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la vigueur de son tempérament. Il consigna dans son Voyage les affreux détails de cette déportation, et donna la liste des prêtres qui succombèrent. Il y parloit d'eux avec cet intérêt que devoit inspirer la seule humanité, mais que redoubloit encore le spectacle de leur patience et de leurs vertus; et il donnoit, à plusieurs de ces honorables victimes, des éloges et des regrets bien mérités. Voyez le compte que nous rendîmes de son ouvrage, dans les Mélanges de philosophie, tom. V, page 19. Nous y remarquâmes que le livre de M. Pitou pouvoit fournir des renseignemens curieux aux historiens des persécutions du clergé dans ces temps désastreux, et en même temps nous regrettâmes qu'il y eût mêlé tant de choses disparates, tant de jugemens bizarres, tant de détails peu châtiés, tant d'inconséquences. Le même homme qui louoit le courage des confesseurs de la foi, qui avoit pu recueillir de leur bouche mourante les leçons les plus persuasives, qui avoit été frappé de leur charité et de leur résignation, parloit ensuite de la religion de manière à faire douter s'il en connoissoit les premiers élémens. A l'entendre, la religion du Christ n'exigè de l'homme que l'observance de la loi naturelle dégagée des entraves théologiques de l'école. Il disoit aussi : Si Helvétius, Diderot, Voltaire et Rousseau recommençoient aujourd'hui leur carrière, ils se plaindroient de n'avoir point été entendus, et se trouveroient d'accord avec les principes de la théologie et de la raison. M. Pitou he s'étoit pas donné la peine de nous expliquer ses conjectures et de nous prouver ses assertions; il auroit bien fait sans doute de nous faire grâce des unes et des autres. Il n'est pas très-fort en raisonnemens, ni très-habi e en théologie, et il auroit ces avantages,

qu'il lui manqueroit encore un style pour se faire entendre. Il n'est pas toujours aisé de démêler sa pensée à travers la longueur, l'obscurité et l'entortillage de ses phrases.

Toutefois, il semble que ces défauts sont un peu moins marqués dans l'Analyse de ses malheurs. Il ne faut pas trop chicaner sur un pareil titre, qui n'est pas rigoureusement correct; on fait l'Analyse d'un discours, et non pas celle de ses malheurs. Il ne faut pas non plus en vouloir à M. Pitou du ton dont il parle de lui-même. Il vous dit sans façon qu'il a honoré ses malheurs, et que ses malheurs l'ont honoré. Il rappelle naïvement sa renommée, sa réputation, sa célébrité comme chanteur, et les services qu'il a rendus à la cause royale. Il raconte tous ces malheurs les pièces à la main. Le 1er octobre 1793, il fut mis en prison, et le 31 décembre on l'envoya à la Conciergerie. Traduit au tribunal révolutionnaire le 5 mai 1794, il fut acquitié, quoiqu'on n'ac quittât guère à cette époque fatale. En 1796 et 1797, il se fit chanteur, et, en dépit de la morgue et de l'étiquette, comme il le dit lui-même, il s'installoit le soir sur les places publiques, pour y chansonner la république et les républicains. Arrêté plusieurs fois, et relâché ensuite, il fut enfin arrêté une dernière fois, le 31 août 1797, Le Directoire, qui n'entendoit pas plaisanterie, mit le chanteur en jugement, et le tribunal criminel voulut bien commuer la peine de mort en celle, de la déportation; ce qui fut confirmé par le tribunal de cassation. M. Pitou fut donc envoyé à Rochefort, et de là à Caïenne, d'où il ne revint qu'au bout de trois ans, pour être enfermé de nouveau. Il passa dix-huit mois à

Samte-Pélagie, jusqu'à ce qu'ayant écrit au premier consul, qui par hasard se trouvoit ce jour-là de belle humeur, il obtint, le 8 septembre 1803, des lettres de grâce. il assure qu'en reconnoissance de ce bienfait, il a sauvé la vie à Buonaparte en 1809. Nous aurions été curieux de savoir comment.

