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passage. L'avenue de Charlottenbourg à Berlin est très-belle; l'entrée par cette porte est magnifique. La journée étoit superbe. Tout le corps de la ville, présenté par le général Hullin, commandant de la place, est venu à la porte offrir les clefs de la ville à l'EMPEREUR. Ce corps s'est rendu ensuite chez S. M. Le général prince d'Hatzfeld étoit à la tête.

L'EMPEREUR a ordonné que les deux mille bourgeois les plus riches se réunissent à l'hôtel-de-ville, pour nommer soixante d'entr'eux qui formeront le corps municipal. Les vingt cantons fourniront une garde de 60 hommes chacun; ce qui fera 1200 des plus riches bourgeois pour garder la ville et en faire la police. L'EMPEREUR a dit au prince d'Hatzfeld: "Ne vous présentez pas devant moi, je n'ai pas besoin de vos services. Retirez-vous dans vos terres. » Il a reçu le chancelier et les ministres du roi de Prusse.

Le 28, à neuf heures du matin, les ministres de Bavière, d'Espagne, de Portugal et de la Porte, qui étoient à Berlin, ont été adinis à l'audience de l'EMPEREUR. Il a dit au ministre de la Porte d'envoyer un courrier à Constantinople, pour porter des nouvelles de ce qui se passoit, et annoncer que les Russes n'entreroient pas aujourd'hui en Moldavie, et qu'ils ne tenteroient rien contre l'Empire ottoman. Ensuite il a reçu tout le clergé protestant et calviniste. Il y a à Berlin plus de dix ou douze mille Français réfugiés par suite de l'édit de Nantes. S. M. a causé avec les principaux d'entr'eux. Il leur a dit qu'ils avoient de justes droits à sa protection, et que leurs priviléges et leur culte seroient maintenus. Il leur a recommandé de s'occuper de leurs affaires, de rester tranquilles, et de porter obéissance et respect à César.

Les cours de justice lui ont été présentées par le chancelier. Il s'est entretenu avec les membres de la division des cours d'appel et de première instance; il s'est informé de la manière dont se rendoit la justice.

M. le comte de Néale s'étant présenté dans les salons de L'EMPER EUR, S. M. lui a dit : « Eh bien! Monsieur, vos » femmes ont voulu la guerre; en voici le résultat; vous » devriez mieux contenir votre famille. » Des lettres de sa fille avoient été interceptées. « Napoléon, disoient ces lettres,

ne veut pas faire la guerre, il faut la lui faire. » « Non, dit S. M. à M. de Néale, je ne veux pas la guerre ; non pas que je me méfie de ma puissance, comme vous le pensez, mais parce que le sang de mes peuples m'est précieux, et que mon premier devoir est de ne le répandre que pour sa sûreté et son honneur. Mais ce bon peuple de Berlin est victime de la guerre, tandis que ceux qui l'ont attirée se sont sauvés. Je rendrai cette noblesse de cour si petite, qu'elle sera obligée de mendier son pain. » En faisant connoître ses intentions au corps municipal, « j'entends, dit l'EMPEREUR, qu'on se casse les fenêtres de personne. Mon frère le roi de Prusse, a

éessé d'être roi le jour où il n'a pas fait pendre le prince Louis-Ferdinand, lorsqu'il a été assez osé pour aller casser les fenêtres de ses ministres. >>

Aujourd'hui 28, l'EMPEREUR est monté à cheval, pour passer en revue le corps du maréchal Davoust; demain S. M. passera en revue le corps du maréchal Augereau.

Le grand-duc de Berg, et les maréchaux Lannes et prince de Ponte-Corvo, sont à la poursuite du prince de Hohenlohe. Après le brillant combat de Zehdenick, ie grand-duc de Berg s'est porté à Templin; il y a trouvé les vivres et le diner préparé pour les généraux et les troupes prus

siennes.

A Gransée, le prince de Hohenlohe a changé de route, et s'est dirigé sur Furstemberg. Il est probable qu'il sera coupé de l'Oder, et qu'il sera enveloppé et pris.

Le duc de Weimar est dans une position semblable vis-àvis du maréchal Soult. Ce duc a montré l'intention de passer l'Elbe à Tanger-Mund, pour gagner l'Oder. Le 25, le maréchal Soult la prévenu. S'il est joint, pas un homme n'échappera; s'il parvient à passer, il tombe dans les mains du grand-duc de Berg, et des maréchaux Lannes et prince de Ponte-Corvo. Une partie de nos troupes borde l'Oder. Le roi de Prusse a passé la Vistule.

