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font dire à cette ordonnance ce qu'elle ne dit pas; car en attribuant aux grands-maîtres le droit de déclarer les bois défensables, elle ne s'occupe uniquement que des forêts de l'Etat. Cependant ces actes peuvent être facilement justifiés sous ce rapport, en disant que le Gouvernement a voulu établir à cet égard un droit nouveau en ce qui touche aux forêts de particuliers dont l'ordonnance ne s'occupait pas.

Mais sous le rapport de la compétence, il n'est pas également facile de justifier le système établi par ces mêmes actes.

Les débats qui peuvent s'élever entre l'usager qui prétend que la recrue d'une coupe de bois est déjà assez élevée pour être défensable, et le propriétaire qui soutient le contraire, font naître une question de propriété qui doit être dans le domaine de la justice ordinaire : la connaissance qui en est attribuée à l'administration forestière est donc contraire à l'ordre public de nos juridictions.

Nous ne concevons pas comment des administrateurs forestiers que la loi n'a revêtus d'aucune autorité juridictionnelle, même dans les matières soumises à leur administration, pourraient se trouver constitutionnellement juges d'une question d'intérêts privés, même touchant des choses qu'ils ne sont point chargés d'administrer.

Sans doute les agens forestiers sont bien les experts les plus éclairés que la justice pourrait consulter sur les questions de cette nature; mais cela suffit-il pour que les administrateurs géné

raux puissent être régulièrement constitués juges de la matière?

L'agent forestier, chargé de reconnaître l'état d'une coupe, n'est point infaillible; il peut se tromper; il peut même avoir de la complaisance ou pour l'usager, ou pour le propriétaire, et son rapport inexact ou infidèle entraînera nécessairement une décision injuste de la part de l'administration générale qui ne peut rien voir de plus que ce rapport; et alors quel parti prendre contre cette décision? faudra-t-il que le propriétaire souffre la dégradation de son bois, ou que l'usager reste indéfiniment privé de l'exercice de son droit? La loi accorde bien deux degrés de juridiction; mais quel est le tribunal d'appel chargé de réformer la sentence d'une administration qui n'est constitutionnellement revêtue d'aucune autorité juridictionnelle?

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Nous terminerons ce chapitre en observant que, suivant l'article 15 de la loi du floréal an 11, citée plus haut, les gardes préposés par les particuliers à la conservation de leurs bois, doivent, avant de pouvoir entrer en fonctions, être agréés par le conservateur forestier, sauf, en cas de refus de la part de celui-ci, le recours au préfet, et qu'ils doivent aussi avoir été assermentés pardevant le tribunal de première instance.

CHAPITRE LXXV.

De l'Origine primitive des droits d'usages ordinaires dans les forêts privées.

3042.

SAUF AUF quelques cas particuliers que nous aurons occasion de signaler, le droit d'usage dans les forêts n'est pas un droit purement personnel comme celui dont les règles sont spécialement tracées dans le code civil; mais bien un droit d'usage-servitude réelle, établi sur les forêts pour l'avantage et l'utilité d'autres fonds.

Cette matière est de la plus haute importance non-seulement parce qu'elle a pour objet la jouissance, l'administration et la conservation des forêts, combinées avec ce qu'exigent les besoins de l'agriculture; mais encore parce qu'elle porte sur des intérêts graves et multipliés, qui sont ceux d'un nombre immense de communes et d'habitans de campagnes.

Déjà nous avons traité, au chapitre soixanteneuf, de la nature du droit d'usage que les habitans d'une commune exercent sur les bois et autres fonds communaux qui appartiennent à cette commune considérée comme corporation propriétaire.

Ici il ne s'agit principalement que des droits d'usages qui sont exercés par les habitans des lieux, sur des forêts autres que celles qui peuvent appartenir aux corporations communales dont ils sont membres.

Déjà aussi nous avons parlé dans la section 2, §. 1 du chapitre 67, de la manière dont la féodalité s'était établie sur notre sol, lors de l'invasion des Francs; et nous avons fait voir comment cet établissement avait, par la suite, servi de base à l'opinion de plusieurs auteurs qui ont soutenu que toutes les propriétés foncières des communes, sans exception, leur venaient des concessions anciennement faites par les seigneurs; opinion que nous avons réfutée en démontrant au contraire que tous les fonds communaux devaient être présumés propriétés natives des com

munes.

Il n'en est pas de même des droits d'usage autres que ceux que les habitans exercent sur leurs communaux : ces droits ne peuvent être des propriétés natives; leur établissement suppose au contraire que les propriétaires primitifs et fonciers ont été dépouillés de la propriété du sol, pour se voir réduits à l'état d'usagers, ce qui nous ramène naturellement à jeter encore un coup d'oeil sur les suites de l'ancienne invasion et de l'établissement des fiefs en France, pour indiquer, de la manière la plus démonstrative, que l'origine des droits d'usage dans les forêts se rattache positivement à l'invasion des Francs et à l'établissement des fiefs sur notre sol.

un

3043. Il y a des choses de principe sur lesquelles on ne peut trop insister; et celle-ci est du nombre, parce qu'elle doit être comme flambeau de justice pour attribuer, avec équité, le lot qui revient à chacun dans les contesta

tions fréquentes qui ont lieu sur cette impor

tante matière.

Ainsi, dussent quelques lecteurs nous reprocher de revenir encore sur un point historique qui nous a déjà occupés plus haut, nous allons encore, par de nouvelles preuves, faire voir que les anciens fiefs, supprimés par les lois de la révolution, avaient été enfantés par la conquête des Gaules, et que leur création n'avait eu lieu qu'au moyen de l'usurpation des terres, prises d'abord sur les anciens habitans, et ensuite partagées par les Rois de la première race aux divers officiers de leurs armées, et concédées quelquefois aussi à des évêchés et des monastères.

Si nous remontons jusqu'à saint Grégoire de Tours qui vivait au milieu de ces grands événemens, et si nous consultons les auteurs da même âge, dont les écrits ont été réunis dans le recueil des historiens des Gaules, nous voyons qu'en général les Francs sont peints, dans ces histoires, comme dévastant le pays par eux conquis, et s'emparant de tout le butin qu'ils pouvaient y faire. Nous y voyons aussi que leurs Rois ont fait à ceux qui les servaient de grandes concessions de terres, et qu'après leur conversion au christianisme, ils ont accordé de riches dotations en fiefs à des évêchés ou abbayes et à divers monastères or ils n'auraient pu faire ces concessions et dotations foncières, s'ils n'en avaient préalablement dépouillé les anciens possesseurs.

Aimoin rapporte que Clovis ayant étendu son royaume jusqu'au cours de la Seine et à celui

TOM. VI,

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