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portent dans les départemens les torches du fanatisme; quand des rebelles émigrés tarissent dans l'intérieur les sources de confiance et de richesses, et appellent du dehors tous les fléaux sur leur patrie; quand les puissances, conjurées à leurs prières, menacent la France d'un envahissement; quand tout annonce la ruine, l'Assemblée législative ne désespère pas du courage national; elle se refuse à toute transaction honteuse; elle décrète la guerre ! Et si quelques revers inévitables suivent cette grande décision, l'injustice seule peut l'en rendre responsable; reconnaissons plutôt qu'elle a sauvé la France du réasservissement, et donné le signal de triomphes immortels!

On citera les orateurs de l'Assemblée constituante; on nommera l'immense Mirabeau; mais Mirabeau fut l'homme unique: les Thouret, les Barnave et les Duport, les Lameth, les Beaumetz et les Chapelier, les Cazalès et les Maury ont-ils donc laissé veuve la tribune nationale en la cédant à Vergniaud, Guadet et Gensonné, à Brissot et à Isnard, aux Pastoret, aux Vaublanc, à Condorcet enfin'; eux aussi ils vont lancer les foudres de l'éloquence!

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Constitution et à ses auteurs.

1. Octobre 1791. - Il est dix heures ; le peuple remplit les tribunes, impatient d'accueillir et d'encourager les nou

(1) L'ère de la liberté prit naissance sur les ruines de la Bastille; le patriotisme l'adopta. Cependant l'ère vulgaire continuait d'être seule

veaux dépositaires de ses droits. D'honorables citoyens, qui la veille encore étaient membres de l'Assemblée constituante, viennent se perdre dans la foule : mais le peuple les a vus, ils ne peuvent se dérober à sa juste reconnaissance. A ces applaudissemens succèdent ceux que provoquent la confiance et l'espoir; les citoyens députés à l'Assemblée législative ont paru; ils occupent le sanctuaire des volontés nationales.

M. Camus, ex-membre de l'Assemblée constituante, avait été nommé par elle archiviste des législatures: en cette qualité il se présente au bureau ; il donne lecture du décret de

employée sur la plupart des actes et papiers publics; les procès verbaux mêmes de l'Assemblée constituante ne portaient que l'ancien style : le jour de la première Fédération (1790), anniversaire du 14 juillet, on lut pour la première fois en tête du Moniteur: seconde année de la liberté. L'usage de la nouvelle ère, dès lors plus fréquent, se répandit encore davantage lorsqu'il fut adopté par l'Assemblée législative, dont le premier procès verbal joint au vieux style l'ère de la liberté. Toutefois il n'était pas devenu général, aucune loi ne le prescrivant l'Assemblée législative la consacra enfin par un décret, qui fait remonter à six mois plus haut la naissance de la liberté.

Le 2 janvier 1792, à la lecture du procès verbal, une discussion s'élève sur la rédaction de sa date, qui porte quatrième année de la liberté; on fait observer que la troisième année ne sera révolue qu'au 14 juillet. MM. Dorizy et Ramond demandent qu'on fasse commencer l'ère de la liberté au 1er janvier 1789, « parce que, disent-ils, dès les >> premiers jours de janvier les Français avaient rédigé leurs cahiers, » avaient obtenu pour ce qu'on appelait alors tiers-état la double » représentation; parce qu'ils avaient déjà donné des preuves de cette » énergie et de cet ardent amour pour la liberté qui les a depuis carac» térisés, et principalement parce que les merveilles opérées pendant >> les six derniers mois de 1789 peuvent bien les faire regarder comme une » année entière. » —M. Rouyer oppose « que le 14 juillet est le jour où >> nos fers ont réellement été brisés, et qu'il doit par conséquent commen» cer l'ère de notre liberté ; que l'on risque en adoptant un autre jour » d'affaiblir le souvenir de la victoire que les Français remportèrent » alors sur le despotisme. » (Expressions du procès-verbal.)

L'Assemblée adopte la proposition de M. Ramond; elle décrète « que l'ère de la liberté commence au premier janvier 1789, et que » tous les actes publics porteront à l'avenir, immédiatement après la » date de l'ère vulgaire, celle de notre liberté. »

VII.

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convocation et des dispositions constitutionnelles qui règlent les premières formes à remplir dans la circonstance; il fait ensuite un appel nominal, dont le résultat est que les membres présens sont au nombre de quatre cent trente-six : on applaudit; ce nombre dépassait de soixante-trois celui voulu par la loi pour que l'Assemblée se constituât. Aux termes du même acte les députés se forment en assemblée provisoire sous la présidence du doyen d'âge, afin de procéder à la vérification des pouvoirs. M. Batault, de la Côte d'Or, est le membre qui compte le plus d'années; il a soixanteneuf ans; M. Batault est proclamé président. MM. Dumolard, de l'Isère, et Voisard, du Doubs, n'ont que vingt-cinq ans; ils sont nommés secrétaires. L'Assemblée se partage en bureaux pour la vérification des pouvoirs.

