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soient, et il consacre une longue argumentation a établir qu'en ce qui concerne les corrupteurs non militaires, la pénalité de l'article 262 ne leur est pas applicable (1). Nous avons peine à comprendre que l'estimable auteur du Commentaire ait cru devoir s'arrêter si longtemps à démontrer ce qui résulte du texte même de l'article. Comment, en effet, punirait-on de la dégradation militaire des corrupteurs non militaires?

L'observation par laquelle M. Foucher termine son obscure et inutile démonstration est, d'ailleurs, exacte : à savoir que, lorsque le Code de 1857 a voulu faire de la pénalité une disposition générale applicable à tous les coupables, il a eu soin de le dire, comme au cas des articles 208, 247, 268 et 270 (2).

Lorsque les corrupteurs ne sont ni militaires, ni assimilés aux militaires, la corruption est donc régie à leur égard, quant à la pénalité, par l'article 179 du Code pénal ordinaire, et, lorsqu'il s'agit de fraude en matière de recrutement, par l'article 67 de la loi du 27 juillet 1872 sur le recrutement de l'armée.

Bien que l'article 262 s'applique aux faux certificats donnés par les médecins, ceux-ci, comme militaires ou assimilés aux militaires, n'en restent pas moins soumis aux dispositions générales des articles 177 et 179 du Code pénal, que s'approprie l'article 261 du Code de justice militaire, pour tous les actes de corruption qui ne font pas l'objet particulier de l'article 262.

L'article 66 de la loi du 27 juillet 1872 sur le recrutement de l'armée, punit d'un emprisonnement de deux mois à deux ans, « les médecins, chirurgiens, officiers de santé qui, appelés au conseil de révision à l'effet de donner leur avis, auront reçu des dons ou agréé des promesses pour être favorables aux jeunes gens qu'ils doivent examiner; ils encourent cette peine, non-seulement au cas où ils étaient déjà désignés pour assister au conseil quand ils ont reçu les dons, mais encore lorsqu'ils les ont agréés dans la prévoyance des fonctions qu'ils auraient à remplir. Enfin, il leur est interdit, sous la même peine, de rien recevoir même pour exemption ou réforme justement prononcée. Cet article 66 n'est jusqu'ici que la reproduction textuelle de l'article 45 de la loi du 21 mars 1832.

« Nous devons en rapprocher, dit M. Ory, l'article 262 du Code de justice militaire, qui punit d'un emprisonnement d'un à quatre ans tout médecin militaire qui, dans l'exercice de ses fonctions et pour favoriser quelqu'un, certifie faussement ou dissimule l'existence de maladies ou infirmités ; il peut, en outre, être puni de la destitution. S'il a été mû par des dons ou des promesses, il est puni de la dégradation militaire.

La comparaison de ces deux textes conduit à faire certaines distinctions: L'article 66 de la loi nouvelle est général, il s'applique à tous les médecins civils ou militaires et prévoit le cas où ces médecins ont reçu des dons ou des promesses pour être favorables à certaines personnes. Peu importe, d'ailleurs,

(4) V. Foucher, Commentaire, p. 845 à 850.

(2) V. Foucher, Commentaire, p. 850.- Voir, plus haut, les articles 208, 247, et, plus loin, les articles 268 et 270, avec leur commentaire. Remarquons toutefois que, dans l'article 208, le législateur de 1857 ne l'a dit qu'implicitement.

qu'ils aient, en réalité, donné ou non une appréciation fausse devant le conseil de révision, tout ce que le Code de 1857 prévoit, tout ce qu'il punit, c'est le fait d'avoir agréé ces dons ou ces promesses.

Si ces moyens de corruption ont produit leur effet, si le médecin a eu la faiblesse de certifier faussement ou de dissimuler l'existence de certaines infirmités, on doit alors, pour savoir quelle peine il encourt, distinguer s'il s'agit d'un médecin civil ou d'un médecin militaire.

Dans le premier cas, s'il s'agit d'un médecin civil, l'article 66 de la loi de 1872 sera encore applicable, et il n'y aura pas aggravation de peine à raison de la perpétration du délit en vue duquel avaient été faits les dons et les promesses.

