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LIVRE II.

DE LA COMPÉTENCE DES TRIBUNAUX MILITAIRES.

Dispositions générales.

ART. 53.

Les tribunaux militaires ne statuent que sur l'action publique, sauf les cas prévus par l'article 75 du présent Code.

Ils peuvent néanmoins ordonner, au profit des propriétaires, la restitution des objets saisis ou des pièces de conviction, lorsqu'il n'y a pas lieu d'en prononcer la confiscation.

La justice militaire est toute d'exception; par son organisation, par le but de son institution, elle repousse toute compétence réelle; sa compétence est purement personnelle. D'où la règle-principe formulée par l'article. 53. Les tribunaux militaires ne statuent donc que sur l'action publique ; devant eux les parties lésées ne peuvent être que parties plaignantes. « L'action civile,-disait M. Langlais, dans son rapport, -est, en effet, une question d'ordre privé; elle porte sur les biens, non sur les personnes, et la solution des difficultés qui en naissent demande les connaissances et l'application exacte du droit civil, qui n'existent pas dans le domaine naturel et nécessaire du juge militaire. Les tribunaux civils demeurent ouverts à la partie lésée; elle peut les saisir de sa réclamation. »

En n'admettant pas l'exercice de l'action civile devant la justice militaire, le Code de 1857 s'est, du reste, approprié une doctrine consacrée déjà par la plupart des criminalistes et par la jurisprudence. C'est ainsi qu'il avait été jugé, bien antérieurement à la promulgation du Code de justice militaire :

1o Que les conseils de guerre n'ont de compétence que pour prononcer des peines personnelles, à raison des délits militaires ou commis par des militaires; qu'ils n'ont pas le droit de prononcer des réparations civiles; que, spécialement, un conseil de guerre, saisi d'une poursuite dirigée contre un militaire, prévenu de vol dans la caisse d'une compagnie de vétérans, ne peut condamner le capitaine de la compagnie, président du conseil d'administration, à réintégrer la somme soustraite et à payer les dépens de la procédure; qu'un pareil jugement est nul, surtout si la partie ainsi condamnée n'avait été personnellement accusée d'aucun délit devant le conseil de guerre, et si, de plus, elle n'avait été ni entendue ni appelée (1);

(4) Cass. crim., 23 octobre 1817, affaire Rayniac.

2. Que les tribunaux militaires sont incompétents pour connaître des questions d'état soulevées devant eux, à l'occasion des délits qu'ils ont mission de réprimer, ces questions étant de la compétence exclusive des tribunaux civils (1);

3o Que l'intervention de parties civiles devant les conseils de guerre est inadmissible. Attendu,-disait la Cour de cassation, -que les tribunaux criminels spéciaux, tels que les conseils de guerre, n'ont d'autres attributions que celles qui leur sont expressément conférées par les lois et dont les lois règlent l'exercice; que les conseils de guerre ne sont créés que pour juger les délits militaires; que ce n'est donc que contre les personnes qu'ils peuvent prononcer les peines encourues, lorsque les prévenus sont déclarés coupables; qu'aucune loi ne leur confère le droit de statuer sur les actions à fin de réparations civiles et, par conséquent, d'admettre devant eux l'intervention des parties civiles... (2) »

Les parties lésées ne pouvant être que parties plaignantes devant les juridictions militaires, doivent y être considérées comme témoins.

Les plaignants sont autorisés, dans la pratique, à faire soutenir leur plainte par un avocat, en vue d'obtenir la constatation d'une culpabilité qui pourra servir de base à leur action en dommages-intérêts devant la juridiction civile (3).

L'article 53 dispose que les tribunaux militaires ne statuent que sur l'action publique, sauf les cas prévus par l'article 75, qui autorise les prévôtés à connaître des demandes en dommages-intérêts n'excédant pas 150 francs (4), lorsqu'elles se rattachent à une infraction de leur compétence. Cette exception est fondée sur ce qu'il s'agit ici de juridiction n'agissant qu'en pays étrangers et sur des personnes qui généralement ne trouveraient pas d'autres juges (5).

Le second paragraphe de l'article 53 autorise le conseil de guerre, conformément au droit commun, à ordonner la restitution, au profit des propriétaires, des objets qui pourraient avoir été saisis, ou des pièces de conviction, lorsqu'il n'y a pas lieu d'en prononcer la confiscation.

Il n'est pas nécessaire que la restitution soit demandée par le propriétaire; elle peut être ordonnée d'office par le conseil.

