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tions? Que peut-elle opposer à ceux qui ne voudraient pas lui obéir? Elle est un conseiller et non un maître; elle fait voir le bien, elle manque de moyens pour le faire pratiquer. Son prétendu empire ressemble à celui d'un souverain qui, dépourvu de tout moyen de coaction, s'en rapporterait à la sagesse de ses sujets pour l'observation de ses lois. Si les passions combattent les conseils, lequel des deux l'emportera? Qu'y at-il dans la raison isolée et indépendamment de l'autorité qui nous la rende plus obligatoire que la passion? Entre l'un qui me dit que telle action est louable, et l'autre qui me fait sentir que l'action contraire est agréable, quelle cause me fera préférer ce que je pense à ce que je sens, et la spéculation abstraite de mon esprit au sentiment ardent de mon cœur? Le dictamen de la passion est plus vif, plus impérieux et tout aussi pratique que celui de la raison.-Certes, il n'est pas un sage qui n'appelât insensé celui qui se fierait entièrement à la raison de son fils en fait de morale.

2e Système. V. Nous trouverons peut-être une meilleure ressource dans le senti nent moral, dans cette espèce d'instinct qui nous fait admirer, aimer la vertu et détester le crime. Sans contester ici la réalité de ce sentiment, peut-il raisonnablement être présenté comme la base de la morale ? n'avonsnous pas les mêmes reproches à lui faire qu'à la raison? Eclaire-t-il sur tous les devoirs? Sommes-nous portés par notre nature à les distinguer, à les mirer comme le chien du chasseur qui poursuit son gibier? Cette seule supposition est une absurdité. Le sentiment moral, cette espèce d'instinct, aurat-il la force de faire observer la loi, quand les passions et les intérêts contraires entraîneraient au vice? Il faudrait un goût bien décidé pour la vertu, pour se déterminer à la pratiquer dans ce qu'elle a de plus difficile, sans d'autre motif que l'amour qu'on lui porte. Et celui qui n'aurait pas ce goût, par quel ressort serait-il mû?

3 Système. Par les lois, disent nos profonds raisonneurs, par la crainte des supplices, et par l'espoir des récompenses que la société peut établir: l'homme en général craint plus le gibet que les dieux.-Mais toute législation humaine est nécessairement incomplète, incapable même de punir tous les vices qu'elle défend, et de récompenser tous les actes de vertu qu'elle prescrit.

VI. Si les principes des mœurs ne sont pas pris dans Dieu même et dans l'ordre qui l'a établi, et que sa providence maintient, on pourra bien faire des lois pour régler les actions des hommes et pour la police des sociétés, mais qui réglera son esprit, sa volonté et son cœur? et si l'esprit et le cœur ne sont pas réglés par une autorité supérieure qui leur puisse commander, s'en faire obéir, que deviendront toutes les institutions humaines? l'âme, partie principale de l'hom. me, sera sans règle intérieure, sans loi qui lui soit propre.

Si nous considérons la législation en elle

même, combien de lois absurdes, injustes, pernicieuses chez la plupart des peuples ! D'ailleurs, les lois sont impuissantes sans les mœurs. Les esprits rusés savent les éluder, et les hommes puissants pensent impunément les braver. I en a été de même dans tous les temps et chez toutes les nations.

Aucune société n'est assez puissante pour récompenser tous les actes de vertu qui peuvent être faits par ses membres; plus les récompenses sont communes, plus elles perdent de leur prix. Et puis le législateur distinguera-t-il toujours le véritable mérite? Comme cela arrive tous les jours, la vertu sincère ne demeurera-t-elle pas ignorée, oubliée, tandis que la faveur tombera sur les coupables et sur les hypocrites? Il n'y a qu'un tribunal où la vertu puisse espérer de trouver une appréciation et une récompense proportionnée à son mérite: c'est celui de Dieu, qui discerne sûrement la vérité, et ne fait ni faveur ni injustice.

