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Il s'agit ici de la compétence des conseils de guerre à raison du lieu. Cet article reproduit la règle du droit commun contenue dans les articles 23, 24, 29, 30 et 63 du Code d'instruction criminelle, que voici :

Art. 23. Sont également compétents pour remplir les fonctions déléguées par l'article précédent, le procureur de la République du lieu du crime ou délit, celui de la résidence du prévenu et celui du lieu où le prévenu pourra être trouvé.

Art. 24. Ces fonctions, lorsqu'il s'agira de crimes ou de délits commis hors du territoire français, dans les cas énoncés aux articles 5, 6 et 7, seront remplies par le procureur de la République du lieu où résidera le prévenu, ou par celui du lieu où il pourra être trouvé, ou par celui de sa dernière résidence connue.

Art. 29. Toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou officier public, qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquerra la connaissance d'un crime ou d'un délit, sera tenu d'en donner avis sur-le-champ au procureur de la République près le tribunal dans le ressort duquel ce crime ou délit aura été commis, ou dans lequel le prévenu pourrait être trouvé, et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.

Art. 30. Toute personne qui aura été témoin d'un attentat soit contre la sûreté publique, soit contre la vie ou la propriété d'un individu, sera pareillement tenue d'en donner avis au procureur de la République, soit du lieu du crime ou délit, soit du lieu où le prévenu pourra être trouvé.

Art. 63. Toute personne qui se prétendra lésée par un crime ou délit pourra en rendre plainte et se constituer partie civile devant le juge d'instruction, soit du lieu du crime ou délit, soit du lieu de la résidence du prévenu, soit du lieu où il pourra être trouvé.

On remarquera qu'il n'est pas question, dans l'article 61 du Code de justice militaire, du lieu du domicile du prévenu, mais du lieu de la garnison de son corps ou de son détachement, parce que, pour le militaire en activité de service, le domicile c'est le drapeau.

Il faut ne pas perdre de vue non plus qu'à la différence des juridictions de droit commun, qui peuvent être saisies soit par la poursuite du ministère public, soit par la plainte de la partie lésée, et même par l'action directe de la partie civile, l'ordre d'informer contre un justiciable d'un conseil de guerre, comme l'ordre de mise en jugement et de convoquer le conseil après l'instruction terminée, ne peut être donné que par le général commandant la division ou le ministre de la guerre (1).

(4) V. Foucher, Commentaire, p. 476. Combiner cet article 61 avec les articles 180, 481 et 482.

CHAPITRE II.

Compétence des conseils de guerre aux armées et dans les divisions territoriales en état de guerre (1),

ART. 62.

Sont justiciables des conseils de guerre aux armées, pour tous crimes ou délits :

1o Les justiciables des conseils de guerre dans les divisions territoriales en état de paix ;

2o Les individus employés, à quelque titre que ce soit, dans les étatsmajors et dans les administrations et services qui dépendent de l'armée;

3o Les vivandiers et vivandières, cantiniers et cantinières, les blanchisseurs, les marchands, les domestiques et autres individus à la suite de l'armée en vertu de permissions.

La compétence des conseils de guerre aux armées est plus étendue que celle des conseils de guerre permanents. La raison de cette extension de compétence est donnée en ces termes dans l'Exposé des motifs : « Une armée en campagne, placée sous le feu de l'ennemi et exposée à des dangers de toutes sortes, exige pour sa sûreté les précautions les plus énergiques et les plus minutieuses. Les principes du droit commun doivent fléchir devant une situation aussi éminemment exceptionnelle; le succès d'un plan de campagne, le salut du pays, qui souvent en dépend, dominent toutes les autres considérations inter arma silent leges. Il est donc indispensable que tous ceux qui se trouvent avec l'armée ou sur le théâtre de ses opérations soient soumis au même régime et aux mêmes obligations. De là la nécessité de rendre justiciables des conseils de guerre non-seulement les militaires et leurs assimilés, mais encore ceux qui sont attachés à l'armée à un titre quelconque, que ce titre dérive d'un ordre ou d'une permission, tels que les employés des services financiers, les interprètes, les secrétaires ou commis, les vivandiers, cantiniers, marchands, domestiques, tous ceux enfin qui, sous quelque dénomination que ce soit, sont à la suite de l'armée ou sont compris dans les services administratifs et autres qui en dé