M. le comte de Zastrow a été présenté à l'EMPEREUR le 27 à Charlottenbourg, et lui a remis une lettre du roi de Prusse. Au moment même l'EMPEREUR reçoit un aide-de-camp du prince Eugène, qui lui annonce une victoire reinportée sur les Russes en Albanie.

Voici la proclamation que l'EMPEREUR a faite à ses soldats: Proclamation de l'EMPEREUR et Roi.

Soldats!

Vous avez justifié mon attente, et répondu dignement à la confiance du peuple français. Vous avez supporté les privations et les fatigues avec autant de courage que vous avez montré d'intrépidité et de sang-froid au milieu des combats. Vous êtes les dignes défenseurs de l'honneur de ma couronne et de la gloire du grand people; tant que vous serez animés de cet esprit, rien ne pourra vous résister. La cavalerie a rivalisé avec l'infanterie et l'artillerie : je ne sais désormais à quelle arme je dois donner la préférence..... Vous êtes tous de bons soldats. Voici les résultats de nos travaux.

Une des premières puissances militaires de l'Europe, qui osa naguère nous proposer une honteuse capitulation, est anéantie. Les forêts, les défilés de la Franconie, la Saale, l'Elbe, que nos pères n'eussent pas traversés en sept ans, nous les avons traversés en sept jours, et livré dans l'intervalle quatre combats et une grande bataille. Nous avons précédé à Postdam à Berlin. la renommée de nos victoires. Nous

avons fait 60,000 prisonniers, pris 65 drapeaux, parmi lesquels ceux des gardes du roi de Prusse, 600 pièces de canon, trois forteresses, plus de vingt généraux. Gependant, près de la moitié de vous regrettent de n'avoir pas encore tiré un coup de fusil. Toutes les provinces de la monarchie prussienne jusqu'à l'Oder, sont en notre pouvoir.

Soldats, les Russes se vantent de venir à nous. Nous marcherons à leur rencontre, nous leur épargnerons la moitié du chemin; ils retrouveront Austerlitz au milieu de la Prusse. Une nation qui a aussitôt oublié la générosité dont nous avons usé envers elle après cette bataille, où son empereur, sa cour, les débris de son armée n'ont dû leur salut qu'à la capitulation que nous leur avons accordée, est une nation qui ne sauroit lutter avec succès contre nous.

Cependant, tandis que nous marchons au-devant des Russes, de nouvelles armées, formées dans l'intérieur de l'Empire, viennent prendre notre place pour garder nos conquêtes. Mon peuple tout entier s'est levé, indigné de la honteuse capitulation que les ministres prussiens, dans leur délire, nous ont proposée. Nos routes et nos villes frontières sont remplies de conscrits qui brûlent de marcher sur vos traces. Nous ne serons plus désormais les jouets d'une paix traîtresse, et nous ne poserons plus les armes que nous n'ayons obligé les Anglais, ces éternels ennemis de notre nation, à renoncer au projet de troubler le continent, et à la tyrannie des mers.

Soldats, je ne puis mieux vous exprimer les sentimens que 'j'ai pour vous, qu'en vous disant que je vous porte dans mon cœur l'amour que vous me montrez tous les jours.

De notre camp impérial de Postdam, le 26 octobre 1806, Signé NAPOLÉOon.

XXII BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.

Berlin, le 29 octobre 1806.

Les événemens se succèdent avec rapidité. Le grand-duc de Berg est arrivé, le 27, à Hasleben avec une division de dragons. Il avoit envoyé à Boitzenbourg le général Milhaud avec le 13 régiment de cha-seurs et la brigade de cavalerie légère du général Lasalle, sur Prentzlow. Instruit que l'ennemi étoit en force à Boitzenbourg, il s'est porté à Wigneenstorf. A peine arrivé là, il s'aperçut qu'une brigade de cavalerie ennemie s'étoit portée sur la gauche, dans l'intention de couper le général Milhaud. Les voir, les charger, jeter le corps des gendarmes du roi da s le lac, fut l'affaire d'on moment. Ce régiment se voyant perdu, demanda à capituler. Le prince toujours généreux, le lui accorda. Cinq cents hommes mirent pied à terre et remirent leurs chevaux. Les officiers se retirent chez eux sur parole. Quatre étendards de la garde, tous d'or, furent le trophée du petit combat de Wigneensdorf, qui n'étoit que le prélude de la belle affaire de Prentzlow.

