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pas possible en effet de monter de l'artillerie sur le plateau, qui d'ailleurs étoit si petit que quatre bataillons pouvoient à peine s'y déployer. On fit travailler toute la nuit à un chemin dans le roc, et l'on parvint à conduire de l'artillerie

sur la hauteur.

Le maréchal Davoust reçut l'ordre de déboucher par Naumbourg pour défendre les défilés de Koesen, si l'ennemi vouloit marcher sur Naumbourg, ou pour se rendre à Apolda, pour le prendre à dos, s'il restoit dans la position où il

étoit.

Le corps du maréchal prince de Ponte-Corvo fut destiné à déboucher de Donnbourg, pour tomber sur les derrières de l'ennemi, soit qu'il se portat en force sur Naumbourg, soit qu'il se portât sur Jena.

La grosse cavalerie qui n'avoit pas encore rejoint l'armée, ne pouvoit la rejoindre qu'a midi; la cavalerie de la garde impériale étoit à trente-six heures de distance, quelques fortes marches qu'elle eût faites depuis son départ de Paris. Mais il est des momens à la guerre où aucune considération ne doit balancer l'avantage de prévenir l'ennemi et de l'attaquer le premier. L'EMPEREUR fit ranger sur le plateau qu'occupoit l'avant-garde, que l'ennemi paroissoit avoir négligé, et visà-vis duquel il étoit en position, tout le corps du maréchal Lannes ce corps d'armée fut rangé par les soins du général Victor, chaque division formant une aile. Le maréchal Lefebvre fit ranger au sommet la garde impériale en bataillon carré. L'EMPEREUR bivouaqua au milieu de ses braves. La nuit offroit un spectacle digne d'observation, celui de deux armées dont l'une déployoit son front sur six lieues d'étendue, et embrasoit de ses feux l'atmosphère; l'autre dont les feux apparens toient concentrés sur un petit point: et dans l'une et l'autre armée, de l'activité et du mouvement. Les feux des deux armées étoient à une demi-portée de canon; les sentinelles se touchoient presque, et il ne se faisoit pas un mouvement qui ne fut entendu.

Les corps des maréchaux Ney et Soult passoient la nuit en marche. A la pointe du jour toute l'armée prit les armés. La division Gazań étoit rangée sur trois lignes, sur la gauche du plateau. La division Suchet formoit la droite; la garde impériale occupoit le sommet du monticule, chacun de ces corps ayant ses canons dans les intervalles. De la ville et des vallées voisines on avoit pratiqué des débouchés qui permeltoient le déploiement le plus facile aux troupes qui n'avoient pu être placées sur le plateau; car c'étoit peut-être la première fois qu'une armée devoit passer par un si petit débouché. Un brouillard épais obscurcissoit le jour. L'EMPEREUR passa devant plusieurs lignes. Il recommanda aux soldats de se tenir èn garde contre cette cavalerie prussienne qu'on peignoit

comme si redoutable. Il les fit souvenir qu'il y avoit un an qu'à la même époque ils avoient pris Ulm; que l'armée prussienne, comme l'armée autrichienne, étoit aujourd'hui cernée, ayant perdu sa ligne d'opérations, ses magasins; qu'elle ne se battoit plus dans ce moment pour la gloire, mais pour sa retraite; que cherchant à faire une trouée sur différens points, les corps d'armée qui la laisseroient passer, seroient perdus d'honneur et de réputation. A ce discours animé, le soldat répondit par des cris de marchons. Les tirailleurs engagèrent l'action. La fusillade devint vive. Quelque bonne que fût la position que l'ennemi occupoit, il en fut débusqué; et l'armée française, débouchant dans la plaine, commença à prendre son ordre de bataille.

De son côté, le gros de l'armée ennemie, qui n'avoit eu le projet d'attaquer que lorsque le brouillard seroit dissipé, prit les armes. Un corps de 50,000 hommes de la gauche, se posta pour couvrir les défilés de Naumibourg, et s'emparer des débouchés de Koesen; mais il avoit déja été prévenu par le maréchal Davous!. Les deux autres corps, formant une force de 80,000 hommes, se porterent en avant de l'armée française qui débouchoit du plateau de Jena. Le brouillard couvrit les deux armées pendant deux heures; mais enfin il fut dissipé par un beau soleil d'automne. Les deux armées s'aperCurent à petite portée de canon. La gauche de l'armée française, appuyée sur un village et des bois, étoit commandée par le maréchal Augereau. La garde impériale la séparoit du centre qu'occupoit le corps du maréchal Lannes. La droite étoit formée par le corps du maréchal Soult; le maréchal Ney n'avoit qu'un simple corps de 3000 hommes, seules troupes qui fussent arrivées de son corps d'armée.

