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taines conditions non-sculement pour que le gain soit licite, mais encore pour qu'on puisse le conserver en justice.

I. Le jeu est soumis aux règles générales des conventions. Il demande donc la capacité nécessaire, un consentement libre, un objet dont on puisse disposer, et une cause licite.

C'est une grande question de savoir si les personnes civilement incapables sont tenues en conscience d'acquitter les dettes de jeu. Beaucoup de théologiens croient que les mineurs, les interdits, les femmes sous la puissance de mari, ne sont pas obligés de les acquitter. D'autres théologiens sont d'avis que le droit naturel leur en fait une obligation. Quant à nous, nous distinguerions un gain modéré, proportionné à la condition du joueur civilement incapable, d'une perte excessive: la première espèce de gain produit certainement une obligation naturelle, conformément aux principes développés au mot OBLIGATION, n. 13. Si le jeu est immodéré, nous pensons que l'incapable peut recourir aux tribunaux pour faire annuler la dette, et suivre en corscience la sentence, parce que si le mineur ou l'interdit n'avait pas ce pouvoir, la loi n'aurait pas atteint le but qu'elle se proposait.

Plusieurs théologiens croient que presser vivement quelqu'un à jouer ou à continuer le jeu plus longtemps qu'il ne le voudrait, c'est une injustice qui oblige le gagnant à restitution. Nous croyons que lorsqu'on n'emploie aucun moyen frauduleux, qu'on laisse la liberté morale, il n'y a aucune obligation de restituer.

3. II. Il y a des conditions qui ressortent de la nature du contrat de jeu, ou des conventions qu'on a pu y mettre. Il est un principe qui domine toute la question, c'est qu'il doit exister une égalité entre les chances des joueurs. C'est en effet sur cette égalité que repose l'espèce de convention qui nous occupe. Or, trois choses peuvent détruire cette égalité: 1o l'inégalité de force des joueurs ; 2 la fraude; 3° les fautes et les erreurs. Il est nécessaire de dire quand et comment ces trois causes peuvent vicier ou annuler la convention tacite du jeu.

4. 1 L'égalité de force entre les joueurs est une conséquence de la nécessité de l'égalité de chance. « Le gain serait donc injuste à raison de l'inégalité, disent les Conférences d'Angers (Conf. x1, sur les Contrats), car l'égalité doit se trouver dans tous les contrats; et le jeu ne peut valoir pour le gain et la perte qu'en qualité de quasi-contrat. C'est une conduite plus condamnable encore de cacher dans les commencements son adresse et sa supériorité, pour inspirer de la confiance à celui avec lequel on joue, et l'engager à risquer davantage pour faire un gain plus considérable.

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« Mais lorsque le joueur, plus adroit et plus habile, prévient avec bonne foi de sa supériorité celui qui s'expose à jouer avec lui, on pourrait peut-être penser que celuici mériterait de porter la peine de sa témé

rité. Cependant Pothier, n. 2, revient ici, avec raison, au principe constant de l'égalité; il croit donc que la perte du joueur le plus faible doit être bornée à la somme qui aurait pu être exposée des deux côtés pour compenser l'égalité. Ce qui néanmoins ne peut s'entendre que des jeux mixtes et des jeux d'adresse, où certaines circonstances peuvent se joindre, qui peuvent rendre l'habileté inutile. Il suppose donc que, dans un jeu mixte, l'habileté de l'un est double de celle de l'autre joueur. Le risque est conséquemment double du côté de celui-ci. Ainsi, pour établir l'égalité entre les deux joueurs, il faut que celui qui est le moins habile n'expose au jeu que la moitié de la somme qu'y met le plus habile; le risque devient égal proportionnellement aux forces de l'un et de l'autre. Car enfin, quelque grande que soit la supériorité, on n'est pas sûr de la victoire ; un mauvais jeu trop continu peut rendre l'habileté inutile. Il y a donc toujours quelque risque des deux côtés; mais comme il est moitié moins grand du côté de celui qui est plus habile, tout est compensé lorsque celui qui l'est moins n'expose que la moitié de ce que l'autre risque. Ainsi, dans ces circonstances, le plus habile ne peut légitimement gagner que la moitié de ce que l'autre peut y perdre lui-même (Pothier, n. 21). Au reste, cette supériorité, que nous calculons ici, ne se connaît pas si aisément dans la pratique ; dans les petits jeux, on n'y fait pas beaucoup d'attention, et elle n'en mérite que lorsqu'elle est certaine et dans un degré qui puisse changer notablement le sort d'un jeu où des sommes considérables sont exposées. Il est dans divers jeux des avantages qu'on peut accorder au plus faible, et qui rétablissent les choses dans une égalité suffisante.