Dans le second cas, s'il s'agit d'un médecin militaire, ce médecin militaire tombera sous le coup de l'article 262 du Code de 1857, et ce ne sera plus un emprisonnement de deux mois à deux ans, mais la dégradation que le coupable encourra. Que s'il n'a pas été mù par des dons ou des promesses, mais qu'il se soit déterminé par un tout autre motif à donner au conseil une appréciation fausse, il est passible d'un an à quatre ans de prison avec destitution possible.

Telles sont les distinctions que suggère la comparaison de ces deux textes de lois, bien qu'elles ne puissent s'appuyer ni sur les travaux préparatoires, ni sur la discussion au Corps législatif relative à ces deux articles, l'article 262 et l'article 66, dans sa première partie, ayant été votés, en 1857 et en 1872, sans discussion.

L'article 67 de la loi de 1872 a innové sur la loi de 1832, en ce qui concerne les provocateurs du délit : « Dans le cas prévu par l'article 66, ceux qui ont fait des dons et promesses sont punis des peines portées par ledit article contre les médecins, chirurgiens ou officiers de santé. »

En rapprochant cette disposition de l'article 262 du Code de 1857, on pourrait, en s'appuyant sur ses termes généraux, soutenir qu'elle a aboli implicitement la disposition finale de cet article. Mais cette doctrine net semble pas acceptable, pour le motif que l'article 67 de la loi de 1872 n'est, comme on l'a, d'ailleurs, remarqué dans la discussion, que la reproduction textuelle de l'article 270 du Code de justice militaire.

Il faudra donc ici encore faire une distinction analogue à celle qui a été proposée plus haut, et distinguer suivant que les corrupteurs sont ou non militaires. Dans le premier cas, lorsque les corrupteurs sont militaires ou assimilés aux militaires, ils tombent sous le coup de l'article 262. Sont-ils, au contraire, non militaires ou non assimilés aux militaires, la corruption sera alors régie à leur égard par l'article 67 de la loi de 1872.

« On ne peut s'empêcher de regretter que le législateur de 1872 se soit borné, dans une question aussi délicate, à reproduire sans modifications des textes dont la rédaction imparfaite et ambiguë fait naître des difficultés qu'il eût pu si facilement trancher d'un seul mot (1). »

(4) Edmond Org, Recrutement et condition juridique des militaires à Rome, dans l'ancien Droit et le Droit moderne, édition 1873, p. 408 et suiv.

ART. 263.

Est puni des travaux forcés à temps tout militaire, tout administrateur ou comptable militaire qui s'est rendu coupable des crimes ou délits prévus par les articles 169, 170, 174 et 175 du Code pénal ordinaire, relatifs à des soustractions commises par des dépositaires publics. S'il existe des circonstances attenuantes, la peine est celle de la reclusion ou de deux ans à cinq ans d'emprisonnement, et, dans ce dernier cas, de la destitution, si le coupable est officier.

La prévarication des fonctionnaires de l'administration militaire est, aujourd'hui, une exception tellement rare, qu'il est presque impossible d'en citer des exemples; autrefois elle était la règle, et l'on peut dire qu'au 17° siècle il n'y avait pas un régiment qui en fût exempt. Les passe-volants étaient une fraude acceptée par tous les capitaines propriétaires d'une compagnie. Voici en quoi elle consistait : l'État allouait une solde et une indemnité pour chaque soldat présent au corps; le capitaine présentait un effectif de 150 hommes, alors qu'en réalité sa compagnie ne comptait que cinquante ou soixante-quinze hommes. Les jours de revue ou de vérification, il empruntait à un régiment voisin les hommes qui lui manquaient. Dans son histoire de Louvois, M. C. Rousset écrit ce qui suit:

