Page images
PDF
EPUB

ils le fruit de l'induction philosophique? Mais la raison la plus forte de notre époque est impuissante à découvrir les éléments de l'ordre moral. Sont-ils tout simplement des résultats trouvés dans la société ? Mais à quelle source la société elle-même a-t-elle pu les puiser ? Nous savons que notre auleur, pour dissimuler son impuissance et se dispenser de prouver, a souvent recours au sens commun; mais comme il n'y a naturellement dans le tout que ce qui se trouve dans les parties, on ne fait que reculer la difficulté, en prétendant attribuer à la raison générale ce qu'aucune raison particulière ne peut trouver. Reste donc une seule hypothèse possible, et c'est précisément celle de l'école dont la théorie déplaît si fort à notre rationaliste. Cette théorie admet, aussi bien que les adversaires de la révélation, que la société est dépositaire des moyens que l'homme doit employer pour conformer ses actions à l'ordre établi; mais aussi, elle reconnaît qu'elle les tient d'une intelligence et d'une puissance supérieures à celles de l'homme, quelle que soit du reste la manière dont cette puissance intelligente ait fait la manifestation de ces moyens, lesquels ne peuvent être autre chose pour nous que l'expression de la volonté divine. Cette théorie est d'autant plus forte, d'autant plus philosophique, qu'elle ne laisse rien à désirer pour l'établissement soit de l'existence, soit des éléments de l'ordre. D'ailleurs, si les moyens à employer pour se conformer à l'ordre n'émanaient pas d'un être dont l'homme croie dépendre, ou n'étaient pas regardés comme l'expression de sa volonté, quel que soit le mode de manifestation que cet être supérieur ait adopté, comment la liberté humaine pourrait-elle jamais se déterminer à en faire l'objet de son choix, et cela fort souvent contrairement soit au bienêtre physique, soit à la satisfaction si entraînante de l'amour-propre? Faisons maintenant l'appréciation des difficultés que notre philosophe oppose à cette théorie. D'abord, dit-il (p. 259), elle enlève au bien toute son essence, elle le réduit à n'être plus qu'une loi, et cette loi est à elle-même son objet et son principe; car elle est la volonté de Dieu, qui n'a de principe qu'en soi, elle constitue le bien, qui n'existerait pas sans elle: ensuite elle ne fait pas faire un pas à la question de savoir ce qu'est le bien. Fondés sur les motifs que nous avons déduits ci-dessus, nous soutenons que l'essence du bien moral ne peut consister en rien autre chose qu'en l'observance d'une loi, comme l'essence du mal ne peut résider que dans l'infraction à une loi. De plus, à l'exception de certains devoirs envers Dieu, auxquels l'homme peut se déterminer naturellement par l'unique mobile de la crainte, sans pouvoir s'assurer de leur bonté par la raison, aucun des objets de la morale n'est en soi ni bon ni mauvais; car la même action considérée matériellement ou dans sa substance est réputée bonne ou mauvaise dépendamment des circonstances qui l'entourent. Or, comment déterminer la