<< Lorsque deux joueurs ignorent leurs forces, Barbeyrac croit que, tout s'étant passé de bonne foi, la supériorité est sans conséquence pour la première partie, parce que tous deux ont couru le même risque de trouver quelqu'un plus habile. Pothier, n. 24, ne s'écarte point encore ici de la nécessité de l'égalité; il compte pour rien ce risque étranger, et qui ne forme point la substance du contrat. Il trouve donc celui dont il s'agit essentiellement vicieux par le défaut d'égalité dans le risque intrinsèque de la perte et du gain; etil le juge réformable et réduc-tible de la manière que nous venons de le marquer. »

Ces principes nous paraissent un peu sévères : nous croyons qu'un joueur ayant la libre disposition de son bien, peut le donner et l'exposer à telle condition qu'il juge convenable. Dès lors qu'il accepte le jeu, quoiqu'il connaisse son infériorité, il donne par là même à l'autre la partie correspondante à son infériorité. Aussi, lorsqu'il y a pleine et entière liberté des deux côtés, que la position des deux joueurs est complétement connue, nous n'obligerions pas à restitution celui qui a l'avantage de la supériorité.

5. 2° « Quand on a usé de fraude au jeu, disent les Conférences d'Angers (Ibid.), soit

en n'observant pas les règles du jeu, soit en se servant de cartes marquées, ou de dés pipés, ou en feignant de ne savoir pas jouer, et se laissant gagner au commencement, et déployant ensuite toute son adresse et toute sa science, pour gagner l'argent à celui qui s'est laissé tromper (ou en jetant avec dessein les yeux sur le jeu de son adversaire), on est étroitement obligé en ce cas de restituer, car en toute convention on doit agir avec sincérité et fidélité, sans user de dol ou supercherie si on en use, on ne peut en profiter, suivant la règle de droit: Nemini sun fraus patrocinari debet. En ce cas, tous ceux qui ont été complices de la tromperie sont obligés solidairement à la restitution, nonseulement de ce qu'on a gagné, mais encore de ce que celui qu'on a trompé eût gagné luimême (Contrats aléatoires, Jeu, n. 28). Elle doit être faite en ces deux derniers cas à celui dont on a gagné l'argent. »

Il s'est élevé une question entre les docteurs, c'est de savoir s'il peut exister une convention, soit expresse, soit tacite, de fraude. Plusieurs docteurs croient que cette convention serait injuste. La loi romaine défendait de semblables pactes (L. 7, § 3, ff de Pactis, n. 12). Il est certain que de telles conventions sont toujours dangereuses, la source de disputes, et qu'elles peuvent faire contracter l'habitude de la fraude, dont il est difficile de se défaire dans la suite. Nous ne croyons pas, malgré cela, que, dans le cas de convention expresse, il y ait obligation de restituer pour la fraude, parce que les joueurs, étant libres de leur bien, ont pu le donner, à la seule condition qu'on le prendrait adroitement.

Nous observerons que la fidélité est si nécessaire au jeu, que si l'on s'aperçoit que celui contre qui l'on joue y manque de son côté, on n'a pas droit pour cela de se défendre de la fraude par la fraude. Tout ce qu'on peut faire, c'est de rompre la partie et de quitter le jeu.

3. Pour juger si les fautes, les méprises et les erreurs peuvent être imputées au joueur, il faut consulter les conventions spéciales ou les règles ordinaires du jeu. « Si c'était la règle du jeu ou de conventions particulières, disent les Conférences d'Angers, que nous avons déjà citées, de ne point imputer les méprises d'un joueur, soit à son profit, soit à sa perte, MM. Barbeyrac et Pothier (Conf. de Chartres, pag. 379) font aux joueurs une obligation de justice de s'avertir mutuellement, lorsque l'un d'eux se trompe sur ses avantages, comme on ne manque pas de le faire lorsqu'il compte plus qu'il ne faut ; et la dissimulation dans cette circonstance préjudiciable au perdant, qui sans cela eût gagné, oblige à la restitution non-sculement de ce qu'il a perdu, mais de ce que sans cela il eût gagné (1). Dans les jeux ordinaires, les mé prises sont souvent pour ceux qui les font; le joueur Ini-même, le coup passé, ne peut

