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des choses nécessaires, et qui soient probaDlement arrivées au pénitent. Vous devez aussi omettre les interrogations que le Rituel Romain et saint Charles, dans ses Avis, vous conseillent de faire au commencement, si Vous vous apercevez qu'elles soient inutiles. Ainsi, lorsque la personne vous est déjà connue, qu'elle s'est confessée depuis peu, que Vous êtes fondé à la croire sincère et assez astruite, vous pourrez lui laisser exposer ses fautes; et en cas que vous le trouviez nécessaire, vous lui ferez ensuite les interrogations omises. Observez toutefois que, pour ne pas mettre le pénitent en danger de se troubler, et d'oublier ce qu'il a préparé dans son examen, il est mieux de ne pas l'interrompre et de les différer jusqu'à la fin, surtout dans les confessions que vous prévoyez devoir être courtes, à en juger par le peu de temps depuis lequel on s'est confessé. Dans les confessions de longue durée, pour éviter l'oubli, vous pourrez tout au plus l'interrompre pour l'interroger brièvement sur le seul nécessaire, comme sur le nombre et sur l'espèce tout le reste, réservez-le pour la

fio.»

ARTICLE II.

Du discernement nécessaire pour juger avec précision l'étendue du mal du pénitent.

12. « Après avoir cherché avec adresse et découvert le mal du pénitent, dit encore le pieux auteur que nous venons de citer en parlant au confesseur, il vous reste encore à juger sainement de sa force, pour ne pas vous tromper ensuite dans l'application des remèdes; il y a bien de la différence entre la guérison d'un péché qui a déjà dégénéré en habitude, semblable à une plaie gangrenée, et celle d'un péché commis par accident. De même, une occasion prochaine demande une bien plus grande attention que celle qui est encore éloignée; tout comme certains péchés accompagnés de grands dangers demandent une tout autre précaution que ceux qui sont ordinaires et communs. Il ne faut donc pas, à chaque péché grave que vous entendrez du pénitent, vous troubler, le molester par des interrogations, si vous voyez que l'occasion en ait été accidentelle, quand, par exemple, quelqu'un a dit des injures à une personne qui l'a heurté en passant. Mais quand la cause existe en tout temps, et que le péché a été commis plusieurs fois depuis la dernière confession, vous avez raison de douter et d'examiner si le mal est plus grave qu'il ne paraît au premier coup d'œil. Alors interrogez avec discrétion; dites, par exemple: Avez-vous eu de tels péchés dans votre dernière confession, et même depuis longtemps? Avez-vous déjà péché autrefois avec celle même personne? L'année dernière à Pâques, il y aura aussi eu une année que vous ne vous étiez confessé, n'est-ce pas ? Et en proportion du péché, vous appliquerez le remède. Quelquefois le mal qui ne fait qu'éclore parait léger; mais malheur à vous, si Vous le souffrez et lui laissez prendre force!

il deviendra bientôt de la dernière conséquence. Or, c'est à l'habileté du médecin à l'apprécier dès le commencement. Telle était la maxime de saint Philippe de Néri, lorsque ses pénitents s'excusaient de certaines petites familiarités entre personnes de différent sexe, en alléguant qu'il n'y avait pas de mauvaise intention, et qu'ils n'y éprouvaient aucune tentation. Tant pis pour vous, disait ce grand directeur, si vous n'êtes pas tenié; c'est signe que le démon veut vous prendre à l'improviste pour vous attirer à des chutes graves; il diffère de se laisser apercevoir, pour que vous vous avanciez témérairement, et alors il lui sera aisé de vous prendre et de vous trahir. La passion pour le jeu, par exemple, dans ce jeune homme, et pour la vanité dans cette fille, commence-i-elle à se montrer? hâtez-vous de prévenir le mal qui pourrait en résulter; donnez des avis convenables, non pas tant en leur défendant sévèrement ce qui en soi n'est pas encore grave, qu'en leur conseillant fortement de mortifier cette passion naissante, comme en s'abstenant du jeu les jours de communion et les vendredis, en l'honneur de la passion du Seigneur, ou au moins en se modérant dans la durée, dans la dépense et dans le choix des compagnons; par là vous l'empêcherez de devenir nuisible. Vous produirez les mêmes effets contre la vanité, en exhortant la fille à y mettre un frein en n'employant plus tous les ornements dont elle se servait auparavant, et à laisser quelquefois en l'honneur de la sainte Vierge les plus apparents et les plus riches. Dans certains péchés, le danger ne se juge pas tant par le nombre que par la continuation; et de petites fautes, souvent répétées, peuvent devenir bien nuisibles. Par exemple, une petite aversion ne nous portera qu'à éviter la rencontre d'une personne, à lui parler sèchement et en peu de mots; mais si cette aversion est habituelle et continue, elle pourra nous porter à la fin à de grands excès, en nous faisant perdre les grâces spéciales de Dieu, surtout si nous faisons profession de piété. Voyez le prêtre Saprice pour avoir conservé longtemps une animosité contre le laïque Nicéphore, sur le point de devenir martyr, il manque de courage, renie la foi, et devient apostat. Estimez donc à sa juste valeur le mal que vous apercevez dans l'âme du pénitent. »>

