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auraient, au moins, autant de poids que les commentaires des jurisconsultes les plus autorisés.

Cette méthode avait encore un avantage elle ne rendait pas seulement la lecture moins fatigante, plus attrayante pour des hommes que leurs travaux antérieurs ne prédisposaient pas à cette étude, elle permettait à tous les officiers, à ceux-là même qui ne font pas partie des conseils de guerre, de consulter utilement un ouvrage qui peut les guider dans tous les actes de leur vie militaire.

Durant cette dernière guerre, dont les résultats ont été si terribles, mais qui a eu du moins cet avantage de prouver la nécessité du travail et de la science, que de fois n'avons-nous pas vu nos officiers hésitants. Sans doute, l'honneur est chez eux un guide qui ne trompe pas, mais il ne peut indiquer toujours où commence le droit, où finit le devoir ? Quelle conduite faut-il tenir dans telle circonstance? Quelque parfaits que soient nos règlements du service en campagne, ils ne peuvent tout prévoir.

Cette lacune très-réelle, nous avons voulu travailler à la combler ; à chaque page, nous avons multiplié les exemples historiques, les citations. Dans ces œuvres si nombreuses, et souvent immortelles, dans ces récits de faits héroïques, il y a un patrimoine d'honneur qui appartient à l'armée, et que nous avons voulu lui restituer.

Enfin, il nous a semblé que quelques notions de Droit international ne seraient pas inutiles, non plus que la comparaison de notre Code avec les législations militaires étrangères : là où les termes de la loi peuvent paraître un peu vagues et indécis, un coup d'oeil jeté chez le voisin suffit souvent à fixer l'esprit, de même qu'un exemple bien choisi fait cesser l'hésitation.

Nous avons cru devoir nous abstenir, d'une façon absolue, d'entrer dans les discussions qui se présentaient cependant tout naturellement, au sujet de modifications à apporter à certains articles. Les formalités de la justice militaire en campagne ont paru, et peutêtre non sans raison, trop compliquées à beaucoup d'écrivains distingués. Le colonel Lewal, le général Martin des Pallières, le général Chareton ont insisté sur ce sujet dans leurs écrits, et tout récemment encore, l'excellent Bulletin de la réunion des officiers lui

consacrait plusieurs articles. Nous avons pensé qu'en abordant cette question dans un ouvrage consacré à des commentaires sur le Code de justice militaire, nous irions directement contre le but que nous nous étions proposé la loi est la loi tant qu'elle n'est pas abrogée, et elle doit être respectée dans ses moindres détails, alors même qu'elle paraît perfectible. Nous avions à l'expliquer, non à la critiquer.

Peut-être remarquera-t-on quelques redites: elles sont volontaires. Lorsque le Code militaire renvoie à tels articles des Codes pénal ordinaire et d'instruction criminelle qu'il a précédemment visés, nous n'avons pas craint de reproduire chaque fois ces articles sous la disposition qui les citait, parce qu'il nous semblait indispensable, pour faciliter aux lecteurs du Code de justice. militaire l'intelligence des textes qu'ils ont besoin de consulter, de placer immédiatement sous leurs regards les articles des Codes. de droit commun qui peuvent servir de commentaire ou de point de comparaison. Un simple renvoi d'une partie à l'autre de l'ouvrage n'aurait pas rempli ce but.

INTRODUCTION HISTORIQUE

L'institution d'une justice spéciale pour l'armée n'est pas une idée propre à notre pays, ni à notre temps. Partout où l'armée a été régulièrement organisée, elle a revendiqué et obtenu la juridiction sur ellemême (1).

(4) Chez les Romains, quand un militaire avait commis un délit de droit commun, devant quelle juridiction devait-il en répondre ? Suivant quelle procédure l'affaire était-elle instruite ? Était-ce là qualité de militaire ou la nature du délit qui fixait la compétence? M. Ory a examiné ces questions dans son ouvrage sur Le recrutement et la condition juridique des militaires à Rome, dans l'ancien Droit et le Droit moderne. Tout le monde est d'accord, dit-il, pour reconnaître que le délit, même de droit commun, commis au camp, relevait de la juridiction militaire seule, sans qu'il y eût lieu de distinguer s'il émanait d'un militaire ou d'un civil: c'était une conséquence de ce principe que tout crime devait être jugé au lieu où il avait été commis; et, d'ailleurs, la discipline elle-même exigeait que les infractions aux lois militaires fussent jugées sur-le-champ par les tribunaux militaires. Un autre point qui est également hors de doute, c'est qu'en principe, les soldats seuls étant soumis à la juridiction des tribunaux militaires, il fallait avoir cette qualité pour en être justiciable. Ainsi, les recrues qui, n'étant pas encore « relatæ in numeros », commettaient un délit, étaient jugées par les tribunaux ordinaires. Il en était encore de même des adcrescentes, soldats surnuméraires, qui, sous l'Empire, s'exerçaient dans les camps en attendant des vacances : « Qui ultra statutos militant, civilium judicum sententiis subjacent (a). » Enfin, quand un citoyen avait commis un délit avant d'entrer au service, quoiqu'il devint postérieurement militaire, il n'en restait pas moins justiciable des tribunaux criminels ordinaires devant lesquels il aurait eu à en répondre comme civil (b).

Mais on est loin de s'entendre sur la question de savoir si c'était la qualité de militaire ou la nature du délit qui déterminait la compétence (c), et on peut invoquer, à l'appui de l'affirmative ou de la négative, des textes tellement précis qu'au premier abord la solution à donner peut paraître embarrassante. Nous nous rangeons cependant à la première opinion et nous pensons que c'était la qualité du militaire qui était attributive de la compétence du tribunal.

