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pétente, a été reconnue ou tout au moins virtuellement exprimée dans les lois militaires françaises. Avant 1812, aucune disposition législative ne fixait la peine ou la juridiction, pour le cas de violation d'un engagement résultant de la parole d'un prisonnier de guerre. La question fut soumise au Conseil d'État, qui émit l'avis suivant, devenu décret-loi par l'approbation de l'Empereur, du 4 mai 1812 « Le Conseil d'État, qui, en exécution du renvoi ordonné par Sa Majesté, a entendu le rapport des sections de la guerre et de législation réunies, sur celui du ministre de la guerre, ayant pour objet d'examiner si des officiers faits prisonniers de guerre, et qui, après avoir faussé leur parole, sont repris les armes à la main, doivent être traduits devant une commission militaire; considérant que ces officiers, ayant abusé du droit des gens, retombent par cela même sous le droit de la guerre; est d'avis que, lorsque des officiers prisonniers de guerre, ayant faussé leur parole, sont repris les armes à la main, la peine capitale par eux encourue ne peut leur être infligée qu'après avoir été traduits à une commission militaire, chargée de constater l'identité des individus et la réaité des faits. » C'est dans ce sens qu'il faut entendre la disposition du Code de justice militaire de 1857, article 204, reproduite par le Code militaire maritime de 1858, article 262, qui porte: Est puni de mort tout prisonnier de guerre qui, ayant faussé sa parole, est repris les armes à la main. › Car ce sont des juges qui doivent prononcer. Le crime consiste à violer l'engagement de ne plus porter les armes contre l'ennemi; c'est donc avant tout un tel engagement qu'il faut constater: or, un engagement dont la violation est punie de mort ne doit pas résulter de la simple présomption d'engagement indirect ou implicite. Ajoutons que la loi pénale militaire s'abstient de prononcer la dégradation, parce qu'en pareil cas on ne saurait dire que l'officier a trahi son drapeau ou sa patrie.

L'honneur militaire ainsi que l'honneur national, en France autant qu'en aucun autre pays, sont estimés au plus haut point et doivent être défendus contre l'ennemi qui voudrait leur imprimer quelque tache. Dans leur récente guerre d'invasion qui a fait conduire en Allemagne plus de 300 mille Français, parmi lesquels étaient plusieurs milliers d'officiers, les Allemands ou Prussiens ont multiplié les accusations de forfaiture à l'honneur, relativement à des évasions inspirées surtout par le sentiment patriotique: 'celles que nous avons pu contrôler étaient aussi injustes que téméraires. La première s'attaquait à un général auquel étaient confiées, pour la défense de Paris, d'importantes opérations militaires, qu'il a dirigées avec bravoure sans le succès espéré. A cette accusation, qui se produisait par l'entremise d'un journal anglais, le général a opposé un démenti avec détails circonstanciés, qui prouvaient qu'il avait satisfait à tout ce qu'exigeait son engagement limité. Sa justification a été trouvée complète, non-seulement par le gouverneur faisant insérer dans le Journal officiel la lettre explicative, mais aussi par les militaires compétents et même sans doute par les autorités allemandes militaires et politiques, puisqu'elles n'ont élevé de réclamations ni pendant la guerre ni lors des conférences suivies d'armistice. Outre les explications de fajt qui nous paraissent destructives de l'imputation, il y aurait même à donner des raisons de droit exclusives du crime de félonie ou forfaiture. L'engagement du général, recevant un sauf-conduit pour aller de Sedan à Pont-à-Mousson sans escorte, était seulement de s'y rendre

et de se mettre à la disposition des autorités allemandes : il a été rempli vis-à-vis d'elles, avec remise du sauf-conduit et offre de se laisser conduire en Allemagne par le train qui devait l'emmener. L'autorité allemande n'ayant pas voulu faire ajouter la voiture nécessaire au train qui allait partir, le général s'est trouvé dans la position ordinaire d'un prisonnier de guerre, qui peut, sans forfaiture, profiter d'une occasion pour s'évader en bravant le péril. C'est ce qu'il a fait en revenant vers Paris, où il pouvait défendre son pays sans manquer à l'honneur.

