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foncières, le plus libré, le plus utile, le plus moral, et surtout le plus politique de tous les contrats.

L'autre réflexion est que le capital, placé à constitution de rente, étant comme le capital placé en fonds de terre, aliéné pour un temps indéfini, et dont le terme étoit à la seule volonté de l'emprunteur, il étoit raisonnable de supposer que l'emprunteur, tant qu'il gardoit la somme, en retiroit un avantage; et que le prêteur, tant qu'il en étoit privé, en souffroit un dommage, parce qu'il étoit plus que probable que s'il l'avoit eu à sa disposition, il en auroit fait, dans un temps ou dans un autre, un emploi utile ; et il y avoit ainsi pour motif légitime d'exiger l'intérêt, l'avantage qu'y trouvoit l'emprunteur, joint au dommage qu'en souffroit le prêteur.

Quoi qu'il en soit, il n'est pas impossible de rétablir l'usage des contrats à constitution de rente, et de constituer le prêt à intérêt, comme on a constitué tant d'autres choses. Il est même probable qu'on y reviendra, et peut-être avec des modifications qui rendront plus égale la condition des deux parties.

Il n'est pas inutile de rappeler ici la série des questions que nous nous sommes proposées au commencement de cette dis

cussion:

L'argent n'est ni valeur ni marchandise, mais le signe public de toutes les valeurs, et le moyen légal d'échange entre toutes les marchandises.

L'argent produit légitimement un intérêt, lorsqu'il est employé à acquérir des valeurs, qui portent naturellement ou légitimement un revenu.

L'argent produit légitimement un bénéfice, lorsqu'il est employé en société de gain et de perte dans le commerce. L'intérêt doit être fixé sur le produit général des terres, fonds territorial, source de tous les produits, et régulateur de toutes les valeurs.

Le bénéfice doit varier comme les profits du commerce. L'argent peut produire un intérêt, lorsque le prêteur renonce à un profit assuré, ou qu'il souffre un dommage

réel, comme dans le prêt de commerçant à commerçant ; et même dans ce cas, l'intérêt peut être le juste équivalent du profit cessant, ou du dommage souffert.

Le prêt à constitution de rente produit légitimement un intérêt; parce que le capital étant aliéné pour un temps indéfini, il est impossible que dans un temps ou dans un autre, le prêteur n'en eût pas retiré un profit, ou qu'il n'en souffre pas un dommage.

Le prêt à jour qui n'est causé, ni pour acquisition de valeurs productives, ni pour société de commerce, et dans lequel le prêteur disposant à tout moment de son capital, ne peut alléguer, ni un profit auquel il doive renoncer, ni un dommage qu'il puisse souffrir, produit un intérêt sans motif suffisant et légal. Il a été considéré jusqu'à ces derniers temps, comme un prêt de consommation essentiellement gratuït, et la raison en est évidente. En effet, l'argent n'étant que le signe de valeurs productives ou de valeurs improductives (1), le prêt à jour qui n'est pas causé pour valeurs productives, ne peut donc être le signe que de valeurs improductives en denrées ou en travail. Mais si cent francs prêtés à jour sont le signe de dix mesures de blé où de cinquante journées de travail, de quel droit exigerois-je que l'emprunteur me rendit onze mesures de blé, ou cinquante-cinq journées de travail ?.

L'assurance contre le danger d'une perte possible, n'est pas un motif suffisant d'exiger l'intérêt, parce que cette assurance se trouve dans les précautions que la loi permet au prêteur pour prévenir la perte, ou dans les moyens qu'elle lui fournit pour l'empêcher.

Le service rendu à l'emprunteur n'est pas un motif suffisant, parce que ce service que je rends sans m'incommoder moi-même, est une charité que je dois à mes frères, qu'ils me doivent à leur tour, et qui ne peut s'évaluer, ni se payer.

(1) Voyez le premier article, dans le N°. du 13 septembre.

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NOVEMBRE 1806.

Je rappelle les lois jadis usitées en France et leurs motifs ces lois, à la faveur desquelles la société a prospéré, et de meeurs s'étoient élevées au plus haut point de décence ede dignité. Je ne me dissimule pas que ces lois sont sévères, comme toutes. les lois dont l'objet est de subordonner l'intérêt privé à l'intérêt public. Sans doute la défense du prêt à jour apporte une gêne quelquefois fàcheuse dans les affaires de la famille ; mais la tolérance du prêt à jour produit un désordre intolé→ rable dans les affaires de l'Etat. En vain diroit-on que la loi qui le défendroit ne seroit pas obéie: je répondrois que si l'administration doit quelquefois empêcher ce qu'elle ne sauroit défendre, la morale doit toujours défendre même ce qu'elle ne peut empêcher.

J'ai rencontré la raison des lois religieuses sur le prêt, en ne cherchant que les motifs des lois politiques. C'est une nouvelle preuve de la vérité de la doctrine chrétienne : je veux dire de sa parfaite conformité sur tous les objets de la morale aux rapports les plus naturels des choses. Ceux qui' s'obstinent à la combattre, peuvent remarquer que je n'ai traité la question du prêt qu'en politique, et non en théologien ; et ce n'est pas ma faute si la vraie philosophie est en tout d'accord avec la religion.

