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pouvoir de l'ennemi, pourvu qu'ils voyagent ouvertement en cette qualité, ou qu'ils soient en uniforme, s'ils sont soldats. Mais s'ils cherchent à se glisser secrètement à travers les lignes, et qu'on ne puisse constater leur mission militaire, ils pourront, suivant les circonstances, être punis conformément aux lois de la guerre, sans qu'on puisse cependant les considérer comme espions.

Tout militaire est fier de recevoir la périlleuse mission de chercher à pénétrer dans une place ennemie, pour lui annoncer des renforts ou inversement, d'être chargé par les assiégés d'aller réclamer des secours. L'envoi de ces subsides peut causer de grands embarras à l'assiégeant; mais il ne saurait avoir le droit de punir comme espion le soldat qui a été saisi dans l'accomplissement de son devoir; ce soldat doit simplement être fait prisonnier. Si des non-militaires se chargent, par contre, de porter secrètement des messages, ils courent le risque d'être traduits devant un conseil de guerre (1).

La guerre de 1870 a donné à cet article une valeur toute spéciale, et montré combien il était utile d'établir le Droit international sur des bases fixes, invariables, ne permettant plus de disposer au gré du vainqueur de la liberté et de la vie de l'habitant.

Les Prussiens ont, durant la campagne, attribué à ce mot espion une signification toute spéciale : était espion celui qui cherchait à leur nuire, non pas en s'introduisant dans leur camp et en s'efforçant de surprendre leurs secrets, mais en ne servant pas leurs projets. Espion le franc-tireur, espion le paysan qui refusait de guider leurs colonnes, espion encore l'ouvrier qui ne voulait pas travailler à leurs tranchées. Ils se sont trop bien souvenus des maximes de leur grand Frédéric qui écrivait:

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Il y a quatre sortes d'espions: les petites gens qui se mêlent de ce métier, les doubles espions, les espions de conséquence, et ceux enfin que l'on oblige, par la violence, à ce malheureux emploi. Lorsque, par aucun moyen on ne peut avoir dans le pays ennemi des nouvelles, il reste un expédient auquel on peut avoir recours, quoiqu'il soit dur et cruel : c'est de prendre un gros bourgeois qui ait femme, enfants et maison; on lui donne un homme d'esprit que l'on déguise en valet (il faut qu'il sache la langue du pays). Le bourgeois est obligé de le prendre pour son cocher et de se rendre au camp des ennemis, sous prétexte de se plaindre des violences que vous lui faites souffrir. S'il ne ramène pas votre homme, après avoir séjourné dans le camp ennemi, vous le menacez de faire égorger sa femme et ses enfants et de faire brûler et piller sa maison. J'ai été obligé de me servir de ce moyen lorsque nous étions au camp de Chlusitz, et cela m'a réussi. »

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Prendre un gros bourgeois ayant femme et enfants n'est-ce pas ce qu'ont fait les Prussiens durant cette campagne? Lorsqu'ils plaçaient les notables sur les locomotives menacées; lorsqu'ils rendaient les villages responsables des ravages causés par les francs-tireurs; lorsqu'en toute occasion, enfin, ils fusillaient comme espions de paisibles habitants, n'épargnant ni femmes ni enfants, ils se souvenaient des sombres exploits de Chlusitz. Dès le jour

(4) Bluntschli, Le Droit international codifié, p. 326.

de leur entrée en France, ils préludaient à ce système sanguinaire que réprouvent également la morale et le Droit des gens. Dans sa proclamation publiée par la Gazette de Francfort, le 17 août, le commandant en chef des armées allemandes prescrivait de condamner à mort avec exécution immédiate, en défendant toute atténuation, toutes les personnes qui, sans appartenir à l'armée française, serviront d'espion à l'ennemi ».