Une accusation multiple, lancée par la politique prussienne, est reproduite dans une publication étrangère où nous avons la douleur de lire ceci : Malheureusement un certain nombre d'officiers français, prisonniers sur parole, ne semblent pas avoir compris les devoirs qui leur incombaient, en échange de la liberté qui leur était laissée. Obéissant soit à un patriotismė mal inspiré, soit à une vague impatience du repos, ils se sont évadés et ont essayé ensuite de satisfaire leur propre conscience à l'aide de raisonnements plus spécieux que solides. Dans sa note du 14 décembre 1870, M. de Bismark nomme jusqu'à trois généraux comme étant dans ce cas. Il n'entre point dans la nature de notre travail d'examiner jusqu'à quel point cette accusation personnelle est fondée, non plus que d'entrer dans les détails d'aucun autre fait de ce genre. Nous n'avons pas davantage à rechercher quels peuvent avoir été les engagements, directs ou indirects, donnés à cette conduite par le gouvernement français. Tout ce qu'il importe de constater, c'est que la fréquence des évasions a dû naturellement amener le gouvernement allemand à déployer plus de sévérité dans la surveillance de ses prisonniers. Ainsi, ces rapports de confiance et d'estime, naturels à des hommes qui, pour avoir combattu vaillamment dans les camps opposés, ne peuvent ni se mépriser ni se haïr, ces rapports, fondés sur le sentiment général de l'honneur, ont, sinon cessé, du moins souffert une grave atteinte. Parmi les ordres rigoureux qui en ont été la conséquence, citons celui du général Vogel von Falkenstein en vertu duquel « chaque fois qu'un prisonnier français s'évaderait, dix de ses confrères habitant avec lui seraient choisis au sort pour être enfermés et étroitement surveillés dans une forteresse, jusqu'à ce que le prisonnier soit ramené. Celui-ci sera alors privé de tous les droits et priviléges accordés à l'officier prisonnier. » Celui qui a écrit ces lignes, précipitamment sans doute, ne connaissant pas les susceptibilités de l'honneur militaire en France, aurait dû vérifier avant de lancer des accusations et insinuations aussi blessantes; il aurait pu remarquer que les quelques prisonniers évadés n'étaient pas liés par un engagement absolu et n'y ont pas absolument manqué. Outre les nombreuses raisons et considérations justificatives qui existent pour la plupart des officiers ainsi maltraités, on pourrait encore dire que l'accusation du crime capital n'est même pas formelle dans les reproches allemands, puisque l'ordre le plus rigoureux, au lieu de les menacer de la peine de mort qui aurait été alors encourue, parle seulement de droits ou priviléges qui seraient perdus, ce qui ne saurait vouloir dire que tout officier repris pourrait être impunément tué.

On ose supposer que le Gouvernement français avait « encouragé » la violation de leurs engagements par les officiers prisonniers sur parole: c'est une odieuse imputation, que l'on a trouvée dans la longue invective

du chancelier fédéral contre la France, par lui adressée le 9 janvier 1871 aux représentants de l'Allemagne. Or, quand ce diplomate se permettait une telle imputation, il devait savoir que c'était une calomnie: car un démenti se trouvait, « en ce qui concerne les officiers qui ont pris un engagement quelconque envers la Prusse », dans le décret et la circulaire ministérielle l'ayant inspirée, décret en date de Tours, du 10 novembre 1871, publié dans le Times du 30 décembre, et la circulaire du 13 novembre, que citait celle du diplomate pour donner crédit au mensonge. C'est ce que démontre une publication anglaise récente, sous le pseudonyme Scrutator.

Des questions neuves se sont présentées relativement aux nombreux militaires français qui s'étaient réfugiés en pays neutre, les uns en Belgique lors de la déplorable capitulation de Sedan, les autres en Suisse par une retraite regrettable à un autre point de vue. Ainsi que le dit M. Bluntschli pour les pays neutres qui sont voisins du théâtre de la guerre, la neutralité permet de protéger les soldats poursuivis, mais non de favoriser une partie belligérante; il faut désarmer les troupes et même au besoin les interner, pour qu'elles ne menacent plus l'adversaire, mais cette mesure de police politique n'en fait pas des prisonniers de guerre. A raison du grand nombre, une convention a dû être conclue entre un général suisse et le général Clinchamp, pour le dépôt du matériel de guerre et les conditions quant aux dépenses (1er février 1871).

D

<< En Belgique, le gouvernement et la Chambre des représentants se sont accordés pour le principe ainsi posé dans le Journal officiel : « Les autorités de la frontière ont pour instructions de ne laisser entrer les militaires étrangers qu'à la condition, s'ils sont officiers, de s'engager par écrit à ne pas quitter la Belgique, et, s'ils sont simples soldats, d'être internés. Un colonel français, étant élu député à l'Assemblée nationale pendant l'armistice, a obtenu sur parole l'autorisation d'aller siéger à Bordeaux. L'autorisation de retourner en France a aussi été accordée à des blessés, reconnus impropres au service, et même à d'autres dont la convalescence paraissait devoir durer jusqu'à la fin de la guerre; elle a été refusée aux soldats valides qui s'étaient réfugiés d'eux-mêmes en Belgique. Un sous-officier français, qui s'était évadé d'une citadelle allemande et se trouvait arrêté par la gendarmerie belge, a demandé judiciairement contre l'État représenté par le ministre de la guerre sa mise en liberté immédiate. L'exception d'incompétence, repoussée par jugement du tribunal civil (21 janvier 1871), a été accueillie par un arrêt, considérant notamment : « Que l'ordre en exécution duquel l'appelant se trouve retenu dans la citadelle de Gand est une mesure essentiellement militaire par son objet, par l'autorité dont elle émane et par les personnes auxquelles elle s'applique; qu'aux termes des lois existantes, les autorités civiles sont absolument sans droit pour intervenir dans les dispositions ou opérations militaires. » (Arrêt de la Cour de Bruxelles, du 14 février 1871) (1).

