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comment on peut établir entre ces peines une différence qui n'existe même pas dans les mots.

« Ces motifs avaient engagé la Chambre des pairs, en 1829, à élever la peine du boulet du rang des peines contre les délits à celui des peines contre les crimes; mais ce n'était que déplacer la difficulté sans la résoudre.

Les projets actuels proposent de supprimer cette peine et de la remplacer par celle des travaux publics, qui paraît suffisamment répressive pour les délits de désertion, et qui permet du moins au déserteur, à l'expiration de sa peine, de rentrer sans stigmate de honte dans les rangs de l'armée, pour y achever le temps de service que la loi lui impose. Il faut observer, d'ailleurs, que la désertion est devenue beaucoup plus rare dans l'armée, et que, grâce à ce progrès et à celui de nos mœurs, le législateur peut se montrer moins rigoureux aujourd'hui qu'il ne l'avait été dans les circonstances exceptionnelles de l'an v et de l'an XII.

Malgré la suppression des peines des fers et du boulet, les peines militaires édictées par le Code se trouvent encore en nombre suffisant pour établir une graduation convenable dans la répression de tous les crimes et délits purement militaires. C'est ce que prouve un examen attentif des articles du projet, qui s'étendent depuis la trahison jusqu'à la vente d'effets. «Quatre fois seulement, dans cette longue série d'articles, outre les cas de peine de mort avec dégradation, on a appliqué une peine infamante, celle de la détention, savoir: à la violation de consigne et à la désertion en présence de l'ennemi, et à la désertion de l'officier en temps de guerre, ou d'un territoire en état de guerre ou de siége. Il suffit d'indiquer ces crimes pour justifier la pénalité infamante dont ils sont l'objet.

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Quant au vol, au pillage, au faux et à la concussion, même en matière militaire, qui rentrent par leur nature dans la classe des délits communs, et auxquels la qualité des militaires ne fait qu'ajouter une gravité de plus, le nouveau Code les punit conformément au Code pénal ordinaire, en leur appliquant, suivant les cas, les travaux forcés à temps, la reclusion et la détention. »

ART. 187.

Tout individu condamné à la peine de mort par un conseil de guerre est fusillé.

ART. 188.

Lorsque la condamnation à la peine de mort est prononcée contre un militaire en vertu des lois pénales ordinaires, elle entraîne de plein droit la dégradation militaire.

Le Code de 1857 ne dit pas comment doit s'exécuter la peine de mort. L'Exposé des motifs s'exprimait ainsi : « Quelque importance qu'il paraisse y avoir à maintenir cette forme solennelle d'exécution, on n'a pas cru devoir l'écrire dans la loi, parce qu'elle deviendrait obligatoire dans tous les cas, qu'elle pourrait créer un embarras dans des circonstances où il y aurait

impossibilité matérielle de l'observer. Elle sera naturellement l'objet de dispositions réglementaires.

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Il avait été décidé, d'abord, que pour le mode d'exécution de la peine de mort, on devait continuer à se conformer aux prescriptions de la loi du 12 mai 1793 (1).

Aujourd'hui, ce mode d'exécution est réglé par l'article 154 du décret du 13 octobre 1863, sur le service dans les places de guerre et les villes de garnison, dont la disposition est ainsi conçue: Si le condamné doit subir la peine capitale, l'exécution a lieu en présence des troupes de la garnison en armes. Le corps auquel appartient le condamné tient la droite; le plus ancien chef de corps prend le commandement. Le condamné est amené sur le terrain par un détachement de cinquante hommes; il n'est pas porteur de ses insignes. Lorsqu'il arrive au centre des troupes, elles portent les armes, les tambours battent au champ. Le commandant de place fait commander pour l'exécution un adjudant sous-officier, quatre sergents ou maréchaux des logis, quatre caporaux ou brigadiers et quatre soldats, pris à tour de rôle, en commençant par les plus anciens, dans le corps auquel appartenait le condamné et, à défaut, dans le corps de même arme le premier dans l'ordre de bataille parmi ceux qui se trouvent dans la place. Dix de ces militaires sont placés sur deux rangs à dix pas du condamné, qui est à genoux, les yeux bandés; les deux autres sont en réserve. Le signal de faire feu est donné par l'adjudant, auquel un officier de l'état major de la place en a fait connaître le moment. Le commissaire du gouvernement chargé de veiller à l'accomplissement des formalités prescrites par la loi est présent à l'exécution; il est assisté par le greffier, qui en dresse procès-verbal. L'exécution terminée, les troupes défilent devant le mort et sont reconduites en ordre dans leurs quartiers. Le commandant de place donne les ordres nécessaires pour l'inhumation. >>

