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en effet, démontrer qu'on a voulu seulement soumettre le voisinage des héritages qui sont les plus précieux, à des règles qui ne s'observent pas à l'égard des fonds de dernière classe qui sont à proximité des forêts.

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Qu'à la distance prescrite: on voit par ces expressions qu'il n'est encore ici question que d'écarter l'ombre qui peut être obliquement causée par le voisinage des arbres, lorsque le soleil est peu élevé au-dessus de l'horizon, puisqu'il ne s'agit que de régler la distance qui doit être entre l'arbre planté et les fonds dont on veut écarter l'incommodité de l'ombrage.

Par les règlemens; lorsqu'un homme veut convertir un autre héritage en nature de bois, nous ne connaissons aucun règlement qui l'oblige d'écarter son semis ou sa plantation à une certaine distance, si ce n'est l'article 6 du titre 27 de l'ordonnance de 1669 dont nous avons parlé plus haut: article qui n'est relatif qu'aux forêts domaniales, pour empêcher qu'il ne soit établi d'autres bois à une distance moindre de cent perches. Et comme il s'agit ici de règlemens plus généraux qui s'appliquent même au voisinage des fonds de particuliers, il faut en conclure encore que, comme nous l'avons déjà dit, cette disposition du code n'a point pour objet de régler une distance qui doive séparer les arbres en forêts, pour les écarter des autres. héritages.

Enfin cet article du code ne fait que répéter, avec quelques modifications, la règle déjà établie par la loi dernière au ff. finium regun

dorum, portant que le figuier et l'olivier ne devaient être plantés qu'à neuf pieds de distance du fonds voisin, et que les autres arbres pourraient être plantés seulement à deux pieds du bord, sin aulem olivam, aut ficum, novem pedes ab alieno fundo serat: alias autem arbores, duos pedes. Or, nous ne voyons pas qu'on ait jamais requis l'application de cette loi aux cas où il s'agissait de faire des semis de bois pour convertir en forêt un fonds d'une autre superficie, ce qui nous porte toujours de plus en plus à croire que la disposition du code sur la plantation des arbres, n'est faite que pour régler le voisinage des fonds les plus productifs, ou qui sont près des habitations, et non celui des fonds de classes inférieures qu'on voudrait transformer en forêts.

Le voisin peut exiger que les arbres plantés à une moindre distance soient arrachés: ainsi, quoique l'arbre qui vient d'être planté soit encore très-jeune et très-menu, et qu'il ne puisse dès à présent porter aucune incommodité par son ombrage, néanmoins le voisin a déjà une action pour demander qu'il soit arraché; mais s'il garde le silence pendant trente ans, son action sera-t-elle éteinte par la prescription?

Pour la négative on peut dire que, du moment que lors de la plantation de l'arbre, et même pendant long-temps après, il ne pouvait encore porter aucun préjudice au propriétaire voisin, celui-ci n'est censé avoir souffert cet état de choses que par pure tolérance et esprit de bon voisinage, ce qui ne constitue qu'une

possession précaire, et incapable d'être le fondement de la prescription (2232) tant qu'il n'y a pas eu acte de contradiction;

Que si l'arbre planté dans la distance prohibée doit être considéré comme objet d'une servitude continue, il est au moins constant que, dans le premier état des choses, et tant que l'ombre de la jeune plante ne va pas jusqu'à atteindre le fonds du voisin, la servitude n'est point encore apparente, et qu'en conséquence elle n'est point encore prescriptible (691);

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Qu'il n'y a rien de bien déterminé dans la position d'un arbre qui croît, s'avance et marche en quelque sorte continuellement : ce qui a fait dire à VALLA en son traité de rebus dubiis, que, dans ce cas, la prescription ne pouvait avoir lieu, par la raison que la possession ne peut être absolument fixe.

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Nonobstant tous ces raisonnemens nous croyons que l'action dont il s'agit ici doit être prescrite par trente ans de silence, à dater du jour de la plantation de l'arbre.

La justesse de notre décision sera facilement sentie, lorsque nous aurons reproduit la question sous son véritable point de vue; et pour cela il faut observer :

Que c'est d'une servitude légale et négative qu'il s'agit ici, puisque nous n'avons à nous occuper que de la règle d'asservissement d'un fonds à l'égard de l'autre, telle qu'elle est tracée par la loi sur la plantation des arbres; Que, quoique servitude légale, on peut en

acquérir l'affranchissement, et elle peut être éteinte par la prescription, parce que rien n'empêche que celui auquel elle appartient, n'y renonce ou d'une manière expresse, ou d'une manière tacite;

Que c'est au fonds sur lequel l'arbre est planté, que la servitude est imposée, puisque c'est au préjudice de sa liberté que la plantation ne peut être faite qu'à une certaine distance du bord;

Que c'est l'héritage voisin qui est le fonds dominant, puisque c'est pour son avantage, et afin d'en écarter l'incommodité qui pourrait être causée par l'ombre des arbres, qu'on doit en éloigner la plantation.

Cela étant ainsi bien entendu, il est de toute évidence qu'il ne peut y avoir rien de précaire dans la possession du propriétaire du fonds asservi, qui a fait planter des arbres près le bord de son héritage. C'est en qualité de propriétaire qu'il possède le fonds, ainsi que l'arbre qui fait partie du fonds: c'est comme maître et agissant en maître qu'il a fait la plantation, et c'est encore en qualité de maître qu'il jouit du tout; il est donc dans une véritable possession civile de son fonds, et de la liberté de son fonds; et il le possède paisiblement et en toute franchise, tant qu'aucune action n'a été dirigée contre lui, pour le troubler dans cette jouissance, et faire cesser cet état de choses: or, toute possession publique, paisible, continue, non interrompue, et exercée à titre de maître, doit opérer la prescription; donc, dans

cette hypothèse, le propriétaire du fonds doit en prescrire l'affranchissement au bout de trente ans de jouissance, sans réclamation de la part

d'un voisin.

Inutile de rappeler la distinction qui existe entre les servitudes continues et discontinues, et celles qui sont apparentes ou non apparentes; puisque cette distinction n'a été imaginée que pour signaler celles qui pourraient être acquises sans titre et par le seul effet de la possession, tandis qu'au contraire il ne s'agit ici que de l'extinction d'une servitude, ou de l'affranchissement du fonds qui en était grevé; et dans ce cas la loi ne fait plus de distinction, puisqu'elle veut que généralement toutes les servitudes soient éteintes par trente ans de nonusage (706), et qu'elle déclare encore sans distinction, qu'à l'égard des servitudes continues les trente ans se comptent du jour où il a été fait un acte contraire: or la plantation de l'arbre, faite dans la distance prohibée, est bien certainement un acte contraire à la servitude dont il s'agit; donc, dès le jour de cette plantation, la prescription commence à courir pour opérer l'affranchissement du fonds.

Inutile encore de répéter après VALLA, qu'il n'en est pas d'un arbre comme d'une pierre qui reste perpétuellement immobile, tandis que l'arbre est toujours en mouvement par rapport à son accroissement continuel; car du moment qu'il a été planté et qu'il existe dans l'espace de terrain prohibé par la loi, peu importe le plus ou le moins de grosseur qu'il peut prendre;

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