On a fait de longs traités sur la richesse des nations, des traités où l'on a voulu doctement enseigner ce que tout le monde sait, et quelquefois ce que personne ne peut connoître. Je doute qu'il y ait des livres plus abstraits, et qui pis est plus inutiles. Mais, au fond, ces mots richesse des nations', présentent-ils une idée assez juste pour en faire le sujet d'un traité, et même le titre d'un ouvrage? Les particuliers sont riches, et les nations sont fortes; et comme l'opulence fait la force politique d'un particulier, on peut dire que la force est la seule richesse d'une nation. Il faudroit donc traiter de la richesse des particuliers et de la force des nations: mais est-il nécessaire de se livrer à de pénibles recherches sur la nature et les causes des richesses; et les enfans du siècle, nous dit l'Evangile, n'en savent-ils pas, sur les moyens de faire fortune, bien plus que les enfans de lumière ? Et l'art de s'enrichir

n'est-il pas beaucoup mieux connu des ignorans que des savans et des gens d'esprit? A considérer même la richesse dans les nations, l'extrême misère ne touche-t-elle pas à l'extrême opulence; et la nation qui compte le plus de millionnaires, n'est-elle pas toujours celle qui renferme le plus d'indigens? Qu'on lise les Recherches sur la Mendicité en Angleterre, par Morton Eden, et l'on y verra des villes, même considérables, où la moitié des habitans est à la charge du bureau de charité. Tout peuple qui est content de son sort, est toujours assez riche; et, sous ce rapport, la stérile Suède étoit aussi riche que la pécunieuse Hollande, et eût été beaucoup plus forte. La richesse d'une nation n'est pas les impôts qu'elle paie: car les impôts sont des besoins et non un produit; et l'excès des besoins est plutôt un signe de détresse que la mesure de la richesse. Je le répète : la richesse d'une nation est sa force, et sa force est dans sa constitution, dans ses mœurs, dans ses lois, et non dans son argent. On peut même assurer qu'à égalité de territoire et de population, la nation la plus opulente, c'est-à-dire la plus commerçante, sera la plus foible, parce qu'elle sera la plus corrompue, et de la pire de toutes les corruptions, la corruption de la cupidité.

On peut le dire aujourd'hui que tout est consommé; on peut le dire, non comme un reproche pour le passé, mais comme une leçon pour l'avenir: c'est moins le fanatisme politique qui n'égaroit qu'un petit nombre d'esprits, que la cupidité universelle produite par les nouveaux systèmes sur l'argent, et par le relâchement de tous les principes de morale, qui a fait descendre la société chrétienne chez le peuple le plus généreux et le plus éclairé, au-dessous même de ces ignobles et délirantes démagogies païennes, qui ne jugeoient que sur 'des délations, ne gouvernoient que par des supplices, ne vivoient que de consfications; et où l'exil, la mort étoient le prix inévitable de la vertu, et la proscription la condition nécessaire de la propriété.

Nous nous croyons riches, et nous le sommes effectivement de biens artificiels. Mais les vrais biens s'épuisent, et la nature

semble s'apauvrir. Il y a peu de villes en France où il ne soit bientôt plus aisé de se procurer un meuble de bois d'acajou qu une poutre de bois de chêne pour soutenir le toit de sa maison. Le bois à brûler coûte presqu'aussi cher que les alimens qu'il sert à préparer; et les toiles des Indes sont à meilleur compte que les draps faits de la laine de nos troupeaux. Comment se fait-il que les inventions modernes des arts se dirigent à la fois vers les jouissances du luxe les plus raffinées, et vers l'économie la plus austère sur les premiers besoins? La soupe du pauvre dans les grandes ville coûte moins que la pâtée d'un serin le malheureux auroit une idée bien basse de ce qu'il vaut s'il ne s'estimoit que par ce qu'il coûte.

On peut laver le linge avec de la fumée, éclairer se apparte mens avec de la fumée, se chauffer avec de la va◄ peur, etc. Les machines remplacent l'homme; et mêmes les élémens, s'il faut en croire M. de Condorcet, se convertiront un jour en substances propres à notre nourriture. Partout on prodigue l'art pour économiser la nature. J'applaudis à ces découvertes et j'en admire les anteurs; mais peut-être faut-il s'affliger de la cause qui rend ces découvertes nécessaires, et les hommes si inventifs. A mesure que le luxe gagne la société, les premières nécessités manqueroient-elles à l'homme? Ces premiers dons de la nature que la Providence avoit départis d'une mains libérale à tous ses enfans, et dont les peuples naissans sont si abondamment pourvus, commenceroient-ils à s'épuiser dans la société avancée ; et comme des dissipateurs, après avoir consommé notre pairimoine, serions-nous réduits à chercher notre vie dans les moyens précaires de l'industrie? Nous faudra-il désormais apprendre dans les savantes décompositions de la chimie ou dans les inventions ingénieuses de la mécanique, l'art si facile de vivre, hélas! et la vie plysique deviendra-t-elle aussi pénible que la vie politique ? Je ne sais; mais nos grandes sociétés d'Europe ne ressemblent pas mal à une place assiégée depuis plusieurs années, où après avoir épuisé les magasins on a recours aux moyens les moins naturels. On se chauffe avec les meubles; on fait de l'argent

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