Le décret du 1er mars 1854 sur la gendarmerie porte que : « Lors de l'exécution des jugements des tribunaux militaires, soit dans les divisions de l'intérieur, soit dans les camps ou aux armées, la gendarmerie, s'il y en a, ne peut être commandée que pour assurer le maintien de l'ordre, et reste étrangère à tous les détails de l'exécution. (Art. 134.) Il a, en conséquence, été décidé, par application de cet article, que ce n'est pas à

»

(1) Circulaire du ministre de la guerre, du 28 juillet 1857.

Loi du 12 mai 1793 (Sect. vi): Art. 1er. « La condamnation à la mort s'exécutera militairement, comme il suit : >>

Art. 2. «Il sera commandé quatre sergents, quatre caporaux et quatre fusiliers, les plus anciens de service pris à tour de rôle dans la troupe du prévenu, autant que faire se pourra, sinon toujours de la troupe présente sur les lieux où l'exécution devra se faire. »

Art. 3. « On placera ces douze militaires sur deux rangs; ce sont eux qui seront chargés de faire feu sur le coupable, quand le signal leur en sera donné par l'adjudant. »

Art. 4. « L'exécution se fera sur une place indiquée à cet effet, en présence de la troupe du prévenu, lorsqu'elle sera sur le lieu, qui sera rangée en bataille et sans armes, sinon en présence de la troupe qui aura fourni les tireurs. »>

Art. 5. « Il y aura toujours un des juges du tribunal qui aura appliqué la loi présent à l'exé

cution. »>

Art. 6. « Il sera commandé un piquet de cinquante hommes en armes, pour conduire le coupable au lieu de son exécution; la gendarmerie sera également commandée, quand il y en aura; l'un et l'autre seront chargés, sous les ordres du commandant, de veiller au maintien de l'ordre et de la police qui doivent régner dans ces sortes d'exécutions. »>>

un gendarme que doit être donné l'ordre de bander les yeux du condamné, mais à un caporal du régiment de celui-ci.

L'article 5 de la loi du 12 mai 1793 porte : « Il y aura toujours un des juges du tribunal qui aura appliqué la loi, présent à l'exécution. Cette disposition, bien que l'article 54 du décret du 13 octobre 1863 ne parle que de la présence du commissaire du gouvernement, doit continuer à recevoir son exécution. Il est bien entendu, it-on dans la circulaire ministérielle du 28 juillet 1857, que c'est un juge et non le commissaire du gouvernement qui, assiste à l'exécution des jugements entraînant la peine de mort. Ce dernier est seulement chargé de faire les diligences nécessaires pour l'exécution des jugements (1). »

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L'article 187 dit : « Tout individu condamné à la peine de mort par un conseil de guerre sera fusillé. Il en résulte que même les citoyens non militaires sont ainsi passés par les armes, comme les militaires eux-mêmes. Seulement, et comme le dit l'article, il faut qu'ils aient été condamnés à mort par un conseil de guerre. Dans le cas de complicité où les accusés non militaires entraînent les militaires devant la juridiction du droit cómmun, la peine de mort, si elle est prononcée, est exécutée civilement ou militairement, suivant la qualité des condamnés. C'est ce qui résulte de l'article 196 du Code de 1857 (2). Ainsi, les militaires et individus assimilés aux militaires, condamnés à la peine de mort par les tribunaux ordinaires, doivent être fusillés, comme ceux qui sont condamnés à cette peine par un conseil de guerre (3).

