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» sorte il faut parler aux rois à genoux; il faut se tenir >>> debout dans la chambre des princes. C'est une sottise et » une bassesse d'esprit que de leur refuser ces devoirs.

>> Mais pour les respects naturels, qui consistent dans l'es>> time, nous ne les devons qu'aux grandeurs naturelles, et >> nous devons au contraire le mépris et l'aversion aux qua>>lités contraires à ces grandeurs naturelles. Il n'est pas néces »saire, parce que vous êtes due, que je vous estime; mais il » est nécessaire que je vous salue. Si vous êtes duc et honnête » homme, je rendrai ce que je dois à l'une et à l'autre de » ces qualités. Je ne vous refuserai point les cérémonies que » mérite votre qualité de duc, ni l'estime que mérite celle » d'honnête homme. Mais si vous étiez duc sans être honnête » homme, je vous ferois encore justice: car en vous rendant » les devoirs extérieurs que l'ordre des hommes a attachés à » votre qualité, je ne manquerois pas d'avoir pour vous le » mépris intérieur que mériteroit la bassesse de votre esprit.

»Voilà en quoi consiste la justice de ces devoirs; et l'in» justice consiste à attacher les respects naturels aux gran» deurs d'établissement, ou à exiger les respects d'établisse>>ment pour les grandeurs naturelles. M. N... est un plus » grand géomètre que moi; en cette qualité, il veut passer » devant moi : je lui dirai qu'il n'y entend rien. La géométrie » est une grandeur naturelle : elle demande une préférence >> d'estime; mais les hommes n'y ont attaché aucune préfé>> rence extérieure. Je passerai donc devant lui, et l'estimerai >> plus que moi en qualité de géomètre. De même si, étant

duc et pair, vous ne vous contentiez pas que je me tinsse » découvert devant vous, et que vous voulussiez encore que » je vous estimasse, je vous prierois de me montrer les qua» lités qui méritent mon estime. Si vous le faisiez, elle vous » est acquise, et je ne vous la pourrois refuser avec justice; » mais si vous ne le faisiez pas, vous seriez injuste de me la » demander; et assurément vous n'y réussiriez pas, fussiez» vous le plus grand prince du monde. »

Ce discours est un peu long; mais on ne pourroit l'abréger sans le défigurer. Il rend d'une manière dramatique, et avec des exemples frappans, le sens de la pensée de Nicole. Nous croyons être sûrs que les lecteurs l'auroient vu avec plaisir dans le recueil auquel a présidé M. Mersan.

Ce qui distingué éminemment Nicole des autres moralistes, c'est une sévérité qui, sans être portée à l'excès, ne fléchit ccpendant jamais devant aucune considération humaine. La morale chrétienne n'a point eu de plus fidèle interprète. En saisissant ainsi l'esprit des livres saints dans ce qui a rapport

aux actions ordinaires des hommes, le moraliste s'est préservé de la rigueur des stoïciens: les vertus qu'il exige ne s'éloignent jamais de la douceur et de la charité évangélique. Un modèle inimitable de cette humanité, c'est le chapitre des Essais intitulé: Des Moyens de conserver la Paix avec les Hommes. M. de Voltaire le considéroit comme un chef-d'œuvre auquel on ne trouve rien d'égal dans l'antiquité. On regrette que M. Mersan n'y ait pas puisé un plus grand nombre de pensées : il auroit pu en tirer une série de préceptes excellens sur la manière dont on doit se conduire dans le monde, quelle que soit la situation dans laquelle on est placé.

On a reproché à Nicole de la sécheresse dans le style, et une certaine stérilité dans les idées, Ces reproches, fondés sur un passage mal interprété de La Bruyère, n'ont besoin, pour être réfutés, que des suffrages illustres qui honorèrent les Essais quand ils parurent.

Quelquefois le moraliste s'élève aux plus hautes pensées, et son style prend un caractère d'originalité. « L'homme est si » misérable, dit-il, que l'inconstance avec laquelle il aban>> donne ses desseins est en quelque sorte sa plus grande vertu; » parce qu'il témoigne par-là qu'il y a encore en lui quelque >> reste de cette grandeur qui le porte à se dégoûter des choses » qui ne méritent pas son amour et son estime. >> Cette pensée a quelques rapports avec l'idée que s'étoient formés plusieurs Pères de la vie pastorale, état de la société très-inférieur, sous les rapports humains, à la vie agricole et à la vie civile. « Cette » vie, disoient ces Pères, paroît plus parfaite, parce qu'elle » attache moins les hommes à la terre. »

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D'autres fois, Nicole emploie des tournures piquantes; on peut citer un exemple qui tient de la naïveté de La Fontaine et de la finesse de La Bruyère. « Il y a, dit-il, des hommes » qui sont sots si doucement, qu'ils ne s'en aperçoivent pas » du tout. »

On auroit desiré que M. Mersan n'eût rien changé aux pensées de Nicole. Quoiqu'on n'ait pas tout comparé, on a remarqué dans quelques articles des suppressions qui affoiblissent le sens, et des changemens qui, sans le dénaturer, ne laissent pas d'y apporter quelqu'altération.

