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mier avènement de Jésus-Christ, et la prédication de l'Evangile aux Gentils. Loin delà, le P. Lambert s'attache à réfuter les interprêtes qui ont eu recours aux figures et aux allégories, et il soutient qu'il faut revenir au sens littéral, le seul qui convienne à cette prophétie. Il me semble que la raison et le cœur souffrent également d'une semblable interprétation ; et que c'est bien le cas de répéter avec Saint-Paul: la lettre tue et l'esprit vivifie.

Cette étonnante résolution de tout prendre à la lettre, toutes les fois que le sens figuré auroit été moins favorable au système, a dû quelquefois embarrasser extrêmement l'auteur. Nous avons peine à concevoir, par exemple, comment il s'est tiré d'un autre passage d'Isaïe, d'où il fait résulter pour les Juifs convertis et rassemblés dans Jérusalem, la promesse d'une très-longue vie. Observez que les habitans de Jérusalem, pendant le règne de mille ans, sont tous, ou des saints ressuscités et immortels, ou des justes parfaits qui transmettent de race en race à leurs enfans une justice et une sainteté consommée. Or, voici ce que porte la Vulgate dans l'endroit même dont le P. Lambert leur fait l'application : « Non erit » ibi ampliùs infans dierum, et senex qui non impleat dies. >> suos; quoniam puer centum annorum morietur, et pec»cator centum annorum maledictus erit. » Ces derniers mots qui paroissoient très - obscurs à M. de Sacy, même avec le secours du sens figuré, sont vraiment inexplicables dans le systême des millénaires, où il ne doit pas exister un seul pécheur, sur-tout parmi les enfans d'Israël, la portion la plus favorisée du peuple des saints. Aussi, est-il arrivé, je ne sais comment, que ces paroles du prophète, répétées dans deux endroits différens, ont reçu deux interprétations différentes (1). Quoi qu'il en soit, il restera toujours à expliquer comment il peut être question de pécheur âgé de cent ans, peccator centum annorum, dans une Jérusalem peuplée de saints et de justes, sur cette nouvelle terre où Jésus-Christ en personne règne visiblement au milieu de ses apôtres et de ses martyrs, et verse sur tous ses sujets les plus abondantes bénédictions.

Nous prions le P. Lambert de revenir sur ce passage, qui nous paroît fournir une objection très-considérable contre le règne de mille ans, en détruisant un de ses plus beaux et de ses plus essentiels attributs, cette sainteté universelle, cette justice parfaite qui doit briller à jamais dans tous les citoyens de la nouvelle Jérusalem. Nous croyons d'autant plus difficile

(1) Voyez les pages 368 du 1a yol., et 138 du 2o.

de résoudre victorieusement cette difficulté dans le système du millénarisme, qu'ici le texte est clair, et la Vulgate parfaitement d'accord avec l'hébreu, ainsi qu'il est aisé de s'en

assurer.

Ceci nous conduit à une observation générale, que nous soumettons aux lumières du savant théologien, et qui terminera cet examen de la seconde partie de son ouvrage.

Il applique sans cesse à Jésus-Christ un grand nombre des prophetics de l'Ancien Testament, telles que les suivantes : Le Seigneur va sortir du lieu où il réside ( Isaïe, chap. 26); le Seigneur sortira et combattra contre les nations (Zacharie chap. 14); Jérusalem sera appelée le trône du Seigneur (Jérémie, chap. 3); le Seigneur habitera dans Sion (Joël, chap. 4), elc. Dans tous ces endroits le mot hébreu que les Septante ont traduit par xupros, la Vulgate par Dominus, les traducteurs français par le Seigneur, est JEHOVAH, le grand nom de Dieu, ce nom ineffable que Dieu lui-même, parlant à Moïse dans le buisson ardent, s'est donné comme étant son nom par excellence, et le seul qui exprimât toute la majesté de son être. D'où il suit que la véritable traduction des passages que nous venons de citer, et que le P. Lambert invoque à l'appui de son système, est celle-ci : Jehovah habitera dans Sion; Jehovah sortira et combattra contre les nations, etc. Maintenant je demande si l'écriture donne également ce nom de Jehovah à chacune des trois personnes divines, et particulièrement si elle désigne ainsi le Dieu fait homme, le Messie. Ne paroît-il pas plutôt par plusieurs passages de l'Ancien et du nouveau Testament (1), qu'elle consacre de nom redoutable au Dieu créateur de l'Univers, au Dieu trois fois saint considéré dans l'unité de ses trois personnes, la Sainte-Trinité, en un mot; ou du moins, qu'elle le réserve à Dieu le père, à qui elle a coutume d'attribuer les œuvres de la Toute-Puissance? Nous ne citerons qu'un seul exemple qui nous a paru être d'un grand poids. Les Chrétiens ne peuvent pas douter que David n'eût en vue le Messie, lorsque, contemplant de loin la gloire immense d'un fils qui seroit en mêine-temps son Dieu, il s'écrioit dans un transport d'admiration et de joie : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : » Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que j'aie mis tous vos a ennemis sous vos pieds. » Il est évident que l'Ecriture à voulu parler de deux Seigneurs, et que le second est JésusChrist.