4 Système. VII. Il y a enfin un quatrième principe de morale présenté par les incrédules, c'est l'intérêt personnel, le sentiment de l'honneur, le désir de la gloire, la crainte de s'avilir.-Remarquons d'abord que le principe de la morale doit être universel, qu'il doit s'étendre à tous les hommes et à toutes les actions. Combien de fois l'intérêt personnel ne commande-t-il pas le vice? Combien de fois la pratique de la vertu n'impose-t-elle pas de grands sacrifices? L'intérêt personnel soutiendra-t-il la vertu au milieu des railleries, des contradictions qu'elle est obligée d'essuyer? - Le sentiment de l'honneur est là, dit-on. Mais l'honneur ne parle pas à tous les cœurs; il y a des âmes qui y sont insensibles et qui ne reconnaissent d'autre bien que la satisfaction de leur intérêt personnel. Et d'ailleurs, l'honneur du monde est-il toujours d'accord avec les véritables principes? Qu'y aura-t-il donc pour soutenir dans le bien, quand on aura contre soi tous les intérêts possibles?

Nous sommes loin de méconnaitre que ces divers sentiments aient une grande influence sur les actions des hommes. Pour qu'ils soient légitimes et bien réglés, ils doivent être dirigés par la religion, qui est la véritable base de la morale.

§ II.

Du véritable fondement de la morale.

VIII. Tous les hommes véritablement sages ont enseigné que l'ordre moral repose essentiellement sur la Divinité. Et en effet Dieu en est la base la plus rationnelle, la plus solide, la plus appropriée à tous nos besoins.

Dieu a établi l'ordre le plus admirable dans toute la nature. Il a pourvu avec une merveilleuse sagesse à la destination des êtres même inanimés, el aux moyens de l'atleindre; il leur a donné des lois analogues à leur nature. Est-il croyable que le chefd'œuvre de la création, que l'âme humaine serait le seul être abandonné sans aucune loi? Etudiez les moindres créatures matérielles, vous y rencontrerez le plus bel ordre

physique; et dans celle des créatures où Dieu a imprimé le plus de traits de ses perfections, il n'aurait mis aucun ordre? Dieu n'aime pas moins sans doute l'ordre moral que l'ordre physique et géométrique; son autorité doit s'interposer également pour maintenir l'un et l'autre ; ses soins ne doivent donc pas moins s'étendre aux actions libres des créatures qu'aux mouvements aveugles des corps comme il y a des lois pour ceux-ci, il y en a aussi pour celle-là. (La Luzerne.)

S'il est impossible à l'astronome d'assister longtemps au jeu des astres sans apercevoir clairement une main toute-puissante qui donne à l'univers la coordination et la durée, il n'est pas plus possible d'étudier un instant l'esprit et le cœur de l'homme sans y trouver la main de Dieu qui dirige, règle et coordonne tous les mouvements moraux. Nous en trouvons la preuve dans les moyens donnés par la philosophie comme principe de la morale. Si, hors du sentiment religieux, ils sont incomplets, impuissants, sujets à de grandes illusions, dirigés par la vraie religion, ils ont cette plénitude d'étendue et d'autorité nécessaire pour rendre la morale puissante et fécoude.

Sous la main de la véritable religion, la ra son reçoit une force qu'elle ne possède pas par elle-même et dans notre état déchu. La révélation lui a été nécessaire pour comprendre et connaître l'ordre moral tout entier. C'est une vérité qui est démontrée à l'article REVELATION. Mais lorsque la raison a été fortifiée par une saine instruction religieuse, qu'elle y a puisé une conviction profonde de l'existence d'un Dieu rémunérateur de la vertu et vengeur du vice, alors elle prend une nouvelle force, et la réflexion lui confirme et lui certifie les principes que l'instruction lui avait présentés; elle les développe, dissipe les préjugés, éclaircit les difficultés; elle multiplie même ces principes en tirant des conséquences qui, par leur certitude entière, deviennent elles-mêmes des règles de conduite.

