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qui fut pratiquée par les Francs, lorsque, spontanément et sans cause de guerre, ils s'élancèrent dans les Gaules pour s'en emparer; si de tels effets, disons-nous, peuvent jamais être convertis en droits légitimes.

Il y aurait, sans doute, bien des choses à dire contre l'origine de cette propriété féodale qui n'eut pour cause que la spoliation; et il y aurait encore bien des choses à dire contre la possession qui l'a suivie, et qu'on pourrait peutêtre regarder comme ayant été continuellement fondée sur les abus de la puissance, plutôt que vraiment paisible et tout-à-fait légitime.

Mais nous n'avons pas besoin des raisonnemens auxiliaires qu'on pourrait tirer de toutes ces considérations, pour nous conduire au but que nous nous proposons d'atteindre. Nous admettrons que le temps a rendu valable tout ce qui n'avait été d'abord que l'effet de la force. Hé bien! même avec cette concession, il ne nous sera pas difficile de démontrer jusqu'au dernier dégré d'évidence, que le système des auteurs que nous combattons ne repose que sur une erreur palpable, lorsqu'ils disent que, par suite de l'acte de concession ou d'investiture féodale, tout seigneur doit être considéré comme ayant été revêtu, ipso jure et par ce seul acte, du droit de propriété universelle de tous et chacun des fonds renfermés dans les limites de son fief.

Remontons encore au principe des choses: lorsqu'un des Rois de la première race a dit à l'un de ses capitaines, Je vous cède, en récom

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pense de vos services, telle province, ou tel district que vous posséderez, sous la mouvance de ma couronne, à titre de duché, ou de comté, ou de marquisat, ou de baronnie; qu'a-t-il fait et qu'a-t-il pu faire?

Il n'a fait et n'a pu faire autre chose que d'accorder à ce premier cessionnaire l'autorisation et la force de s'emparer de tous les fonds compris dans les limites du territoire concédé, ou de les remettre en partie à des arrière-vassaux: mais jusque-là, l'acte de concession primitive, comme les actes de sous-inféodations n'ont pu avoir tout au plus que la force d'un simple titre nominal de propriété ; et tant que ces actes n'ont pas été suivis d'exécution par la main-mise effective sur les fonds et la dépossession des anciens propriétaires, ils n'ont pu produire aucun droit de propriété acquis aux concessionnaires, parce que, dans les cas de cette nature, ce n'est pas par un titre tout nu qui reste encore entièrement dans les régions idéales, qu'on peut se trouver réellement revêtu du domaine des choses dont on n'a pas seulement pris la possession.

Et en effet, c'est un principe constant dans le droit romain qui régissait alors les provinces de la Gaule, que le domaine des choses ne s'acquiert que par la tradition, ou la prise de possession, et non pas par un titre seul, ha hæ quoque res quæ traditione nostræ fiunt, jure gentium nobis acquiruntur (1); qu'il faut même

(1) L. 9, §. 3, ff. de adquirend. rerum domin., lib. 41, tit. Lo

que la tradition, ou la délivrance, ou la mise en possession soient faites en exécution d'une juste cause, c'est-à-dire pour satisfaire à une cause qui soit de sa nature translative de propriété, nunquàm nuda traditio transfert dominium, sed ita, si venditio, aut alia justa causa præcesserit, propter quam traditio sequeretur (1); qu'il faut de plus que celui qui livre la possession d'un fonds en soit lui-même propriétaire, pour que le domaine s'en trouve de suite transféré à celui qui la reçoit, traditio nihil ampliùs transferre debet vel potest ad eum qui accipit, quàm est apud eum qui tradit. Si igitur quis dominium in fundo habuit, id tradendo transfert: si non habuit; ad eum qui accipit, nihil transfert (2); qu'ainsi il faut de toute nécessité ou le titre joint à la tradition, pour opérer la translation actuelle du domaine; ou le secours de la prescription qui ne peut être fondée encore que sur la possession pour parvenir à l'acquérir plus tard, traditionibus et usucapionibus dominia rerum, non nudis pactis transferuntur (3).

2846. On conçoit néanmoins que, comme notre code le veut aujourd'hui, celui qui est propriétaire d'un immeuble puisse, par le seul effet d'une convention, en transférer le droit de propriété sur la tête d'un autre qui le stipule et l'accepte ainsi; mais ce qu'on ne concevra ja

(1) L. 31, ff. eod.

(2) L. 20, ff. eod.

(3) L. 20, cod. de pactis, lib. 2, tit. 3.

mais, c'est que quand il s'agit de deux personnes qui sont également étrangères à la propriété du fonds, et qui opèrent sciemment sur le bien d'autrui, l'une puisse efficacement dire à l'autre qu'elle lui cède telle contrée ou telle étendue de terre, et que celle-ci puisse, de son côté, se trouver de plein droit et par le seul effet d'une semblable convention, revêtue du domaine des terres ainsi concédées: ce qu'on ne concevra jamais, c'est qu'un pareil concessionnaire puisse se dire investi de la propriété du fonds sans que le véritable propriétaire en ait été jamais dépossédé et sans qu'il en ait pris possession lui-même pour s'en emparer réellement à l'effet de l'acquérir au moins par la prescription.

C'est là cependant ce qu'il faudrait nécessairement soutenir à l'égard des biens communaux, pour contester leur qualité de propriété native ou originaire dans les mains des communes qui en ont la possession immémoriale; car du moment qu'on ne peut produire aucun titre constatant qu'elles les auraient autrefois reçus de la part d'un ancien seigneur, et du moment encore qu'on ne peut assigner aucun principe initiatif à leur possession, il est évident qu'on doit les considérer comme n'ayant jamais été dépossédées et que les titres de concessions féodales jadis faites aux seigneurs par le Prince, doivent être regardés comme n'ayant produit ni changement dans la condition des communes non dépossédées, ni droit acquis aux seigneurs qui, quoique concessionnaires des droits de fiefs, n'auront pas voulu s'emparer des biens com

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munaux nécessaires à l'entretien des colons de leurs terres, et qui au lieu de dépouiller les communes auront au contraire voulu les protéger en les maintenant dans la jouissance de leurs biens.

Et ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que les actes primitifs de concessions de fiefs ou d'inféodations ne pouvaient contenir que l'autorisation de s'emparer des terres, puisqu'il s'agissait alors de prendre possession du pays conquis et d'en devenir maître par la voie de l'occupation; or, celui qui a reçu l'autorisation de s'emparer d'une chose qui appartient à un tiers, et qui ne s'en empare pas, la laisse nécessairement dans son état primitif, il en laisse nécessairement le droit de propriété confirmé entre les mains du véritable maître; et il n'acquiert rien lui-même puisqu'il ne dépossède personne : il est donc impossible d'admettre que les communes qui sont restées en possession de leurs biens communaux, soient censées les avoir reçus de la libéralité de leurs anciens seigneurs. 2847. On doit sans doute le décider autrement à l'égard des communes auxquelles il n'a été conservé que de simples droits d'usages restreints à quelques genres de produits seulement, ou modifiés sur l'étendue de leurs besoins ; car la qualité de simple usager étant opposée à celle de propriétaire, il est nécessaire d'en conclure que toute commune qui a été réduite à la condition d'usagère, a souffert une interversion dans son droit de propriété; il est nécessaire de dire encore qu'elle a été dépouillée par l'acte même

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