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complice? Ayez du moins la morale des brigands, et ne vous rendez pas sans nécessité le dénonciateur de celui qui com plota avec vous. Quoi! ces lettres que, du vivant de celui qui vous les écrivit vous n'auriez osé lire peut-être devant votre société ordinaire, vous les livrez après sa mort au publi Vous les lui vendez ! Vous les faites imprimer, quoiqu'elles soient sans intérêt, et qu'elles ne contiennent rien de nouveau! Et cela, par le motif seul, que le nom de votre ami étant célèbre, vous espérez qu'il fera acheter votre recueil! Ainsi donc, vous ne trafiquez pas seulement de son secret, vous trafiquez de sa gloire; et vous vendez l'un et l'autre au prix de quelque argent.

Je ne connois que deux occasions où les lettres familières d'un homme célèbre puissent inspirer quelqu'intérêt au public, et dans lesquelles il soit vraiment utile de le montrer lui-même tel qu'il a été dans sa famille et avec ses amis. La première est celle où ses lettres rappellent des mœurs et des vertus dignes d'être imitées, et peuvent par cela même servir à l'instruction de ses descendans. Par exemple, dans les lettres de Racine, je ne reconnois pas l'auteur d'Athalie et d'Iphigénie; mais j'aime à y voir que dans le siècle de Louis XIV, les grands auteurs, après avoir fait leurs grands ouvrages, ne songeoient pas à nouer des intrigues pour les faire réussir, et qu'ils se délassoient du travail de la journée, en s'occupant le soir de l'éducation de leurs enfans. Les petits détails dont ces lettres sont pleines, ne me peignent pas le grand homme; sur-tout ils ne me le peignent pas mieux que tant de chefs-d'œuvre qui ont rendu son nom immortel; mais aujourd'hui il n'est peut-être pas inutile d'apprendre que ce grand homme préféra une fois le plaisir de manger une carpe avec sa famille, à celui d'aller recueillir des applaudissemens à un dîner de beaux esprits, et que la crainte d'affliger son épouse par son absence, l'emporta sur celle de désobliger un grand prince par son refus. O temps, ô mœurs! Eh! bien, je ne doute pas que dans le

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siècle de Louis XIV, on n'eût désapprouvé la publication de cette même correspondance: on eût trouvé peut-être qu'il étoit inconvenant de représenter un grand homme sous ces traits petits et communs.... Sont-ils communs aujourd'hui? Et avonsnous le droit d'en juger comme dans le siècle de Louis XIV?

Le second cas ( on me prévient) est celui, où un homme célèbre après avoir travaillé toute sa vie à faire prévaloir des opinions dangereuses, se présenteroit à la postérité environné d'un éclat qui pourroit faire illusion, et donner du crédit à ses erreurs. Alors il importe de détruire son influence; alors il faut dévoiler toutes ses menées, toutes ses intrigues; il faut, si on peut, mettre le public dans la confidence de tous ses secrets. Ce n'est pas qu'il n'y ait encore dans la publication qu'on fait de ses lettres quelque chose de bas et de vil, qu'un honnête homme ne se permettroit pas; mais il est sûr pourtant qu'il est utile de les connoître. Ceux qui les font imprimer rendent, sans en être plus estimables, un grand service à la société : ils sont en quelque sorte les exécuteurs de sa justice. Ainsi, les éditeurs de la correspondance de Voltaire firent, sans le savoir, et sur-tout sans le vouloir, un des recueils les plus instructifs qui aient été publiés dans ce siècle. Lorsqu'on parcourt ces lettres si connues, et qui ne le seront jamais assez, on croit voir l'antre de Cacus, tel qu'il parut à tous les yeux, après qu'Hercule eût étouffé le brigand:

Abjuratæque rapina

Cælo ostenduntur, pedibusque informe cadaver

Protrahitur.

« Ses vols désormais perdus sont produits au grand jour, et le hideux cadavre est traîné au-dehors par les pieds. » Ce cadavre, c'est celui de la philosophie, non pas seulement vaincue, mais réellement morte et à jamais déshonorée dès l'instant qu'on eût révélé au public par combien de ruses, d'astuce, de faussetés, on étoit parvenu à établir son empire. Ces lettres de nos philosophes sont un véritable miroir où

ils doivent frémir de se regarder; et désormais, quand on voudra les réduire au silence, il suffira de le leur présenter. Enfin elles sont presque toutes de Voltaire ou de d'Alembert; et il étoit utile, nécessaire même, que le public connût Voltaire et d'Alembert tels qu'ils étoient; c'est-à-dire, l'un comme un énergumène qui, tout en criant contre le fanatisme, étoit lui-même un vrai fanatique d'erreur; et l'autre comme un vrai fourbe, un intrigant subalterne, ne sachant que tirer du feu les marrons qu'il n'y avoit pas mis. Qui m'a fourni ces expressions? Qui les a peints ainsi? Ce sont euxmêmes; et après eux ce sont leurs éditeurs qui nous ont revélé tous leurs secrets; et on peut dire qu'en cette occasion, mentita est iniquitas sibi.

Mais quelle nécessité y avoit-il de peindre M. de Mirabeau tel qu'il étoit? L'influence que cet homme exerça sur son siècle, et celle qu'il exerce encore parmi nous, sont-elles donc si grandes, qu'il soit important de le faire voir au public dans son négligé, ou, pour employer l'autre expression de Voltaire, de le montrer dans toute sa laideur? c'est ce qu'il est temps d'examiner.

