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faudra, continuoit M. de Mirabeau, trouver un moyen de placer d'une manière flatteuse et distinguée...... le docteur Quesnay qui a été le précurseur de mon père.....; et voilà, si je ne me trompe, un sujet capable d'échauffer un artiste. En effet, l'Ami des hommes, Socrate, Galilée, Bacon, le docteur Quesnay, auroient formé un singulier groupe, et il y avoit là de quoi exercer toute l'imagination d'un Calot. Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans ce projet, c'est M. de Mirabeau le formoit en attendant. En attendant! Et qu'attendoit-il? Lecteurs, il faut vous le dire : son père étoit malade, sa vie étoit menacée, il trembloit, il avoit grand'peur (ce sont les expressions de sa lettre ); et ce qui prouve combien il étoit vivement affecté, c'est qu'il s'occupoit de ce groupe en attendant sa guérison; car ce dernier mot se trouve aussi dans la lettre, et je ne veux pas citer faux (1).

que

J'avoue que je ne saurois trouver dans ces détails même, rien de bien honorable à la mémoire de M. de Mirabeau, et comme ce volume entier ne renferme rien de plus curieux, on a quelque lieu de s'étonner quand on entend l'éditeur crier dans sa préface: « J'offre le complément de tout ce » que l'on a pu connoître jusqu'à présent des productions de » Mirabeau..... Je tire de la poussière des grefs, j'arrache à » des arrêts parlementaires, aux ordres ministériels, plu» sieurs morceaux d'éloquence, dignes de la plus belle anti» quité...... Enfin, cette collection peut être regardée comme » une suite très-immédiate, je dirois presque nécessaire des » lettres sorties du donjon de Vincennes, etc. etc. » Lecteurs honnêtes, rassurez-vous, ceci n'est que le style ordinaire

(1) A propos de ce monument, le bon éditeur nous fuit observer dans une note que cet hommage rendu par Mirabeau à son père ne sauroit étre suspect. Et vraiment non on voit qu'il part du cœur. Mais ce qui m'a édifié encore plus que cet hommage, c'est de voir Mirabeau à genoux devant le docteur Quesnay.

des éditeurs. Ces lettres jusqu'à présent inédites, et qui auroient dû le rester toujours, n'ont du moins pas le tort d'être la suite de l'ouvrage scandaleux qui fut publié comme sorti de Vincennes. Elles sont inutiles, ennuyeuses; elles ont tous les torts d'un mauvais ouvrage, excepté celui d'être dangereuses. Examinens maintenant les premières phrases, et pour cela commençons par les traduire en français.

ne

On croiroit, à entendre M. de V., qu'il n'y a rien au monde de si éloquent qu'un procès-verbal de greffier, ou un arrêt du Parlement, ou un ordre ministériel. Il est certain que rien ne se fait mieux écouter; mais communément ce n'est ni dans les greffes, ni dans les bureaux ministériels, que se font les pièces d'éloquence; et sans blesser le respect qui leur est dû, on peut assurer que toute la force de M. de V. suffiroit pas à leur arracher des morceaux de ce genre dignes de la plus belle antiquité. Le sens de cette phrase est donc que M. de Mirabeau fit beaucoup d'éloquence à propos de ces procès, de ces ordres et de ces arrêts. Par conséquent elle a aussi le tort de nous faire souvenir que M. de Mirabeau, toujours poursuivi par des ordres ministériels sollicités par son père, et toujours parvenant pour son malheur à les faire lever, finit par se précipiter dans de tels écarts, que la justice publique ne put être plus long-temps contenue, et que nonseulement il fut flétri par une sentence, mais condamné à

mort.

C'est pour faire révoquer cette sentence qu'il fut obligé de se rendre à Pontarlier. On l'accusoit d'avoir séduit l'épouse d'un vieillard respectable dont il avoit reçu l'hospitalité, de s'être enfui avec elle, et de l'avoir entraînée dans les pays étrangers. Il prouva très-bien que l'on peut inspirer de tendres sentimens à une femme, et même y répondre, sans être un séducteur; que l'on peut s'enfuir le même jour qu'elle, et être surpris dans le même lieu, sans être son ravisseur; enfin. qu'on peut vivre très-intimement avec elle, sans qu'il en suivé

nécessairement qu'on s'est rendu coupable d'adultère. Ces trois vérités sont, dis-je, si bien démontrées dans l'un de ses mémoires, que, transporté lui-même d'admiration pour son propre génie, il s'écria après l'avoir fait : « Si ce n'est là de » l'éloquence inconnue à nos siècles esclaves, je ne sais ce » que c'est que ce don du ciel si séduisant et si rare. » Mais falloit-il tant d'éloquence pour prouver que tout cela, quoiqu'invraisemblable, n'est pas rigoureusement impossible? Nos siècles esclaves! Orateur imprudent, dites nos siècles de corruption; et alors vous nous expliquerez par ce seul mot comment il arriva que ce même procès et ces mêmes mémoires yous firent tout-à-coup une si brillante réputation : car dans tout autre siècle que le nôtre, si vous aviez été absous au tribunal des juges, vous auriez été pour jamais flétri à celui du public.