(1) Damna et interesse ex fraude et dolo non tantuin jacturam rei. sed etiam privationem rei spec

les réparer, quoiqu'il vienne à les apercevoir. Ceux qui sont présents, quoique inté ressés au jeu, n'ont pas le droit de l'en avertir, s'il n'en a été ainsi convenu. II y aurait néanmoins de la mauvaise foi et de l'injustice à le faire tomber volontairement dans une pareille erreur, ou à lui dissimuler la vérité quand il la demande. »>

ARTICLE II.

Des lois civiles concernant le jeu.

6. Le jeu est mis par le Code civil au nombre des contrats aléatoires. L'ancienne législation était très-sévère à cet égard. Une ordonnance de 1669 déclarait toute dette de jeu et toutes les obligations ou promesses faites pour le jeu, quelque déguisées qu'elles fussent, nulles et de nul effet, et déchargeait de toutes obligations civiles et naturelles.

Notre Code civil ne se montre pas aussi sévère : voici ses dispositions.

1965. La loi n'accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le payement d'un pari. (P. 410 et la note, 4755°, 477.)

Si la dette du jeu avait été déguisée sous forme de simple billet, on pourrait prouver par témoin qu'elle a le jeu pour cause, quel qu'en soit d'ailleurs le montant (C. roy. de Lyon, 21 décembre 1822). La cour de cassation a décidé, par arrêt du 29 décembre 1814, que les billets à ordre souscrits pour les deltes de jeu sont nuls.

1966. Les jeux propres à exercer au fait des armes, les courses à pied ou à cheval, les courses de chariot, le jeu de paume et autres jeux de même nature qui tiennent à l'adresse et à l'exercice du corps, sont exceptés de la disposition précédente. — Néanmoins le tribunal peut rejeter la demande, quand la somme lui paraît excessive.

Les jeux de billard ne sont pas comptés au nombre des jeux d'adresse (Ċ. roy. d'Angers, 13 août 1831).

1967. Dans aucun cas, le perdant ne peut répéter ce qu'il a volontairement payé, à moins qu'il n'y ait eu, de la part du gagnant, dol, supercherie ou escroquerie. (C. 1116, 1235; P. 405.)

La remise d'un billet à ordre n'est pas un payement (C. de Lyon, 22 déc. 1822).

7. Quant aux mineurs, ils n'ont pas besoin d'invoquer les dispositions des art. 1965 et 1967, soit qu'ils aient souscrit une obligation pour dette de jeu, soit qu'ils aient payé volontairement ; ils trouvent dans leur minorité même, comme la femme mariée dans la puissance maritale, ce droit de restitution, cette garantie, cette réparation de tout dommage que leur apportent les engagements qu'ils ne peuvent valablement contracter.

Le Code civil a tracé les règles que les juges doivent tenir pour les obligations contractées au jeu. Le Code pénal contient des dispositions répressives.

hasard, et y auront admis le public, soit librement, 410. Ceux qui auront tenu une maison de jeux de soit sur la présentation des intéressés ou affiliés, les banquiers de cette maison, tous ceux qui auront

tant, quantum mihi abest et lucrari potui. L. 13, § Reatum habere,

établi ou tenu des loteries non autorisées par la loi, tous administrateurs, préposés ou agents de ces établissements, seront punis d'un emprisonnement de deux mois au moins et de six mois au plus, et d'une amende de cent francs à six mille francs.-Les coupables pourront être de plus, à compter du jour où ils auront subi leur peine, interdits, pendant cinq ans au moins et dix ans au plus, des droits mentionnés en l'article 42 du présent Code. Dans tous les cas, seront confisqués tous les fonds ou effets qui seront trouvés exposés au jeu ou mis à la loterie, les meubles, instruments, ustensiles, appareils employés ou destinés au service des jeux ou des loteries, les meubles et les effets mobiliers dont les lieux seront garnis ou décorés. (P. 11, 40s., 42, 52, 475 5°, 477.) 411. Ceux qui auront établi ou tenu des maisons de prêt sur gages ou nantissement, sans autorisation légale, ou qui, ayant une autorisation, n'auront pas tenu un registre conforme aux règlements, contenant de suite, sans aucun blanc ni interligne, les sommes ou les objets prêtés, les noms, domicile et profession des emprunteurs, la nature, la qualité, la valeur des objets mis en nantissement, seront punis d'un emprisonnement de quinze jours au moins, de trois mois au plus, et d'une amende de cent francs à deux mille francs. (P. 40 s., 52 s.; comparez 60, 294; C. 2084 et la note.)