ARTICLE III.

Précautions à prendre dans l'emploi et l'application des remèdes.

13. Le péché procède de deux sources: de l'intelligence et de la volonté. A l'art. ABSOLUTION nous avons dit ce que le confesseur doit faire pour éclairer son pénitent, et la nature de l'instruction qui lui est nécessaire pour pouvoir être absous. Mais la volonté et le cœur sont le plus souvent la source du mal. Souvent la dureté du cœur, plus souvent encore sa faiblesse, entraînent à l'iniquité. En habile médecin, le confesseur doit remédier à ces deux grands maux.

1. Des remèdes contre la dureté du cœur. 14. « Il faut guérir la dureté du cœur du pénitent pour le porter à cette douleur sans laquelle le sacrement ne peut être d'aucune utilité. C'est là que votre zèle, retenu jusqu'alors pour ne pas empêcher l'intégrité de l'accusation, doit se montrer avec tout son feu, et s'employer au lien du coupable. Qu'il soit cependant toujours précédé DE LA CHARITÉ, pour faire prendre en bonne part tout ce que vous direz, parce que, selon le saint concile de Trente (sess. 13, de Ref.), sæpe plus erga corrigendos agit benevolentia, quam auctoritas; plus exhortatio, quam comminatio; plus charitas, quam potestas. Commencez donc par féliciter le pénitent d'avoir satisfait au devoir de l'accusation; ensuite, comme l'espérance est très-utile pour l'exciter à faire ce qu'il y a de plus difficile, faiteslui d'abord espérer son pardon, pourvu qu'il se repente comme il faut; et pour y mieux réussir, dites-lui qu'il exerce la justice contre lui-même, pour obtenir sa grâce de Dieu, qui certainement l'accordera. Représentez-lui ensuite brièvement, mais avec force, les motifs que la foi suggère pour la componction et la douleur, c'est-à-dire des motifs de confusion, de crainte, de confiance et d'amour. Parlezlui de ses péchés, non de chacun en particulier, s'il en a accusé beaucoup, mais des principaux; montrez-lui-en la gravité et le nombre: ajoutez qu'il est d'aulant moins excusable, qu'il est chrétien et plus favorisé du ciel; 2 exposez-lui les châtiments qu'il a mérités de la part de Dieu, ce maître si bon el si grand, qu'il a eu le malheur d'offenser et de mépriser; châtiments inévitables et peut-être bien prochains, s'il n'a pas un vrai repentir; 3° montrez-lui les avantages qu'il retirera de son changement de vie, le pardon, la paix, une mort tranquille, et enfin la vie éternelle. Représentez-lui donc Dieu, qui, le tenant suspendu sur les abîmes de l'enfer, lui fait voir plusieurs damnés qui y sont détenus pour des péchés semblables, ou moindres encore que les siens; qui lui rappelle tous les bienfaits dont il l'a comblé, ceux de la rédemption, etc., les ingratitudes et les offenses qu'il a reçues du pécheur. Dieu le menace de ces châtiments, s'il ne déteste son péché; mais Dieu déclare en même temps qu'il est prêt à lui pardonner et à lui accorder le ciel, si dans son péché il ne regarde pas seulement le tort qu'il s'est fait à luimême, mais encore l'injure qu'il a faite à Dieu, et s'il en conçoit un grand repentir. Qu'il dise donc à Dieu : Ne projicias me a facie tua: Pater, peccavi, etc. De là il ne sera pas difficile de l'exciter a une parfaite contrition, en lui rappelant l'amour que Dieu a eu pour nous amour si généreux, qu'il l'a porté à donner sa vie pour notre salut; amour si spécial et si libéral, qu'il nous a comblés de bienfaits, de préférence à tant d'autres ; amour si désintéressé et si constant, qu'il veut que ses dons présents et passés nous servent d'arrhes pour ses bienfaits à venir, et nous conduisent à partager son bonheur