Ces célèbres gendarmes, qui ont trouvé tant de commisération après la défaite, sont les mêmes qui, pendant trois mois, ont révolté la ville de Berlin par toutes sortes de provocations. Ils alloient sous les fenêtres de M. Laforêt, ministre de France, aiguiser leurs sabres : les gens de bon sens haussoient les épaules; mais la jeunesse sans expérience, et les femmes passionnées à l'exemple de la reine, voyoient dans cette ridicule

fanfaronade un pronostic sûr des grandes destinées qui attendoient l'armée

prossienne.

Le prince de Hohenlohe avec les débris de la bataille de Jena, cherchoit à gagner Stettin. Il avoit été obligé de changer de route, parce que le grand-duc de Berg étoit à Templin avant lui. Il voulut déboucher de Boitzenbourg sur Hasleben, il fut trompé dans son mouvement. Le grandduc de Berg jugea que l'ennemi cherchoit à gagner Prentzlow; cette conjecture était fondée. Le prince marcha toute la nuit avec les divisions de dragons des généraux Beaumont et Grouchy, lairées par la cavalerie du général Lasalle. Les premiers post s de nos hussards arrivèrent à Prentzlow avec l'ennemi, mais ils furent obligés de se retirer le 28 au matin devant les forces supérieures que déploya le prince de Hohenlohe. A neuf heures du matin, le grand-duc de Berg arriva à Prentzlow, et à dix il vit l'armée ennemie en pleine marche. Sans perdre de temps en vain mouvemens, le prince ordonna au général Lasalle de charger dans les faubourgs de Prentzlow, et le fit soutenir par les généraux Grouchy et Beaumont, et leurs six pièces d'artillerie légère. Il fit traverser à Golmitz la petite riviere qui passe à Preutzlow, par trois régimens de dragons, attaquer le flane de l'ennemi, et chargea son autre brigade de dragons de tourner la ville. Nos braves canonniers à cheval placèrent si bien leurs pièces, et tirèrent avec tant d'assurance, qu'ils mirent de l'incertitude dans les mouvemens de l'ennemi. Dans le moment, le général Grouchy reçut ordre de charger; ses braves dragons s'en acquittèrent avec intrépidité. Cavalerie, infanterie, artillerie, tout fut culbuté dans les faubourgs de Prentzlow. On pouvoit entrer pèle-mê e avec l'ennemi dans la ville; mais. le prince le fit sommer par le général Belliard. Les portes de la ville étoient déjà brisées. Sans espérance, le prince de Hohenlohe, un des principaux boute-feux de cette guerre impie, capitula, et défila devant I armée française avec 16,000 h maies d'infanterie, presque tous gardes ou grenadiers, six régimens de cav lerie, 45 drapeaux, et 64 pièces d'artillerie attelées. Tout ce qui avoit échappé des tardes du roi de Prusse à la bataille de Jena, est tombé en notre pouvoir. Nous avons tous les drapeaux des gardes à pied et à cheval du roi. Le prince de Hohenlohe, commandant en chef après la blessure du duc de Brunswick, un prince de Mecklenbourg-Schwerin et plusieurs généraux sont nos prisonniers. "Mais il n'y a rien de fait tant qu'il reste à faire, écrivit l'EmperbUR » au grand duc de Berg. Vous avez débordé une colonne de 8000 hommes commandée par le général Blucher, que j'apprenne bientôt qu'elle a » éprouvé le même sort. »

Une autre de 10,000 hommes a pa·sé l'Elbe; elle est commandée par le duc de Weimar. Tout porte à croire que lui et toute sa colonne vont être enveloppés.

Le prince Auguste Ferdinand, frère du prince Louis toé à Saalfeld et fils du prince Ferdinand fière du grand Frédéric, a été pris par nos dragons les armes à la main.

Ainsi cette grande et belle armée prussienne a disparu comme un brouillard d'automne au lever du soleil, Géneroux en chef, généraux commandant les corps d'armée, princes, infanterie, cavalerie, artillerie, il n'en reste plus rien. Nos postes étant entrés à Francfort-sur-l'Oder, le roi de Prusse s'est porté plus loin. Il ne lui reste pas 15,000 homine; et, pour un tel résultat, i. n'y a presqu'aucune perte de notre côté.

Le général Carke, gouverneur du pays d'Erfurt, a fait capituler un bat illon saxon qui erroit sans direction. La capitulation est ci-jointe.