La sentence fut révoquée, parce qu'en effet des juges ne peuvent se permettre de condamner un homme à la mort,

dans le cas où son crime est constaté jusqu'à l'évidence, et par les preuves les plus rigoureuses. Mais lorsque, fier du triomphe qu'il venoit de remporter à Pontarlier, M. de Mirabean se rendit à Aix, et qu'il voulut y prouver que n'étant plus condamné à mort pour le fait dont il avoit été accusé, il n'y avoit par conséquent aucune raison de ne pas se fier pleinement à lui, et que son épouse devoit s'empresser de lui rendre et toute sa confiance et toute sa tendresse, on trouva que sa conséquence n'étoit pas juste: son éloquence n'eut pas le même succès; et le parlement d'Aix, sans s'arrêter aux figures de rhétorique dont il sema ses plaidoyers, décida que ma lame de Mirabeau étoit, sous la garde de son père, beaucoup mieux gardée que sous celle de son époux.

Je finirai par une observation qui pourra donner une idée de la manière dont M. de Mirabeau écrivoit ses lettres et ses mémoires, et de celle dont on fait maintenant les livres. C'est une grande erreur de penser que des hommes tels que

M. de Mirabeau, se peignent dans leurs discours familiers, beaucoup mieux que dans leurs autres ouvrages. La vérité est qu'ils jouent un rôle avec leurs amis, et qu'ils en jouent un autre avec le public, et qu'on ne sait pas mieux ce qu'ils furent lorsqu'on a lu leurs lettres, que lorsqu'on a lu Je reste de leurs œuvres.

Ecoutez M. de Mirabeau lorsqu'il parle à son ami, son meilleur ami, M. de V. : vous diriez qu'il lui ouvre son cœur tout entier, et qu'il lui parle avec toute l'effusion de la confiance la plus intime. Cependant, alors même, il garde soigneusement une copie de ses lettres; et s'il ya, par hasard, inséré quelque page brillante, il n'entend pas que son bon ami en jouisse seul. Cette page est en quelque sorte une pierre d'attente, qui, se joignant à d'autres, formera dans quelques années] ce qu'on appellera des mémoires éloquens, écrits avec beaucoup de chaleur et de verve. Ce qu'il y a de sûr, c'est que la page de ses lettres inédites ne diffère en rien de la page 171 de ses mémoires, et et que la page 15 est encore la même que la page 170, avec cette différence pourtant que l'une finit par ces mots : bon soir, mon ami; et l'autre par ceux-ci : rassurez-vous, bon lecteur. On pourroit conclure de cette observation, que M. de Mirabeau ne pensoit pas plus à son ami lorsqu'il lui écrivoit ses lettres si affectueuses, qu'il ne pensoit à ses juges lorsqu'il composoit ses mémoires si éloquens, et que c'étoit au public qu'il adressoit véritablement et ses lettres et ses mémoires. Mais le bon M. de V. qui n'en sait pas tant, admire dans sa préface jusqu'au soin que M. de Mirabeau avoit de ne rien perdre de son esprit, et il ne s'aperçoit pas que sa compilation en est devenue encore plus ridicule.

GUAIRARD.

SALON DE 1806.

( II Article.)

Une Scène de Déluge, par M. Girodet. La Mort d'Annibal, par M. Lemire, jeune.

La plupart des tableaux sur lesquels j'ai hasardé quelques observations dans le numéro précédent, appartiennent au genre historique : les actions qui y sont représentées sont grandes et importantes, et les principaux personnages qui y figurent sont d'avance réclamés par l'histoire. Toutefois ces compositions intéressantes peuvent être universellement applaudies, quoiqu'elles n'offrent pas dans un degré éminent, ce qui distingue spécialemeut les chefs-d'œuvre où revivent les grands hommes de l'antiquité, je veux dire cette noblesse de forme, et ce beau idéal qui se trouve jusque dans les plis de leurs vêtemens. Ce que nous demandons avant tout à l'artiste, qui nous met sous les yeux les faits célèbres qui se sont passés de nos jours, c'est la fidélité de la représentation, c'est la ressemblance des personnages; nous n'approuverions pas celui qui ayant à peindre un homme cher à la patrie, éléveroit trop sa taille sous prétexte de la rendre plus imposante, ou qui ignorant que le génie et l'héroïsme aiment à se cacher sous des formes simples et affables, ne verroit d'autre moyen de faire lire ses grandes qualités sur le visage de son héros, qu'en lui donnant une expression sombre et sévère, plus propre à inspirer la crainte que l'admiration. C'est la vérité de la composition qui donne tant de prix au tableau de M. Debret, quoiqu'on puisse desirer plus de noblesse à la plupart des personnages. Le style de M. Gros a en général plus d'élévation; mais néanmoins son dessin se recommande bien plus par l'expression et la vérité, que par ce beau choix

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