Pendant la campagne d'Égypte, Napoléon fit passer par les armes des prisonniers qui avaient manqué à leur serment. Voici le passage de ses commentaires :

(4) Achille Morin, Les Lois relatives à la guerre, etc., titre II, p.

259 à 265.

« Il se trouva 2,500 prisonniers, dont 8 ou 900 hommes de la garnison d'El A'rych. Ces derniers, après avoir juré de ne pas rentrer en Syrie avant une année, avaient fait trois journées dans la direction de Bagdad; mais depuis, par un crochet, s'étaient jetés dans Jaffa. Ils avaient ainsi violé leur serment ils furent passés par les armes. Les autres prisonniers furent renvoyés en Égypte avec les trophées, les drapeaux, etc.>

ART. 205..

Est puni de mort, avec dégradation militaire, tout militaire :

1° Qui livre à l'ennemi, ou dans l'intérêt de l'ennemi, soit la troupe qu'il commande, soit la place qui lui est confiée, soit les approvisionnements de l'armée, soit les plans des places de guerre ou des arsenaux maritimes, des ports ou rades, soit le mot d'ordre ou le secret d'une opération, d'une expédition ou d'une négociation;

2° Qui entretient des intelligences avec l'ennemi, dans le but de favoriser ses entreprises;

3° Qui participe à des complots dans le but de forcer le commandant d'une place assiégée à se rendre ou à capituler;

4° Qui provoque à la fuite ou empêche le ralliement en présence de l'ennemi (1).

(4) LOI DU 24 BRUMAIRE AN V, TITRE III. Art. 4er. « Tout militaire ou autre individu attaché à l'armée ou à sa suite, convaincu de trahison, sera puni de mort. »

Art. 2. « Sont réputés coupables de trahison:

4° Tout individu qui, en présence de l'ennemi, sera convaincu de s'être permis des clameurs tendant à jeter l'épouvante et le désordre dans les rangs;

« 2o Tout commandant d'un poste, toute sentinelle ou vedette qui, en présence de l'ennemi, soit à l'armée, soit dans une place assiégée, aura donné de fausses consignes, lorsque, par suite de cette faute, la sûreté du poste aura été compromise;

3° Tout commandant d'une patrouille, à l'armée ou dans une place assiégée, qui, envoyé en présence de l'ennemi pour faire quelque découverte ou reconnaissance locale, aura négligé d'en rendre compte ou bien n'aura pas exécuté ponctuellement l'ordre qui lui était donné, lorsque, par suite de sa négligence ou de sa désobéissance, le succès de quelque opération militaire se sera trouvé compromis;

4° Tout commandant d'un poste, à l'armée, en présence de l'ennemi ou dans une place assiégée, qui n'aurait pas rendu compte à celui qui le relève des découvertes qu'il aurait faites soit par luimême, soit par ses patrouilles lorsque, par suite de son silence, la sûreté du poste se sera trouvée compromise;

a 5 Tout militaire convaincu d'avoir communiqué le secret du poste ou le mot d'ordre à l'ennemi;

« 6° Tout militaire, ou autre individu attaché à l'armée et à sa suite, qui entretiendrait une correspondance dans l'armée ennemie sans la permission par écrit de son supérieur ;

7 Tout militaire, ou autre individu attaché à l'armée ou à sa suite, qui, sans ordre de son supérieur ou sans motif légitime, aurait encloué ou mis hors de service un canon, mortier, obusier ou affût, ainsi que tout charretier ou conducteur qui, dans une affaire, déroute ou retraite, en présence de l'ennemi, aurait, sans ordre de son supérieur, coupé les traits des chevaux, brisé ou mis hors de service aucune pièce du train ou équipage confié à sa conduite;

«8° Tout commandant d'une place assiégée qui, sans avoir pris l'avis ou contre le vœu de la majorité du conseil militaire de la place (auquel devront toujours être appelés les officiers en chef de l'artillerie et du génie), aura consenti à la reddition de la place avant que l'ennemi y ait fait brèche praticable ou qu'elle ait soutenu un assaut;