Les peines contenues dans cet article sont contre ceux qui tiennent des maisons de jeux de hasard dans des maisons spéciales; mais ces jeux peuvent être établis ailleurs que dans les maisons exclusivement destinées à cel usage. Ce n'est alors qu'une contravention de simple police. L'art. 475, n. 5, du Code pénal, punit d'une amende de 6 à 10 francs ceux qui auront établi ou tenu dans les rues, chemins, places ou lieux publics, des jeux de hasard. L'art 477 porte la confiscation des tables, instruments et jeux, fonds, etc. En cas de récidive, l'art. 478 prononce la peine d'emprisonnement pendant cinq jours au plus.

8. Malgré les prohibitions du Code que nous venons de citer, la loi de finance autorisait chaque année la mise en ferme des maisons de jeux de hasard. Mais à dater du 1er juillet 1838, la ferme des jeux de hasard a été interdite.

« La loi n'empêche pas, dit M. de Chabrol, l'établissement de maisons où l'on peut se réunir pour se procurer la récréation et le délassement que l'on trouve dans le jeu, alors qu'il n'y a rien que d'honnête; mais ces maisons de jeu doivent être autorisées. Des arrêtés particuliers règlent dans chaque ville tout ce qui les concerne, fixent l'heure jusqu'à laquelle elles peuvent rester ouverles au public: ils ont force de loi pour les tribunaux, qui ne peuvent, sous quelque prétexte que ce soit, se dispenser d'appliquer aux contrevenants les peines portées contre eux. C'est ce qui résulte de la loi du 24 août 1790, qui investit l'autorité du droit de faire ces règlements, »

ARTICLE III

doivent mener les ecclésiastiques, et combien il les déshonore et les rend méprisables au peuple, s'est efforcée de leur en inspirer une forte aversion, en leur faisant, en divers conciles, des défenses de jouer aux dés et aux cartes, et à d'autres jeux de hasard, même en particulier, de se trouver dans les académies de jeu, de regarder jouer, d'avoir chez eux des dés ou cartes, ou autres instruments pour jouer aux jeux de hasard. Nous voyons ces défenses dans le concile général de Latran, tenu l'an 1215, sous le pape Innocent III (1), dans le concile d'Albi de 1254, dans celui de Béziers de 1255, dans celui de Saltzbourg de 1274, qui prononce, dans le 10 canon, une suspense contre les clercs qui jouent aux dés et autres jeux de hasard; dans celui de Bude de 1279, qui, dans le 8 canon, interdit aux clercs les jeux de hasard, et dans le 26 leur défend d'avoir chez eux des dés et autres instruments pour y jouer; dans le concile de Wirtzbourg de 1287; dans celui d'Angers de l'an 1448, tenu sous Bernard, archevêque de Tours, qui, dans le 6o canon, interdit à toutes sortes de les jeux défendus; dans celui de Tolède de personnes, et particulièrement aux clercs, 1473, qui défend, dans le 11 canon, aux clercs de jouer en public ou en particulier, (publice vel occulte); dans les conciles de Sens des années 1485 et 1528, et dans le concile de Trente, qui, dans la session 22, chapitre 1 de la réformation, renouvelant les ordonnances faites par les papes et les conciles touchant la vie réglée et honnête que doide s'abstenir des jeux de hasard, aleis el luvent mener les ecclésiastiques, leur enjoint de plus grandes, à la volonté des ordinaires.» sibus, sous les mêmes peines et même sous (Conférences d'Angers, conf. xi, sur les Contrals.)

