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encouru une peine plus forte que celle résultant du délit relatif au service de la police générale ou de tout autre délit qui n'était pas militaire de sa nature. (Art. 98.)

Ces dispositions ne statuant pas d'une manière explicite sur les crimes et délits de droit commun, ni militaires de leur nature, ni relatifs au service de la police générale et judiciaire, il en était résulté une grande incertitude d'interprétation, qui avait donné lieu, le 8 vendémiaire an xn, à l'avis suivant du Conseil d'État : « Le Conseil est d'avis qu'il n'y a pas de doute, d'après les termes mêmes des articles 97 et 98 de la loi du 28 germinal an vi, que les attributions des conseils de guerre sont restreintes aux seuls délits relatifs au service et à la discipline militaire; que, dans tous les autres cas, et même dans ceux où il y aurait complication d'un délit militaire et d'un délit relatif au service de la police générale, la connaissance appartient aux tribunaux criminels ordinaires. >

Il n'y a plus d'incertitude, depuis l'article 59 du Code de 1857, qui rend les gendarmes justiciables des conseils de guerre au même titre que tous les autres militaires, à l'exception des crimes et des délits commis dans l'exercice de leurs fonctions relatives à la police judiciaire et à la constatation des contraventions en matière administrative.

Les gendarmes, disait l'Exposé des motifs, - dans leur double position de militaires et d'agents de la police administrative et judiciaire, présentent une de ces situations complexes sur laquelle il était nécessaire de s'expliquer. La loi du 28 germinal an vi (art. 97), et, après elle, le décret d'organisation du 1er mars 1854, les rendent justiciables des tribunaux ordinaires pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions relatives à la police administrative et judiciaire, et des conseils de guerre pour les crimes et délits relatifs au service et à la discipline militaire. Cette distinction paraît naturelle au premier abord, et cependant elle a un tort grave c'est d'être très-difficilement applicable dans la pratique, et de laisser croire aux gendarmes que leurs attributions militaires ne sont que secondaires. La gendarmerie, recrutée avec l'élite de l'armée, et si remarquable par les services qu'elle a rendus dans ces derniers temps, ne doit sa bonne renommée, il faut bien le dire, qu'à son esprit militaire et à sa longue habitude de la discipline. C'est grâce à ces heureuses habitudes qu'elle porte à un si haut degré le sentiment de ses devoirs et qu'elle les accomplit avec tant de dévouement. Organisée en partie aujourd'hui par régiments et bataillons, soit dans la garde impériale, soit dans la garde de Paris, c'est une des saines appréciations de notre temps que celle qui tend à la militariser de plus en plus et à lui conserver ces liens de discipline et de hiérarchie qui font son honneur et sa force. Il est donc bon qu'elle sache, comme l'armée dont elle fait partie, que les conseils de guerre sont ses juges naturels (Art. 55), et que ce n'est que dans des cas exceptionnels qu'elle peut avoir à répondre de ses actes devant une autre juridiction. Ces cas exceptionnels n'existent, suivant l'article 59, que dans l'accomplissement des fonctions de la police judiciaire, qui s'exercent, aux termes formels de l'article 9 du Code d'instruction criminelle, sous l'autorité des cours impériales, et, dans certaines circonstances bien précisées, de leurs fonctions de police administrative, telles que la constatation des contraventions. Étendre l'exception au delà de ces limites, ce serait dépasser le but sans motif et courir le risque d'absorber, en

faveur de la justice ordinaire, la vie presque entière du gendarme, qui perdrait ainsi ce caractère militaire qu'il est si important de lui maintenir. Dans une telle position, où se trouvent intéressées à la fois la nature du délit et la qualité du fonctionnaire, il a paru que cette dernière considération devait l'emporter le plus souvent et déterminer la compétence. »

Le rapporteur, M. Langlais, ajoutait : « L'expérience a montré les inconvénients de cette double juridiction, dont les limites restent souvent incertaines et donnent naissance à des conflits. Le projet pose la barrière : en attribuant la compétence aux tribunaux militaires, il en excepte les crimes et les délits commis dans l'exercice des fonctions de police judiciaire et dans la constatation des contraventions en matière administrative. Le gendarme, comme agent de police judiciaire, est sous l'autorité des cours impériales, aux termes de l'article 9 du Code d'instruction criminelle; on ne pourrait l'en distraire sans empiétement sur le domaine de la justice ordinaire, et il n'y a aucun motif pour le faire. La nécesssité n'apparaît pas au mème degré pour la police administrative, et il a semblé au Gouvernement qu'en mettant à part ce qui concerne la constatation des contraventions, le conseil de guerre pourrait être saisi sans inconvénient. »

ART. 60.