Pour soutenir que c'était la nature du délit qui déterminait cette compétence, on a argumenté, d'abord, des termes de la loi 2, pr., au Digeste, De re militari : « Militum delicta aut propria sunt, aut cum cæteris communia; unde et persecutio, aut propria aut communis est; » et l'on a fait ressortir le rapport qui existe entre le caractère du fait délictueux et celui de la persecutio, expression qui comprenait, dit-on, à la fin de l'Empire, tout à la fois l'action, la procédure et la compétence. Sans doute, quand un crime de droit commun avait été commis par un militaire, la persecutio était communis : mais le mot persecutio n'a pas un sens aussi étendu que celui qu'on veut bien lui donner; il signifie simplement la procédure, l'ensemble des formes d'instruction à suivre et la peine à appliquer. En un mot, quand un militaire avait commis un crime de droit commun, c'était, il est vrai, un tribunal militaire qui le jugeait, mais suivant les règles de la procédure criminelle ordinaire, et en appliquant les peines de droit commun.

On s'appuie encore, dans l'opinion contraire, sur certains textes, notamment sur la loi 3, pr., au Digeste, De re militari, qui défère au jugement du Président de la province le déserteur qui s'est rendu coupable d'un délit de droit commun autre que la désertion. Ce même texte décide que le

(a) C. 3, C. De offic, mag, milil., 1-29.

(b) L. 7 et 30, D. De judiciis, V-1.

(e) Foët Comment. ad, Pand. I-272,

Dans les premiers âges de la monarchie française, les gens de guerre ont été successivement sous la juridiction du Maire du palais, puis sous celle du Grand Sénéchal; plus tard, et à diverses époques, on a créé la Connétablie, les Prévôts des maréchaux, les Conseils de guerre.

La compétence de la Connétablie a donné lieu à un grand nombre d'ordonnances et d'édits, qui remontent jusqu'au roi Jean.

La Connétablie se composait de juges de robe longue le lieutenant général, le lieutenant particulier, le procureur du roi et le greffier. Le premier règlement général qui nous reste sur cette institution, est une ordonnance de 1378, émanée du roi Jean; l'ordonnance de Moulins, de 1566, prescrivit l'adjonction à la Connétablie d'avocats au Parle

ment.

A ce tribunal était attaché un prévôt, qui, en temps de guerre, s suivait l'armée et y avait juridiction, sous le titre de Grand-Prévôt. Ce GrandPrévôt, assisté de ses lieutenants et ayant des archers particuliers (ceux

militaire qui commettait un crime de droit commun, devait être puni sur le lieu même du délit, prescription qui, dit-on, ne pouvait être exécutée que si le coupable comparaissait devant le tribunal criminel de droit commun.

Enfin, on remarque que la juridiction militaire étant exceptionnelle, dès qu'un doute pouvait s'élever, dès que la connaissance d'une nature d'affaires ne lui avait pas été spécialement déférée, elle n'était plus compétente pour en connaître.

Ces raisons ne semblent pas plus décisives que les précédentes. La loi 3, en déférant au jugement du Président de la province le déserteur qui a commis un crime prévu par la loi pénale ordinaire, ne fait qu'apporter une dérogation aux principes généraux, dérogation qui confirme la règle. De plus, on ne trouve rien dans la fin de ce texte qui indique que ce soit devant le tribunal criminel ordinaire que doive comparaître le militaire coupable d'un délit de droit commun. Modestin dit simplement, en effet, que le militaire coupable devra être jugé sur le lieu mème du crime, c'est-à-dire par le juge militaire de la circonscription où le délit avait été commis, et non par celui du corps auquel appartenait le soldat (a).

On peut, d'ailleurs, invoquer à l'appui de ce système des textes formels et nombreux du Digeste el du Code:

C'est, d'abord, la Constitution première, au Code, De officio magistri militum, I-29, qui décide que, de même que les Comtes et les Maîtres de la milice n'ont aucune juridiction sur les habitants des provinces, de même, les militaires ne relèvent en aucune manière de celle des Préfets Il y a donc, on le voit, une distinction incontestable entre les deux situations de paganus et de miles, distinction dont l'opinion opposée ne tient aucun compte.

C'est ensuite la loi 9, au Digeste, De custodia et exhibitione reorum, qui porte que les soldats qui commettent un délit quelconque, doivent être remis, pour être jugés, à celui sous les ordres duquel ils combattent. Enfin, on a encore à citer deux Constitutions qui paraissent pleinement décisives. La première, qui forme la Constitution 6, au Code, De jurisdictione, III-43, est ainsi conçue : « Constet militarem reum, nisi a suo judice, nec exhiberi posse, nec, si in culpa fuerit, coerceri. » Quand à la seconde (b), elle prescrit au Président de la province de faire arrêter les militaires qui se rendraient coupables de crimes de droit commun, et de les renvoyer devant les magistrats militaires, « vel propter causæ meritum, vel etiam personæ qualitatem. »

Outre le droit qu'avait le militaire en activile de n'être justiciable que d'un tribunal militaire, il avait, de plus, celui de ne se déranger de son service, pour comparaître comme témoin en justice, que quand il était cité par des jugeş militaires. (Ory, Recrutement, etc., p. 478 et suiv.)

(a) V. Voet: Comment. ad. Pandect., t. I, 272.

(b) C. 1, C. De exhibendis et transmittendis reis, IX-3.

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