en

moralité de ces circonstances sans l'intervention de lois, et comment se décider à agir conformément à cette détermination, sans la persuasion que ces lois émanent d'une puissance dont on dépend? On ajoute que cette loi est à elle-même son objet et son principe. Il est clair cependant que les lois morales, tant que manifestations de la volonté divine, ne peuvent être dites identiques ni à leur objet, qui est la direction de la liberté humaine dans tel et tel cas, ni à leur principe, puisqu'elles en sont les effets. On reproche à cette théorie de ne point faire faire un pas à la question de savoir ce qu'est le bien. Toutefois, elle fait faire à la raison naturelle un pas de géant, en lui découvrant l'unique origine que puisse avoir le bien, origine qu'elle ne pouvait que soupçonner, comme elle le fit dans Platon, origine cependant qui constitue toute l'essence du bien moral, lequel ne peut être conçu, ainsi que nous l'avons vu précédemment, dans aucune autre hypothèse. M. Perron semble abandonner son objection fondamentale, pour exagérer la difficulté qu'il y a à savoir précisément ce que Dieu veut. Il soutient que la voix de noire conscience, de nos sentimen's, de nos instincts naturels est trompeuse nous lui accorderons ici plus qu'il ne demande, s'il entend, comme toujours, une conscience formée par des moyens purement naturels. Il se prend ensuite à la parole sacrée, transmise ou écrite, donnée par les défenseurs de la théorie qu'il combat, comme moyen infaillible de connaître la volonté divine. Mais ce moyen lui-même, dit-il (p. 259), à combien de discussions n'est-il pas exposé?... A quels abus, à quelles déplorables conséquences un prel moyen ne peut-il pas aboutir? Alors ce n'est plus Dieu qui parle, ce sont les hommes qui le font parler au gré de leur ignorance ou de leurs caprices. L'auteur raisonne fort juste, s'il s'adresse à une école théologique protestante; mais ses paroles manquent de portée s'il les dirige contre les philosophes de l'école théologique catholique. En effet, nous avons établi, dans le Dictionnaire dogmatique, la nécessité d'une autorité vivante et d'une autorité infaillible, pour l'enseignement de la morale; or l'Eglise catholique seule se croit, et par ce fait est seule en possession de cette autorité; d'où il résulte qu'il n'y aura jamais dans son sein ni discussions interminables, ni abus universels et de longue durée, relativement à la constatation de la volonté divine, dans les matières où il sera important qu'on la connaisse. La théorie de l'école théologique catholique satisfait done, et à l'exclusion de toute autre, à toutes les conditions requises, soit pour l'établissement, soit pour l'enseignement des principes fondamentaux de la conscience. Quant au pourquoi de la volonté divine, qu'exige M. Perron, Dieu n'a pas jugé à propos de nous le faire connaître : seulement il nous a révélé qu'étant le principe et la fin de toutes choses, il a tout fait pour lui-même ; d'où nous devons conclure que pour ne pas nous écarter de cet ordre

nécessaire, il faut que nous mettions nos actions en harmonie avec ses volontés, et que nous les lui rapportions. La question d'ailleurs est la même que celle-ci : Pourquoi Dieu a-t-il voulu tout ce qui existe? Nous laissons l'honneur de la réponse à ceux qui prétendent tout découvrir par la raison.

Maintenant que l'insuffisance de la raison naturelle pour l'établissement des principesrègles de la conscience est bien constatée, il nous reste à exposer la théorie catholique, tant sur la nature que sur la détermination précise du bien et du mal.

Nous savons par la révélation divine que la Parole toute-puissante a tiré toutes choses du néant (Gen. 1); nous apprenons par la même voie que l'auteur de cet univers a tout fait pour lui-même (Prov. xvi, 4), et que sa créature intelligente et libre doit tout opérer pour la gloire de Dieu (1 Cor. x, 31).

Nous connaissons donc le principe et la fin de tous les êtres créés, l'alpha et l'oméga, selon le langage des saintes Ecritures, c'est à-dire que nous avons les deux éléments extrêmes de l'ordre. Quel sera l'élément moyen? Doit-on le chercher ailleurs que dans la volonté de Dieu ? L'ordre, dans son acception la plus générale, est la disposition que fait un principe actif des moyens propres à lui faire obtenir la fin qu'il s'est proposée. Or, ces moyens, pourrait-on les découvrir sans interroger les volontés de celui qui les a disposés ? Tous les êtres inorganiques, et méme les êtres organiques, soit simplement vivants, soit animés, convergent vers leur fin d'une manière invariable, en vertu des attributions inhérentes à leur nature. Mais, comme il ne peut en être de même de l'homme, qui est doué d'une volonté libre, son créateur a dû l'établir dans l'ordre par des prescriptions positives, comme moyens de le diriger vers sa fin. C'est ce qu'il à fait en effet, ainsi que nous l'apprennent les livres saints, dès le commencement du monde, et c'est ce qu'il a continué de faire, dépendamment des besoins moraux de l'humanité, soit sous le régime patriarcal, soit sous la loi mosaïque, jusqu'à ce qu'il eût pourvu d'une manière définitive à l'établissement et au rétablissement de l'homme dans l'ordre, par une révélation plus explicite et par l'institution d'une autorité visible, infaillible, dépositaire de sa puissance. Cette autorité réside dans l'Eglise catholique, qui scule d'ailleurs se croit infaillible, et qui l'est véritablement. Cet enseignement est à la portée de toutes les classes de la société, qui doivent également s'établir dans l'ordre, et qui seraient dans l'impuissance de le faire sans ce moyen providentiel.

