre, même quand ils ont été commis de complicité avec des militaires restant au service.

La question de compétence ne présente pas de difficulté réelle, lorsque le militaire, à l'époque de la perpétration des délits, s'était déjà mis en route; il n'est guère possible, en effet, de soutenir qu'il n'échappe à la juridiction militaire que seulement à partir du moment où il a fait viser sa feuille de route à la brigade de gendarmerie du lieu où il a déclaré se rendre. Mais, lorsque nonobstant la délivrance de la feuille de route, le militaire en congé de réforme se trouvait encore à la caserne, les délits par lui commis contre la discipline militaire sont, d'après un arrêt de la Cour de cassation, de la compétence du conseil de guerre (3).

Il est de jurisprudence établie, que lorsqu'un militaire reste seul en cause, soit parce qu'il a été antérieurement statué sur le sort des non-militaires, soit parce qu'on aurait décidé qu'il n'y avait pas lieu à suivre contre ces derniers, soit à raison de leur décès, soit pour toute autre cause, le prévenu justiciable des conseils de guerre doit être mis à la disposition de l'autorité militaire, pour être procédé à son égard, conformément aux règles du Code de 1857.

Le complice non militaire d'un crime ou délit commis par des militaires peut et doit être jugé séparément, lorsque, au moment de l'instruction dirigée contre lui, il reste seul poursuivi, les délinquants militaires ayant déjà passé en jugement devant le conseil de guerre, et se trouvant sous le coup d'une condamnation devenue définitive.

En effet, l'intérêt de la bonne administration de la justice et de l'économie des frais de justice criminelle s'oppose au jugement successif devant des juridictions différentes des prévenus militaires et non militaires; ce principe ne reçoit son application qu'au cas où des poursuites ont été simul

(4) Cours de Lyon, 9 mars 1869. D. P., 1869, 2, p. 80; et Cass. crim., 8 avril 1869, D. P., 1870, 1, p. 140.— Voir, plus loin, l'article 247 et son commentaire.

(2) Idem. A moins, bien entendu, que l'état de siége ne vienne modifier la compétence. (Affaire des canons de Vincennes, 1872.)

(3) C. de guerre de Grenoble, 43 décembre 1870. D. P. 1874, 3, p. 88; Cass. crim., 47 juin 1854.

tanément dirigées contre les auteurs ou complices, militaires et non militaires, d'un crime ou d'un délit, et nullement lorsque la participation des personnes non militaires au crime ou délit commis par des militaires, n'a été découverte que postérieurement à la condamnation de ces derniers. Les règles du droit commun doivent reprendre, dans ce cas, tout leur empire, car l'on ne saurait, sans une dérogation abusive aux règles de la compétence, distraire de ses juges naturels et renvoyer devant une plus haute juridiction, celle de la Cour d'assises, un prévenu qui n'aurait dû y comparaître que si sa comparution avait dû s'effectuer simultanément avec celle des militaires poursuivis concurremment avec lui (1).

Il a été jugé que lorsqu'un délit commis par un militaire, sans être connexe à un délit postérieur commis par un non-militaire, est seulement corrélatif à celui-ci, en ce sens que c'est le premier qui a occasionné le second, cette circonstance ne suffit pas pour faire attribuer la connaissance des deux délits aux tribunaux ordinaires. Il n'appartient, dans ce cas, qu'aux conseils de guerre de statuer sur le délit imputé au prévenu militaire (2).

Il y a certains faits qui, constituant des délits militaires, lorsqu'ils sont commis par des militaires, n'ont aucun caractère de culpabilité, s'ils sont commis par des individus n'appartenant point à l'armée. Ces derniers individus, en pareil cas, ne pourraient être considérés ni poursuivis comme complices. Tel serait, par exemple, le cas où un citoyen non militaire aurait excité ou provoqué à un acte d'insubordination envers un supérieur. Le militaire pouvant seul être poursuivi, ce serait alors la juridiction militaire qui deviendrait compétente.