Le général Von Trumpling fit afficher à Vitry, en février, la proclamation suivante: Les habitants de..... sont avertis que, pendant l'occupation du pays par les troupes de la Confédération de l'Allemagne du Nord ou par leurs alliés, tous ceux qui, sans être de l'armée française, voudraient à dessein porter préjudice à nos troupes, seront jugés par des conseils de guerre, d'après le Code militaire prussien, § 18, no 4, 2e partie, qui punit de la peine de mort tout individu : 1° qui, de bonne volonté, servirait d'espion à l'ennemi, ou donnerait asile aux espions ennemis, en cacherait ou leur porterait secours; 2° qui servirait de guide à l'ennemi et chercherait à égarer nos troupes ou leur donnerait de fausses indications. >

Il n'est que trop facile de multiplier les citations qui montrent comment, sur cette question si délicate, les Prussiens entendent les lois de la guerre : «Toutes les personnes qui ne font pas partie de l'armée française et n'établiront pas leur qualité de soldat par des signes extérieurs et qui

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prendront les armes contre les troupes allemandes, seront punies de mort..... Les conseils de guerre ne pourront condamner à une autre peine que la peine de mort. Leurs jugements seront exécutés immédiatement.» (Proclamation publiée en août 1870 par le commandant en chef des armées allemandes.) « Les paysans non habillés militairement, quand ils ont tiré sur nos soldats, sont traités sommairement et passés par les armes. » (De Werder.) «Que chacun qui sera surpris habillé en civil ne soit pas traité comme soldat ennemi, mais comme assassin et puni de mort. » (De Rosenberg.) « Sera puni de mort tout particulier qui aura porté les armes contre les troupes de Sa Majesté le roi de Prusse et de ses augustes alliés. › (Von Goëben.) Tout individu qui ne fait partie de l'armée régulière française, ni de la garde nationale mobile, et qui sera trouvé muni d'une arme, portât-il le nom de franc-tireur ou autre, du moment où il aura été saisi en flagrant délit d'hostilité vis-à-vis de nos troupes, sera considéré comme traitre et pendu ou fusillé, sans autre forme de procès. (Werder.)

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Traître ou espion, tel était le jugement porté par les Prussiens sur tout Français qui refusait de servir leurs projets.

En 1813, cependant, lorsque l'Allemagne vaincue fut obligée de recourir à ses dernières forces pour repousser l'invasion, les souverains allemands publiaient l'édit suivant :

Le combat auquel tu es appelé sanctifie tous les moyens. Non-seulement tu harcèleras continuellement l'ennemi, mais tu détruiras ou anéantiras les soldats isolés ou en troupes, tu feras main basse sur les maraudeurs. A l'approche de l'ennemi, les masses du landsturm doivent emmener tous les habitants du village avec leurs bestiaux et leurs effets, emporter ou détruire les farines, les grains; faire couler les tonneaux, combler les puits, couper les ponts, incendier les moissons approchant de la maturité. L'État indemnisera les citoyens après la retraite de l'ennemi. »

Toutes les législations étrangères, en définissant l'espionnage, ont par

cela même assuré aux habitants une sécurité relative (1). La Prusse seule refuse de se conformer aux règles admises unanimement.

En 1794, lors du siége de Mayence, l'aérostier militaire Coutelle fut obligé de se rapprocher de terre à cause des terribles rafales auxquelles son ballon était exposé les Autrichiens cessèrent leur feu de peur de l'atteindre.

En 1870 (le 19 novembre), le chancelier fédéral, M. de Bismark, écrivait au ministre des États-Unis, en le priant de transmettre la note au gouvernement français :

Je profite de l'occasion pour vous avertir que plusieurs ballons, expédiés de Paris, sont tombés entre nos mains, et que les personnes qui les montaient seront jugées suivant les lois de la guerre. Je vous prie de porter ce fait à la connaissance du gouvernement français, en ajoutant que toutes les personnes qui prendront cette voie pour franchir nos lignes sans autorisation, et pour entretenir des correspondances au préjudice de nos troupes, s'exposeront, si elles tombent même en notre pouvoir, au traitement qui leur est tout aussi applicable qu'à ceux qui feraient des tentatives semblables par voie ordinaire. »

Et le Moniteur de Seine-et-Oise, journal officiel publié par les Prussiens, à Versailles, publiait ceci :

• Versailles. Hier, deux ballons, contenant chacun trois personnes, ont encore été capturés par les troupes allemandes. Nous apprenons, de source certaine, que ces personnes ne seront point traitées en prisonniers de guerre, mais qu'elles sont déjà en route pour l'Allemagne, où on les fera juger par un conseil de guerre, comme convaincues d'avoir essayé de rompre les lignes d'avant-poste la peine édictée en pareille circonstance, par le Code militaire, est la peine de mort. »