Lorsqu'un justiciable des conseils de guerre est poursuivi en même temps pour un crime ou un délit de la compétence des conseils de guerre, et pour un autre crime ou délit de la compétence des tribunaux ordinaires, il est traduit d'abord devant le tribunal auquel appartient la connaissance du fait emportant la peine la plus grave, et renvoyé ensuite, s'il y a lieu, pour l'autre fait, devant le tribunal compétent.

En cas de double condamnation, la peine la plus forte est seule subie. Si les deux crimes ou délits emportent la même peine, le prévenu est d'abord jugé pour le fait de la compétence des tribunaux militaires.

Si le justiciable des conseils de guerre, dans le cas où il est poursuivi en même temps pour un crime ou un délit de la compétence des tribunaux militaires, et pour un autre crime ou délit de la compétence ordinaire, est traduit d'abord devant la juridiction à laquelle appartient la connaissance du fait emportant la peine la plus grave, c'est pour se conformer aux principes suivants du droit commun :

1o L'individu, prévenu de crimes et délits entraînant des peines distinctes, doit comparaître d'abord devant la juridiction la plus élevée, la plus étendue, devant la juridiction appelée à statuer sur le crime ou le délit le plus grave;

2o En cas de condamnation, la peine la plus forte doit seule être subie.

L'ordre de juridiction sera donc réglé selon la peine que chaque crime ou délit pourra faire encourir soit à l'auteur principal, soit au complice, et d'après la peine la plus grave à infliger soit à l'un, soit à l'autre (1).

(4) L'existence de complices dans un des crimes ou des délits objet du conflit entre les juridictions ordinaire et militaire ne changera rien à l'ordre de juridiction. Voir Foucher, Commen

En disposant que, dans le cas de condamnation, la peine la plus forte sera seule subie, l'article 60 reproduit le principe de la non-cumulation des peines consacré par les articles 365 et 379 du Code d'instruction criminelle, ainsi conçus :

Art. 365. Si ce fait est défendu (le fait dont l'accusé est déclaré coupable), la Cour prononcera la peine établie par la loi, même dans le cas où, d'après les débats, il se trouverait n'être plus de la compétence de la Cour d'assises. En cas de conviction de plusieurs crimes ou délits, la peine la plus forte sera seule prononcée (1).

Art. 379. Lorsque, pendant les débats qui auront précédé l'arrêt de condamnation, l'accusé aura été inculpé, soit par des pièces, soit par des dépositions de témoins, sur d'autres crimes que ceux dont il était accusé; si ces crimes nouvellement manifestés méritent une peine plus grave que les premiers, ou si l'accusé a des complices en état d'arrestation, la Cour ordonnera qu'il soit poursuivi à raison de ces nouveaux faits suivant les formes prescrites par le présent Code.

Dans ces deux cas, le procureur général surseoira à l'exécution de l'arrêt qui a prononcé la première condamnation, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur le second procès (2).

Mais, que faut-il entendre par la peine la plus forte, la plus grave?

La gravité respective des peines se détermine par leur nature et leur degré, suivant la place que leur assigne dans l'échelle des pénalités la loi pénale, qui met les peines afflictives et infamantes au-dessus des peines simplement infamantes, les peines corporelles au-dessus des peines pécuniaires, et qui établit les degrés différents des peines corporelles.

Lorsqu'il s'agit de peines de même nature, la plus grave est nécessairement celle qui est la première dans l'échelle des peines, abstraction faite de la durée. Mais si ce sont deux peines de même nature et de même degré, on doit considérer aussi leur durée, qui peut être différente selon le degré de culpabilité de l'auteur des infractions (3).

