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s'il n'en était pas susceptible sans de notables inconvéniens, la nécessité des choses nous ramenerait sous l'empire d'une autre loi, et l'usager comme le propriétaire n'auraient plus, pour apaiser leurs discorde, que le moyen de faire régler judiciairement la quotité et la qualité des prestations annuelles que ce dernier devrait livrer à l'autre.

2765. Dans le cas même où le fonds soumis au droit d'usage serait assez vaste pour pouvoir en distraire commodément une portion qui ne servirait qu'à l'usager, cette distraction ne serait pas véritablement un partage, mais seulement un aménagement par lequel l'exercice de l'usage serait spécialement assigné sur la portion distraite d'un plus grand tout. Cet aménagement n'aurait pas, par sa nature, un effet définitif, comme le partage proprement dit : il n'opérerait que provisoirement une séparation d'intérêts entre le propriétaire et l'usager, attendu que les besoins de celui-ci venant à augmenter ou à diminuer, il y aurait lieu à un supplément ou à une réduction dans la portion du terrain cédée à l'usager, à moins qu'il n'eût été convenu entre les parties que la cession serait faite par un abonnement à forfait, pour tenir lieu de toute jouissance future de la part de l'usager qui, par cette novation dans ses droits, serait assimilé à un usufruitier.

2766. Une autre question qui doit encore trou

ver ici sa place, consiste à savoir si l'usager qui absorbe tous les fruits du fonds, parce que tous sont nécessaires à ses besoins, ou si celui qui a

obtenu la distraction d'une portion de fonds, pour y exercer privativement son droit de jouissance, est forcément obligé de l'exploiter par lui-même, ou s'il peut y établir un fermier?

L'article 631 du code porte que l'usager ne peut céder ni louer son droit à un autre. La loi romaine renfermait déjà une semblable disposition. Nec ulli alii jus quod habet (usuarius) aut vendere aut locare, aut gratis concedere polest (1). Cependant Voet voulait que cette décision ne fût absolue dans tous les cas il voulait que pas l'usager pût louer s'il paraissait que le testateur eût eu l'intention de le lui permettre ; ou si autrement le legs lui fût devenu inutile. Ut tamen permissa locatio sit, si vel hæc videatur fuisse mens concedentis usum, vel fortè aliter inutilis usuario esset usus, dùm testator sciens usuarium hujus esse instituti, et vitæ, ut rerum talium usum elocaret (2). Nous croyons que le sentiment de cet auteur doit encore être suivi, parce qu'il ne s'agit ici que d'une disposition de droit privé à laquelle le testateur peut déroger: que l'intention prédominante dans celui qui établit un droit d'usage, est que l'usager qu'il appelle à recueillir un bienfait, puisse en profiter; et qu'en conséquence si, par rapport à son âge ou à sa condition, le légataire est dans l'impossibilité de cultiver lui-même ou si l'on ne peut humainement exiger cela de lui, l'on doit croire que la volonté du disposant a été qu'il en fût dispensé.

(1) L. II, ff. de usu et habitat,, lib. 7, tit. 8. (2) Ad Pandect., tit. de usu et habitat., n.° 4.

par

2767. Pourquoi, en thèse générale, l'usager ne peut-il céder son droit à un autre ? C'est parce que les émolumens n'en sont pas déterminés ; c'est parce que l'étendue de ce droit n'est connue que par la mesure des besoins de celui qui l'exerce, et qu'ainsi l'on ne pourrait, sans faire tort au propriétaire, accorder au légataire de l'usage, la faculté de substituer en son lieu et place une autre personne dont les besoins seraient plus étendus. Mais lorsqu'il est reconnu que l'usager en titre doit absorber tous les fruits du fonds soumis à sa jouissance; lorsqu'il est reconnu que tous lui sont nécessaires : ou lorsque le droit d'usage avait été établi d'abord sur un domaine plus vaste dont une portion a été distraite aménagement, pour en assigner la totalité du produit à l'usager; tant que dure cet état de choses, c'est-à-dire, tant que les besoins de l'usager sont les mêmes, ou tant qu'ils n'ont pas diminué et que le propriétaire n'a aucune réduction de jouissance à lui demander, qu'importe à celui-ci que l'usager cultive immédiatement par lui-même, ou par le fait d'un fermier? Vouloir que l'héritier pût, même en ce cas, forcer l'usager à exercer, par ses propres mains, une culture à laquelle il serait inhabile par rapport à son âge ou à ses infirmités, ou à sa condition, ou même à l'exercer par le fait de gens de journées qui lui coûteraient plus que le fonds ne pourrait lui rendre, ne serait-ce pas arbitrairement anéantir le bienfait du testateur envers son légataire? Ne serait-ce pas reconnaître dans

l'héritier le droit de braver les intentions du testateur et de se soustraire à la loi du testament?

CHAPITRE LVIIL

De l'Etendue du droit d'usage.

2768. EN traitant d'une matière, il serait bien.

difficile d'inventer des divisions tellement rigoureuses que ce qui se trouverait placé dans une partie ne rentrât pas encore plus ou moins dans une autre. Aussi nous avons déjà, dans le chapitre précédent, dit plusieurs choses qui ont rapport à l'étendue du droit d'usage; mais ce sujet doit être encore examiné sous beaucoup d'autres points de vue, et c'est là ce que nous nous proposons spécialement dans le présent chapitre.

Le droit d'usage, sous le rapport de son étendue, se règle en premier lieu, d'après les dispositions du titre qui peut accorder à l'usager des avantages plus ou moins considérables (628), par un pur effet de la volonté du testateur qui l'a légué, ou des parties qui l'ont stipulé dans un acte entre-vifs.

A défaut de toutes dispositions ou stipulations qui lui donnent accidentellement quelques extensions, ou le resserrent par quelques restrictions qui ne seraient pas des conséquences de sa nature propre (629), le droit d'usage est, sous le rapport de son étendue, déterminé comme il suit, par l'art. 630 du code.

<«<< Celui qui a l'usage des fruits d'un fonds. >> ne peut en exiger qu'autant qu'il lui en faut » pour ses besoins et ceux de sa famille.

>> Il peut en exiger pour les besoins même » des enfans qui lui sont survenus depuis la con>> cession de l'usage. >>

Reprenons les termes de ce texte, les uns après les autres, pour en mieux démontrer tout le sens.

2769. Celui qui a l'usage des fruits d'un fonds :

ces expressions sont générales. On doit les étendre à toutes les espèces de fruits propres à la consommation de l'usager, puisque la loi parle sans distinction ni restriction, et sans signaler une espèce plutôt que l'autre.

Ainsi quand le droit d'usage est établi sur un domaine rural où il y a de la vigne, des champs, des bois, des vergers et des jardins, l'usager doit avoir la faculté de cueillir des fruits sur les arbres des vergers, de prendre des légumes dans les jardins potagers; d'exiger du blé et du vin pour sa consommation, et du bois pour son chauffage (1).

Ainsi encore l'usager d'un fonds où il y a une garenne pourra user des lapins, et celui d'un étang pourra y pêcher du poisson pour sa consommation, en se conformant aux usages du père de famille.

Toutes ces conséquences dérivent du principe général consacré par ce texte, qui veut que l'usager d'un fonds ait le droit de participer à tous les genres de fruits qu'il peut produire et qui sont

(1) Vid. l. 12, §. 1, ff. de usu et habitat.

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