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DU

ROYAUME DES PAYS-BAS,

DEPUIS 1814 JUSQU'EN 1830,

PRÉCÉDÉE D'UN COUP D'OEIL sur les grandES ÉPOQUES DE LA CIVILISATION BELGE, ET SUIVie d'un essai DE L'HISTOIRE DU ROYAUME DE BELGIQUE, DEPUIS LA RÉVOLUtion de 1830 jusqu'aujourd'hui ;

ACCOMPAGNÉE DE DISCOURS PARLEMENTAIRES, DE NOTES

ET DE PIÈGES JUSTIFICATIVES:

Par E. C. De Gerlache,

Ancien Membre des États-Généraux; ancien Président du Congrès Belge et de la
Chambre des Représentants; Premier Président de la Cour de Cassation; Directeur
annuel de l'Académie des Sciences et Belles-Lettres de Belgique.

SECONDE ÉDITION.

TOME II.

BRUXELLES,

CHEZ M. HAYEZ, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ET DE LA COMMISSION

ROYALE D'Histoire.

HISTOIRE

DU

ROYAUME DES PAYS-BAS,

DEPUIS 1814 JUSQU'EN 1850.

tholiques et des

libéraux.

Nous approchons de l'époque où les choses se compliquent. La Union des canation perd toute confiance dans le gouvernement. Les catholiques et les libéraux reconnaissent qu'ils ont été dupes d'une politique artificieuse, également funeste à tous; que si chacun a ses griefs particuliers, il en est de communs sur lesquels on peut s'entendre. Les libéraux commencent à parler de leurs anciens adversaires avec égards, et de la religion avec respect; ceux-ci, de leur côté, évitent soigneusement de heurter les systèmes des libéraux; ils vantent leur mérite personnel et leur loyauté politique. Enfin on convient de part et d'autre de faire trève à toute rivalité; on se rapproche et on jette les bases de l'union. La tolérance est le mot d'ordre général : la nation en masse se trouve religieuse ou tolérante, et le vieux philosophisme hostile à nos croyances est relégué dans les journaux ministériels, trop discrédités pour conserver encore quelque influence.

Les catholiques, désabusés des représentations respectueuses à S. M., ressources vaines et dérisoires, se mettent à étudier cette Loi fondamentale qu'ils avaient si longtemps dédaignée, adressent aux chambres des pétitions énergiques, couvertes d'un nombre immense de signatures, pour que le gouvernement sache enfin que c'est le pays qui parle.

Cet élan des esprits doit être attentivement étudié dans son ori

Influence de

nais.

gine, parce qu'il exprime mieux, je crois, les vœux et les besoins réels de la nation, que notre constitution même de 1831, plus ou moins empreinte de réaction et d'idées empruntées à la révolution française de 1850.

L'on éprouve maintenant quelque embarras à parler de l'auteur M. De La Men- des Paroles d'un croyant. Eh! que dire de cet homme qui, après avoir défendu la religion avec des arguments et une sublimité de langage qui ravissaient jusqu'à ses ennemis, s'est efforcé de détruire ce qu'il avait si noblement relevé? Sa chute est un de ces inexplicables mystères du cœur humain qui humilient et qui font trembler quand on y regarde. Son âme s'est enflée de ce qu'il ne devait qu'à Dieu; le souffle divin s'est retiré de lui et son orgueil l'a précipité. Mais à l'époque dont il s'agit, il occupait une haute position dans l'empire des intelligences qu'il secouait fortement; ceux même qui redoutaient les tendances de quelques-unes de ses théories, ne laissaient pas de le considérer comme un puissant athlète de la religion. Or les écrits polémiques de M. De La Mennais se trouvaient merveilleusement adaptés à la situation du clergé belge. Je ne m'arrêterai pas à celui de ses ouvrages qui a attaché la plus grande gloire à son nom; où il signale l'une des plaies les plus profondes de la société de nos jours, le défaut de foi religieuse et de conviction d'aucune sorte; où il montre la société humaine, élevée et conservée par le catholicisme, gouvernée aujourd'hui par des hommes qui poursuivent le catholicisme de leurs mépris, et pourtant cette société, toute pervertie qu'elle est, ne subsistant qu'à l'ombre de ce dernier retranchement qu'on n'a pu renverser encore pour le peuple. Je ne parlerai que de ceux des livres de M. De La Mennais qui avaient pour les Belges un vif intérêt d'actualité. Dans une brochure sur la liberté de l'enseignement, il attaquait avec beaucoup de force, l'université de France, fondée par Napoléon, véritable propagande de radicalisme, de despotisme et d'esprit militaire, aussi hostile à la monarchie qu'à la religion. Il démontrait l'absurdité et la tyrannie de ce prétendu régime légal, qui soumet au joug des gouvernements ce qu'il y a de moins gouvernable au monde, la science et les croyances. Effrayé de la corruption précoce et de l'esprit d'insubordination de cette jeunesse enrégimentée dans les écoles publiques; ne trouvant nulle garantie pour la foi dans les corps administrant l'enseignement; ne voyant de salut pour la société future, que dans l'esprit de famille, il réclamait au profit

de chaque père, le droit de choisir librement des maîtres, dont les principes fussent en parfait accord avec ses principes.

En 1828, M. De La Mennais fit paraître son ouvrage, Des progrès de la révolution et de la guerre contre l'église, dirigé contre les ordonnances Portalis et Feutrier, dont l'une prescrivait la fermeture des établissements dirigés par les jésuites, et l'autre restreignait le nombre des élèves admis dans les petits séminaires. Étendant plus loin les conséquences de son système, M. De La Mennais demanda hautement la liberté des cultes et la séparation des deux pouvoirs, afin que la religion fût débarrassée du contrôle de l'autorité temporelle; et il s'éleva, dans ses Lettres à l'archevêque de Paris, contre les doctrines absurdes du gallicanisme, qui sous prétexte de s'opposer aux usurpations du clergé, asservissaient la foi expirante aux caprices variables de quelques légistes, jaloux de tout pouvoir, dominés par l'esprit de corps et par leurs étroits préjugés ou leurs passions.

Je n'examine point si cette bruyante discussion ne fut pas plus funeste qu'utile à la monarchie et à la religion en France. Car Charles X était très-catholique; et quoi qu'on en pût dire, ses ministres, tout en prenant de fausses mesures, étaient bien plus influencés par la peur de quelque tempête libérale, que par un sentiment hostile au clergé. Je crois aussi que M. l'abbé De La Mennais, en traînant avec tant de violence des évêques à la barre de la presse, eût-il raison au fond, ne faisait que prêter des armes à un parti déjà trop redoutable, et qui menaçait tout à la fois l'église et le trône chancelant de Charles X.

Mais quelque exagérées qu'aient pu paraître en France les réeriminations de cet éloquent écrivain, elles n'en eurent pas moins un incroyable retentissement en Belgique, parce qu'elles frappaient juste et d'aplomb sur les actes du pouvoir qui y troublaient le plus vivement les consciences. La liberté de l'instruction n'était pas chez nous un système, une innovation plus ou moins aventureuse, comme elle pouvait le sembler alors en France; c'était une nécessité dérivant de la liberté et de la diversité des cultes, formellement reconnue par la Loi fondamentale. Tout ce que M. De La Mennais disait contre la clôture de quelques établissements dirigés en France par des religieux, s'appliquait très-directement à ces arrêtés de 1825, en vertu desquels un prince réformé et calviniste s'arrogeait la fourniture et le monopole exclusif des prêtres de la religion ca

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