taire, etc., p. 473. En Angleterre, la Mutiny s'exprime ainsi : « Lorsqu'un officier, officier non commissionné ou soldat sera accusé d'un crime capital, de violence ou de délit envers la personne ou le patrimoine ou la propriété des sujets, il sera punissable selon les lois du pays. L'officier commandant et l'officier du régiment, corps, compagnie ou détachement auxquels la personne ou les personnes aussi accusées appartiendront, devront, sur demande dûment faite par ou en faveur de la partie ou des parties lésées, user de tous leurs moyens, pour livrer un tel accusé au magistrat civil et aussi assister les officiers de justice dans l'appréhension et la mise en sûreté de la personne ou des personnes accusées, pour qu'elles puissent être mises en jugement.»> L'art. 3 du Code militaire prussien porte: « Les soldats qui commettent des actes répréhensibles qui ne sont considérés ni comme crimes ni comme délits militaires, sont punis par le Code pénal ordinaire. »>

Les art. 337, 338 et suivants du Code militaire italien règlent la question. L'art. 340 est ainsi congu: « Lorsqu'un militaire sera poursuivi à la fois pour des délits ou crimes militaires et des délits on crimes de droit commun qui entrainent des peines différentes, la compétence sera attribuée à la juridiction qui comporte les peines les plus élevées. »

Les art. 338 et 339 portent une disposition opposée à celle du dernier paragraphe de l'art. 60 de notre Code: Art. 338: « Si un militaire a cominis des délits militaires et des délits de la compétence ordinaire, les causes sont jointes (en cas d'égalité de punitions) et le jugement appartient au tribunal ou magistrat ordinaire. » L'art. 339 spécifie en outre que, dans le cas où les crimes entraîneraient la peine de mort, ou les travaux forcés à vie, le premier jugement sera celui de la justice ordinaire.

(4) Loi du 46 septembre 4794, 2e partie, tit. VIII, art. 32; C. brum. an iv, art. 434. (2) Loi du 16 septembre 1794, 2 partie, tit. VIII, art. 40; C. brum. an iv, art. 446.

(3) Ach. Morin, Répertoire du droit criminel, v° Cumul des peines. t. Ier, p. 689.

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telles que

Ou les peines sont de degrés différents, dit M. Foucher, celles des travaux forcés et de la réclusion, et alors la plus grave absorbe la moins élevée dans l'échelle des peines, quand même la plus grave n'aurait été prononcée que dans son minimum, parce que cette peine est la plus forte par sa nature; ou la peine est la même pour les divers crimes ou délits, et alors les peines prononcées par les diverses juridictions peuvent se cumuler jusqu'à ce que, réunies, elles atteignent le maximum, qui seul constitue la peine la plus forte par sa durée; mais ce n'est là qu'une faculté et non une obligation, de telle sorte qu'il est toujours loisible à la seconde juridiction de confondre la seconde peine encourue dans celle déjà prononcée, sans aggraver celle-ci; seulement, dans tous les cas, le coupable doit être condamné aux frais de la seconde instance (1). »

La disposition de l'article 60 sera le plus souvent appliquée aux militaires en congé ou en permission et à ceux dont il est parlé dans l'article 57 (2), qui sont justiciables des conseils de guerre pour les crimes et délits contre le devoir militaire, et des tribunaux du droit commun pour les crimes et délits ordinaires. Mais elle le sera aussi aux militaires en activité et autres individus dont il est parlé dans l'article 56 (3), lorsqu'ils se seront rendus coupables d'un crime ou délit contre le devoir militaire ou du droit commun et d'un délit spécial, comme les contraventions aux règlements de douane, de grande voirie, etc. (4).

Il a été jugé que lorsqu'un militaire est poursuivi à la fois pour délit de désertion et pour crimes ou délits par lui commis postérieurement à sa radiation des contrôles, la priorité du jugement appartient à la juridiction ordinaire, toutes les fois que la peine qu'elle peut être appelée à appliquer excède celle encourue à raison de la désertion (5); que la priorité du jugement appartient au contraire à la juridiction militaire, si, le militaire déserteur étant poursuivi pour des crimes et délits commis soit antérieurement soit postérieurement à sa radiation, la peine la plus grave est encourue à

(4) V. Foucher, Commentaire, etc., P. 174.