et sa gloire dans l'éternité. Or ce Dieu, qui nous donne des preuves si sensibles de sa bonté, n'est pas moins infini dans ses autres perfections, en majesté, en sagesse, en toutepuissance, en sainteté, etc. Il est donc par lui-même infiniment digne de respect, d'estime et d'amour. Cependant, comment l'avons-nous traité? Nous l'avons méprisé et crucifié de nouveau par nos offenses. Diteslui donc que, pénétré de douleur d'avoir si mal correspondu à tant d'amour, vous détestez vos péchés, non-seulement à cause du paradis et de l'enfer, mais encore plus par le déplaisir d'avoir offensé un Dieu si grand et si bon, faites donc la résolution, etc.

<«< Mais, pour vous servir à propos de ces remontrances, observez ce qui suit : 1° avec ceux que vous saurez être bien préparés et touchés, n'en parlez pas, ou ne faites que les indiquer, vu qu'elles seraient superflues; 2 avec les autres, insistez fortement, et étendez-vous sur le motif qui leur est LE PLUS ADAPTÉ; et n'allez pas parler de crainte à une personne timorée, c'est de la confiance qu'il lui faut inspirer; 3° le rang ou la dignité du pénitent ne doivent pas vous em pêcher de l'exciter à la contrition, quand il ne l'a pas, mais vous devez le faire de manière à ne pas le choquer. Avec cette circonspection, vous acquerrez peu à peu sur lui une sainte autorité qui vous le rendra docile en toutes choses. De fortes réprimandes seraient peut-être plus utiles à des entêtés et à des gens grossiers, qui ne comprendraient guère les raisonnements. Servez-vous-en, mais en les assaisonnant de bonté, de sorte qu'ils voient que vous ne les méprisez pas ; car les personnes même de la plus basse condition sont jalouses de leur honneur, et l'intérêt que vous leur témoi gnerez vous ménagera un libre accès dans leur cœur pour en obtenir ce que vous voulez. Que si les motifs de douleur ne touchent pas le coupable, ne vous découragez pas; il vous reste un moyen qui est infaillible, c'est la foi qui l'enseigne si vous savez vous en servir: c'est la prière. Ne vous contentez pas d'avoir pour elle une grande estime, mettez-la encore en pratique, et recommandez-la a vos pénitents. Il y a deux manières de vous en servir: 1o durant la confession, en priant tous les deux ensemble, et il vous arrivera quelquefois d'en voir aussitôt les effets; 2 st vous n'obtenez pas à l'instant la grâce, outre les autres avertissements que je vous don nerai ci-après pour ne pas exposer l'absolution, donnez au pénitent un certain temps pour prier; et pour qu'il le fasse plus facie ment, apprenez-lui à s'adresser par manière de colloque à la sainte Vierge, à son ange gardien, et à chacune des trois personnes divines, lui suggérant ce qu'il doit dire, com me s'il était à leurs pieds. »

II. Des remèdes contre la faiblesse du cœur. 15. « Lorsque, comme juge éclairé, vous aurez déclaré au pécheur ses obligations, vous devez encore employer l'habilete Je médecin pour le porter, par des motifs ju