L'armée ennemie étoit nombreuse et montroit une belle cavalerie. Ses manœuvres étoient exécutées avec précision et rapidité. L'EMPEREUR eût desiré retarder de deux heures d'en venir aux mains, afin d'attendre, dans la position qu'il venoit de prendre après l'attaque du matin, les troupes qui devoient le joindre, et sur-tout sa cavalerie; mais l'ardeur française l'emporta. Plusieurs bataillons s'étant engagés au village de Hollstedt, il vit l'ennemi s'ébranler pour les en déposter. Le maréchal Lannes reçut ordre sur-le-champ de marcher en échelons pour soutenir ce village. Le maréchal Soult avoit attaqué un bois sur la droite; l'ennemi ayant fait un mouvement de sa droite sur notre gauche, le maréchal Augereau fut chargé de le repousser; en moins d'une heure, l'action devint générale; 250 ou 500,000 hommes avec 7 ou 800 pièces de canon , semoient partout la mort et offroient un de ces spectacles rares dans l'histoire. De part et d'autre, on manoeuvra constamment comme à une parade. Parmi nos troupes, il n'y eut jamais le moindre désordre, la victoire ne fut pas

un moment incertaine. L'EMPEREUR eut toujours auprès de lui, indépendamment de la garde impériale, un bon nombre de troupes de réserve pour pouvoir parer à tout accident imprévu.

Le maréchal Soult ayant enlevé le bois qu'il attaquoit depuis deux heures, fit un mouvement en avant. Dans cet instant, on prévint l'EMPEREUR que la division de cavalerie française de réserve, commençoit à se placer, et que deux nouvelles divisions du corps du maréchal Ney se plaçoient en arrière sur le champ de bataille. On fit alors avancer toutes les troupes qui étoient en réserve sur la première ligne, et qui se trouvant ainsi appuyées, culbutèrent l'ennemi dans un clin-d'œil, et le mirent en pleine retraite. Il la fit en ordre pendant la première heure; mais elle devint un affreux désordre du moment que nos divisions de dragons et nos cuirassiers, ayant le grand-duc de Berg à leur tête, purent prendre part à l'affaire. Ces braves cavaliers frémissant de voir la victoire décidée sans eux, se précipitèrent partout où ils rencontrèrent des ennemis. La cavalerie, l'infanterie prussienne ne purent soutenir leur choc. En vain l'infanterie ennemie se forma en bataillons carrés; cinq de ces bataillons furent enfoncés; artillerie, cavalerie, infanterie, tout fut culbuté et pris. Les Français arrivèrent à Weimar en même temps que l'ennemi, qui fut ainsi poursuivi pendant l'espace de six lieues.

A notre droite, le corps du maréchal Davoust faisoit des prodiges. Non-seulement il contiat, mais mena battant pendant plus de trois lieues, le gros des troupes ennemies qui devoit déboucher du côté de Koesen. Ce maréchal a déployé une bravoure distinguée et de la fermeté de caractère, première qualité d'un homme de guerre. Il a été secondé par les généraux Gudin, Friant, Morand, Daultanne, chef de l'étatmajor, et par la rare intrépidité de son brave corps d'armée. Les résultats de la bataille sont 50 à 40 mille prisonniers; il en arrive à chaque moment; 25 à 30 drapeaux, 500 pièces de canon, des magasins immenses de subsistances. Parmi les prisonniers se trouvent plus de vingt généraux, dont plusieurs lieutenans généraux, entr'autres le lieutenant - général Schmettau. Le nombre des morts est immense dans l'armée prussienne. On compte qu'il y a plus de vingt mille tues ou blessés; le feld-maréchal Mollendorff a été blessé ; le duc de Brunswick a été tué; le général Ruchel a été tué; le prince Henri de Prusse grièvement blessé. Au dire des déserteurs, des prisonniers et des parlementaires, le désordre et la consternation sont éxtrêmes dans les débris de l'armée ennemie. De notre côté, nous n'avons à regretter parmi les généraux que la perte du général de brigade Debilly, excellent soldat; parmi les blessés, le général de brigade Conroux. Parmi le

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colonels morts, les colonels Vergès; du 12° régiment d'infanterie de ligne; Laniotte, du 56; Barbenègre, du 9° de lussards; Marigny, du 20° de chasseurs; Harispe, du 16° d'infanterie légère; Dulembourg, du 1 de dragons; Nicolas, du 6. de ligne; Viala, du 81; Higonat, da 108.

er

Les hussards et les chasseurs ont montré dans cette journée une audace digne des plus grands éloges. La cavalerie prussienne n'a jamais tenu devant eux, et toutes les charges qu'ils ont faites devant l'infanterie ont été heureuses.

Nous ne parlons pas de l'infanterie française; il est reconnu depuis long-temps que c'est la meilleure infanterie du mondé. L'EMPEREUR a déclaré que la cavalerie française, après l'expérience des deux campagnes et de cette dernière bataille, n'avoit pas d'égale.

L'armée prussienne a dans cette bataille, perdu toute retraite et toute sa ligne d'opérations. Sa gauche, poursuivie par le maréchal Davoust, opéra sa retraite sur Weimar, dans le temps que sa droite et son centre se retiroient de Weimar sur Naumbourg. Lá confusion fut donc extrême. Le roi a dû se retirer à travers champs, à la tête de son régiment de cavalerie.