Il est clair, d'après ce qui précède, que l'essence du bien consiste nécessairement dans l'observance de l'ordre, et que celui-ci n'aurait pu être observé par l'homme, si l'auteur de la nature ne lui eût intimé ses volontés par des moyens quelconques. Voilà pourquoi Dieu, qui trouva bon tout ce qu'il créa avant l'homme, immédiatement après

l'avoir tiré du néant, parce qu'il avait pourvu à l'observance de l'ordre, par l'établissement des lois de la nature physique, ne trouve pas également bon le roi de la terre après le seul fait de sa production, parce qu'il se réservait de lui faire connaître postérieurement les moyens qui devaient le conduire à sa fin (Gen. 1).

Concluons aussi que la règle du bien n'est autre chose que la volonté de Dieu, exprimée dans sa parole soit écrite, soit transmise d'âge en âge, el présentée aux hommes, dans l'état actuel du genre humain, par l'Eglise catholique, pourvue à cet effet du privilége de l'infaillibilité. Il est donc impossible de trouver les véritables principes-règles de la conscience, avec la garantie qu'exige leur application, ailleurs que dans l'Ecriture sainte et dans les monuments de l'Eglise enseignante, lesquels sont les actes des conciles, les écrits des saints Pères, les décisions des souverains pontifes et les traités des théologiens, ainsi que ceux des auteurs ascétiques approuvés par les premiers pasteurs de l'Eglise romaine.

XXVIII. L'autorité des écrivains sacrés est supérieure à toute autre autorité, elle ne forme pas seulement un sentiment probable, mais un jugement infaillible. Il n'est pas permis de douter de la sainteté des maximes de l'Evangile; lorsque l'Ecriture s'explique sur quelque point, tout ce que doit faire le chrétien c'est d'admettre et de pratiquer. On a remarqué que tous les bons casuistes ont soin de s'appuyer sur l'Ecriture sainte; ceux

dont la morale a été taxée de relâchement ont plutôt complé sur les forces de leur intelligence que sur la parole de Dieu : ils sont tombés dans l'erreur. Ce serait tomber dans une grande illusion que de vouloir interpréter par la raison individuelle les règles de morale contenues dans les Ecritures. Au mot ECRIture sainte, Bergier donne les règles d'interprétation de la sainte Ecriture. Christ, son pilote éternel, conduit sûrement L'Eglise est une arche sainte que Jésusau port; c'est un guide assuré qui mène le fidèle à la haute perfection évangélique. Infaillible pour régler la foi et les mœurs des fidèles, l'Eglise est donc une source pure de la saine morale. Le pontife souverain, son chef sur la terre, le vicaire de Jésus-Christ, participe aussi au don de son infaillibilité. Lorsqu'il parle, c'est au chrétien de se soumettre à ses décisions. Voy. Dict. dogmatiPape. que, art. EGLISE, PAPE.

XXIX. Les saints Pères ayant fait une étude particulière des saintes Ecritures, et paraissant choisis de Dieu pour nous en donner l'intelligence, méritent d'être écoutés et consultés par préférence à tous les autres docteurs. On ne lit jamais les écrits de ces grands maîtres sans se sentir plus porté à fuir le vice et à pratiquer la vertu. Quelquesuns d'entre eux ont porté bien haut les principes de la morale. Si l'exagération est toujours répréhensible, il y a cependant quelque chose qui nous la fait aimer lorsqu'il s'agit

du bien. Voy. Dictionn. dogmatique, art. PÈRES.