La coutume a pu modifier profondément cette législation pénale. Aussi croyons-nous que chacun peut suivre l'usage de son pays, Dans les diocèses où la loi particulière interdit les jeux de hasard, on est tenu en conscience de s'y conformer. Dans les pays où la coutume interdit aux ecclésiastiques certains jeux sous peine de péché, ils doivent s'en abstenir; mais dans les lieux où il n'y règle les jeux des ecclésiastiques, ils peua aucune loi diocésaine ni de coutume qui vent se permettre ce que la raison et la conscience tolèrent à cet égard dans des laïques consciencieux.

observation importante. Ce que l'on appelle 10. Nous terminerons cet article, par une gros jeu ne peut être licite, parce que c'est exposer sa fortune, se créer des peines, soulever souvent des dissensions, et s'éloigner ainsi de la fin pour laquelle le jeu a été établi. Lorsque l'enjeu est modique, suffisant pour intéresser, on y trouve toujours de l'amusement, parce que la perte ne peut affecter beaucoup; mais il n'en est pas de même dans le gros jeu; on ne peut donc le regarder comme bounête.

Des lois ecclésiastiques concernant les jeux. 9. « L'Eglise, sachant combien le jeu de hasard est opposé à la sainteté de la vie que (1) Taxillis clerici non ludant, nec hujusmodi ludis intersint. In cap. Clerici, 2, de Vita et honestate cleri

corum.

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De la manière dont le jeûne a été observé chez les différents peuples.

2. 1o Le jeûne, chez les anciens Juifs, « ne consistait pas seulement à manger plus tard, dit l'abbé Fleury, mais à s'affliger en toute manière. Ils passaient le jour entier sans boire ni manger jusqu'à la nuit.... Ils demeuraient en silence dans la cendre et le cilice, et donnaient toutes les autres marques d'affliction. Les jeûnes publics étaient annoncés au son de la trompette comme les fêtes. Tout le peuple s'assemblait, à Jérusalem, dans le temple; aux autres villes, dans la place publique. On faisait des lectures de la Joi; et les vieillards les plus vénérables exhortaient le peuple à reconnaître leurs péchés et à en faire pénitence. On ne faisait point de noces ces jours-là, et même les maris se séparaient de leurs femmes

2« Les (premiers) chrétiens, continue le même auteur, jeûnaient plus souvent que les Juifs; mais la manière de jeûner était à peu près la même, renfermant les mêmes marques naturelles d'affliction. L'essentiel était de ne manger qu'une fois le jour, vers le soir, c'est-à-dire ne faire qu'un souper; s'abstenir du vin et des viandes les plus délicates et les plus nourrissantes, et passer la journée dans la retraite et la prière..... On croyait rompre le jeûne en buvaut hors le repas..... Dans les premiers temps, on ne comptait pour jeûnes d'obligation, dans la loi nouvelle, que ceux qui précédaient la Påque, c'est-à-dire le carême. L'Eglise les observait en mémoire de la passion de JésusChrist.... Il y avait d'autres jeûnes qui n'étaient que de dévotion: le mercredi de chaque semaine, les jeûnes commandés par les évêques pour les besoins extraordinaires des églises, ceux que chacun s'imposait par sa dévotion particulière. Le jeûne du mercredi et du vendredi, autrement des quatrième et sixième féries, se nommait station, nom tiré des stations ordinaires, et appliqué souvent aux autres jeûnes de dévotion.....

Ges jeûnes étaient différents, et l'on en comptait de trois sortes: les jeûnes de stations, qui ne doraient que jusqu'à none, en sorte que l'on mangeait à trois heures après midi on les nommait aussi demi-jeûnes; le jeûne de carême, qui durait jusqu'à vêpres, c'est-à-dire vers six heures du soir et le coucher du soleil ; le jeûne double ou renforcé (superpositio), dans lequel on passait un jour entier saus manger. On jeûnait ainsi le saDICTIONN. DE THÉOL. MORALE. I.

medi saint; quelques-uns y joignaient le vendredi. D'autres passaient trois jours, d'au tres quatre, d'autres tous les six jours de la semaine sainte, sans prendre de nourriture.....