La Notice nous a paru dans d'excellens principes moraux : elle est écrite avec ce style élégant et naturel qui convient au genre. Peut-être eût-il été à desirer que M. Mersan eût gardé un peu plus de mesure en parlant des Jansenistes, dont les erreurs furent justement condamnées par l'Eglise. Les louanges qu'il donne à leurs talens n'auroient pas dû s'appliquer aussi à leur conduite. L'auteur, cependant, n'a

rien avancé qui puisse être rigoureusement blåmé; il ne pent craindre que les conséquences qu'il seroit possible de tirer de quelques phrases. Il y a dans cette partie de l'histoire du siècle de Louis XIV des matières si délicates, qu'elles ne sauroient être traitées aeec trop de soin et de réserve.

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P.

Childeric, roi des Francs; par madame de Beaufort-d'Hautpoul. Deux vol. in-8°. Prix: 7 fr. 50 c., et 10 fr. par la poste. A Paris, chez Ch. Cocheris, libraire, quai de Voltaire; et chez le Normant.

L'ACCUEIL momentané que le public a daigné faire aux romans historiques que nous avons vu paroître dans ces derniers temps, devoit réveiller les écrivains qui sont dans l'habitude de faire imprimer tous les rêves de leur imagination, et les encourager à retourner toute l'histoire de France, pour nous accabler des productions les plus bizarres et les plus extravagantes. Mais, au petit concert de louanges flatteuses qui s'est fait entendre à la naissance de ces sortes d'ouvrages, la voix sévère de la critique vint mêler ses graves accens, et tempérer un peu l'ardeur productive de tous ces écrivains. Ses utiles leçons nous ont sans doute épargné les plus grands abus qu'ils pouvoient faire d'un genre qui, lui-même, est une licence en littérature, et c'est à elles que nous devons l'agréable silence des uns et la sage retenue des autres.

Madame de Beaufort-d'Hautpoul, qui n'a pas cru devoir pousser la discrétion jusqu'à son dernier point, a pensé avec raison que, s'il peut être permis d'appliquer à des personnages historiques des aventures inventées à plaisir, il faut au moins choisir ces personnages dans les temps les plus obscurs de l'histoire, ou parmi les héros dont elle ne nous a conservé que les noms, afin de ne pas se trouver en contradiction trop Sensible avec des faits déjà connus, et de suppléer, autant que le peut une imagination féconde, au défaut même de l'histoire. Avant que madame d'Hautpoul eût fait cette réflexion, nous ne connoissions guère de notre ancien roi Childeric, fils de Mérovée et père de Clovis, que la place que les chronologistes lui assignent au rang des fondateurs de notre monarchie; mais aujourd'hui, nous voilà mieux instruits des vingt premières années de sa vie, que des vingt dernières du règne de

notre bon roi Henri, qui est cependant assez bien connu. Tous les faits et gestes de Childéric, toutes ses paroles et ses pensées se trouvent renfermées dans les deux volumes dont nous allons présenter à nos lecteurs un abrégé rapide, afin de répondre à la juste impatience qu'ils éprouvent sans doute de connoître enfin ce qui, depuis quatorze siècles, n'avoit jamais été revélé.

Childéric étoit blond; et il avoit les yeux bleus : à douze ans il s'enfuit de la maison paternelle, emportant avec lui le javelot de Pharamond. Un beau desir de s'illustrer venoit de l'arracher aux douces caresses de sa mère qui l'idolâtroit, et il avoit résolu de se rendre au camp, pour y combattre sous les yeux de Mérovée, qui étoit en guerre avec Attila. Quelques historiens prétendent que ce roi des Huns n'existoit plus à l'époque où madame d'Hautpoul le fait encore guerroyer; mais quand on veut s'amuser à la lecture d'un ronian historique, il faut tout croire sans examen. La bataille s'engage; Chilpéric tombe dans la mêlée avant d'avoir pu se signaler. Un Chinois, nommé Gélimer, est touché de sa jeunesse et du péril où il est exposé; il le relève d'entre les chevaux qui alloient le fouler aux pieds, et il l'entraîne au fond de la Germanie, dans une grotte environnée de forêts impénétrables. Mérovée resta vainqueur; mais il retourna dans ses Etats, sans avoir pu retrouver son fils, et sans savoir ce qu'il est devenu; la reine s'affligea tellement de ceite perte, qu'elle succomba à son chagrin : on lui fait de superbes funérailles; et chaque assistant a soin de jeter sur ses restes sacrés une poignée de sa terre natale.