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M. de Mirabeau eut l'air d'exercer pendant deux années une grande influence sur son pays. Semblable à ces comètes à la queue flamboyante, à la chevelure enflammée, qui se montrent de temps en temps, et auxquelles le vulgaire attribue tous les malheurs qui précèdent et qui suivent leur apparition, il parut au milieu des tempêtes, et selon l'usage, on l'accusa de les avoir rassemblées. Je crois cependant que M. de Mirabeau, borné par la nature au talent de profiter quelquefois habilement des circonstances, n'eut pas celui de les faire naître. Le feu couvoit sous la cendre: laissons-lui la honte de l'avoir attisé. Les élémens de la révolution fermentoient dans toutes les têtes; avouons qu'il contribua plus qu'un autre à leur réunion. Ensuite qu'en a-t-il fait, et qu'est-il resté de tout le fracas qu'il a causé? Non, je ne puis voir dans M. de Mi

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rabeau un grand homme; c'est à d'autres traits qu'on reconnoît les vrais hommes d'Etat; et si on s'obstine à nous dire qu'il fut du moins un grand orateur, je me contenterai de demander ce qu'il faudra penser désormais de la définition que Cicéron nous a donnée de l'orateur (1).

Si M. de Mirabeau fut éloquent, qu'on me dise donc pourquoi on ne lit plus aucun de ses discours. M. de Mirabeau un grand homme! Non, je ne ferai pas à mon siècle le tort de prodiguer ce titre à un tel homme et à un tel écrivain! Veut-on que nos descendans surpris des éloges que nous lui aurons donnés, et ne sachant plus sur quels titres, s'écrient dans leur étonnement : Voilà donc les grands hommes du dixhuitième siècle; ils ont paru comme ces globes de feu qui brillent un instant dans les ténèbres, éclatent tout àcoup, et s'évanouissent, comme des torrens formés par les orages, et qui ne laissent, pour toutes traces de leur existence passagère, que les débris qu'ils accumulent en se précipitant. Que nous reste-t-il en effet de M. de Mirabeau? Ses opinions, ses discours, ses écrits, tout le fracas, tout le mal qu'il fit, ne fut-il pas dans un même jour et dans une même tombe, enseveli avec lui? Il est mort, mort tout entier, et ce n'est pas à présent qu'on peut craindre de le voir revivre. Quelle influence exerce-t-il sur nous? Quelle illusion peut-il nous faire? Je dis plus, quelle illusion a-t-il jamais faite? Eh! n'a-t-on pas toujours su ce qu'il étoit?

On avoit vraiment grand besoin qu'un compilateur vînt nous dire pour la millième fois, que M. de Mirabeau fut un mauvais fils et un mauvais époux, et qu'il préludât par les troubles qu'il suscita dans sa famille, à ceux qu'il devoit un jour fomenter dans l'Etat. Nous ignorions peut-être que sa vie entière ne fut qu'une lutte continuelle contre son père et contre son épouse, et sans ces lettres, jusqu'à présent inédites,

(1) Vir bonus, dicendi perius

nous l'aurions toujours ignoré! Et quel est l'homme qui publie ces lettres? Quel est cet éditeur bénévole qui croit nous instruire de tous ces détails? C'est un ami de M. de Mirabeau, un homme du moins qu'il appèlé son ami, son bien bon ami. Oh! le livre rare. Oh! l'ami fidèle. Oh! les détails curieux.

Je me trompe : ces lettres renferment des détails qu'on ne trouveroit point ailleurs. Par exemple, on savoit très-bien que M. de Mirabeau ne se piquoit pas de constance dans ses principes; car on le vit tour-à-tour contribuer au renversement de la monarchie, ensuite la défendre, et même, dit-on, travailler sourdement à la rétablir. On l'entendit dans les tribunaux invoquer toutes les lois, même celles qui protégeoieut la sainteté du mariage, et dans la tribune soulever toutes les passions contre ces mêmes lois. Mais on crut, jusqu'à présent, que, ferme dans son aversion pour les vertus douces et paisibles, il n'avoit jamais cherché à plaire à son père on le croyoit parfaitement incapable d'éprouver ces préventions de famille qui sont si naturelles aux bons cœurs. Enfin on lui faisoit l'honneur de penser qu'il n'avoit jamais admiré les ouvrages de l'ami des hommes, ni adoré la fameuse idole. qu'on appeloit le docteur Quesnay. On étoit dans l'erreur. Je trouve dans ces lettres que M. de Mirabeau eut une fois la fantaisie d'élever un monument à son père, et voici quel en devoit être le plan. D'abord un pré à l'anglaise : dans ce pré, un bosquet en lauriers qui devoit étre l'enceinte du temple de la vérité : dans cette enceinte, une coupole à l'antique, et au milieu de tout cela, l'ami des hommes léguant ses ouvrages au temps et à la vérité. Voilà, il faut l'avouer, un legs qui a été répudié par ses héritiers. Mais continuons. Là, Bacon, Galilée, Socrate, tous les grands hommes persécutés et méconnus par leur siècle, devoient trouver leur place; mais le groupe, objet du monument, c'étoit la statue de son père dédiant ses livres à la déesse que le temps dévoilera. Il

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