(4) L'état de guerre est déclaré par une loi ou un décret, toutes les fois que la situation oblige à donner à la police militaire plus de force et d'action que pendant l'état de paix." Il résulte, en outre, des circonstances suivantes :

4 En temps de guerre, lorsque la place est en première ligne, ou sur le côté, ou à moins de cinq journées de marche des places, camps et positions occupés par l'ennemi;

2 En tout temps, quand on fait des travaux qui ouvrent une place ou un poste situé sur le côté ou en première ligne;

3 Lorsque des rassemblements sont formés dans le rayon de cinq journées de marche, sans l'autorisation des magistrats,

Le ministre de la guerre est immédiatement informé. (Décret du 13 octobre 1863.)

pendent. Cela est conforme à la législation la plus ancienne, et notamment à la loi du 13 brumaire an v (1). :

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M. Langlais, dans son rapport, a justifié cette disposition d'une manière non moins expressive: Les justiciables naturels et nécessaires des tribunaux militaires, pour tous les crimes et délits, aux armées et dans l'état de guerre, sont d'abord tous ceux sur lesquels s'étend la juridiction des mêmes tribunaux, dans l'état de paix. Mais la raison indique que le pouvoir de ces tribunaux doit s'agrandir avec les nécessités de cette situation, violente de sa nature, qu'on appelle la guerre, et qui isole, en quelque sorte, l'armée du pays. Il faut que la justice militaire s'accroisse des facultés que la justice ordinaire se trouve impuissante à exercer; car l'armée emporte tout avec elle; c'est comme un État qui voyage. Le projet dispose donc, avec raison, non-seulement que tous les militaires, mais que tous les employés, à quelque titre que ce puisse être, les marchands et tous autres individus à la suite de l'armée en vertu de permission, seront soumis indistinctement à la juridiction militaire. Cette disposition n'est pas une nouveauté. »

Comme il n'y a à l'armée d'autre justice que celle des conseils de guerre, cette juridiction devait donc juger tous ceux qui, de près ou de loin, ont des relations avec l'armée.

L'article 62 répartit en trois catégories les individus qui sont justiciables des conseils de guerre aux armées. Ce sont :

1o Les justiciables des conseils de guerre dans les divisions territoriales en état de paix; et ici il n'y a pas à rechercher si tel ou tel individu est assimilé aux militaires par une ordonnance ou un décret.

Les assimilés sont compris dans le paragraphe 1 de l'article (2).

2o Les individus employés, à quelque titre que ce soit, dans les états-majors et dans les administrations et services qui dépendent de l'armée, c'està-dire ceux qui, n'appartenant pas à des corps organisés, ou qui, ne faisant pas partie de l'armée à titre de militaires, en vertu d'un brevet ou d'une

(4) Loi du 13 brumaire an v, Article 9: « Nul ne sera traduit au conseil de guerre que les militaires, les individus attachés à l'armée et à sa suite, les embaucheurs, les espions et les habitants du pays ennemi occupé par les armées de la République, pour les délits dont la connaissance est attribuée au conseil de guerre. »

Article 10. « Sont seuls réputés attachés à l'armée et à sa suite, et, comme tels, justiciables du conseil de guerre :

4° Les vivandiers, charretiers, muletiers et conducteurs de charrois, employés au transport de l'artillerie, bagages, vivres et fourrages de l'armée, dans les marches, camps, cantonnements et pour l'approvisionnement des places en état de siége;

2. Les ouvriers suivant l'armée;

3o Les gardes-magasins d'artillerie, ceux des vivres et fourrages pour les distributions, soit au camp, soit dans les cantonnements, soit dans les places en état de siége;

4 Tous les préposés aux administrations pour le service des troupes;

5o Les secrétaires, commis et écrivains des administrateurs, et ceux des états-majors;

6o Les agents de la trésorerie près les armées;

7. Les commissaires des guerres;

8 Les individus chargés de l'établissement et de la levée des réquisitions pour le service et approvisionnement des armées, et ceux préposés à la répartition et perception des contributions militaires;

9 Les médecins, chirurgiens et infirmiers des hôpitaux militaires et ambulances, les aides ou élèves des chirurgiens desdits hôpitaux et ambulances;

10 Les vivandiers, les munitionnaires et boulangers de l'armée ;

44° Les domestiques au service des officiers et des employés à la suite de l'armée. »