L'EMPEREUR a passé, le 28, la revue du corps du maréchal Davoust, sous les murs de Berlin. Il a nommé à toutes les places vacantes; il a récompensé les braves. Il a ensuite réuni les officiers et sous-officiers en cercle, et leur a dit: Officiers et sous-officiers du 3 corps d'armée, vous vous » êtes couverts de gloire à la batai le de Jena; j'en conserverai un éternel » souvenir. Les braves qui sont morts, sont morts avec gloire. Nous de

» vous desirer de mourir dans des circonstances si glorieuses. » Ea pas sant la revue des 12°, 61° et 85° régiment de ligne qui ont le plus perdu à cette bataille, parce qu'ils ont dù soutenir les p'us grands efforts, l'Ex← PEREUR a été attendri de savoir morts ou griévement blessés beaucoup de ses vieux soldats dont il connoissoit le dévouement et la bravoure depu's 14 ans. Le 12° régiment sur-tout a montré une intrépidité digne des plus grands éloges.

Aujourd'hui à midi, l'EMPEREUR a passé la revue du septième corps que commande le maréchal Augereau. Ce corps a très-peu sou fert. La moitié des soldats n'a pas eu ocasion de tirer un coup de fusil; mais tous avoient la mêine volonté et la même intrépidité. La vue de ce corps étoit mag. ifique. « Votre corps seul, a dit l'EMPEREUR, est plus fort que » tout ce qui reste au roi de Prusse, et vous ne composez pas le dixième » de mon armée. »

Tous les dragons à pied que l'EMPEREUR avoit fait venir à la GrandeArmée sont montés, et il y a au grand dépôt de Spandau 4,0 o chevaux seliés et bridés, dont on ne sait que faire, parce qu'il n'y a pas de cavaliers qui en aient besoin. On attend avec impatience l'arrivée des dépôts.

Le prince Auguste a été présenté à l'EMPEREUR au palais de Berlin, après la revue du septième corps d'Armée. Ce prince a été renvoyé chez son père, le prince Ferdinand, pour se reposer et se faire panser de ses

blessures.

Hier, avant d'aller à la revue du corps du maréchal Davoust, l'EмPEREUR avoit rendu visite à la veuve du prince Henri, et au prince et à la princesse Ferdinand, qui se sont toujours fait remarquer par la manière distinguée avec laquelle ils n'ont cessé d'accueillir les Français.

Dans le palis qu'habite l'EMPEREUR à Berlin, se trouve la soeur da roi de Prusse, princesse électorale de Hesse- Cassel. Cette princesse est en couche. L'EMPEREUR a ordonné à son grand-maréchal du palais de veiller à ce qu'elle ne fût pas incommodée du bruit et des mouvemens du quartier-général.

Le dernier bulletin rapporte la manière dont l'EMPEREUR a reçu le prince d'Hatzfeld à son audience. Quelques instans après, ce prince fut arrêté. Il auroit été traduit devant une commission militaire et inévitablement condamné à mort. Des lettres de ce prince au prince Hohenlohe, interceptées aux avant-postes, avoient appris que quo qu'il se dit chargé du gouvernement civil de la ville, il instruisoit l'ennemi des mouvemens des Français. S. femme, fille du ministre Schulenbourg, est venue se jeter aux pieds de l'EEMPEREUR; elle croyoit que son mari étoit arrêté à cause de la haine que le ministre Schulenbourg portoit à la France. L'EMPEREUR la dissuada bientôt, et lui fit con: oître qu'on avoit intercepté des papiers dont il résultoit que son mari faisoit un double rôle; et que les lois de la guerre étient impitoyables sur un pareil délit. La princesse attribuit à l'imposture de ses ennemis cette accusation qu'elle appeloit une calomnie. «Vous connoissez l'écriture de votre mari, dit >> EMPEREUR, je vais vous faire juge.» Il fit apporter la lettre int rceptee et la lui remit. Cette femine, grosse de plus de huit mois, s'évanouissoit à chaque mot qui lui découvroit jusqu'à quel point étoit compromis son mari dont elle reconnoissoit l'écriture. L'EMPEREUR fut touché de sa douleur, de sa confusion, des angoisses qui la déchiroient. « Eh! bien, lui » dit-il, vous tenez cette lettre, jettez-la au teu; cette pièce anéantie, je » ne pourrai plus faire cond mner votre mari » (cette scène touchante se passcit près de la cheminée.) Madame d'Hatzfeld ne se le fit pas dire deux fois. Immédiatement après, le prince de Neuchâtel reçut ordre de lui rendre son mari. La commission inilita re étoit déjà réunie. La lettre seule de M. d'Hatzfeld le condamnoit : trois heures plus tard, il étoit fusil é. On est convenu entre M. Shee, capitaine aide-de-camp du général de division Clarke, et délégué par lui, et M. le baron de Hand, conmandant le 2 bataillon des grenadiers saxons, de la capitulation ɛui.

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vante:

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