La restitution ne peut s'étendre qu'aux objets saisis ou aux pièces de conviction appartenant à la personne même au profit de laquelle la restitution est ordonnée, et non à d'autres objets trouvés en possession du prévenu.

(4) Cass. crim., 4er septembre 1842, affaire Willems.

(2) Cass. crim., 19 mars 1852, affaire Youda.

(3) C'est ce qui a eu lieu devant le conseil de guerre qui a jugé l'affaire de l'ex-général Crémer et de M. de Serres, accusés d'avoir fait fusiller, sans jugement, le sieur Arbinet. La veuve plaignante du sieur Arbinet a fait plaider par un avocat.

(4) Voir l'article 75 et son commentaire.

(5) L'article 42 de l'ordonnance du 26 septembre 1842 rendant les conseils de guerre de l'AI– gérie compétents pour statuer sur tous les crimes et délits commis sur le territoire militaire, que l'inculpé fût ou non militaire, indigène ou européen, et, par suite, les conseils de guerre ayant été jugés les seuls tribunaux compétents pour connaître de certaines réparations pouvant être réclamées par le ministère public seul, en vertu de son action publique (en matière de délits forestiers, par exemple), M. V. Foucher a présenté ce point comme une seconde exception au principe de l'article 53. (Commentaire, p. 130 à 131.)

Elle doit être ordonnée par le jugement qui statue au fond sur l'affaire, et ne peut se réaliser qu'après que ce jugement est devenu exécutoire (1).

ART. 54.

L'action civile ne peut être poursuivie que devant les tribunaux civils; l'exercice en est suspendu tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique intentée avant ou pendant la poursuite de l'action civile.

L'article 272 (2) confirme cette disposition.

Il résulte des articles 124 et 140 (3), que si des conclusions étaient prises pour être admis à plaider devant un conseil de guerre comme partie civile, le conseil devrait statuer et déclarer son incompétence, ainsi que la nonrecevabilité de l'action civile.

Cet article 54 reproduit, du reste, la disposition du second paragraphe de l'article 3 du Code d'instruction criminelle, aux termes duquel, lorsque l'action civile est poursuivie séparément, l'exercice en est suspendu tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique intentée avant ou pendant la poursuite de l'action civile. »

(4) Le second paragraphe de l'article 53 doit se combiner avec l'article 439, au texte et au commentaire duquel nous renvoyons, et avec l'article 366 du Code d'instruction criminelle, ainsi

concu:

Art. 366. Dans le cas d'absolution comme dans celui d'acquittement ou de condamnation, la Cour statuera sur les dommages-intérêts prétendus par la partie civile ou par l'accusé; elle les liquidera par le même arrêt, ou commettra l'un des juges pour entendre les parties, prendre connaissance des pièces et faire du tout son rapport, ainsi qu'il est dit article 358.

La Cour ordonnera aussi que les effets pris seront restitués au propriétaire.

Néanmoins, s'il y a eu condamnation, cette restitution ne sera faite qu'en justifiant, par le propriétaire, que le condamné a laissé passer les délais sans se pourvoir en cassation, ou, s'il s'est pourvu, que l'affaire est définitivement terminée.

(2) Voir le texte de cet article et son commentaire.

(3) Voir le texte de ces articles et leur commentaire.

TITRE Ier.

COMPÉTENCE DES CONSEILS DE GUERRE.

CHAPITRE PREMIER.

Compétence des conseils de guerre permanents dans les divisions territoriales en état de paix.

ART. 55.

Tout individu appartenant à l'armée en vertu, soit de la loi du recrutement, soit d'un brevet ou d'une commission, est justiciable des conseils de guerre permanents dans les divisions territoriales en état de paix, selon les distinctions établies dans les articles suivants.

Le principe fondamental de la compétence des conseils de guerre est contenu dans l'article 55. Les conseils de guerre connaissent de tous crimes et délits même non militaires commis par des militaires ou des fonctionnaires assimilés, sauf les exceptions que la loi indique.