(1) Vovez, entr'autres. le second pseaume qui est certainement applicable à Jésus-Christ, et le 1 chap, de l'Apocalypse, versets 4 et 5.

Le premier est donc Dieu le père, ou la Sainte-Trinité. Et dans l'hébreu, nous retrouvons en effet la distinction que les traductious grecque, latine et française ont fait disparoître. Le texte porte : JEHOVAH, dixit domino meo, JEHOVAH, dit à mon Seigneur.

Nous ne nous arrêterons pas davantage sur cette observa tion, faite peut-être ici pour la première fois. Si elle est fondée, on voit assez qu'elle pouvoit fournir quelque lumière pour l'interprétation des Ecritures, et qu'elle auroit des à présent la plus grande influence sur le système du P. Lambert. Elle lui enleveroit tout-à-coup une foule de passages dont il s'autorise pour établir le règne de mille ans, et un second avénement de Jésus-Christ, différent de celui qui doit terminer pour toujours la scène du monde, et nous transporter dans l'éternité.

Mais, indépendamment du plus ou moins de justesse de cette dernière réflexion, nous croyons que plus on approfondira la doctrine du millénarisme, même le plus épuré, plus on se tiendra au sentiment de Bossuet, et plus on se convaincra qu'un pareil système renferme d'insurmontables difficultés, et ne se nourrit souvent que de vaines imaginations.

Nous ne parlerons pas de quelques autres opinions qui ne se lient pas à la doctrine du règne de mille ans, mais qui donneroient lieu à des discussions trop sérieuses à la fois et trop pénibles. Que l'Antechrist, le plus terrible fléau de la colère divine, doive être un des premiers pontifes de la religion de. Jésus-Christ; que la Babylone de l'Apocalypse ne soit pas Rome conquérante et païenne, comme l'ont cru tous les Pères, mais Rome chrétienne et apostate; que la grande ville, nommée Sodome et Egypte, dans ce livre tout rempli des secrets de Dieu, soit évidemment Paris; toutes ces questions nous paroissent tristement curieuses, et plus dangereuses qu'utiles. Le mérite de proposer des conjectures plus ou moins hardies, ne vaut pas le trouble que peuvent causer dans les ames et dans l'Eglise de semblables controverses. Quand on tremble, comme Bossuet, en mettant les mains sur l'avenir, on ne s'égare pas dans des questions qui sont au moins oiseuses, et stériles pour le bien. Elles nous semblent sur-tout déplacées, et conséquemment funestes, dans un temps où tant de maux réels sollicitent à tout moment le courage et le zèle des écrivains religieux; dans un temps où de faux sages, se jouant insolemment de la morale autant que de la religion, attaquant, renversant l'une et l'autre jusque dans leurs premiers et plus intimes fondemens, disputent à l'homme sa nature, à la société tous ses liens, à la conscience tous ses remords;

à Dieu son existence. Epouvanté de l'audace et des succès d'une si coupable doctrine, nous avons encore ce surcroît de douleur de voir les amis même de la Religion, ses derniers défenseurs peut-être, ressusciter de vaines opinions de l'homme au lieu de rappeler sans cesse la pure loi de Dieu; faire fausse route et se perdre dans des chimères, tandis qu'ils devroient se rallier, réunir toutes leurs forces et combattre de front des ennemis puissans et habiles, qui épient toutes les occasions, tiennent registre de toutes les fautes, et profitent seuls de toutes nos disputes L'auteur de l'ouvrage, que nous avons tour-à-tour approuvé et combattu avec une égale franchise est resté debout, mais presque seul, au milieu de ruines qui ne se réparent pas. Il lui appartient, plus qu'à tout autre, de conserver pur et intact le dépôt des vérités saintes que nous a transmises l'antiquité chrétienne, quod ubique, quod semper. Toute doctrine, il le sait mieux que nous, toute doctrine qui n'a pas cet auguste caractère, n'est point la doctrine des Chrétiens.