Mais, s'il y avait lieu à poursuivre le militaire et son complice pour les mêmes faits mais punis par des lois différentes; par exemple, si le militaire avait outragé par geste un officier dans l'exercice de ses fonctions, comme chef de poste de sûreté ou comme dépositaire de la force publique, tandis que le complice non militaire aurait excité à ces voies de fait et pris part au délit en frappant lui-même le supérieur, il y aurait lieu de traduire les deux prévenus devant la juridiction du droit commun, pour leur 'être fait à chacun l'application de la loi qui les concerne (3).

ART. 77.

Tous les prévenus indistinctement sont traduits devant les tribunaux militaires :

1° Lorsqu'ils sont tous militaires ou assimilés aux militaires, alors même qu'un ou plusieurs d'entre eux ne seraient pas justiciables de ces tribunaux en raison de leur position au moment du crime ou du délit ; 2o S'il s'agit de crimes ou de délits commis par des justiciables des conseils de guerre et par des étrangers;

(4) Cour de Bourges, 6 juillet 4874. D. P., 1874, 2, p. 35.

(2) Cass. erim., régl. de juges, 48 juillet 1828, affaire Dépigny.

(3) Dalloz, Répertoire, vo Organisation militaire, t. XXXIV, 2o partie, no 908, p. 2063. M. Chénier (Manuel des conseils de guerre et Guide des tribunaux militaires), est d'uue opinion

contraire.

3° S'il s'agit de crimes ou délits commis aux armées en pays étranger;

4° S'il s'agit de crimes ou de délits commis à l'armée sur le territoire français, en présence de l'ennemi.

Le principe de l'article 76 souffre plusieurs exceptions contenues dans les articles 77, 78 et 79.

La première exception énoncée dans l'article 77 s'applique aux militaires en congé, en retraite ou laissés dans leurs foyers. Il faut supposer encore qu'il s'agit d'un crime ou délit du droit commun; car s'il s'agissait d'un délit militaire, le conseil de guerre serait compétent de droit et non en vertu de l'exception de l'article 77.

Sous l'empire de la loi du 22 messidor an iv, il était de jurisprudence que dès l'instant où les militaires cessaient d'être justiciables des conseils de guerre, à raison de leur congé ou permission, ils entraînaient devant la juridiction ordinaire leurs complices militaires en activité (1).

Le n° 1er de l'article 77 soumet à la juridiction des conseils de guerre les militaires en congé ou en permission (2) qui se sont rendus complices ou auteurs d'un crime ou d'un délit dans lequel un justiciable des tribunaux militaires se trouve impliqué, à quelque titre que ce dernier soit justiciable de ces tribunaux, comme militaire ou comme assimilé. « Rien n'indiquait la nécessité de dessaisir, dans cette circonstance, le conseil de guerre, car le militaire en congé est le justiciable naturel du tribunal militaire; et s'il cesse de l'être, pour certains délits, c'est par pure tolérance de la loi, et parce que l'intérêt de la discipline ne le commande pas impérieusement (3).

Tous les prévenus indistinctement sont traduits devant les tribunaux militaires, s'il s'agit de crimes ou de délits commis par des justiciables des conseils de guerre et par des étrangers. La disposition est générale et ne distingue pas si les crimes ou les délits ont été commis en France ou hors de France; sauf, bien entendu, là revendication des tribunaux nationaux, en vertu des principes du droit public ou des traités.

L'étranger, complice d'un militaire, ne doit pas se trouver dans une situation plus favorable que les individus compris dans le paragraphe précédent. La loi ne lui doit pas tout ce qu'elle doit au citoyen français. Aucune considération ne commande de changer pour lui l'ordre des juridictions; et s'il vient troubler cette société qui le protége et le fait vivre à l'ombre de ses lois, il n'a pas le droit de se plaindre quand on le traite comme le soldat dont il a partagé et provoqué la faute.