»

L'article 188 dispose: Lorsque la condamnation à la peine de mort est prononcée contre un militaire en vertu des lois pénales ordinaires, elle entraîne de plein droit la dégradation militaire. Il résulte de cette disposition que la peine de mort prononcée contre un militaire n'a pas toujours un caractère infamant. Elle n'a ce caractère que dans les cas où la loi y ajoute la dégradation militaire. Mais la dégradation militaire résulte nécessairement de la condamnation prononcée en vertu des lois pénales ordinaires. Ainsi, dans les cas prévus dans les articles 211, 213, 217, 220, 222, 223, 226, 227, 228, 241, 242, 256 du Code de justice militaire, c'est la peine de mort simple qui est encourue, il n'en résulte pas d'infamie contre le condamné; tandis qu'il en est autrement dans tous les autres cas de condamnation à mort où la loi ajoute la peine accessoire de la dégradation militaire: tels sont les cas prévus par les articles 204, 205, 206, 208, 209, 218, 221, 238, 250, 251, 253 (4).

Cette différence dans la conséquence légale de la peine en tel ou tel cas, n'est pas nouvelle. En 1829, lors du projet du Code militaire, la question se posa dans la commission de la Chambre des pairs, et il fut admis qu'il y avait non-seulement possibilité, mais encore nécessité de proclamer une exception à la loi commune. On a pensé, disait le rapporteur (M. le général d'Ambrugeac), que le législateur attacherait en vain l'infamie à un

(4) Circulaire du ministre de la guerre, du 12 décembre 1865.
(2) Voir, plus loin, l'article 496 et son commentaire.
(3) Circulaire du ministre de la guerre, du 28 juillet 4857.

(4) Voir, plus loin, ces différents articles et leur commentaire.

» —

fait coupable, si l'opinion publique se refusait à y reconnaître cette immoralité profonde, cette perversité de cœur et cette soif du sang qui entraînent au vol et à l'homicide. Le rapporteur de la loi de 1857 ajoutait, pour justifier la nécessité de cette juste distinction, que si le maintien de la discipline militaire exige parfois des peines qui semblent disproportionnées avec l'offense ou le délit, et si de simples infractions dans le service ou des actes d'insubordination suffisent pour attirer la peine de mort, la raison se révolterait contre une mesure qui aurait pour résultat de mettre les militaires coupables de ces actes, quant à l'infamie, sur la même ligne que les assassins et les plus grands criminels. En effet, dans l'état de nos mœurs, et avec ce sentiment d'honneur qui existe à un si haut degré dans l'armée française, la dégradation a toujours été considérée par les militaires comme la peine la plus grave avec la peine de mort.

Presque toutes les législations font cette distinction. Les codes étrangers, notamment les codes prussien et belge, admettent cette différence. La loi militaire helvétique la maintient même dans l'exécution, où l'on distingue la mort avec infamie de la mort sans infamie; la première est reçue par derrière et la seconde par devant. La loi italienne fait la même distinction. Ainsi donc, pour résumer les explications données sur l'article 188 :

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Contre un non-militaire.

Si la peine de mort devait être accompagnée de la dégradation militaire, le conseil de guerre lui substituerait la dégradation civique (1).

Cas où la peine de mort est pro-
noncée avec dégradation mili-
taire :

Art. 204 (1er §), 205, 206, 208
(2 §), 209, 218, 224, 250, 251 et
253 (3).

« Il résulte donc, — dit M. Foucher, - des dispositions des articles 187 et 188 que la peine de mort a des effets différents selon qu'elle entraîne ou non la dégradation militaire.