IX. Loin de méconnaître l'instinct moral, la religion travaille sans cesse à le développer. Si, à la vue du malheureux qui souffre, nous sommes saisis d'un mouvement indélibéré de commisération, si nous désirons le soulager, la religion fortifie ce sentiment en nous montrant dans le malheureux l'image même de Dieu. Lorsque nous voyons ou que nous éprouvons un acte d'ingratitude, d'injustice, de méchanceté, nous sommes saisis d'un mouvement subit de mépris et d'indignation; la religion nous dit que le mal est détestable, que la peine qu'il nous cause doit nous engager à le fuir et à poursuivre le péché de notre haine, tout en aimant le bien qui se trouve dans le pécheur. Si le remords nous poursuit et nous engage à pleurer et à réparer nos fautes, la religion fortifie ces sentiments en disant que Dieu ne permet pas aux coupables d'anéantir les remords, que quand ils iraient se cacher au fond de la mer, il y enverra le serpent pour

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X. La crainte est un puissant mobile d'action c'est celui que la loi civile emploie pour maintenir les citoyens dans la ligne du devoir; c'est aussi celui dont Dieu se sert à l'égard de l'homme. Il montre au prévaricateur de sa loi les flammes de l'enfer destinées à brûler le coupable pendant toute l'éternité. - Quoique très-puissante, la crainte est cependant un mobile très-imparfait. Dans ses rapports avec la législation civile, il est un moyen de répression très-incomplet: il ne peut s'étendre à toutes les violations de la loi. On peut échapper aux poursuites de la justice humaine. Considérée dans ses rapports avec la législation divine, la crainte n'a pas la même insuffisance. Le péché ne peut échapper à l'œil de Dieu ni à sa justice: la Divinité a toujours en main la puissance pour le punir. Aussi la crainte de Dieu embrasse tous les devoirs. Malgré toute son étendue, ce mobile est cependant encore imparfait. Celui qui est mû uniquement par la crainte ne fait aucune action magnanime.

XI. Il y a un second mobile: c'est l'espérance d'obtenir une récompense de ses œuvres. Quoique plus grand et plus parfait que le précédent, c mobile a aussi ses causes d'imperfection. L'homme, porté par sa nature à pourvoir aux besoins de sa félicité, poursuit son bonheur où il croit pouvoir le rencontrer c'est à ce besoin que nous devons la plupart des progrès sociaux et des perfectionnements des arts. Le désir d'obtenir les jouissances de la propriété, de la grandeur, de l'autorité, du plaisir, pousse sans cesse les hommes. Ce puissant mobile, tendant à ramener tout à l'intérêt personnel, manque de générosité. Agir pour soi, se constituer le centre de ses opérations, c'est rétrécir le rayonnement au lieu de l'élargir. Il faut qu'il soit tempéré par un autre mobile, qui est la perfection de tout principe d'activité, nous voulons dire par l'amour.

XII. L'amour est le mobile le plus complet et le plus parfait de tous. L'amour profane a fait faire des prodiges; l'amour de Dieu est plus grand, plus fort, plus fécond. Il n'y a pas un sentiment qu'il n'élève, pas une vertu qu'il ne fasse pratiquer, pas un progrès qu'il n'ait inspiré, pas un acte héroïque qu'il n'ait commandé. Nous voyons la puissance de l'amour de Dieu se manifester dans le courage des martyrs, éclater sur les chevalets, sous la griffe des bêtes féroces, au milieu des flammes. Il condu.t la vierge timide et délicale au chevet du malade, dont elle se fait la mère et le soutien.

Ce n'est pas ici le lieu de donner à tous ces motifs les développements qu'ils exigent.

Aux articles qui les concernent nous en ferons sentir toute la force. Mais les courtes observations que nous venons de présenter suffisent pour montrer que la religion est le seul fondement de la morale, qu'elle en est la base la plus solide, la plus complète et la plus puissante.