(2) Se reporter aux articles 56, 57, 58 et 59 et à leur commentaire, pour l'interprétation du § 1 de l'article 62,

commission émanés du chef de l'État ou du ministre de la guerre, sont employés de fait, même temporairement ou par réquisition, à la conduite des charrois, au transport de l'artillerie, bagages, vivres et fourrages de l'armée, ou comme ouvriers dans les établissements de l'armée, ou comme écrivains, secrétaires, commis dans les états-majors et administrations de l'armée; les agents des finances, des postes, des contributions, etc. (1);

3o Certains assimilés attachés soit d'une manière permanente, soit accidentellement à un service quelconque de l'armée; lesquels individus doivent être munis de pièces prouvant leur position et délivrées, ou tout au moins visées, par le grand prévôt ou par les prévôts.

Aux termes de l'article 516 du décret d'organisation sur la gendarmerie, du 1er mars 1854, « le grand prévôt reçoit et examine les demandes des personnes qui désirent exercer une profession quelconque à la suite de l'armée; il accorde des permissions et délivre des patentes à celles qui justifient de leur bonne conduite et qui offrent toutes les garanties pour le genre d'industrie auquel elles veulent se livrer. »

Le troisième paragraphe de l'article 62 parle des vivandiers et vivandières, cantiniers et cantinières, blanchisseurs, marchands, domestiques et autres individus à la suite de l'armée en vertu de permissions. Les numéros 1, 10 et 11 de l'article 10 de la loi du 13 brumaire an v avaient déjà compris ces individus dans l'énumération de l'article 10 de cette loi, en donnant même une liste un peu plus complète (2). Quant aux embaucheurs et aux espions dont parle l'article 9 de la loi de brumaire an v, la loi du 18 pluviôse an Ix, article 11, les avait déférés à la juridiction de tribunaux, spéciaux, le décret du 17 messidor an xii, article 1er, les avait rendus justiciables de commissions militaires; depuis la Charte de 1814 qui avait aboli tous les tribunaux exceptionnels, sauf les conseils de guerre, la Cour de cassation avait restitué d'abord à ces derniers conseils la connaissance des crimes d'embauchage et d'espionnage (3), mais, en 1831, elle avait décidé, en se fondant sur la suppression des juridictions créées en l'an ix et en l'an XII, que les tribunaux ordinaires seraient seuls compétents pour statuer sur ces crimes, quand ils auraient été commis par des individus non militaires (4).

Pour résoudre aujourd'hui la question de compétence quant aux embaucheurs et aux espions, il faut combiner l'article 62 du Code de justice militaire actuel avec ses articles 63, 64, 77, 204 et 208 (5).

ART. 63.

Sont justiciables des conseils de guerre, si l'armée est sur le territoire ennemi, tous individus prévenus soit comme auteurs, soit comme com

(1) Voir, plus haut, l'article 59 et son commentaire.

(2) Voir, plus haut, en note, l'article 40 de la loi du 13 brumaire an v.

(3) Cass. crim., 12 octobre 1820; 24, 22 février et 3 octobre 1822.

(4) Cass. crim., 2 avril 1834, affaire Mazas ; 17 juin 4834, affaire Vineintias; 21 octobre 1831, affaire Thomas; 27 juillet 1832, affaire Lievers; 8 novembre 1832, affaire Wilt.

(5) Voir, plus loin, ces articles et leur commentaire.

plices, d'un des crimes ou délits prévus par le titre II du livre IV du présent Code (1).

Différentes situations où peuvent se trouver les armées modifient parfois et étendent la compétence des conseils de guerre.

Les armées, en effet, peuvent se trouver dans le cas d'agir:

Soit en pays ennemi, c'est-à-dire sur le territoire d'une nation avec laquelle on est en guerre;

Soit en France, en présence de l'ennemi;

Soit sur un territoire ou dans une place de guerre en état de siége.

(4) Les dispositions de cet article n'ont pas besoin de commentaires tout individu français ou étranger qui se rend coupable d'un crime qui peut compromettre l'armée est justiciable des conseils de guerre.