XXX. Les lois positives doivent être essentiellement justes et pour le bien public. Tout règlement injuste ou inutile n'est pas une loi. Etablies pour fortifier la loi morale, pour satisfaire aux besoins de la société, les lois positives sont aussi une source de saine morale. Nous consacrons dans ce Dictionnaire un article tout entier pour faire comprendre l'obligation qu'elles imposent.

XXXI. Les auteurs classiques ont aussi une grande autorité; nous donnons, au mot PROBABILITÉ, des règles sûres pour ne pas s'égarer en les suivant. Nous observerons

seulement que quiconque est en état de s'instruire par lui-même, ne doit pas suivre en tout aveuglément les auteurs les plus estimés, dès que, sur la justesse de leur décision, il lui naît des doutes qui lui font craindre qu'ils ne se soient mépris. Il est difficile, surtout dans un long ouvrage, de ne pas s'oublier. Melchior Cano, qui lui-même en est un exemple, donne à ce sujet un avis très-judicieux: c'est que ce serait une injustice de mépriser les auteurs et de leur faire un crime de ce qui est l'apanage de l'humanité; comme ce serait aussi la plus haute imprudence de les croire en tout sur leurs paroles.

DICTIONNAIRE

DE

THÉOLOGIE MORALE.

ABANDON (terme de droit).

1. Le propriétaire d'une chose peut toujours renoncer aux droits qu'il possède sur elle, pourvu que la renonciation ne soit contraire ni aux droits d'un tiers, ni condamnée par la loi. L'acte par lequel le propriétaire abdique sa propriété sans la transférer à un autre se nomme abandon. « C'est, dit Toullier (1), un retour au droit primitif, suivant lequel la propriété s'acquérait par la possession et se perdait avec elle.»

A

2. Dans le droit civil, il ne suffit plus de perdre la possession pour perdre la propriété, il faut que l'abandon de la possession soit fait à dessein d'abdiquer la propriété. Ainsi ceux qui dans une tempête sont, pour alléger le vaisseau, obligés de jeter à la mer leurs marchandises, n'en perdent pas la propriété, parce qu'il n'ont eu d'autre dessein que de sauver le vaisseau,

Quoique la propriété se perde aussitôt l'abandon qui en a été fait dans le dessein de l'abdiquer, cependant elle peut être reprise par le propriétaire quand elle n'a été acquise à aucune autre personne par la possession.

C'est donc un principe incontestable que toute personne peut abandonner sa propriété. De là suivent plusieurs conséquences très-importantes consacrées par notre droit civil.

3.1 Toul propriétaire d'un mur mitoyen peut se dispenser de contribuer aux réparations et constructions en abandonnant le droit de (1) Droit civil francais, liv Il, no 341.

mitoyenneté, pourvu que le mur mitoyen ne soutienne pas un bâtiment qui lui appartienne. (Code civil, art. 656.)

4.2° 11 a le droit d'abandonner le fonds assujetti, pour se libérer de l'obligation de faire d'une servitude, lors même qu'il en est chargé les ouvrages nécessaires ou la conservation par le titre. Cod. civ., 699. (M. Maleville pense avec raison qu'il suffit pour se libérer d'abandonner la partie de l'héritage sur laquelle s'exerce la servitude).

5. Afin qu'il n'y ait pas d'erreur sur ce point, nous devons distinguer les obligations purement réelles de celles qui sont personnelles ou mixtes ; c'est-à-dire réelles et personnelles. Les premières sont uniquement attachées au fonds, les secondes affectent les personnes. Il n'y a que les obligations de la première espèce dont on puisse se libérer par l'abandon. C'est sur ce principe qu'est fondé le délaissement par hypothèque.

