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Toutes ces règles de conduite et conditions de séjour des navires de guerre belligérants admis dans les ports neutres sont obligatoires. S'y soustraire serait une violation du droit international, un affront à la souveraineté neutre qui a concédé l'asile et à qui resterait, en ce cas, le droit et le devoir d'employer la force contre l'offenseur. Par conséquent, le belligérant qui voudrait sortir d'un port neutre pour poursuivre sans délai son ennemi sortant également, peut en être empêché par le feu de l'artillerie et être coulé bas s'il s'obstine dans sa marche.

Le gouvernement neutre qui ne recourt pas à ces moyens ou qui, ne les ayant pas en son pouvoir, ne proteste pas solennellement et n'adresse pas d'énergiques réclamations au gouvernement du belligérant offenseur commet une faute; et l'autre belligérant qui n'a pas rencontré dans l'asile la garantie et la sécurité qu'il attendait et que le neutre n'a pas su ou n'a pas voulu rendre efficaces, peut exiger une satisfaction.

Un exemple qui met en relief cette doctrine, avec la pratique correspondante, et qui démontre le scrupule avec lequel on doit procéder dans ces circonstances, est le cas qui se présenta en septembre 1814 lors de la guerre entre l'Angleterre et les États-Unis. Le brick corsaire américain « général Armstrong », était mouillé dans le port de Fayal lorsque parut une division anglaise de trois navires sous le commandement du commodore Llyod. La nuit suivante, une chaloupe anglaise allant reconnaître le corsaire fut, d'après la version anglaise, reçue à coups de fusil et eut quelques hommes tués; d'après la version américaine, le corsaire, craignant une attaque, alla se placer près de la batterie de terre et essuya là le feu de l'un des navires anglais; l'équipage abandonna alors son bâtiment et l'incendia. En raison de ces faits, le gouvernement américain, en 1850, réclama une indemnité du gouvernement portugais pour la valeur du corsaire, en s'appuyant sur ce que ce gouvernement n'était pas intervenu en faveur du corsaire

dans ses eaux neutres, où la concession de l'asile donnait au navire américain le droit d'être protégé.

L'affaire transportée dans le champ de la diplomatie ne reçut sa solution qu'en février 1851. La difficulté fut alors soumise, d'un commun accord, à l'arbitrage du prince Napoléon, Président de la République française. L'arbitre, considérant que l'insuffisance des batteries de terre ne permettait qu'une intervention pacifique, décida que l'indemnité n'était pas due, parce que le corsaire n'avait pas recouru dès le principe à cette intervention, mais, bien plutôt, avant d'y faire appel, employé la force et fait couler le sang pour repousser une agression injuste, à la vérité. Il ajoutait que le corsaire, lui aussi, avait méconnu et offensé la souveraineté neutre dans les eaux de laquelle il se trouvait et que, par conséquent, celle-ci s'était trouvée déliée de l'obligation de le protéger par tous autres moyens qu'une intervention pacifique'.

Un autre exemple de manque de respect pour l'immunité des eaux neutres et des conséquences qu'il entraîne, est celui du combat qui eut lieu sur les côtes de l'Algarve, en 1759, entre les forces de l'amiral anglais Boscawen et les navires français de La Clue. Le combat avait commencé en vue des côtes; La Clue dut céder à la supériorité de l'ennemi et battit en retraite dans les eaux territoriales, où quatre de ses navires s'échouèrent entre Sagres et Lagos; mais les Anglais poursuivirent la lutte, capturèrent deux navires français et incendièrent les deux autres en dépit des feux des batteries de terre qui cherchaient à les en empêcher.

Le gouvernement portugais, neutre, voyant l'immunité de ses eaux offensée, réclama, comme il le devait, satisfaction auprès du gouvernement anglais; s'il n'avait pas agi ainsi, il aurait dù subir les réclamations du gouvernement français pour avoir manqué à son devoir. La mission spé

IV. appendice, VII.

ciale de lord Kinnoult à Lisbonne, eut pour objet de donner la satisfaction demandée; mais l'Angleterre se borna à cet acte et ne donna pas plus ample réparation; et quand la France, quatre ans plus tard (1762), déclara la guerre au Portugal, elle fit mention de cette circonstance parmi les motifs qu'elle alléguait, en déclarant l'offense mal réparée 1.

Il n'est pas inutile de remarquer que quelques publicistes plus spéculatifs que positifs ont cherché à établir comme discutable le cas du combat commencé hors des eaux territoriales neutres et poursuivi sans interruption à l'intérieur de ces eaux; ils ne trouvent pas de motif pour s'opposer à l'acte d'hostilité ainsi pratiqué dum fervet opus. D'autres, plus sérieux, sont d'accord pour dire qu'il n'y a pas d'exception à la règle qui regarde comme illégal tout acte d'hostilité sur territoire neutre. La pratique, mise en harmonie avec le droit, ne peut être différente.

L'étude que nous avons faite des situations diverses créées par la concession de l'asile aux belligérants dans les mers neutres, nous oblige à dire un mot du cas de relâche forcée, d'échouement ou de naufrage sur le littoral d'un ennemi, et à voir si, dans ces conditions, le droit de la guerre, autorisant la prise et le, séquestre doit prévaloir sur le devoir de l'humanité qui réclame la concession du refuge.

C'est là une question à laquelle des solutions différentes peuvent être données selon que l'on veut appliquer plus ou moins rigoureusement ce que le droit justifie ou ce que la générosité conseille.

Aussi, dans des cas semblables où le droit de guerre autorise une manière d'agir et où la magnanimité en indique une autre, la conduite à suivre sera celle dictée par l'un des deux sentiments qui dominera l'intéressé. Mais il n'est pas douteux que souvent une nation grandit moralement et

1 V. appendice, VIII.

gagne par la générosité de ses actes plus qu'elle ne pourrait obtenir matériellement par l'application rigoureuse de certains principes.

CHAPITRE VI

DE LA LIBERTÉ DU COMMERCE DES NEUTRES ENTRE EUX ET AVEC LES BELLIGÉRANTS. DEUXIÈME DROIT DES NEUTRES.

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SOMMAIRE. Conflit entre les droits des neutres et des belligérants en ce qui concerne la saisie de la propriété sur mer. Le pavillon neutre couvre-t-il la marchandise ennemie et le pavillon ennemi rend-il ennemie la cargaison neutre? · Difficulté de résoudre cette question par le droit primitif seul. Opinions des publicistes et recours au droit coutumier et conventionnel. Doctrine du Consulat de la Mer. - Ordonnances de Louis XIV. - Le droit conventionnel est en faveur du principe: navire libre, marchandise libre. - Neutralités armées; leurs causes et leurs effets. Influence des intérêts politiques sur les questions relatives aux droits des neutres. Conventions maritimes de 1801 et de 1807 et droit conventionnel après le congrès de Vienne (1815) en faveur de la doctrine que la cargaison suit le sort du pavillon. — Déclaration des représentants des grandes Puissances au congrès de Paris en 1856, établissant que le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie et que le pavillon ennemi ne confisque pas la cargaison neutre. La liberté du commerce des neutres devenue règle internationale.

Dès que deux ou plusieurs nations entrent en lutte, chacune d'elles a le droit de saisir sur mer la propriété et d'entraver le commerce de son ennemi.

Ce droit que l'état de guerre donne au belligérant permet à celui-ci :

1° D'interdire à ses sujets tout commerce avec la nation avec laquelle il est en guerre ;

2o De prohiber, en général, tout commerce avec les pays occupés par lui ou soumis à sa domination;

3o De prohiber, en général, tout commerce avec les ports

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