« Attendu que, si les peines encourues pour un crime ou pour un délit antérieur à celui qui est le sujet de la répression de la justice, ne peuvent être aggravées dans leur nature ni dans la durée légale que la loi assigne à chacune d'elles pour maximum, il est du devoir des magistrats qui en sont saisis, lorsque la poursuite a été divisée, d'examiner si la répression a été suffisante, et d'appliquer une addition à la peine si celle prononcée ne leur paraît pas suffisamment répressive, à raison de la cumulation des crimes et délits, sous la seule condition de ne pas dépasser le maximum de la peine la plus forte, qui est la limite posée par l'article 365; que, s'il en était autrement, des faits criminels, qui étaient inconnus à la justice au moment où les premiers juges auraient prononcé le châtiment voulu par la loi, resteraient impunis par le fait de cette ignorance ou de la division de la poursuite, tandis que cette division souvent forcée ne peut préjudicier ni au condamné ni à la vindicte publique..... » (Arrêt du 4 juin 4836, affaire Sverling.)

Un autre arrêt de la Cour de cassation a encore décidé que c'est la peine réellement prononcée, et non la nature plus ou moins grave du délit, qui doit servir de règle à l'application du principe du non-cumul des peines.

«Attendu que, d'après l'article 365 du Code d'instruction criminelle, ce n'est point la nature des faits dénoncés, mais bien la nature des peines applicables, qui doit servir de base à l'application de la règle du non-cumul des peines établies par cet article. (Cass. crim., 40 mai 1855, affaire Paquet.)

(2) Voir, plus haut, le texte de cet article et son commentaire.

(3) Voir, plus haut, le texte de cet article et son commentaire.

(4) Voir, plus loin, l'article 273.

(5) Cass. crim. régl. de juges, 44 février 1860, affaire Mignard; 9 août 1860, affaire Lecomte; 13 décembre 1860, affaire Pichon.

raison des crimes commis pendant le délai de grâce, pour lesquels le déserteur est justiciable du conseil de guerre (1).

M. Dalloz fait observer, avec raison, ici, que la règle de l'article 60 ne doit pas s'appliquer dans ce cas. La compétence de la juridiction ordinaire dépend, en effet, de la constatation de l'état de désertion. Il ne suffit pas que le militaire ait été administrativement rayé des contrôles; il faut que le conseil de guerre ait vérifié si cette radiation a été régulière et qu'il ait statué sur les moyens du prévenu, notamment sur la justification qu'il pourrait tirer de l'existence d'un empêchement de force majeure. Il ne paraît donc pas possible de saisir la juridiction de droit commun, tant que l'état de désertion n'a pas été établi judiciairement par l'autorité qui peut seule faire compétemment cette constatation; car si l'accusation de désertion est écartée, les délits pour lesquels le prévenu est en même temps poursuivi ne peuvent plus être jugés que par le conseil de guerre, comme étant imputés à un militaire qui n'a pas cessé d'appartenir à son corps. D'où la conséquence que si, devant la juridiction ordinaire, l'état de désertion est contesté par le prévenu, le tribunal, incompétent pour statuer sur cette question préjudicielle dont les tribunaux militaires seuls peuvent connaître, devra surseoir au jugement du délit de droit commun qui lui est déféré, jusqu'à la décision du conseil de guerre (2).

L'article 60, il faut le remarquer en terminant, déroge à la législation et à la jurisprudence antérieures. Avant 1857, et sous l'empire de la loi des 30 septembre-19 octobre 1791 (3), la juridiction ordinaire absorbait la juridiction militaire, dans le cas où, pour raison de deux faits, la même personne serait, dans le même temps, prévenue d'un délit commun et d'un délit militaire; et, la jurisprudence ne considérant pas la gravité de la peine encourue pour déterminer la compétence, accordait la priorité, dans tous les cas, à la juridiction du droit commun. Le dernier paragraphe de l'article 60 donne la préférence à la juridiction militaire, en présence de deux délits de droit commun commis par le même individu. Cette préférence est ainsi justifiée par M. Langlais, dans son rapport au Corps législatif : « Le conseil de guerre est la juridiction naturelle du militaire; ses procédés et ses formes offrent les avantages d'une plus grande célérité dans la distribution de la justice, et c'est par ce motif qu'on lui attribue cette sorte de droit de prévention, qui ne peut être qu'une garantie pour la discipline de l'armée et pour la société. »

ART. 61.

Le prévenu est traduit soit devant le conseil de guerre dans le ressort duquel le crime ou délit a été commis, soit devant celui dans le ressort duquel il a été arrêté, soit devant celui de la garnison de son corps ou de son détachement.

(4) Cass. crim. régl. de juges, 22 novembre 1864, affaire Parlet.

(2) Répertoire, vo Organisation militaire, t. XXXIV, 2e partie, p. 2056, 2057. (3) Titre I, article 7.

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