Hors de ces cas de trahison, l'habitant ne doit pas être et n'est pas considéré par la justice française comme un ennemi. C'est dans ce sens que Talleyrand écrivait à Napoléon

«La guerre n'étant pas une relation d'hommes, mais une relation d'États, le droit des gens ne permet pas que le droit de guerre et celui de conquête, qui en dérive, s'appliquent aux citoyens paisibles et sans armes, à leurs habitations, à leurs propriétés, aux marchandises, aux magasins qui les contiennent, aux voitures qui les transportent, en un mot, aux personnes et aux choses des particuliers. Cette défense faite par la civilisation et le progrès a rendu possible en Europe l'accroissement de la propriété, au milieu des guerres fréquentes qui l'ont divisée. »

Et le 22 août 1809, Napoléon écrivait au ministre des États-Unis :

«Dans toutes ses conquêtes, la France a respecté les propriétés particulières. Les magasins et les boutiques sont restés à leurs propriétaires; ils ont pu disposer de leurs marchandises et, dans ce moment, des convois de voitures chargées principalement de coton, traversent les armées françaises, l'Autriche et l'Allemagne, pour se rendre de là où le commerce les envoie. »

Ainsi, respect à l'habitant paisible, aux propriétés particulières, au commerce, à l'industrie. Et à l'heure même où cet habitant fait acte d'ennemi, où, allant plus loin encore, il commet un délit ou un crime militaire prévus par nos lois, notre justice lui donne des juges et cherche à s'éclairer avant de prononcer un jugement.

Il y a loin de cette juridiction si sage, conforme au droit des gens et aux exigences de la conscience humaine, aux procédés sommaires des Prussiens.

« Les villages seront brûlés dans lesquels les habitants feront des actions hostiles, » écrivait aux maires du département de l'Eure le chef du régiment des lanciers prussiens De Rosemberg, et le souvenir d'Ars-sur-Moselle, de Bazeilles, de Peltre indiquait que ce n'était pas là une mesure vaine.

Ainsi, d'après la loi allemande, ce ne sont pas seulement les coupables qui méritent un châtiment tous les habitants auront le même sort. Un pont est-il détruit, le préfet allemand Renard fait afficher l'arrêté suivant : « Considérant qu'après avoir requis 500 ouvriers, en vue d'exécuter un travail urgent, ceux-ci n'ont pas obtempéré à nos ordres, arrêtons: 4° aussi longtemps que ces 500 ouvriers ne se seront pas rendus à leur poste, tous les travaux publics du département de la Meurthe seront suspendus; sont donc interdits tous les travaux de fabrique, de voirie, de rues ou chemins, de construction et autres d'utilité publique; 2° tout atelier privé qui occupe plus de 40 ouvriers sera fermé dès aujourd'hui, et aux mêmes conditions que tous les travaux prémentionnés; sont donc fermés tous ateliers de charpentiers, menuisiers, maçons, manoeuvres, tous travaux de mines et fabriques de toute espèce; 3° il est en même temps défendu aux chefs, entrepreneurs et fabricants, dont les travaux ont été suspendus, de continuer à payer leurs ouvriers. Tout entrepreneur, chef ou fabricant qui agira contrairement aux dispositions ci-dessus mentionnées, sera frappé d'une amende de 40 à 50.000 francs pour chaque jour où il aura fait travailler et pour chaque paiement opéré (23 janvier 1874). » Ces menaces étant restées sans effet, le préfet allemand ajoutait, le même jour : « Si demain, mardi, 24 janvier, à midi, cinq cents ouvriers des chantiers de la ville ne se trouvent pas à la gare, les surveillants d'abord, et un certain nombre d'ouvriers ensuite, seront saisis et fusillés sur place. »>

Justice expéditive en vérité, tristes exemples que l'on rencontre à chaque pas dans la guerre de 1870. Le Moniteur allemand publié à Versailles annonçait, au mois de novembre, que le gouverneur général de Nancy venait de prendre l'arrêté suivant : « Plusieurs endommagements ayant eu lieu sur les chemins de fer, M. le commandant de la 3o armée allemande a donné l'ordre de faire accompagner les trains par des habitants connus et jouissant de la considération générale.

« On placera les habitants sur la locomotive, de manière à faire comprendre que tout accident causé par l'hostilité des habitants frappera en premier lieu leurs nationaux. >>

Ainsi, représailles constantes, pillage déguisé sous le nom de réquisitions, peine de mort appliquée sans jugement: telle est, en regard de la justice française, la loi prussienne qui s'est efforcée sans doute de justifier ce mot de Frédéric II: « A qui a la force, il n'est pas besoin du droit. »

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