« 9° Tout commissaire ordonnateur, ou autre en faisant les fonctions, qui n'aurait pas pourvu aux distributions des vivres et fourrages ordonnées pour toutes les parties du service confié à sa surveillance, lorsqu'il en avait les moyens, ou qui aurait négligé ou refusé d'instruire le général en chef de l'armée, ou d'une division détachée de l'armée, des besoins en ce genre de ladite armée ou division, si, par suite de cette prévarication, le salut de l'armée ou le succès de ses opérations a été compromis. >>

« Le crime de trahison, dans l'ancien Droit, était rangé, disait M. Langlais, dans son rapport au Corps législatif, parmi les crimes de lèsemajesté humaine, au premier chef; et la loi le punissait, de ces peines atroces que le progrès de la société a bannies de nos lois criminelles. Le décret du 25 septembre 1791, la loi du 21 brumaire an v, et le Code pénal le punissent de la mort, dans le plus grand nombre des cas. Le crime de trahison s'aggrave, pour le militaire, de cette qualité même, et la pénalité rigoureuse qui lui est infligée n'a été l'objet d'aucune réclamation.

« Le projet énumère les faits qui le constituent. On pourra remarquer qu'il ne prévoit pas tous les cas qui sont indiqués dans le Code pénal; et il ne faudrait pas en conclure que ce Code cesse d'être applicable aux militaires. La loi spéciale emprunte quelquefois à la loi générale, quelquefois elle y ajoute; mais quand elle n'y déroge pas d'une manière expresse, la loi générale conserve son empire. Cette observation porte sur le crime de trahison comme sur tous les autres crimes ou délits.

La disposition du projet relative au crime de trahison a été l'objet d'un amendement de M. de Champagny. Notre honorable collègue a proposé de définir le complot et de substituer la peine de la déportation à la peine de mort, lorsque le complot n'a été suivi d'aucun acte commis ou commencé pour en préparer l'exécution. Votre commission n'a point admis cet amendement. Le Code pénal et la jurisprudence ont fixé le sens légal du mot complot. La peine, en droit commun, varie selon les circonstances; mais lorsque le complot a pour but, comme cela a lieu dans la disposition du projet, de forcer le commandant d'une place assiégée à se rendre ou à capituler, il devient un crime menaçant, odieux, et qui ne paraît pas à votre commission susceptible d'atténuation. »>

L'article 205 déterminant les caractères constitutifs de chacun des crimes qu'il prévoit, il suffit, pour qu'il y ait lieu à appliquer la peine, que les questions aient été posées et résolues dans les termes mêmes de l'article. Chaque fait devra être l'objet d'une question spéciale. Ainsi, selon les cas prévus par le no 1 de cet article, la question de culpabilité soumise au conseil pourra être ainsi conçue : « Le nommé N......... est-il coupable d'avoir, le..... à........... livré à l'ennemi la troupe qu'il commandait? » — Ou bien d'avoir, le..... à..... livré, dans l'intérêt de l'ennemi, la place de..... qui lui était confiée?»

Ces dispositions étaient empruntées en grande partie à la loi du 12 mai 1793, dont l'article 2 de la section II renfermait en outre les paragraphes suivants :

Art. 2. « Sont réputés coupables de trahison.....

« Tout général d'armée, tout commandant de division ou commandant en chef de place en état de guerre, qui n'aura pas fait connaître au ministre les besoins de son armée, soit en vivres, soit en fourrages, soit en approvisionnements de guerre;

« Tout général d'armée ou commandant de division qui sera convaincu d'avoir pris des mesures pour faire tomber entre les mains des ennemis les magasins, les convois des armées, ou enfin toutes autres munitions de guerre;

« Tout général d'armée ou commandant de division qui sera convaincu,d'avoir négligé d'employer tous les moyens qu'il avait en son pouvoir pour assurer les magasins, la marche des convois, et garantir les munitions, lorsqu'ils seront tombés en tout ou en partie entre les mains des ennemis. »> Une loi du 24 prairial an vi portait les dispositions suivantes :

Tout individu qui, à l'apparition de l'ennemi ou à la suite d'une attaque, favoriserait l'ennemi, soit en lui fournissant des armes ou des munitions de guerre, soit en détruisant ce qui sert à la défense, soit par des avis ou signaux, soit par des cris de révolte, soit par des actes ou écrits séditieux tendant à ébranler la fidélité des soldats ou des autres citoyens, sera traduit par-devant un conseil de guerre pour y être jugé suivant les dispositions du titre VI du Code pénal militaire, relatives aux crimes d'espionnage ou d'embauchage. »>

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