Contre les passe-volants, la justice militaire était expéditive; point de procédure; la peine immédiate, suivant les ordonnances. En 1663, on se contentait de fustiger le coupable, et de le promener devant les troupes, avec un écriteau devant et derrière, portant ce seul mot: passe-volant. En 1665, au fouet est ajoutée la flétrissure par la main du bourreau, la fleur de lis imprimée au fer rouge sur le front ou sur la joue. En 1667, la peine de mort; après la réforme en 1668, le châtiment est réduit à la flétrissure; en 1676, il se relève jusqu'à la mutilation le passe-volant doit avoir le nez coupé. Si le dénonciateur est un soldat, il reçoit immédiatement son congé, avec une prime de cent à trois cents livres, prélevée sur les appointements du capitaine prévaricateur, lequel est, en outre, frappé d'interdiction pour un mois au moins, et peut même être renvoyé tout à fait du service. »

L'article 22 du titre VII de la loi du 12 mai 1793 punissait de peines qui pouvaient s'élever jusqu'à la mort, si la sûreté de l'armée ou le succès de ses opérations se trouvaient compromis, la prévarication de la part des commissaires des guerres.

La loi du 21 brumaire an V consacrait aussi tout un titre au vol, à l'infidélité dans la gestion et la manutention; les articles 1 et 2 de ce titre punissaient des fers tout militaire ou commissaire des guerres qui donnait des états de situation au-dessus du nombre effectif présent, et les articles 3 et 4 punissaient également des fers tout agent manutentionnaire qui vendait ou détournait à son profit partie des objets qui lui étaient confiés, ou qui étaient destinés à l'alimentation du soldat ou aux besoins de son propre service.

L'article 263 du Code de justice militaire punit des travaux forcés à temps tout militaire, tout administrateur ou comptable militaire qui s'est rendu

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coupable des crimes ou délits prévus par les articles 169, 170, 174 et 175 du Code pénal ordinaire. Les articles 169 et 170 sont placés, dans le Code pénal, sous la rubrique des soustractions commises par les dépositaires publics; l'article 174, sous la rubrique « des concussions commises par les fonctionnaires publics »; l'article 175, sous la rubrique « des délits des foncnaires qui se seront ingérés dans les affaires ou commerces incompatibles avec leur qualité ». L'article 263 du Code de justice militaire s'applique donc : 1° Aux soustractions commises par les dépositaires publics; 2o aux concussions; 3o à l'ingérence dans des affaires ou commerces incompatibles avec la qualité du fonctionnaire.

Contre ces diverses infractions que le droit commun considère les unes comme des crimes, les autres seulement comme des délits, l'article 263 du Code de justice militaire édicte donc uniformément la peine des travaux forcés à temps, sauf modération, s'il existait des circonstances atténuantes. L'article 263 s'applique, d'ailleurs, à tout militaire, tout administrateur ou comptable militaire (1).

Les articles 169 et 170 du Code pénal ordinaire sont ainsi conçus :

Art. 169. Tout percepteur, tout commis à une perception, dépositaire ou comptable public, qui aura détourné ou soustrait des deniers publics ou privés, ou effets actifs en tenant lieu, ou des pièces, titres, actes, effets mobiliers qui étaient entre ses mains en vertu de ses fonctions, sera puni des travaux forcés à temps, si les choses détournées ou soustraites sont d'une valeur au-dessus de trois mille francs. >>

Art. 170. « La peine des travaux forcés à temps aura lieu également, quelle que soit la valeur des deniers ou des effets détournés ou soustraits, si cette valeur égale ou excède soit le tiers de la recette ou du dépôt, s'il s'agit de deniers ou effets une fois reçus ou déposés, soit le cautionnement, s'il s'agit d'une recette ou d'un dépôt attaché à une place sujette à cautionnement, soit enfin le tiers du produit commun de la recette pendant un mois, s'il s'agit d'une recette composée de rentrées successives et non sujette à cautionnement. »

Voici l'article 174; il a été ainsi remplacé par la loi du 13 mai 1863 : « Tous fonctionnaires, tous officiers publics, leurs commis ou préposés, tous percepteurs des droits, taxes, contributions, deniers, revenus publics ou communaux, et leurs commis ou préposés, qui se seront rendus coupables du crime de concussion, en ordonnant de percevoir ou en exigeant ou en recevant ce qu'ils savaient n'être pas dû ou excéder ce qui était dû pour droits, taxes, contributions, deniers ou revenus, ou pour salaires ou traitements, seront punis, savoir : les fonctionnaires ou les officiers publics, de la peine de la reclusion, et leurs commis ou préposés d'un emprisonnement de deux ans au moins et de cinq ans au plus, lorsque la totalité des sommes indûment exigées ou reçues, ou dont la perception a été ordonnée, a été supérieure à trois cents francs.