M. Achille Morin fait, à propos de la question des aérostats, les observations et rappelle les souvenirs qui suivent :

« Les ballons montés peuvent être ou un moyen d'investigation ou un procédé imaginé pour transmettre des dépêches. Dans le premier cas, si l'aéro

(4) Le Code militaire belge s'exprime ainsi :

Art. 47. « Est considéré comme espion et sera puni de mort avec dégradation militaire, tout militaire qui se sera introduit dans une place de guerre, dans un poste ou établissement militaire, dans les travaux, camps, bivouacs ou cantonnements d'une armée pour s'y procurer des documents ou renseignements dans l'intérêt de l'ennemi. »

Art. 48. Est aussi considéré comme espion et sera puni de la détention de dix à quinze ans, tout individu qui se sera introduit déguisé dans un des lieux désignés et dans le but indiqué à l'article précédent.

Le Code militaire italien, après avoir prononcé la peine de mort (Art. 78) contre le militaire qui espionne pour le compte de l'ennemi, ajoute (Art. 79): « Sera également considéré ot puni comme espion, tout individu de l'armée ennemie ou au service du gouvernement ennemi qui, etc..... >>

La définition de l'espionnage donnée par le Code autrichien est un peu vague:

On doit considérer comme espionnage tout acte qui a pour objet de porter un préjudice à l'armée autrichienne ou à une armée alliée, ou qui est avantageux à l'ennemi. L'espion pris sur le fait et en temps de guerre doit être pendu. »

L'article 404 des ordonnances militaires de la République nord-américaine établit que tous les étrangers ou individus qui ne sont pas soumis au serment de fidélité envers les Etats-Unis et qui seront surpris agissant comme espions en dedans et aux environs des fortifications ou des campements fédéraux, seront traduits devant un conseil de guerre et condamnés à la peine capitale, « Il va sans dire que pareil châtiment ne saurait atteindre un officier qui, sans recourir à aucun déguisement, franchit les lignes ennemies pour recueillir des renseignements, lever des plans, ou s'acquitter de tout autre devoir militaire. » (Calvo, Le Droit international théorique et pratique, t. II, p. 437.)

naute est repoussé par les vents sur le terrain occupé par l'ennemi, peut-il être traité comme un espion? Ce serait trop rigoureux, puisque le ballon est visible et celui qui espérait rester dans les airs n'est pas venu volontairement dans les lignes ennemies, double circonstance excluant la condition d'un déguisement et d'une entrée avec séjour. Cet observateur doit plutôt être réputé agent militaire envoyé à la découverte, et des ménagements sont imposés par le péril survenu, qui est un cas de force majeure. C'est ce qui fut reconnu pour l'aérostier militaire Coutelle, lors du siége de Mayence en 1794, tellement que les Autrichiens cessèrent de tirer sur son ballon d'observation, lorsqu'il était tourmenté par des rafales.

Employé pour porter des missives au delà du territoire qu'occupe l'ennemi, le ballon monté est une sorte de voiture aérienne, qui ne pénètre pas dans les lignes ennemies, puisque l'air ou l'espace vide n'est à personne. L'aéronaute est un messager aérien, de même que le pigeon voyageur ingénieusement employé dans la dernière guerre..... C'est déjà trop que de tirer sur lui, comme à la chasse aux oiseaux, ainsi que l'ont fait avec cruauté les Allemands. S'il vient à tomber sur un territoire occupé par l'ennemi, parce que son ballon aura reçu les projectiles de celui-ci, ou sera dégonflé par une autre cause, c'est un accident fortuit, de même que si le ballon est emporté jusqu'au pays appartenant à l'ennemi. Dans ce cas, il n'a pas fait d'espionnage, l'aéronaute n'est qu'un messager empêché d'accomplir sa mission. Comment le punir, quel fait punissable lui imputer, et quelle pourrait être la juridiction compétente? L'accident ressemble à un naufrage; or, en pareil cas, l'humanité veut, et l'usage admet, que l'homme en péril soit sauvé. Lors du siége de Soleure, en 1318, un corps des troupes de l'assiégeant étant emporté dans les eaux par un débordement subit, les assiégés sauvèrent ceux qui se noyaient, et le duc Léopold leva le siége. Le commandant d'un vaisseau anglais qu'allait engloutir un terrible ouragan, s'était réfugié à la Havane, lors d'une guerre en 1646; le gouvernement espagnol ne voulut pas considérer le vaisseau comme en état de capture, 'et il le laissa repartir après réparation. Dans la guerre maritime entre la France et l'Angleterre, une frégate anglaise, en croisière près de Belle-Ile, ayant failli périr sur des récifs, un commandant de marine française la fit sauver par ses hommes et autorisa son départ, ce qui fut récompensé par la mise en liberté de prisonniers français. Enfin, quoique les naufragés de Calais fussent considérés comme conspirant contre la République, un arrêté des consuls voulut qu'ils fussent renvoyés au lieu d'où ils venaient, en proclamant qu'il est hors du droit des nations policées de profiter de l'accident d'un naufrage, pour livrer même au juste courroux des lois des malheureux échappés aux flots (1).