M. Pitou termine son Analyse par des réflexions philosophiques qui semblent annoncer que le malheur lui a été profitable. Il parle couvenablement de l'Ecriture sainte, de la foi, de l'éternité. Il s'écrie quelque part: Malheur à l'impie à qui tout prospère ! Tenté un jour de désespoir, et prêt à se jeter dans la Seine, il s'arrêta, en se rappelant un passage de Job. Il aime beaucoup ce livre; il lit la Bible; il songe à la mort. Il n'a pas craint, à ce qu'il nous assure, de professer

ces sentimens devant un homme d'une affreuse renommée, avec lequel il se trouva à Sainte-Pélagie, en 1802, et qui, trop coupable pour être tranquille, s'indignoit de la gaité de M. Pitou. Nous finirons en souhaitant à ce dernier de se fortifier de plus en plus dans ces louables sentimens, et de recueillir de plus en plus le fruit de tant de traverses. S'il ne lui est pas donné d'être un écrivain bien correct, il peut aspirer à quelque chose de plus utile pour lui; et le repos après tant d'agitations, le souvenir des exempies de verta qu'il a eus sous les yeux, une connoissauce plus parfaite de la religion, et la pratique des devoirs qu'elle imposé, tout cela vaut mieux que la satisfaction de parler de soi et de ses malheurs, et inême que la gloire de faire des livres.

NOUVELLES ECCLÉSIASTIQUES.

PARIS. Le nouveau nonce en Suisse, Mgr. Charles Zeno, archevêque de Chalcédoine, est arrivé à Lugano le 25 octobre. On lui a fait une réception brillante. Le prélat célébra, le lendemain, la messe dans l'église collégiale de Saint-Laurent, et continua sa route pour Lu

cerne.

Un journal a publié un extrait des journaux anglois sur une assemblée des évêques catholiques de l'Ulster, en Irlande, présidée par l'archevêque primat, O'Reilly. Cette assemblée, tenue à Drogheda le 28 octobre, avoit, dit-on, pour objet de prendre en considération l'objection faite par le souverain Pontife contre le décret de la congrégation qui nomme le révérend Edouard Kernan coadjuteur de Clogher. On y a pris des résolutions en faveur de cet ecclésiastique, dont le primat, les évêques, et une partie du clergé du second ordre, approuvent la nomination. Mais nous croyons que cette affaire est mal présentée par les journaux anglois, qui sont étrangers aux usages du saint Siége et à la discipline de l'Eglise. La congrégation dont il est ici question seroit sans doute la congrégation de la Propagande; mais il n'est nullement vraisemblable que S. S. s'opposát à l'exécution de ses décrets, qui ne sont rendus que sur les ordres et d'après les intentions du saint Père. Il y a probablement ici quelque malentendu.

On apprend de Bardstown, dans le Kentuckey, qu'on y a posé la première pierre de la nouvelle cathédrale catholique. L'évêque, M. Flaget, a fait la cérémonie, assisté de son clergé. M. David, son grand vicaire, a prononcé un discours à cette occasion, et l'évêque lui-même a remercié affectueusement les habitans de l'accueil amical qu'ils lui ont fait, et de leurs

libéralités envers son siége épiscopal. Beaucoup de citoyens de Bardstown et des environs assistoient à la cérémonie. L'on remarque que la Gazette publique, qui en rend compte, fait un grand éloge de la charité et du zèle du vénérable prélat. Les protestans eux-mêmes ne peuvent s'empêcher d'en être touchés, et leurs préventions contre la religion catholique diminuent de jour en jour.

LYON. L'histoire publiera, et, quand elle se tairoit, nous n'oublierons jamais les désastres de nos concitoyens à une époque sanglante, et les atroces exécutions commises en notre ville. C'est donc moins pour rappeler ces douloureux souvenirs que pour offrir quelque hommage à la mémoire de nos frères, et appeler sur eux les prières de la religion, qu'il a été résolu d'élever un monument, aux Broteaux, sur le sol qui en vit périr un si grand nombre. Ce lieu doit être fermé à la profanation, et consacré par les bénédictions de l'Eglise. Le projet en fut formé aussitôt après la restauration. S. M. a autorisé les hospices à aliéner le terrain destiné à l'emplacement de ce monument, et S. A. R. MONSIEUR a bien voulu poser la première pierre. Ce prince s'est mis en tête des souscripteurs, et MADAME en a honoré aussi la liste de son nom. A son dernier passage par notre ville, Mr. le duc d'Angoulême a entendu avec intérêt des détails sur ce projet, et a témoigné en souhaiter vivement l'exécution. Une croix vient d'être placée sur le sol acquis, et on l'a enclos provisoirement par des fossés. Les plans de l'église ne sont point encore arrêtés. On désire qu'elle soit d'un genre simple et noble à la fois; qu'il n'y soit établi qu'un autel; qu'il y ait un caveau voûté destiné à recevoir les ossemens que l'on pourra recueillir dans ce lieu fatal, et qu'il s'y trouve aussi un logement pour le chapelain qui desservira la chapelle. Des artistes sont appelés à donner leurs vues sur l'exécution. Une souscription est ouverte pour faire face à ces dépenses. Lors des désastres de notre ville,

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