[blocks in formation]

39

Les richesses, la somptuosité, la magnificence des abbayes ont été, pour de prétendus philosophes, un grand sujet de scandale. Ils se sont plu à faire contraster l'opulence de ces maisons où le vœu de pauvreté devait être la première vertu, avec la misère du peuple, qui était pauvre sans avoir fait le vœu de l'être. Ils répétaient bien haut que si les propriétés des religieux étaient entre les mains des laïques, les populations en seraient plus heureuses et plus prospères.

Ces déclamations, que nous entendons encore aujourd'hui, trouvent dans les faits une réponse sans réplique. Les biens des monastères ont été vendus. Le peuple en est-il plus heureux? Voit-on que les ouvriers y aient beaucoup gagné? Si les monastères élevaient des maisons somptueuses, l'artiste pouvait y montrer ses talents, le travailleur y déployer ses forces, et tous les deux y trouvaient pour eux et leurs familles une existence convenable. Aujourd'hui la plupart des riches aiment mieux entasser leurs richesses que de les employer à des œuvres qui honorent les hommes qui les ont conçues et ceux qui les ont fait exécuter.

Dans les calamités qui affligent les peuples, il n'y avait pas pour le pauvre de ressources plus promptes ni plus certaines que celles qu'il trouvait dans les abbayes. Si l'on faisait La liste des bonnes œuvres pratiquées par de pauvres et d'humbles moines, des in-folio n'y suffiraient pas. Témoin les bons Trappistes de Staouëli, qui étonnent les plus grands économistes et par leurs aumônes et par ce qu'ils font produire à la terre. Nous demandons en grâce qu'à fortune égale on compare le bien opéré par ces saints religieux et celui d'un riche de la terre; la différence des œu vres de charité nous dira où la fortune est le mieux placée pour le bien de l'humanité.

Tout en cherchant à justifier les religieux du reproche qu'on leur a fait sur l'article des richesses, nous avouerons qu'elles ont pu être une source d'abus entre les mains d'un grand nombre. Aussi voyons-nous avec bonheur, et pour la sainteté de leurs institutions et pour la sévérité de la discipline, que les religieux pratiquent en réalité le vœu de pauvreté, qui est un des plus solides fondeiments de la vie religieuse.

ABBÉ.

1. Abbé, tout homme portant et ayant droit de porter l'habit ecclésiastique, lors même qu'il ne possède pas une abbaye; spécialement celui qui gouverne une abbaye. Nous allons nous occuper des abbés pris dans ce dernier sens.

Un corps, une communauté quelconque ne peut subsister sans subordination; il faut un supérieur qui commande et des inférieurs qui obéissent. Parmides membres tous égaux, et qui font profession de tendre à la perfection, l'autorité doit être douce et charitable.

On ne pouvait donc donner aux supérieurs des monastères un nom plus convenable que

celui d'abbé, qui signifie père. Par la même raison on a nommé abbesses les supérieures des religieuses.

2. Dans l'origine, un abbé était le supérieur réel d'un monastère; il gouvernait lui-même le monastère qu'il avait fondé, ou dont il avait été le chef. Au ve siècle, en France et en Italie, les rois et les grands, tentés par les richesses des couvents, s'emparèrent de ces établissements et s'en déclarèrent abbés, afin de jouir de leurs revenus. Malgré les efforts de Dagobert, de Pépin, de Charlemagne, l'abus continua el se perpétua jusque sous les rois de la troisième race. Charles Martel surtout fit de nombreuses distributions de couvents à ses capitaines et à ses courtisans. On devenait abbé comme aujourd'hui on devient pensionnaire de l'Etat; des femmes mêmes en furent titulaires, et on voyait des couvents donnés en dot, en douaire, en apanage. Hugues Capet était abbé de Saint-Denis et de Saint-Martin de Tours. Cependant les moines secouèrent le joug, soit en rendant des services aux princes, soit en rachetant leurs abbayes. Malgré cela, la plupart des abbayes demeurèrent sous le patronage des clercs séculiers. Par le concordat de Léon X et de François 1e, le droit de nommer les abbés fut dévolu au roi. Il y eut cependant quelques exceptions en faveur des moines de Citeaux, des Chartreux et des Prémontrés, etc.