Toutes les fois que la totalité de ces sommes n'excédera pas trois cents francs, les fonctionnaires ou les officiers publics ci-dessus désignés seront punis d'un emprisonnement de deux à cinq ans, et leurs commis ou pré

(4) Comme l'article 264. Voir, plus haut, cet article et son commentaire.

posés d'un emprisonnement d'une année au moins et de quatre ans au plus. «La tentative de ce délit sera punie comme le délit lui-même.

« Dans tous les cas où la peine d'emprisonnement sera prononcée, les coupables pourront, en outre, être privés des droits mentionnés en l'article 42 du présent Code pendant cinq ans au moins et dix ans au plus, à compter du jour où ils auront subi leur peine; ils pourront aussi être mis, par l'arrêt ou le jugement, sous la surveillance de la haute police pendant le même nombre d'années.

« Dans tous les cas prévus par le présent article, les coupables seront condamnés à une amende dont le maximum sera le quart des restitutions et des dommages-intérêts, et le minimum le douzième.

<< Les dispositions du présent article sont applicables aux greffiers et officiers ministériels, lorsque le fait a été commis à l'occasion des recettes dont ils sont chargés par la loi.

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Il ne faut pas confondre le crime de concussion avec celui de corruption. Le crime de corruption se constitue par un accord entre le corrupteur et le fonctionnaire public corrompu (1); le crime de concussion, au contraire, consiste dans le fait personnel, de la part du fonctionnaire ou de l'agent, de percevoir, d'exiger ou de recevoir ce qui n'est pas dû. Ces deux crimes peuvent résulter du même fait, sans y être nécessairement compris.

On peut définir la concussion toute perception illégale faite avec connaissance de l'illégalité par les agents ou commis préposés à une perception publique.

Les éléments du crime sont donc l'abus de l'autorité, l'illégalité de la perception et la connaissance de cette illégalité par l'agent. Là où il n'y a pas illégalité, il n'y a pas concussion. « Ce crime existe, disait l'Exposé des motifs du Code pénal, toutes les fois qu'un fonctionnaire exige ou reçoit ce qu'il sait ne lui être pas dû, ou excéder ce qui lui est dû; et l'on conçoit aisément que, s'il importe de poser des barrières contre la cupidité, c'est surtout quand elle se trouve unie au pouvoir; cette circonstance tient à l'essence du crime. Le pouvoir est le droit de percevoir la taxe ou le revenu; l'abus est l'extension de la perception au delà de ses limites légales. Il suit de là que le premier élément du crime est une qualité donnant pouvoir de percevoir.

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Le deuxième élément est l'illégalité même de la perception. Cette illégalité existe 1° Quand elle n'est pas autorisée par les lois ou par les règlements; 2o Quand la taxe, quoique légale, n'est pas due par la personne à qui elle est demandée; 3° Quand la somme exigée excède la somme réellement due. Enfin le troisième élément est la connaissance que l'agent doit avoir de l'illégitimité de son acte. Si la perception illicite est le résultat soit d'une erreur, soit d'une fausse interprétation, il est clair qu'il n'y a pas de crime. Il importe peu, d'ailleurs, que la perception excessive soit faite au profit de l'État ou au profit de l'agent; la loi n'a point voulu faire de distinction à cet égard, bien qu'il y ait entre ces deux faits toute la différence qui sépare l'excès de zèle du détournement frauduleux, parce qu'elle a craint de favo

(4) Cass. crim., 1er octobre 1852, affaire Fontanille.

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