XIII. Avant de passer à la seconde partie de cette Introduction, nous devons répondre à une grande objection de nos adversaires. J's veulent séparer la morale de la religion, parce que l'histoire nous présente une foule de cultes inbumains et bizarres, de divinités corrompues et corruptrices. Allier la morale à la religion, c'est donc vouloir l'unir à la corruption. Cette manière de raisonner est bien étrange. Lorsque nous demandons l'anion de la morale et de la religion, nous ne parions que de la religion véritable, qui ne peut pas être plus responsable des rêveries des imposteurs en fait de morale qu'en fait de dogme. Mais il n'y a rien de plus odieux que ces imposteurs qui nous parlent de morale, lorsqu'ils en détruisent jusqu'aux fondements, et qui nous vantent leur système sans avoir posé la première pierre de l'édifice. Lorsqu'ils disent qu'en voulant lier la morale à la religion on les dénature l'une et l'autre, ils se montrent très-mal instruits: c'est au contraire en voulant les séparer que les philosophes ont perverti l'une et l'autre. En méditant sur les sources de la perversité du paganisme, on y trouve précisément le besoin de se soustraire à l'autorité du Dieu vengeur du vice. Nos philosophes font mieux ils ne prennent pas la peine de changer les dieux, ils disent qu'ils ne se mêlent pas de morale. Il est dans l'antiquité un fait qui parle haut en faveur de l'alliance de la religion et de la morale. Il est constant que de tous les moralistes anciens les meilleurs ont été les pythagoriciens: or, ils fondaient la morale et les lois sur la volonté de Dieu. Toutes les sectes qui ont fait profession de mépriser la religion se sont déshonorées par une morale détestable. Il en est de même de nos philosophes modernes, dit Bergier.

ARTICLE II.

HISTOIRE DE LA MORALE

XIV. On s'occupe beaucoup de l'histoire des peuples; mais il est une histoire beaucoup plus intéressante pour le monde : c'est celle de la morale. En étudiant les mœurs de tous les temps et chez tous les peuples, on y recueillerait en passant quelque grand enseignement; mais surtout on y apprendrait à estimer la loi de l'Evangile à sa juste valeur. Nous allons essayer de donner ici une esquisse légère de l'histoire de la morale. Nous regrettons que l'étendue de cette Introduction ne nous permette pas de la développer davantage. Pour mettre un peu d'ordre dans cette matière, nous ramenous à quatre chefs ce que nous allons dire de l'histoire de la morale. Nous en ferons connaître l'état, 1 sous les patriarches, 2° sous la loi de Moïse, 3° chez les païens, 4° sous la loi de l'Evangile.

De la morale des patriarches.

XV. Nous n'avons d'autre monument, pour juger de la morale des patriarches, que la narration que nous en a faite Moïse. rien, ne fut pas obligé d'acquérir ses preL'homme, suivant le récit de ce grand histomières connaissances par la voie ordinaire : Dieu se chargea de l'instruire.

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L'histoire mosaïque avant le déluge est fort courte. Nous voyons Caïn et Abel offrir des sacrifices. Nous assistons au meurtre d'Abel; nous y lisons le remords et l'effrayant désespoir du fratricide. Il y avait à cette époque des prédicateurs de justice et de religiou qui annonçaient aux hommes la volonté de Dieu et sa loi, et qui les exhortalent, en son nom et par son autorité, à l'accomplir fidèlement et selon l'ordre et l'étendue de leur pouvoir. L'apôtre saint Pierre (Ep. 11, cap. it, v. 5) rend ce glorieux témoignage à Noé. Tel était aussi Enoch, cet homme d'une plusieurs autres. Mais, malgré toutes ces vertu si éminente, et probablement encore admirables leçons, les hommes se laissèrent méprisèrent la loi de Dieu, qu'ils ne pouentraîner aux plus grands désordres vaient méconnaître; ils se livrèrent à toutes sortes de débauches, de violences, de rapines et de méchancetés; ils tombèrent dans une espèce d'athéisme, négligeant et méprisant appelle le monde de ce siècle pervers un toute religion. C'est pourquoi saint Pierre monde sans Dieu. De si grands crimes altirèrent sur la terre le plus effroyable châtiment que l'imagination puisse concevoir : tout fut détruit par le déluge, excepté Noé et sa famille. Le second père du genre humain reçut de nouvelles communications du Seigneur. Le récit de Moïse et les traditions juives nous laissent entendre que Dieu renouvela la publication de la loi morale. Quelle était la teneur de cette loi? nous l'ignorons. Mais ces divins enseignements ne furent pas mieux suivis que les premiers, et nous assisterons à un effroyable égarement des mœurs. Voilà tout ce que nous pouvons dire de la morale primitive.