3. Sous les derniers rois de la monarchie, les abbés furent divisés en deux classes. Les uns étaient des abbés réguliers, véritables moines qui faisaient des voeux, portaient l'habit de l'ordre; les autres étaient des abbés commendataires; c'étaient des séculiers tonsurés destinés à recevoir les ordres, mais qui ne remplissaient jamais cette dernière condition, ce qui ne les empêchait pas de jouir pendant toute leur vie des revenus de l'abbaye qu'ils avaient en commende. N'ayant aucune juridiction, ne pouvant exercer aucune fonction spirituelle, ils étaient remplacés par un supérieur claustral nécessairement régulier. Le commendataire faisait trois parts des revenus de son abbaye; l'une était pour ses moines, la seconde pour lui, la troisième pour l'entretien et les charges du couvent. La distribution de cette troisième par ie se faisait par l'abbé seul, qui le plus souvent en appliquait la plus forte partie & ses propres besoins. Un abbé commendataire restait ordinairement dans le monde et y

dépensait ses revenus. L'almanach de 1787 donne la liste des abbayes en commende; on en compte six cent quarante-neuf. Les moindres abbayes étaient d'un revenu d'environ 2,000 livres ; la moyenne proportiounelle était de 16,000 livres de rente. Lo revenu de quelques abbayes mentionnées dans l'almanach précité s'élevait au chiffre de 50,000, 80,000 et même 100,000 livres. C'est là ce qu'autrefois on appelait bénéfices. Ils étaient ordinairement donnés aux cadets des familles nobles et devenaient le prix de l'intrigue et quelquefois même la récompense de services honteux. Leur suppression date d'un décret de l'Assemblée natio

uale du 12 juillet 1790. Les commendes étaient de véritables abus. Nous ne devons pas trop déplorer leur anéantissement

4. Les abbés réguliers ont toujours joui d'une haute considération et d'une grande autorité dans l'Eglise. Les conciles et les capitulaires de Charlemagne avaient voulu qu'ils fussent tous sous la dépendance des évêques. Il y en eut plusieurs qui travaillerent à conquérir leur indépendance et à devenir les égaux de leurs supérieurs. Au mot EXEMPTION, nous rechercherons les causes, les suites et les effets de cette indépendance. Les prérogatives qu'ils obtinrent furent la mitre pour les uns, la crosse pour les autres et pour la plupart le pouvoir de conférer les ordres mineurs. Voy. ORDRE (sacrement), n. 16, 17. L'abbé de Cluny fut celui qui obtint les pouvoirs les plus étendus; il pretendit même à la puissance de conférer le sous-diaconat. Voy. ORDRE (sacrement), n. 16, 17.

5. Non contents d'être exempts de toute autorité de l'ordinaire, plusieurs abbés voulurent encore, au dedans des monastères, travailler à obtenir l'indépendance de toute volonté étrangère. Quelques-uns réussirent à s'ériger en véritables autocrates; d'autres au contraire gouvernèrent leurs maisons en bons pères de famille, et leur autorité tenait de la monarchie tempérée. Il y en eut même un certain nombre, surtout en Orient, qui, liés dans l'exercice de leurs fonctions par une foule de règles, pourraient être comparés avec beaucoup d'analogie avec les présidents de nos républiques modernes. Quelquefois l'abbé ne consultait d'autre volonté que la sienne, mais en général il prenait l'avis d'un conseil; il avait un aide dans ses travaux, à qui on donne le titre de prieur ou de doyen. Un des devoirs imposés par l'usage à la plupart des abbés, était de tenir lable ouverte à tout le monde, c'est ce qu'on appelait mense abbatiale. L'ordre de Cluny (Bénédictins) n'avait qu'un abbé, chef de lous les prieurs des couvents de l'ordre. Au contraire, l'ordre de Citeaux avait un abbé pour chacun de ses couvents.