«

Lorsque la peine de mort est prononcée sans la dégradation, l'homme meurt integro statu, sans encourir aucune incapacité. Le Code militaire fait ainsi cesser les interprétations diverses qu'avait reçues la question de savoir quels étaient l'influence et les effets des peines prononcées par les

(1) Voir, plus loin, l'article 196 et son commentaire.

(2) Voir, plus loin, ces différents articles et leur commentaire. (3) Voir, plus loin, ces articles et leur commentaire.

juridictions militaires; il consacre le dernier état de la jurisprudence, d'après lequel les effets de la peine prononcée ne pouvaient être que ceux qu'aurait produits la peine édictée par le droit commun pour ce crime ou délit.

Si, au contraire, la peine de mort est prononcée avec dégradation militaire, le Code militaire en précise les effets, en indiquant par son article 190 les conséquences de la dégradation militaire. Ces effets, outre ceux énumérés en cet article, sont encore les effets portés par les articles 28 et 34 du Code pénal ordinaire, c'est-à-dire les conséquences légales de la dégradation civique; mais, comme elles consistent toutes en incapacités personnelles au condamné, elles ne peuvent avoir de résultat à son égard qu'autant que la peine de mort n'est pas exécutée, et alors que le condamné n'est pas relevé de ces incapacités soit par une commutation de peine qui substitue à la peine capitale une autre peine n'emportant pas les mêmes effets, soit par la réhabilitation postérieure. Seulement, dans ce dernier cas, comme dans celui où la grâce intervient après que la peine première a commencé à recevoir son exécution, les effets produits ne peuvent être effacés (1).

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ART. 189.

Les peines des travaux forcés, de la déportation, de la détention, de la reclusion et du bannissement, sont appliquées conformément aux dispositions du Code pénal ordinaire.

Elles ont les effets déterminés par ce Code et emportent, en outre, la dégradation militaire (2).

L'article précédent s'est occupé de la peine de mort; en ce qui concerne les autres peines pour crimes, les travaux forcés, la déportation, la détention, la reclusion et le bannissement, le Code de justice militaire déclare, dans l'article 189, qu'il s'en réfère purement et simplement au Code pénal ordinaire, quant au mode d'application et aux effets.

(4) Foucher, Commentaire, p. 575 et 576.

(2) Art. 14 du Code militaire prussien: Si un crime militaire entraîne la peine de mort, le condamné est fusillé.

En campagne, l'exécution par les armes sera aussi employée pour un crime non militaire.
Art. 2 du Code militaire belge :

Tout condamné à la peine de mort, en vertu du Code pénal militaire, sera fusillé. Si la dégradation militaire n'a pas été prononcée contre lui, il pourra porter, lors de l'exécution, les insignes et l'uniforme de son grade.

D'après la loi prussienne, les condamnations à la peine capitale ne peuvent être l'objet d'un recours en grâce au roi, que si l'autorité qui confirme le jugement ne trouve aucun danger pour la discipline et l'intérêt général.

Voici, à ce propos, une pensée du maréchal Marmont :

« Une dernière disposition serait peut-être désirable dans la justice militaire. Elle existe en Autriche, et les effets m'en paraissent salutaires. Le droit de grâce et de commutation de peine n'est pas réservé au souverain; il appartient au colonel, propriétaire du régiment; lequel, dans l'usage, en délègue l'exercice au colonel commandant. Il y a tant de circonstances qui militent en faveur d'un soldat coupable d'indiscipline (c'est presque toujours pour des fautes semblables qu'on use de la grâce), les chefs placés sur les lieux sont si bien à portée d'apprécier l'opportunité d'un acte de clémence, qu'il serait à mes yeux fort utile de donner cette prérogative, non pas au chef du corps, mais au général commandant la division ou le corps d'armée.

« Dans l'état actuel des choses, un brave soldat, que chacun voudrait sauver, périt victime de la rigueur de la loi; ou, dans l'intérêt de sa conservation, il y a déni de justice, alternative également fâcheuse. »>

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