Cette disposition de l'article 55 tranche une question qui a longtemps divisé les criminalistes. La règle qu'il pose n'a, en effet, pas toujours prévalu. En 1790, en 1791 et même dans le projet du Code militaire de 1829, la loi distinguait, pour régler la compétence, les crimes et délits du droit commun, commis par des militaires, des crimes et délits contre le devoir de la profession des armes. Les premiers étaient poursuivis devant les tribunaux ordinaires, les autres devant les conseils de guerre. Aux yeux des législateurs de cette époque, en entrant dans la carrière des armes, les militaires ne cessaient pas, pour cela, de rester citoyens et, comme tels, de demeurer soumis aux lois générales et à la justice ordinaire du pays, pour tous les crimes et délits commis en dehors de leur devoir et de leur profession militaires. Mais les lois du 16 mai 1792, du 3 pluviôse an 11, du 2e jour complémentaire an in, du 22 messidor an iv, du 13 brumaire an v, la Constitution du 22 frimaire an VIII et le décret du 21 février 1808, établirent en principe la compétence générale des conseils de guerre. « La législation française a bien varié à cet égard— disait, au Corps législatif, le rapporteur du projet de loi de 1857. — Le principe que les militaires ne doivent pas être détournés des tribunaux ordinaires pour les délits de droit commun, date de la première organisation des troupes permanentes et régulières. On le voit consacré en loi dès le règne de Charles vii; et c'est à cette loi que les historiens reportent l'origine de la première police efficace introduite parmi les gens de guerre; car la justice civile se faisait mieux respecter que l'autorité militaire....

Les deux juridictions sont aujourd'hui également propres à faire respecter les lois générales. Le projet donne la préférence au juge militaire, parce qu'il est le juge naturel de l'armée; parce que, même en violant la loi commune, le militaire ne perd pas cette qualité; parce que, mettre l'armée sous la main de la justice civile, quand ne l'exige pas une nécessité impérieuse, c'est confondre ce qui doit être soigneusement séparé; c'est ouvrir une source de conflits regrettables, c'est ôter à la peine qui frappe le soldat ce qui la rend exemplaire et saisissante, la rapidité.

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L'article 55 rend justiciables des conseils de guerre non-seulement les individus appartenant à l'armée en vertu de la loi du recrutement, mais encore les citoyens qui appartiennent à l'armée en vertu d'un brevet ou d'une

commission.

La loi du recrutement comprend les appelés, les engagés volontaires, les rengagés, elle comprenait les remplaçants.

Le brevet comprend les officiers et les assimilés aux officiers.

La commission comprend les gardes du génie, de l'artillerie et des équipages malitaires, les agents de l'intendance, des vivres, de l'habillement, du campement, etc., etc.

La règle est donc que tout individu servant dans l'armée à un titre quelconque, même en vertu d'une simple commission, est soumis aux lois militaires et justiciable des conseils de guerre.

Quant aux distinctions dont il est fait mention dans les derniers mots de l'article 55, elles sont indiquées, en ces termes, dans le rapport de M. Langlais La barrière judiciaire entre la société civile et la famille militaire. est nettement tracée pour le temps de paix on appartient à la juridiction militaire quand on est de l'armée; la compétence résulte de la qualité de la personne. Toutefois l'individu qui a cette qualité ne demeure pas toujours sous l'empire du tribunal militaire, même quand un acte de complicité ne vient pas l'en distraire; la loi excepte certains faits qu'elle détermine, à raison desquels il est saisi par le tribunal de droit commun. La compétence résulte alors de la réunion de ces deux circonstances: la qualité du prévenu et la nature du délit (1). ·

(4) L'article 4 de la nouvelle loi militaire prussienne porte ce qui suit :

«Sont considérés comme militaires tous les individus qui appartiennent à l'armée ou à la marine comme soldats ou comme employés. »

Une annexe placée à la fin du Code militaire prussien définit ainsi les employés : « Sont considérés comme employés militaires tous ceux qui, pour les besoins des armées de terre et de mer, occupent un emploi (intendance ou autre), et dépendent, par conséquent, à un titre quelconque, du ministère de la guerre. Il n'y a point à s'occuper de savoir si ces employés ont été ou non soumis au service militaire. »>

L'article 6 ajoute: «Sont également compris dans l'armée : le corps de santé, les ingénieurs; ils sont pour la justice militaire assimilés aux officiers de troupe. »

En Angleterre, le seul fait de la paye suffit pour donner le caractère militaire. Cela résulte d'un jugement rendu en 1792.

L'article 323 de la loi militaire italienne est ainsi conçu :

Sont assujettis à la juridiction militaire :

4 Les militaires appartenant à l'armée active ou sédentaire;

2 Les officiers en disponibilité ou à la suite;

3 Les invalides incorporés;

4 Tous les individus assimilés aux militaires ;

5° Les déserteurs....

Continueront à être soumis à cette juridiction les individus qui, durant leur temps de service, ont commis un crime militaire..... >>

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