sants, à les remplir, quand il se trouve sans courage, et comme accablé sous leur poids. Si vous vous contentez de lui dire: Vous êtes tenu à restituer, à éviter cette occasion, à pardonner celle injure, à résister à telle tentation, à déraciner cette mauvaise habitude, vous n'y réussirez presque jamais. C'est ici surtout que vous avez besoin de la science ascétique, qui traite des tentations et des passions, de leur commencement, de leur progrès el de leurs remèdes; des vertus, des motifs pour les aimer, de la manière de les exercer; des vices et des motifs de les haïr, de les vaincre et de les fuir. Pour vous en donner une idée, dès que vous aurez intimé au pénitent l'obligation de restituer, fortifiez- e par des motifs de confiance et de crainte: Mon enfant, dites-lui, lorsque vous sortirez de votre maison cet argent que vous devez, la protection du Seigneur y entrera à sa place, et vous serez béni vous et votre famille. Tant que vous retiendrez le bien d'autrui, il sera la peste du vôtre, el criera vengeance contre vous et vos intérêts. Une seule maladie que Dieu pourrait vous envoyer, et dont il vous préserve, peut sans doute équivaloir à ce que vous perdrez en restituant. Or, sachez qu'on ne plaisante pas avec Dieu. Si la mort tous surprend, vous n'emporterez ni votre bien ni celui d'autrui; mais le péché vous suit au jugement de Dieu, pour votre condamnation. Voyez Zachée, il ne dit pas, in futuro reddam, mais, in præsenti reddo quadruplum, el aussitôt le Seigneur lui répond: Hodie huic domui salus a Deo facta est, etc. Indiquez-lui ensuite les moyens d'omettre les dépenses inutiles, de vendre quelques meubles pour avoir de quoi restituer, de le faire du moins en plusieurs payements, s'il ne peut pas le débourser tout à la fois; mais ne Vous offrez pas vous-même à recevoir et à porter ce qu'il faudra restituer: s'il vous en prie, en le remettant exigez un reçu de la main du créancier et montrez-le ensuite au pénitent, pour tranquilliser de plus en plus sa conscience, et pour l'empêcher de vous soupçonner d'avarice. »>

CHAPITRE III.

DE LA TROISIÈME QUALITÉ DU CONFESSEUR, QUI EST CELLE

DE LOCTEUR.

16. La science est l'une des premières qualités d'un confesseur. Un laïque ignorant pourra être un saint, mais jamais un confes seur ignorant ne le sera. Sainte Thérèse, instruite par sa propre expérience, dit qu'il est plus dangereux d'être sous la conduite d'un confesseur dévot, peu savant, que d'un savant peu vertueux. Un confesseur ignorant peut faire les plus grandes fautes, repousser un pénitent comme indigne pour des fautes qu'il n'était pas tenu de déclarer à confesse, ou admettre comme innocent celui qui vit dans les plus criminelles habitudes. Il faut donc de la science et beaucoup de science à un confesseur.

Il doit être instruit des mystères de la religion, être versé dans la science des sacrements, savoir leur nature, quelle en est la

matière et la forme, les dispositions nécessaires pour les recevoir. Il doit savoir toute la théologie morale, les lois et les ordonnances diocésaines; il doit connaître la théologie casuistique afin de décider les cas de conscience qui se rencontrent; discerner les péchés mortels de ceux qui ne sont que véniels; pouvoir dire quand on est tenu à restitution. Il doit posséder la théologie mystique, cette science des saints, qui ne se contente pas de montrer le mal et de le défendre, mais qui enseigne le bien, apprend à le pratiquer.

Benoît XIV donne un avis très-important aux confesseurs, c'est de ne pas se faire un mérite de répondre sur-le-champ à toutes les questions qu'on leur propose. Les jurisconsultes les plus éclairés ont la sagesse de prendre du temps avant de donner leur avis sur les matières qui peuvent souffrir des difficultés. C'est un exemple que les confesseurs doivent imiter.

CHAPITRE IV.

DE LA QUATRIÈME QUALITÉ DU CONFESSEUR, QUI EST CELLE

DE JUGE.

17. Dans le sacrement de pénitence, le confesseur exerce les fonctions de juge. Cette qualité exige qu'il renvoie ou qu'il absolve, et toujours qu'il impose une pénitence. Au mot ABSOLUTION, nous avons dit quand le confesseur doit absoudre; au mot PÉNITENCE, nous disons celle qu'il doit imposer; au mot SECRET DE LA CONFESSION, nous faisons connaître en quoi il consiste et quelle obligation il impose. Nous finirons cet article par quelques mots empruntés à l'auteur de la Pratique charitable et discrète.

18. « La qualité de juge, dit-il au confesseur, exige de l'exactitude, parce que la rémission des fautes ne se donne plus ici, comme dans le baptême, à titre de pur bienfait, mais par voie de jugement; vous avez à prononcer sur les péchés et le repentir du coupable dans l'affaire la plus importante, celle de sa réconciliation avec Dieu.