VARIÉTÉS.

LITTÉRATURE, SCIENCES, ARTS, SPECTACLES, ET NOUVELLES LITTÉRAIRES.

Au Rédacteur du Mercure de France.

Paris, 19 octobre 1806.

« Je trouve avec surprise, Monsieur, dans le dernier >> numéro du Mercure, des vers qui me sont attribués, et qui » sont peu dignes du public, et de l'ouvrage que vous rédi– » gez. C'est ainsi que dernièrement vous avez copié un alma>> nach littéraire dont l'éditeur, sans me prévenir, a réimprimé » des morceaux d'une traduction de l'Essai sur l'Homme, » faite il y a plus de vingt ans. J'ai désavoué, à diverses » époques, dans plusieurs journaux, tous les fragmens poé>>tiques publiés dans ma jeunesse, et toujours fort mal impri» més dans les recueils où ils sont ensevelis. Permettez que je >> renouvelle le même désaveu.

>> Un imprimeur, en 1789, commença une édition en » deux volumes de mes premiers essais. Quelques années de » plus me rendirent heureusement plus sévère. Je voulus que » l'édition fût anéantie, et je donnai deux cents louis à l'im

>> primeur pour le payer de ses avances. J'ai donc bien acquis » le droit d'être oublié.

» Si d'autres circonstances me permettoient de me livrer » encore à la poésie, je voudrois du moins choisir des sujets » dont l'importance pût dédommager les lecteurs de la foi» blesse de mes talens.

» Recevez, Monsieur, l'assurance de ma haute estime. >>

FONTANES.

-Les débuts de Lafond dans la comédie continuent à attirer la foule au Théâtre-Français. Mercredi, il a joué le Misantrope, le rôle le plus difficile peut-être du théâtre, et dans lequel Molé lui-même laissoit quelque chose à desirer. Les applaudissemens que Lafond a reçus ne doivent être regardés par lui que comme des encouragemens. Il ne paroît pas ́avoir bien saisi le caractère d'Alceste, et la nuance délicate qui sépare ce personnage des héros tragiques.

-La reprise de l'opéra comique intitulé le Roi et le Fermier, a obtenu un succès éclatant. La musique charmante de Montsigni a produit tout l'effet qu'elle ne peut manquer de produire toutes les fois qu'elle sera bien exécutée. Ce grand musicien, que Grétry seul, parmi les compositeurs français, a quelquefois égalé, a été demandé à grands cris après la représentation. Il n'a pas jugé à propos de paroître, et, suivant neus, il a bien fait. Cet honneur est devenu trop souvent la récompense d'une mauvaise pièce, d'une musique détestable, ou d'un mauvais acteur.

-On donne en même temps sur le Théâtre de l'Impératrice un des chefs-d'œuvre de la musique italienne. Si à la première représentation la Frascatana n'a pas obtenu tout le succès qu'elle mérite, la faute en est aux acteurs. Depuis, ils ont étudié; et leurs efforts ont été heureux. On leur a fait répéter l'admirable quatuor du second acte.Nous invitons ceux qui pensent que la musique n'est qu'une mode laquelle varie tous les dix ans, à aller voir la Frascatana et le Roi et le Fermier. Nous donnons le même conseil aux compositeurs qui croient que l'art s'est perfectionné depuis vingt ans, et qu'ils seroient sifflés, s'ils faisoient aujourd'hui de la musique comme en faisoient alors Monsigni et Paësiello.

La classe de la langue et de la littérature françaises de l'Institut, a élu, mercredi dernier, à la place vacante par la mort de M. Target, M. le cardinal Maury, ci-devant l'un des quartante de l'Académie Française.

-Les arts viennent de perdre J. B. C. Jallier, l'un des architectes des bâtimens civils du ministère de l'intérieur, ancien pensionnaire de l'académie de France à Rome. Il devoit

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