Notre perte est évaluée à 1000 ou 1100 tués et 3000 blessés. Le grand-duc de Berg investit en ce moment la place d'Erfurt, où se trouve un corps d'ennemis que commandent le maréchal de Mollendorf et le prince d'Orange.

L'état-major s'occupe d'une relation officielle qui fera con. noître dans tous ses détails cette bataille et les services rendus par les différens corps d'armée et régimens. Si cela peut ajouter quelque chose aux titres qu'a l'armée, à l'estime et à la considération de la nation, rien ne pourra ajouter au sentiment d'attendrissement qu'ont éprouvé ceux qui ont été témoins de l'enthousiasme et de l'amour qu'elle témoignoit à l'EMPEREUR au plus fort du combat. S'il y avoit un moment d'hésitation, le seul cri de vive l'Empereur! ranimoit les courages, et retrempoit toutes les ames. Au fort de la mêléé, l'EMPEREUR Voyant ses ailes menacées par la cavalerie, se portoit au galop pour ordonner des manoeuvres et des changemens de front en carrés; il étoit interrompu à chaque instant par des cris de vive l'Empereur! La garde impériale à pied voyoit, avec un dépit qu'elle ne pouvoit dissimuler, tout le monde aux mains, et elle dans l'inaction. Plusieurs voix firent entendre les mots en avant! « Qu'est-ce? dit l'EMPEREUR; ċe » ne peut être qu'un jeune homme qui n'a pas de barbe qui » peut vouloir préjuger ce que je dois faire qu'il attende » qu'il ait commandé dans trente batailles rangées, avant de » prétendre me donner des avis. » C'étoit effectivement des vélites, dont le jeune courage étoit impatient de se signaler. Dans une mêlée aussi chaude, pendant que l'ennemi per

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doit presque tous ses généraux, on doit remercier cette Providence qui gardoit notre armée. Aucun homme de marque n'a été tué ni blessé. Le maréchal Lannes a eu un biscayen qui lui a rasé la poitrine sans le blesser. Le maréchal Davoust a eu son chapeau emporté et un grand nombre de balles dans ses habits. L'EMPEREUR a toujours été entouré, par-tout où il a paru, du prince de Neuchâtel, du maréchal Bessières, du grand-maréchal du palais Duroc, du grand-écuyer Caulaincourt, et de ses aides-de-camp et écuyers de service. Une partie de l'armée n'a pas donné, ou est encore sans avoir tiré un coup de fusil.

VI BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.

Weimar, le 15 octobre au soir. Six mille Saxons et plus de trois cents officiers ont été faits prisonniers. L'EMPEREUR a fait réunir les officiers, et leur a dit, qu'il voyoit avec peine que leur armée lui faisoit la guerre; qu'il n'avoit pris les armes que pour assurer l'indépendance de la nation saxonne, et s'opposer à ce qu'elle fût incorporée à la monarchie prussienne; que son intention étoit de les. renvoyer tous chez eux, s'ils donnoient leur parole de ne jamais servir contre la France; que leur souverain, dont il réconnoissoit les qualités, avoit été d'une extrême foiblesse, en cédant ainsi aux menaces des Prussiens, et en les laissant entrer sur son territoire; mais qu'il falloit que tout cela finît; que les Prussiens restassent en Prusse, et qu'ils ne se mêlassent en rien des affaires de l'Allemagne ; que les Saxons devoient se trouver réunis dans la confédération du Rhin sous la pro-, tection de la France, protection qui n'étoit pas nouvelle, puisque depuis deux cents ans, sans la France, ils eussent été envahis par l'Autriche, ou par la Prusse; que l'EMPEREUR n'avoit pris les armes que lorsque la Prusse avoit envahi la Saxe; qu'il falloit mettre un terme à ses violences; que le continent avoit besoin de repos ; et que malgré les intrigues et les basses passions qui agitent plusieurs cours, il falloit que ce repos existât, dût-il en coûter la chute de quelques trônes. Effectivement, tous les prisonniers saxons ont été renvoyés chez eux, avec la proclamation de l'EMPEREUR aux Saxons, et des assurances qu'on n'en vouloit point à leur nation. (Ĉijoint la déclaration signée par les officiers saxons.)

Nous soussignés général, colonels, lieutenans colonels, majors, capi. taines et officiers saxons, jurons sur notre parole d'honneur de ne point parter les armes contre S. M. l'Empereur des Français, Roi d'Italie, et ses alliés; et nous prenons le même engagement et faisons le même serment ay nom de tous les bas-officiers et soldats qui ont été faits prisonniers avec nous. et dont l'état est ci-joint, même si nous en recevions l'ordre formel de notre souverain l'électeur de Saxe.

Jena, le 15 octobre 806.

Suivent la signature du baron de Niesemeuschel, lieutenantgénéral saxon, et celles de 120 officiers saxons de tout grade.)

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