«Les fautes graves, qui sont la matière nécessaire du sacrement, exigent non un procès quelconque, mais un procès distinct sur la qualité, le nombre et les circonstances Evitez deux écueils : l'un le relâchement, qui néglige cette recherche; l'autre la rigueur, qui la rend trop minutieuse. Faites ce qui est nécessaire ou très-utile au pénitent, sans passer au delà. Ne soyez donc pas du nombre de ceux qui, comme on dit, prennent ce que le pénitent leur donne, sans l'aider, et qui ne remédient point à ce qu'il tail par ignorance ou par honte; mais n'imitez pas non plus ceux qui rendent le sacrement odieux aux pénitents. En conséquence, avec tout le monde, et principalement avec ceux qui viennent vous trouver pour la première fois, contentez-vous de faire les interrogations purement NÉCESSAIREs el utiLES; autrement, si vous vouliez avoir une confession trop parfaite, vous pourriez empêcher le pénitent d'en faire une suffisante, mais nécessaire; ce qui lui serait très-nuisib'e. Je vous avoue qu'en entendant dire de cer

tains confesseurs, qu'ils ne confessent qu une ou deux personnes dans toute une matinée, j'admire leur zèle et la patiente charité de père, mais je n'y trouve pas l'habileté de médecin. A qui croyent-ils se rendre utiles par ce moyen? Ils ne le seront certainement pas à tant de personnes qu'ils n'ont plus le temps de confesser, et qui en avaient peutêtre grand besoin; mais qui, renvoyées sans le secours du sacrement, deviendront pires. Puissent-ils du moins être utiles au petit nombre de ceux qu'ils confessent! Mais n'est-ce pas justement à ceux-là qu'ils nuisent davantage, sans s'en apercevoir? car, excepté quelques cas très-rares, ils fatiguent tellement le pénitent, qu'il n'ose plus se présenter une seconde fois au saint tribunal, principalement si, à un détail outré dans les interrogations, ils ajoutent trop de rigueur dans l'imposition de la pénitence, en ordonnant des choses trop fortes et trop pénibles, qu'un confesseur habile et éclairé n'aurait point imposées.

« Soyez donc discret, même dans les choses nécessaires, par exemple, dans les recherches sur le nombre. En conséquence, si après que le pénitent s'est examiné, vous ne pouvez savoir le nombre certain ou au moins probable, contentez-vous de rechercher la durée et la fréquence des péchés, bien plus dans les actes internes, comme de haine, d'obscénité. On ne doit pas s'informer de la fréquence avec précision, parce qu'il y a grand risque de se tromper de beaucoup, en plus ou en moins; mais il suffira de demander combien de temps a duré celle discorde ou cette amitié, et d'observer, d'après l'état et la condition du pénitent, si la suite de cette affection déréglée a continué tout ce temps sans une notable interruption. Vous pour riez plutôt espérer, et par conséquent rechercher quelque chose de plus sur la fréquence des actes extérieurs; mais souvenezvous aussi que le pénitent ignorant, s'examinât-il d'ailleurs avec une diligence véritable, ne saurait jamais s'expliquer avec la précision d'un théologien savant et clair dans ses idées. Soyez donc sûr que vous remplissez votre devoir, en ne l'interrogeant que selon sa capacité.

« Votre exactitude doit être accompagnée de dextérité, non-seulement afin de mettre en pratique les avis donnés ci-dessus, pour découvrir tout le mal du pénitent, mais encore afin de rendre la confession courte, saus nuire cependant à son intégrité. Omettez toutes les interrogations sur les péchés purement véniels, que le pénitent n'est pas tenu à déclarer, et sur les péchés mortels qu'il aurait déjà bien confessés autrefois; ne portez pas à l'excès l'accusation des nouveaux péchés mortels. Si quelqu'un demande, surtout en un jour de concours, si un contrat qu'il a fait est juste, ou s'il est tenu à faire une restitution, et que ces cas exigent un long examen, vous pouvez, pour l'absoudre dès ce jour, lui faire dire deux choses: 1 s'il a agi avec intime conviction qu'il péchait, parce que ceci est matière de