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ART. 208.

Est considéré comme embaucheur et puni de mort tout individu convaincu d'avoir provoqué des militaires à passer à l'ennemi ou aux rebelles armés, de leur en avoir sciemment facilité les moyens, ou

(1) Achille Morin, Les Lois relatives à la guerre,`t. Ier, p. 249.

d'avoir fait des enrôlements pour une Puissance en guerre avec la France. Si le coupable est militaire, il est en outre puni de la dégradation militaire (1).

Le rapport de M. Langlais au Corps législatif expose, en ces termes, les antécédents de la question de l'embauchage:

Le crime d'embauchage est puni, aux termes du projet, de la peine de mort. Le projet prononce cette peine non-seulement contre le militaire, mais contre tout individu, même de l'ordre civil. L'embauchage consiste dans le fait de provoquer des militaires à passer à l'ennemi ou aux rebelles armés, de leur en avoir sciemment facilité les moyens, ou d'avoir fait des enrôlements pour une Puissance en guerre avec la France.

Cette disposition a été l'objet d'un amendement de M. le comte de Flavigny. Notre honorable collègue a proposé de substituer au mot tout individu les mots tout militaire. Votre commision n'a pas adopté cet amendement.

Le système de M. le comte de Flavigny n'a été, à aucune époque, admis par la législation. On a déféré la connaissance du crime d'embauchage à des juridictions diverses, selon les temps; mais toujours on l'a considéré comme un crime à part, un crime spécial; comme un attentat à l'obéissance, à la fidélité de l'armée ; jamais on n'a envisagé la fin dernière pour laquelle se produisait l'attentat; et toujours il a été frappé de la même péna lité, quelle que fût la qualité du coupable, soit militaire, soit de l'ordre civil.

La succession des lois, depuis 1791 jusqu'à l'ordonnance de 1815, offre de ce fait la démonstration la moins contestable. Tout Français, porte la loi du 7 novembre 1791 (art. 13) qui, hors du royaume, embauchera et enrôlera des individus, pour qu'ils se rendent aux rassemblements, énoncés dans les articles 1 et 2 du présent décret, sera puni de mort, conformément à la loi du 6 octobre 1790. La même peine aura lieu contre toute personne qui commettra le même crime en France.'»

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Le décret du 28 décembre 1792 (art. 3) édicte la même peine et l'applique aux mêmes individus.

La loi du 12-16 mai 1793, titre I, article 11, porte: «Tout embaucheur pour l'étranger ou pour les rebelles sera puni de mort. »

« La loi du 4 nivôse an iv n'est pas moins formelle: Art. 1er. « Tout embaucheur pour l'ennemi, pour l'étranger ou pour les rebelles, sera puni de mort. Art. 2. Sera réputé embaucheur celui qui, par argent, par des liqueurs enivrantes, ou tout autre moyen, cherchera à éloigner de leurs drapeaux les défenseurs de la patrie pour les faire passer à l'ennemi, à l'étranger ou aux rebelles. >

La loi du 21 brumaire an v (art. 1, titre IV), porte : « Tout embaucheur ou complice d'embaucheur pour une Puissance en guerre avec la République, sera puni de mort. »

Enfin, l'ordonnance du 11 mars 1815 rétablit la loi de nivôse an iv.

La loi de l'embauchage n'a donc, à aucune époque, séparé les individus de l'ordre civil de ceux de l'ordre militaire, dans ses sévères prescriptions; elle les

(4) Le Code autrichien porte ce qui suit:

Tout homme qui enrôle un sujet autrichien pour une autre armée que l'armée autrichienne, ou qui cherchera à enrôler un soldat autrichien dans une autre armée, sera pendu en temps de guerre.

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