Il existoit dans ce temps à la cour de Mérovée un chevalier appelé Vinodame, qui se représente ici sous le nom de Viomade c'étoit, si l'on veut, le gouverneur du jeune Childeric. Le roi le lui avoit recommandé avant de livrer bataille; mais Viomade l'avoit abandonné pour voler au secours de Mérovée, et lui sauver la vie aux dépens de la sienne: il n'étoit cependant pas mort; il avoit seulement reçu une blessure de laquelle il étoit à peine guéri, lorsqu'il résolut de se mettre en campagne, pour chercher l'héritier de la couronne. Il se laisse persuader, par un prisonnier fait sur Attila, que ce barbare retient Childé parmi ses captifs, qu'il lui sera facile de s'en empares, et qu'il pourra le ramener en France. Le piége étoit grossier: c'étoit un traître qui vouloit livrer un des hommes les plus habiles d'entre les Français à la vengeance du roi des Huns. Néanmoins cet habile homine suit son guide à travers les forêts les plus épaisses; et, lorsque celui-ci le croit hors d'état de jamais pouvoir s'en tirer, ik lui vole ses armes et l'abandonne, sans moyen de subsis

tance, dans un pays perdu, sauvage, et rempli de bêtes féroces. Il périssoit infailliblement de faim, de fatigue, ou déchiré par les loups, si madame d'Hautpoul n'avoit eu l'humanité de lui faire rencontrer un petit sentier qui le mena tout droit à la grotte où Childéric et Gélimer s'étoient refugiés. Gélimer étoit devenu aveugle; mais Childéric étoit frais et vermeil, content comme un prince, et ne se souciant pas plus de son père ni de sa mère, que si jamais il ne les avoit connus. Du reste c'étoit un très-bon fils: car il pleura beaucoup lorsque Viomade lui eut dit que la reine sa mère étoit morte de chagrin.

Gélimer avoit confié à Childéric toutes les aventures de sa vie, mais Childéric ne lui avoit rien dit des siennes, et son ravisseur ne s'en étoit pas même informé. Il fut donc étrangement surpris, lorsque Viomade lui eut dit que c'étoit un fils de roi qu'il avoit ramassé sur le champ de bataille; il comprit tout de suite qu'il alloit le perdre; et comme il ne vouloit pas le suivre à la cour de France, il trouva qu'il étoit sage de s'enfoncer dans le cœur le javelot de Pharamond. Childéric et Viomade retirèrent cette arme du sein de Gélimer expiré, et ils se mirent aussitôt en route, pour retourner dans leur patrie: le prince connoissoit un chemin sûr et peu long; il ne lui fut pas difficile d'aller porter quelque consolation dans le cœur de son père, qui le reçut fort tendrement, et qui se garda bien de lui reprocher, et l'incertitude cruelle où il l'avoit laissé si long-temps, et l'oubli de toutes les bontés de sa mère, qu'il avoit cruellement abandonnée à tous ses regrets; et l'incroyable insouciance qu'il avoit témoignée sur son état, sur ses devoirs, et sur tout ce qui pouvoit arriver de bien et de mal pendant son absence. Il est vrai que. Childéric auroit pu répondre qu'il s'étoit engagé par serment à ne pas abandonner le bon Gélimer; à quoi son père auroit pu répliquer que c'étoit là justement ce qu'il ne falloit pas faire; et Childéric auroit été forcé d'avouer qu'il ne s'étoit conduit dans cette aventure d'une manière si ridicule, que pour faire plaisir à madame d'Hautpoul; qu'il savoit bien qu'il seroit blâmé de tout le monde; mais qu'il n'avoit pu résister aucharme d'obliger une aimable Française ; qu'il avoit seulement voulu lui fournir un beau sujet de roman historique; et que, pour le grossir, il étoit encore prêt à recommencer, au risque de perdre le reste de sa famille et même sa couronne; que la galanterie d'un chevalier exigeoit tous ces sacrifices, et qu'il les comptoit pour rien. Mérovée se seroit sans doute contenté de ces bonnes raisons, et il auroit admiré l'étonnante prévoyance de son cher fils. Quoi qu'il en soit, le monarque se réjouit

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