confession; 2° s'il promet sincèrement de faire tout ce qui lui sera imposé dans un examen qui en sera fait ensuite, parce que ceci appartient aux dispositions nécessaires. S'il s'en repent, et que vous n'ayez pas lieu de douter de la sincérité de sa promesse, ne lui différez point l'absolution, et consolez-le dès lors, en lui imposant néanmoins, si vous le trouvez à propos, l'obligation de s'adresser à telle époque à vous ou à quelque au re confesseur, pour consulter sur ces cas. De même, dans une longue confession, si vous croyez ne pouvoir absoudre alors le pénitent, soit parce qu'il ne vous paraît pas bien disposé à raison de quelque habitude vi cieuse, soit parce qu'il a un cas réservé, faites-lui achever toute l'accusation, comme si vous alliez conclure; puis donnez-lui de suite tous les avis convenables, enjoignezlui toutes les obligations de droit; et après lui avoir fixé une pénitence proportionnée, dites-lui de revenir tel jour, et de vous rappeler alors la pénitence et les obligations imposées, en vous indiquant aussi confusément les péchés dont il vient de vous donner une pleine connaissance. Ainsi, quand il reviendra, il vous suffira, pour l'absoudre, de vous être muni des pouvoirs nécessaires pour le cas réservé, et d'examiner si l'habiiudinaire montre les marques d'un sincère repentir et d'une disposition suffisante, sans lui faire répéter tous ses péchés distinctement et par ordre, ce qui ne serait ni court ni facile, ni nécessaire; car c'est assez qu'il vous présente la matière pour l'absolution.

« Mais c'est surtout la science théologique qui doit vous guider dans le for de la cons cience, puisque sans elle vous ne pouvez bien porter un jugement. En conséquence, l'étude de la théologie morale vous est indispensable. Quoique vous ne deviez jamais vous croire assez instruit en ce genre, et qu'il convienne que vous en continuiez toujours l'étude, pour conserver et augmenter les connaissances déjà acquises; néanmoins, pour ne pas vous jeter dans la crainte d'entreprendre ce saint emploi de la confession, et vous en détourner peut-être, je vous dirai qu'il suffit, selon le sentiment de plusieurs auteurs, que vous sachiez du moins ce qui suit 1° Les cas réservés du lieu où vous confessez, ainsi que les cas et les censures réservées aux souverains pontifes, du moins celles que l'on encourt le plus souvent; 2o distinguer le péché mortel du péché véniel, de sorte que vous connaissiez ce qui, de sa nature, est grave, et que vous ne le confondiez pas avec ce qui est léger ; 3° les circonstances les plus notables du péché, au moins celles qui en changent l'espèce; 4° ce qui oblige à restitution de biens, ou de réputation; 5° ce qui en soi est une occasion prochaine, et du moins ses principaux remèdes; 6 les dispositions que le pénitent doit avoir; 7° les pénitences, du moins les plus usitées; 8°, enfin, que n'étant pas em barrassé dans les cas les plus ordinaires, Vous ne soyez pas si étranger à ceux qui arrivent plus rarement, que vous ne soup

çonniez pas même qu'ils demandent examen spécial, par exemple, que tel péché est peutêtre un empêchement de mariage; mais que Vous en ayez au moins une idée confuse, pour savoir douter qu'en cela vous courez risque de vous tromper, et qu'ainsi vous preniez du temps pour mieux examiner la chose, et pour éviter toute méprise.

«L'exactitude doit surtout être appuyée sur la discrétion, puisque sans elle cette vertu serait inutile et même dangereuse au pénitent, et vous tomberiez dans l'erreur, soit par relâchement, soit par rigueur. Voyons d'abord en général la nécessité absolue de cette discrétion, ensuite nous entrerons dans le détail. Prenons pour guide saint Bonaventure; on peut très-bien appliquer au confesseur ce qu'il dit de la conscience: Cavenda est conscientia nimis larga et nimis stricta; nam prima generat præsumptionem, secunda desperationem; primu sæpe salvat damnandum, secunda damnat salvandum (Tom. VII Comp. theol. verit., lib. 11, c. 52). De même le confesseur relâché et le confesseur rigide, marchant tous deux dans des voies opposées, privent les âmes de grands biens, et les exposent à des dommages inappréciables. Le premier fait naître la présomption dans ses pénitents, en ne leur inspirant que peu d'horreur pour le péché, et en les laissant dans l'assoupissement à l'égard de leurs obligations, et par là il affaiblit en eux la crainte de Dieu. Le second, au contraire, augmentant trop en eux la crainte et diminuant à l'excès l'espérance chrétienne, les jette dans le désespoir. La conscience large, le confesseur relâché, non par le mal que la présomption cause, mais par le bien qu'elle n'enlève pas, sæpe salvat damnandum; et au contraire, la conscience trep étroite, le confesseur rigide, non par ce qu'il ôte de mauvais, mais par ce qu'il enlève de bon, damnal salvandum. C'est une vérité évidente, non-seulement d'après l'autorité du docteur cité, mais encore d'après la considération des effets naturels de la présomption et du désespoir. La présomption laisse la volonté et le courage d'agir; elle n'ôte point, mais conserve l'estime et l'usage au moins de plusieurs moyens de salut, et entre autres de la confession; c'est pourquoi le présomptueux déchoit moins et plus lentement; il lui reste l'espérance qu'un jour viendra qu'il se servira de ces moyens, qu'il guérira radicalement et se sauvera. Au contraire, le désespoir, par la tristesse qui l'accompagne, enlève d'ordinaire tout le courage et la volonté de faire le bien; il va plus Join encore, regardant tout comme inutile, il fait perdre l'estime et l'usage de toute dévotion et de tout moyen de salut, principalement de la confession, éloigne de toute pratique de religion; et de là, celui qui s'y abandonne, se croyant perdu, brise tout frein, et se laisse aller plus que jamais à toute sorte de péchés, sans laisser espérance de remède ni d'amendement.