Le troisième numéro de l'article 77 défère aux tribunaux militaires tous les prévenus indistinctement, s'il s'agit de crimes ou délits commis aux armées en pays étranger. Par pays étranger il faut entendre pays ennemi.

Le projet primitif, dit M. Foucher, avait une disposition relative à la com

(4) L'avis du Conseil d'État du 30 thermidor an XII portait que les délits commis par des militaires en congé, ou hors de leur corps, étaient de la compétence des tribunaux ordinaires. (2) Voir, plus haut, l'article 57 et son commentaire.

(3) Rapport de M. Langlais au Corps législatif.

plicité pour les crimes et délits commis en pays ennemi, qui était ainsi conçue : S'IL S'AGIT DE CRIMES OU DÉLITS COMMIS EN PAYS ENNEMI. › Ce fut dans les rédactions subséquentes qu'on substitua le mot ÉTRANGER au mot ENNEMI, qui se trouvait dans le projet primitif, sans que rien, ni dans les procès-verbaux de la commission ministérielle, ni dans ceux du Conseil d'État et du Corps législatif, ne fasse connaître le motif de cette substitution. Mais le système de l'article 77 était complet sans cette substitution qui, comme on le voit, laisse une lacune; car, par le premier paragraphe, l'article prévoyait la complicité des militaires en activité de service avec des militaires en congé ou permission, c'est-à-dire la complicité des justiciables désignés en l'article 56 avec ceux désignés aux articles 57 et 58; par le deuxième paragraphe, la complicité des crimes commis non pas seulement par des militaires en activité de service et par des étrangers, mais par tout justiciable des conseils de guerre et par des étrangers, d'après les distinctions établies par le Code, c'est-à-dire selon l'état de paix, de guerre, de siége, soit dans les divisions territoriales, soit aux armées, sans distinguer le territoire, ce qui comprenait donc le territoire ÉTRANGER; puis, par le troisième paragraphe, tout crime ou délit quelconque commis sur le territoire ENNEMI. En substituant le mot étranger au mot ennemi dans ce dernier paragraphe, on a seulement étendu la compétence du no 2, de l'article 77 à tous les crimes et délits commis en pays étranger, et on n'a pas prévu la complicité POUR TOUS LES CRIMES ET DÉLITS commis en pays ennemi, ce qui était peut-être plus important. Par suite on a restreint la compétence des tribunaux militaires dans cette hypothèse aux crimes et délits prévus par le Code militaire, ce qui, du reste, dans la pratique donnera satisfaction aux besoins de l'armée, si cela ne permet pas de juger toutes les infractions prévues par le droit commun (1).

D'après le no 4 de l'article, il y a lieu de traduire tous les prévenus indistinctement devant les tribunaux militaires, lorsqu'il s'agit « de crimes ou de « délits commis à l'armée sur le territoire français, en présence de l'en« nemi; » à l'armée, c'est-à-dire, dans la circonscription de l'arrondissement de l'armée (2).

Le rapporteur justifiait ainsi cette disposition, et celle du numéro précédent, devant le Corps législatif : La loi fait encore exception de tous les individus, même de l'ordre civil, complices de crimes ou de délits commis aux armées en pays étranger; soit à l'armée sur le territoire français, en présence de l'ennemi. C'est devant le tribunal militaire qu'ils doivent être traduits indistinctement, et il est à peine nécessaire d'indiquer les motifs de cette dérogation à la règle générale. La conséquence, en effet, du principe contraire, ce serait que le militaire coupable, aux armées en pays étranger, ne pourrait être puni à l'armée même, où tant de raisons peuvent commander un exemple prompt et saisissant. Les mêmes motifs justifient la dérogation, quand l'armée est en France, mais devant l'ennemi. Le coupable, dans ces circonstances suprêmes, ne peut régler ainsi lui-même sa juridiction; dessaisir, à son gré, cette justice de l'armée, qui fait la force du lien

(1) Commentaire, p. 184 et 185.

(2) Voir, plus haut, l'article 64 et son commentaire.

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