« Je sais que l'on est aujourd'hui peu touché de ces exemples. On croit que ces anciennes austérités ne sont plus praticables. La nature, dit-on, est affaiblie depuis tant de siècles; on ne vit plus si longtemps; les corps ne sont plus si robustes. Mais je demanderais volontiers des preuves de ce changement; car il n'est point ici question des temps héroïques de la Grèce, ni de la vie des patriarches ou des hommes d'avant le déluge: il s'agit du temps des premiers empereurs romains, et des auteurs grecs et latins les plus connus. Que l'on y cherche tant que l'on voudra, on ne trouvera point que la vie des hommes soit accourcie depuis seize cents ans. Dès lors, et longtemps devant, elle était bornée à soixante-dix ou quatre-vingts ans. Dans les premiers siècles du christianisme, quoiqu'il y eût encore quelques Grecs et quelques Romains qui pratiquassent les exercices de la gymnastique pour se faire de bons corps, il y en avait encore plus qui s'affaiblissaient par les débauches, particulièrement par celles qui ruinent le plus la santé, et qui font qu'aujourd'hui plusieurs d'entre les Orientaux vieillissent de si bonne heure. Cependant, de ces débauchés d'Egypte et de Syrie sont venus les plus grands jeûneurs; el ces grands jeûneurs ont vécu plus longtemps que les autres hommes.

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3 « Le relâchement des fidèles a depuis forcé l'Eglise de permettre quelques adoucis. sements dans la pratique du jeûne. Du temps de saint Bernard, tout le monde sans distinction jeûnait encore, en carême, jusqu'au soir. Mais du temps de saint Thomas, c'est-à-dire il y a quatre cents ans, on commençait à manger à none, c'est-à-dire sur les trois heu res. On a depuis avancé l'heure du repas jusqu'à midi, et l'on a permis la collation le soir.>>

4 Les Grecs sont les plus grands jeûneurs de toute la chrétienté, et le jeûne leur paraît être l'œuvre la plus méritoire et la plus importante de toute la religion. Ils ont dans l'année quatre grands jeûnes, dont trois sont aussi longs que notre carême. Le premier commence le 15 de novembre, et finit à Noë!; le second est une préparation à la Pâque, et répond à notre carême; le troisième dure depuis la Pentecôte jusqu'à la fête de saint Pierre et saint Paul; le quatrième, qui commence le 1er d'août, est institué en l'honneur de l'Assomption de la sainte Vierge, qu'ils célèbrent comme nous le 15 de ce mois. Ce dernier jeûne, beaucoup moins long que les autres, est celui que l'on observe avec le plus de rigueur. Les moines alors ne se permettent pas même l'usage de l'huile. Les Grecs ont dans l'année plusieurs autres jours de jeune et d'abstinence, dont il serait trop long de faire l'énumération. Tous ces jeûnes sont pratiqués avec la plus grande fidélité par des hommes qui regardent l'infraction du jeûne comme un crime aussi grand que l'adultère

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et le vol. Ils ont sur cet article une doctrine si outrée, qu'il n'y a, selon eux, aucune raison qui puisse exempter du jeûne, ni aucune puissance qui puisse en accorder la dispense; et ils laisseraient plutôt périr un malade, que de lui donner un bouillon gras les jours de jeune et d'abstinence.

Chez nous, le vendredi et le samedi sont des jours où il n'est pas permis de manger de viande. Chez les Grecs, c'est le mercredi et le vendredi. Spon, voyageur et médecin, a compté cent trente jours dans l'année, dans lesquels il est permis aux Grecs de manger de la viande tous les autres jours sont consacrés à la pénitence.

La dévotion outrée ne va guère sans abus. Ces Grecs, si austères dans leurs jeûnes, se livrent à tous les excès de l'intempérance, lorsque les fêtes qui terminent les jeûnes sont arrivées; et, ce qu'il y a de plus déplorable, ces excès sont permis et approuvés chez ces grands partisans de l'abstinence et de la sobriété chrétienne.

5. Les Abyssins ont quatre carêmes: le grand, qui est de cinquante jours; celui de saint Pierre et saint Paul, qui dure environ quarante jours; le troisième, institué pour célébrer la fête de l'Assomption, n'est que de quinze jours; et le quairième, qui est celui de l'avent, est de trois semaines. Pendant tout le temps de leurs carêmes, ils ne commencent à manger qu'après que le soleil est couché, et peuvent prolonger leur repas jusqu'à minuit. Les œufs, le beurre, le fromage, leur sont alors interdits. Outre les temps prescrits, tous les mercredis et vendredis sont des jours destinés au jeûne. Ces jours-là ils ne manquent jamais de faire leurs prières avant de prendre de la nourriture; et ils sont si scrupuleux sur cet article, que les paysans et les ouvriers abandonnent même leur travail afin de pouvoir s'acquitter de ce pieux devoir. La vieillesse et la maladie ne sont point chez eux une raison suffisante de se dispenser du jeûne; ils y obligent même les enfants de dix ans.