§ II.

De la morale judaïque.

XVI. L'abandon de la foi, la corruption des mœurs, l'oubli des vérités les plus saintes, avaient forcé le Seigneur à se choisir un peuple. Il avait confié à sa garde le dépôt sacré de sa doctrine. Mis bientôt la barrière devint impuissante, l'idolâtrie rompait les digues qu'on lui avait opposées. Le peuple hébreu chancela dans sa foi sur la terre d'Egypte. Non content de le tirer de la maison de servitude, le Seigneur voulut lui donner par écrit un code de lois. Ce code est un phénomène unique dans les annales du genre humain; il embrasse tous les devoirs religieux, moraux, politiques et civils. Quoique faites d'un seul jet, ces lois sont si bien appropriées aux besoins du peuple pour lequel elles ont été formées, que durant quin ze

cents ans qu'a duré la nation juive, il n'a pas été nécessaire d'y faire de changements, malgré les états si divers où s'est trouvé le peuple déicide. Nous n'avons ici à nous occuper que de la portée morale de cette loi.

Pour donner plus de solennité à la promulgation de la loi morale, le Seigneur la publia au milieu de l'appareil le plus terrible. Ce fut aux éclats de la foudre que les échos du Sinaï répétaient sans cesse, et à la lumière éblouissante des éclairs, que Dieu promulgua les lois morales qui obligent indistinctement tous les hommes. Elles sont sommairement comprises dans dix commandements. Elles furent écrites sur deux tables de pierre, pour servir de loi permanente à tout le peuple. Nous avons rapporté littéralement cette loi au mot DECALOGUE. Observons seulement ici que cette loi est simple, claire, courte, propre à faire connaître tous les principes de la loi naturelle, dont la connaissance est suffisante pour remplir les devoirs à l'égard de Dieu, à l'égard du prochain et à l'égard de soi-même.

Moïse développa plusieurs points de cette grande loi morale dans le cours de son code. Quelques-uns ont trouvé des adversaires. Tels sont, 1° la loi de mort portée contre les idolâtres; 2° celles de la polygamie et du divorce. Nous examinerons la valeur des objections relatives à ces deux derniers points, aux mots BIGAMIE et DIVORCE. Bergier a répondu à celles qui concernent la mort prononcée contre les Chananéens. Voy. Dictionn. dogm., art. CHANANÉENS.

Les plus saintes règles de morale ne rendent pas les hommes impeccables. Les Juifs violèrent souvent leur beau code de morale. Non-seulement la loi protestait sans cesse contre les violateurs, mais encore il paraissait souvent dans Israël des hommes de Dieu qui parcouraient les villes le Code de la loi à la main, et rappelaient la nation à son devoir. Il y avait une main invisible qui frappait le peuple lorsqu'il était sourd aux avertissements des prophètes. Les calamités, la guerre, la famine, l'exil lui servaient de terribles prédicateurs. Revenant à l'observation de la loi, les Israélites voyaient aussi revenir les heureux jours. Les docteurs vouJurent à leur tour se mêler de l'interprétation de la loi morale; ils en pervertirent le sens. Au moment de la venue de JésusChrist, Jérusalem avait aussi ses écoles de philosophes qui dissertaient sur la vertu et corrompaient la morale. Elles n'étaient guère meilleures chez eux que chez les païens, dont nous allons retracer l'histoire morale. § III.

De la morale chez les païens. XVII. Le paganisme n'est pas le côté le moius curieux de l'histoire de la morale. C'est là qu'on a vu mettre en pratique les principes des ennemis de la révélation. On pourra juger par les fruits de l'excellence de la doctrine. Pour bien juger de la morale des païens, il est nécessaire de rechercher et d'étudier les diverses influences auxquelles

elle était soumise. Or ces influences ne peuvent être que la loi religieuse, la loi civile, la coutume et les enseignements des sages Voilà, croyons-nous, les seuls moyens dont se forma la morale des païens.

1° Influence de la religion sur les mœurs des païens.