En effet, donnez-moi un pécheur depuis longtemps plongé dans le vice; il est dam

nandus, c'est-à-dire dans la voie de perdition; il sent souvent les remords de la conscience, qui le portent à se confesser, et c'est pour lui le remède unique et nécessaire. Mais quelle difficulté n'a-t-il pas à se résoudre d'y recourir, à cause de la honte de découvrir tant de péchés, et de la crainte de recevoir des réprimandes et des pénitences excessives! Or, dites-lai que tel confesseur est bon, qu'il reçoit avec charité, qu'il aide et console. A ces mots il se sent agrandir le cœur; c'est là, dit-il, le confesseur qui me convient il s'encourage, se prépare, et vient. Quelque relâché que soit le confesseur, si, en entendant ses accusations, il lui représente avec amour toute l'horreur de son état, le pécheur entre dans les sentiments d'une véritable componction, et voyant qu'on ne lui enjoint rien de trop difficile, il promet de tout son cœur d'accomplir ce qu'on lui prescrit, reçoit l'absolution, part tout consolé, fait sa pénitence, change de vie et se sauve, et voilà le sæpe salvat damnandum. Au contraire, donnez-moi un homme qui observe actuellement la loi de Dieu; il est dans la voie de grâce, salvandus. Or, supposez que son confesseur, qui était discret, vienne à mourir, et qu'il tombe entre les mains d'un autre confesseur trop sévère, qui, dans les cas où le premier l'expédiait en peu de temps, le retient deux heures à lui faire mille interrogations sur la foi, qui le voudrait instruire comme un théologien sur le jeûne, et qui, sans égard pour son état, ne lui permet le soir qu'environ trois onces d'aliments, et ne lui accorde pas deux ou trois heures de promenade les jours de fêtes, ou quelque jeu honnête; qui, pour l'usage du mariage et pour les contrats, ne veut point lui passer ce que d'autres confesseurs trèsestimés lui avaient toujours permis; qui le jette ainsi dans mille scrupules de péchés mortels, et veut qu'il fasse une confession générale. Ce pénitent, peu disposé à faire et à abandonner tant de choses, se retire tout troublé et découragé; il n'a plus de goût pour le bien, il omet le soir le rosaire, le matin la messe, les jours de fêtes les sacrements, dans la crainte de recevoir encore de nouvelles ordonnances; il se dissipe, et pour s'égayer, va en conversation, y est tenté, tombe dans un péché mortel, n'a pas le courage d'aller s'en confesser, diffère, pèche de nouveau, et se damne: voilà le damnat salvandum.

« Que votre morale ne soit donc ni reldchée ni rigide; autrement vous porterez vos pénitents à la présomption ou au désespoir, et vous ne serez point un fidèle ministre de Dieu, parce que, de même qu'un chef d'atelier peut porter préjudice à l'entrepreneur, non-seulement par trop d'indulgence, en passant sous silence les fautes des ouvriers et en les payant trop, ce qui occasionne des dépenses excessives à son maître qui est mal servi, mais encore par trop de rigueur en redoublant les travaux et en diminuant les salaires, ce qui rend tellement odieux son maître, que personne

servir;

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