Les moines enchérissent encore sur cette austérité quelques-uns ne mangent qu'une fois en deux jours; et, ce qui est presque incroyable, d'autres passent à jeun la semaine entière, et ne prennent de nourriture que le dimanche. Plusieurs passent ainsi principalement la semaine sainte.

6 Le jeûne est observé chez les Coptes avec la plus grande rigueur. Leur carême dure cinquante-cinq jours, et leur avent quarante-trois. Pendant tout ce temps, la viande, le poisson, les œufs, leur sont interdits. Ils ne mangent ni beurre ni huile, et l'eau est leur unique boisson. Ils demeurent la plus graude partie du jour sans prendre aucune nourriture, et ce n'est qu'un peu avant le coucher du soleil qu'ils font le seul repas qui leur soit permis. Les malades et ceux même qui sont menacés d'une mort prochaine ne sont point exempts de la loi rigoureuse du jeûne; et l'on n'en dispense

pas les enfants au-dessus de dix ans. On remarque que les Coptes regardent le samedi comme un jour de joie, dont la solennité ne doit point être troublée par l'austérité du jeûne. Ils prétendent qu'il est défendu par les saints canons de jeûner ce jour-là.

7o Les jeûnes que la loi prescrit aux juifs modernes sont presque tous institués en mémoire de quelque triste événement de l'histoire de leurs pères. C'est pourquoi il est d'usage que, le matin des jours de jeûne, on lise le récit du malheur pour lequel il a été ordonné. Le plus célèbre de tous ces jeûnes est celui que les juifs observent le 9 du mois d'au, ou d'août, en mémoire de l'embrasement du temple par Nabuchodonosor, et depuis, à pareil jour, par Titus. Le jeûne commence la veille, une heure avant le coucher du soleil. Depuis ce temps ils ne prennent aucune nourriture jusqu'au soir du lendemain, lorsque les étoiles commencent à paraître. Pendant ce jeûne, ils restent sans souliers, assis par terre, lisent les Lamentations de Jérémie, les livres de Job, ou quelques autres livres capables d'entretenir leur tristesse. Le sabbat qui suit ce jeûne est appelé néchama, ou consolation. On lit alors dans la synagogue ces paroles du prophète Isaïe: Consolezvous, consolez-vous, mon peuple, etc., qui flattent les juifs de la douce espérance de voir un jour rebâtir Jérusalem et le temple. En général tous les jeûnes des juifs commencent le soir, et ils restent sans manger jusqu'au soir du lendemain. Si quelque dévot, outre les jeûnes prescrits, veut s'en imposer un particulier, il dit, avant que le soleil se couche « J'entreprends de jeûner demain.» Cette formule est une espèce de vœu par lequel il s'engage à jeûner.

8° Le jeûne des Turcs consiste à ne manger quoi que ce soit depuis le lever jusqu'au coucher du soleil. « Le jeûne, dit le Catéchisme musulman, consiste à réprimer et à vaincre ses passions et ses appétits sensuels, c'est-à-dire à s'abstenir du boire, du man ger et de l'usage des femmes. Si une mouche ou un moucheron vous entrait dans le gosier; si vous vous faisiez saigner ou appliquer des ventouses, cela ne ferait aucun tort à votre jeûne, non plus que de vous oindre d'huile, ou de vous mettre du surmé (1) aux yeux. Il est aussi permis de mâcher du pain pour un enfant qui en a absolument besoin; nais il faut le rendre entièrement sans en rien avaler, autrement vous commettriez un péché..... Le jeûne est rompu en mangeant de la pierre, de la terre, de la toile ou du papier... Quand quelqu'un, suivant ses passions, rompt son jeûne en mangeant, ou en ayant commerce avec une femme, il doit, pour réparer sa faute, faire un repas à soixante pauvres, ou jeûner soixante jours, ou donner la liberté à un esclave pour satisfaire à la justice divine. Il choisira une de ces trois pénitences, outre laquelle il jeùnera un jour, pendant lequel il fera plus de prières qu'à l'ordinaire. »

(1) Préparation d'antimoine, dont les Orientaux se peignent les sourcils en noir.

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