XVIII. La plus grande influence morale dans le christianisme est certainement la religion. Elle montre à tous les hommes une loi descendue du ciel, un œil invisible scrutant toutes les pensées, les désirs, les actions secrètes comme celles qui sont publiques, soumettant tout à son jugement redoutable, qui doit décider de tout avec une justice rigoureuse.

La sanction religieuse de l'autre vie a une immense influence sur les déterminations du chrétien. Le païen avait aussi son Elysée et son enfer; mais en dehors de ces idées, la religion n'avait d'autre action sur les mœurs qu'une influence malheureuse. Uniquement renfermée dans un cérémonial extérieur, elle ne s'embarrassait ni d'éclairer l'esprit par la connaissance de la vérité, ni de régler les actions des hommes par la pratique des devoirs moraux. Selon Varron, l'office des prêtres se réduisait à apprendre aux hommes quels dieux ils devaient honorer, quelle espèce de sacrifice ils devaient offrir à chaque divinité. Les prêtres devaient encore diriger les fidèles dans l'observation des rites et des cérémonies. Chez les Romains, il est vrai, les prêtres avaient une certaine inspection sur les mœurs. (Cicer. de Domo sua.) Mais c'était un cas purement exceptionnel. Puffendorf observe à cet égard que cette institution religieuse des Romains était purement civile, qu'elle n'avait d'autre but que le bien public, mais qu'elle n'avait nullement pour dessein de former la conduite et les mœurs particulières.

La religion païenne était si éloignée de prescrire aucune maxime de morale, ou d'inspirer aucune vertu sociale, que dans plusieurs occasions les rites religieux par lesquels on prétendait honorer les dieux et se les rendre favorables étaient tout à fait contraires aux bonnes mœurs, en sorte qu'au lieu d'encourager la pratique de la vertu, ils portaient au crime et à la débauche. li faudrait faire un livre si on voulait rapporter dans le détail les cérémonies religieuses des païens, qui étaient ridicules, cruelles, licencieuses, impudiques. Nous dirons seulement quelques mots de ces dernières. Nous nommerons d'abord les Bacchanales, où c'était une vertu de s'enivrer et de se livrer à tous les vices qui sont la suite de l'ivresse. De là ce mot d'Aristippe, rapporté par Empyricus Une femme vraiment chaste le sera même dans le temple des Bacchanales. Les Lupercales, fêtes de la plus grande antiquité chez les Romains, instituées en l'honneur du dieu Pan, se célébraient de la manière la plus immodeste. Les prêtres de ce dieu couraient comme des insensés par les rues et les places publiques, presque tout nus, frappant tout ce qu'ils ren

contraient. Et les fêtes des jeux floraux, célébrées par des compagnies de filles prostituées, qui jouaient les pantomimes les plus lubriques, n'étaient-elles pas protégées, encouragées par les hommes les plus graves?Kotys, la déesse de l'impudicité, avait des fêtes à Athènes, à Corinthe, à Chio, dans la Thrace, etc. Elles consistaient en débauches de toute espèce telles qu'elles convenaient à la déesse qu'on croyait honorer. Les prêtres d'une telle divinité, instruits dans l'art de la volupté la plus honteuse, mettaient alors leur science en pratique sous la protection de la déesse qu'ils servaient. - Et Vénus, l'impudique Vénus! quelles prêtresses voulait-elle ? des courtisanes. On l'honorait en se livrant et en consacrant des jeunes filles à la débauche. A Babylone, toute femme du pays était obligée d'aller se prostituer, au moins une fois dans sa vie, à un étranger, sur l'autel de la déesse. Il y a quelque chose de plus révoltant encore. Telles sont les impuretés horribles que des hommes en Egypte commettaient publiquement et ouvertement avec les chèvres du dieu Pan. Tel était le culte public rendu aux parties honteuses, qu'on promenait, et que les filles et les femmes étaient obligées de couronner. Nous avons vu une gravure représentant fidèlement un temple de Denderah, copiée par les savants qui suivaient l'expédition de Bonaparte. C'était quelque chose d'horrible : le temple était environné de statues entièrement nues, Fœil fixé sur les parties les plus honteuses.