6. Outre le droit de juridiction et d'exemption que nous étudierons aux articles qui les concernent, les abbés avaient encore le privilége d'assister aux conciles. Les souverains pontifes l'ont accordé aux abbés réguliers pour relever cette dignité, de sa nature toute monastique et renfermée dans le cloître, afin de la faire servir à l'utilité de l'Eglise. Cela s'est fait dans les temps où elle avait un trèsgrand besoin de leurs lumières comme de l'exemple de leurs vertus. A cette époque, les papes et les évêques étaient assez souvent tirés des monastères dans lesquels les sciences étaient mieux cultivées, et les mœurs à l'abri des dangers du siècle. On y trouvait un caractère de sainteté qui inspirait la confiance. En les appelant aux conciles, les papes avaient voulu s'aider de leurs avis et de leurs suffrages, mais ils s'étaient réservé néanmoins le droit d'y avoir tel égard qu'ils croiraient convenable, sans DICTIONN. DE THÉOL. MORALE. I.

en faire des juges de la foi. Et ce n'était point en cette qualité que les abbés donnaient leurs suffrages. Saint Bernard, l'un des plus saints et des plus éclairés qui aient porté ce titre, celui qui a été personnellement invité à un plus grand nombre de conciles, y a paru avec le plus de distinction, y a été écouté comme un oracle, protestait hautement, que lorsqu'il s'agissait de la foi et de la doctrine, il n'appartenait point à lui ni aux gens de sa sorte de prononcer et de juger, mais au pape et aux évêques. Dicebam sufficere scripla ejus ad accusandum eum (Abelardum), nec mea referre, sed episcoporum, quorum esset ministerii de dogmatibus judicare (S. Bernard., epist. 189). Voy. For, Juge de la foi.

7. Si les priviléges des abbés étaient grands, leurs devoirs l'étaient plus encore. Eux aussi faisaient les trois vœux d'obéissance, de pauvreté et de chasteté. Ces vœux leur étaient communs avec les autres religieux. L'accomplissement des deux premiers vœux devait leur être difficile, parce que comme supérieurs ils commandaient et administraient les biens de la communauté. En traitant ces trois espèces de vœux, nous toucherons un peu les abbés, et nous dirons comment un supérieur peut pratiquer l'obéissance et un économe la pauvreté. Voy. PAUVRETÉ, n. 7.

8. Saint Benoît a tracé un portrait admirable d'un véritable abbé. Plusieurs l'ont sans doute oublié; nous rappellerons seulement qu'il veut qu'ils soient instruits de la loi de Dieu, charitables, prudents, discrets, qu'ils montrent en tout l'exemple, et ne soient que les exécuteurs de la règle pour la faire garder fidèlement.

ABBESSE.

1. On appelle ainsi la supérieure d'un monastère de religieuses, d'une communauté ou d'un chapitre de chanoinesses. Le pouvoir des abbesses était sous beaucoup de rapports semblable à celui des abbés. Il y avait un rapport essentiel sous lequel elles leur étaient bien inférieures, c'est celui de l'ordre. Incapables d'être promues aux ordres, les abbesses ne pouvaient avoir aucun pouvoir au for intérieur. Quelques-unes vouJurent s'élever à la hauteur des abbés. On en vit qui s'arrogèrent le droit de donner la bénédiction solennelle, de prêcher et même de confesser (Fleury, liv. LXXvi, n. 48). Il ne faut pas confondre cette odieuse usurpation avec la pratique de la direction particulière, que les religieuses pratiquent aujourd'hui avec beaucoup de fruit. En faisant un humble aveu de leurs fautes à leur directrice, elles s'humilient et peuvent trouver des consolations et des conseils. Il y a cependant des abus à craindre cette pratique pourrait avoir la prétention de devenir la rivale de la confession. Ce serait un grand mal si on était toute liberté dans une pratique qui doit être libre de sa nature. On pourrait fausser des consciences en faisant une obligation de ce qui n'est que de très-simple conseil.

2

« PreviousContinue »