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Du 2.-Les bureaux font leur rapport. D'après les difficultés élevées sur quelques nominations le nombre des députés présens est réduit à trois cent quatre-vingt-quatorze ; mais il n'en faut que trois cent soixante-treize pour que la législature se contitue l'Assemblée se déclare Assemblée nationale législative. Par un mouvement spontané tous les membres se lèvent, et prononcent d'une voix le serment de vivre libre ou mourir; il est répété par les tribunes au bruit de vifs applaudissemens: on entend quelques cris de vive le roi ; ceux de vive la nation sont nombreux.

Cependant la prestation du serment, soit en masse, soit individuellement, ne devait avoir lieu qu'après l'entière formation de l'Assemblée : les représentans se retirent dans les bureaux pour nommer au scrutin les président, viceprésident et secrétaires.

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Du 3. Sont élus au scrutin et proclamés président M. Pastoret, député de Paris; vice-président, M. Ducastel, député de la Seine-Inférieure; secrétaires, MM. François (de Neufchâteau), député des Vosges, Garan-Coulon, Cérutti, Lacépède, Condorcet, députés de Paris; Guyton-Morveau, député de la Côte-d'Or.

L'Assemblée décrète, sur la proposition de M. Jahan, que les présidens ne feront point de discours soit en prenant, soit en quittant le fauteuil : l'Assemblée constituante avait rendu un pareil décret le 4 janvier de la même année, après avoir entendu jusque là un grand nombre de complimens d'installation et de retraite.

Du 4.-Le président annonce que l'ordre du jour est la double prestation du serment, que les représentans doivent d'abord prononcer tous ensemble au nom du peuple français, puis individuellement : cette obligation, si douce à remplir, va donner lieu à un touchant hommage rendu à la Constitution et à ses auteurs. M. Michon-Dumarais prend la parole :

« Messieurs, dit-il, nous allons procéder à un acte bien auguste; ne serait-il pas convenable de donner à cette cérémonie un appareil, une solennité qui caractérisât son importance? Je demande que l'acte constitutionnel en original soit apporté dans le sein de l'Assemblée, et que ce soit la main appuyée sur ce livre sacré que chacun prête le serment. » (Applaudissemens.)

L'Assemblée adopte la motion de M. Michon-Dumarais. Quelques débats s'élèvent sur la manière dont l'acte constitutionnel sera apporté : M. Quesnay veut qu'un dépôt aussi précieux ne soit confié qu'à des membres de l'Assemblée, et il propose de l'envoyer chercher par le vice-président et trois secrétaires; M. Lasource s'étonne de tant d'importance, et pense qu'il suffit que l'archiviste soit chargé de cette fonction; — C'est aux vieillards, dit M. Mazancourt, qu'appartient un tel honneur, et je le réclame pour eux.-On applaudit, on adopte douze vieillards se rendent aux archives; à leur tête est le vice-président; des huissiers les accompagnent.

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Ils reviennent dans le même ordre; au milieu d'eux est l'archiviste, portant le livre de la Constitution... A cette vue un saint respect s'empare des esprits et comprime l'en

thousiasme. Un huissier dit : « Messieurs, j'annonce à l'Assemblée l'acte constitutionnel. » L'Assemblée était debout; tout le monde se découvre.

Un des vieillards. «O vous, peuple français, citoyens de Paris, toujours grands et fermes dans les circonstances difficiles, frères généreux, et vous, citoyennes vertueuses et savantes, qui exercez ici la plus douce influence, voilà le gage de la paix que la législature vous prépare! Nous allons jurer sur ce dépôt de la volonté du peuple de vivre libres ou mourir, et de défendre la Constitution jusqu'à la fin de notre existence... >> (Ces derniers mots excitent quelque mouvement dans une partie de l'Assemblée.)

Conformément à la Constitution, les représentans prononcent tous ensemble, au nom du peuple français, le serment de VIVRE LIBRE OU MOURIR. La salle retentit d'applaudissemens.

On se prépare à passer au serment individuel. M. Goujoni craint les restrictions mentales; en conséquence il propose, et l'Assemblée décrète que chaque membre, au lieu de se borner aux mots : je le jure, prononcera le serment dans toute son étendue. Plusieurs voix s'élèvent pour demander que pendant cette opération il ne reste dans la salle aucun homme armé : la garde se retire. Jamais la religion du serment n'inspira plus de précautions: un membre voulait que le serment, imprimé en gros caractères, fût placé à demeure au-dessus du bureau du président; un autre que le moment de la prestation fût annoncé au bruit du canon. M. LecointePuiravaux combattit ces propositions en rappelant l'histoire des Athéniens: « tant qu'ils se bornèrent à prononcer leur serment ils y furent fidèles; dès qu'ils le gravèrent sur leurs étendards il y eut beaucoup de transfuges. » L'Assemblée passe à l'ordre du jour.

Le président quitte le fauteuil; il monte à la tribune, et, la main droite étendue sur l'acte constitutionnel, que tient l'archiviste, il prononce le serment, successivement repété en entier et de la même manière par chacun des

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