Tirons le rideau sur ces horreurs, que l'on a de la peine à entendre et à raconter sans frémir. On ne comprend pas, après cela, comment des hommes ont pu être assez aveuglés par les préjugés pour oser dire, comme Voltaire (Siècle de Louis XIV), que « la religion des païens ne consistait que dans la morale et les fêtes; la morale, qui est commune aux hommes de tous les temps et de tous les lieux; les fêtes, qui n'étaient que des réjouissances et ne pouvaient troubler le genre humain. » Nous pensons avoir évidemment prouvé que la religion païenne devait avoir une influence pernicieuse sur les mœurs des peuples soumis à son empire. 2° De l'influence des lois civiles sur la morale des païens.

XIX. La législation civile et politique d'un grand nombre de peuples anciens fut trèsremarquable par des vues élevées, propres à maintenir l'ordre dans la société. On ne peut nier qu'elle n'ait eu une grande influence sur les mœurs. Cependant ces lois ne peuvent être regardées comme une règle complète de la vie morale. Il leur manquait pour cela trois qualités importantes.

XX. 1 Elles ne réglaient pas tous les principes de morale. La législation s'occupait de régler les rapports des citoyens entre eux, mais elle ne leur traçait pas de règle de conduite personnelle. Le cœur, cette partie si importante de l'homme, n'avait pas de gouvernail. Il était abandonné à ses ins

pirations personnelles. C'était là un défaut immense.

XXI. 2° La sanction des lois était purement humanitaire et terrestre. La morale n'avait pas une protection suffisante, car on sait que la ruse peut inventer mille stratagèmes pour échapper à l'atteinte de la loi; c'est ce qui soutient tous les jours les malfaiteurs. XXII. 3° Les lois elles-mêmes renfermaient de grandes imperfections.

L'Egypte avait une législation très-remarquable. La plupart des législateurs y allèrent puiser les principes de leurs lois. Un savant auteur moderne (M. Goguet) a fait voir que, quoique les Egyptiens eussent quelques bonnes constitutions politiques, il régnait néanmoins dans leur gouvernement des abus et des vices essentiels, autorisés par leurs lois et par les principes fondamentaux de leur Etat.

Les Grecs sont comptés avec raison parmi les nations les plus savantes et les plus civilisées de l'antiquité. Les lois de Lycurgue ont été beaucoup vantées; cependant elles semblent avoir un seul but, la guerre. Aussi, au rapport de Plutarque, des hommes judicieux pensaient que les lois de Lycurgue étaient propres à faire de bons soldats et des hommes vicieux. Et certes, la législation qui concerne les ilotes suffirait pour la condamner. Ces esclaves étaient réputés fort audessous des animaux domestiques. Des indécences impardonnables étaient tolérées à Lacédémone. Les hommes et les femmes se baignaient dans des bains communs. Il y avait des danses ou les jeunes gens et les filles étaient entièrement nus. Il y avait un vice plus affreux encore, c'était la pédérastie, prescrite, dit-on, par Lycurgue pour arrêter l'accroissement de la population. Aussi, au rapport de Xénophon, ce vice devint commun à toute la Grèce.

La législation romaine était peut-être la plus parfaite de toutes celles de l'antiquité. Les lois des douze tables paraissent avoir beaucoup d'analogie avec celles de Moïse; elles étaient encore bien défectueuses. Elles permettaient la mort des enfants contrefaits; elles donnaient au maître un droit si absolu sur ses esclaves, qu'il pouvait les jeter aux poissons pour les nourrir; elles toléraient les spectacles des gladiateurs et la pédérastie

elle-même.

Nous ne pousserons pas plus loin notre examen des législations païennes; nous croyons que les considérations que nous venons de présenter sont une preuve évidente qu'elles ne présentaient pas une règle suffisante de morale; que, faites uniquement pour régler les rapports des citoyens entre eux et avec l'Etat, elles ne réglaient pas les devoirs de l'homme à l'égard de la Divinité et ne lui traçaient pas à lui-même la ligne qu'il devait suivre.

3° De l'influence des mœurs sur la morale païenne.

XXIII. Il est certain que la coutume peut avoir une très grande influence sur les

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