Page images
PDF
EPUB

SUPPLÉMENT aux Observations sur les Corps cristallisés renfermés dans les laves, qui ont paru dans le cahier de la Bibliothèque Britannique du mois de juin dernier, et dans le N° 115 du Journal des Mines.

QUOIQUE la question qui fait le sujet de ces Observations n'ait pas eu son origine dans le Mercure, c'est un sujet de physique terrestre et de géologie assez important pour en donner la suite dans ce recueil.

Il parut dans le Journal de Physique du mois de mai de l'année dernière, un système sur l'action du feu des volcans, où l'on considère les cristaux que renferment les laves comme des cristallisations formées dans la lave même et de sa substance pendant le refroidissement lent de sa masse.

Persuadé, au contraire, que ces cristaux sont étrangers à la lave, et formés antérieurement par la voie humide dans les couches que les feux volcaniques ont réduites en fusion, laissant intacts ces cristaux, parce qu'ils n'ont pas assez d'intensité pour les fondre, je donnai les Observations que je viens de citer, où j'ai démontré, par les faits et par leurs conséquences immédiates, que mon opinion est parfaitement fondée.

Pendant cette discussion, une lettre de M. Patrin, sur la formation des basaltes, parut dans la Bibliothèque Britannique du mois de mai dernier; l'auteur la termine ainsi :

« J'ai fait voir, dit-il, dans l'article Basalte du nouveau >> Dictionnaire d'Histoire Naturelle, que les systèmes des » Volcanistes et des Neptuniens, pris séparément, sont inad» missibles; mais qu'en les combinant d'une manière conve»nable, on trouve la véritable solution du problème. J'ai » fait voir que la matière du basalte étoit véritablement » sortie des volcans, non dans un état de fusion comme la » lave, mais sous une forme tantôt pulverulente et tantôt dans le temps où les volcans étoient encore sous» marins; de sorte que cette matière étoit délayée dans les » eaux de la mer, ensuite déposée, et enfin cristallisée, soit » en prismes, soit en sphéroïdes, selon les circonstances. L'ar »ticle cité contient le détail des preuves; et j'ai eu la satis

» vaseuse,

» faction de voir M. Humboldt, si bon juge en cette ma» tière, déclarer, en présence de plusieurs savans qui se trou» voient rassemblés chez lui à son retour d'Amérique, que » de toutes les hypothèses qu'on avoit publiées sur la forma» tion des basaltes, c'étoit celle qui lui paroissoit de tous » points la plus satisfaisante. » Telle est la conclusion de M. Patrin.

L'hypothèse qu'elle établit, que les basaltes ne sont pas sortis des volcans dans un état de fusion, mais sous une forme tantôt pulvérulente et tantôt vaseuse, et que cette poudre et cette vase, délayée dans les eaux de la mer, s'est déposée et cristallisée pour former des basaltes, est si étrange et si opposée à tout ce que l'on connoît des volcans, qu'elle me détermina à faire des Remarques, pour en montrer l'impossibilité elles ont été insérées dans la Bibliothèque Britannique du mois de juillet suivant, et dans le N°..... du Journal

des Mines.

M. Patrin a fait une réponse à ces Remarques, qui a paru dans la Bibliothèque Britannique du mois de septembre, dans laquelle il revient à son opinion, que les cristaux contenus dans les laves y ont été formés pendant leur refroidissement, renvoyant aux articles Augite (schorl-pyroxene) et Leucite du nouveau Dictionnaire d'Histoire Naturelle, où «< il croit avoir » démontré que ces cristaux, de même que tous les cristaux >> volcaniques, ont été formés postérieurement à l'éruption » des matières qui les composent. » Cette réponse m'engage à ajouter de nouvelles réflexions sur ces questions importantes en géologie et en physique terrestre : ces réflexions font le sujet de cet article. (1)

Les lecteurs du Mercure qui s'occupent de géologie et des phénomènes volcaniques, liront avec intérêt la suite de cette discussion car des questions de cette nature doivent se terminer par le triomphe des faits et des observations exactes.

Ayant déjà traité à fond la question principale, j'examinerai seulement ici la manière dont M. Patrin présente les argumens qu'il veut réfuter, et le silence qu'il garde sur les

autres.

J'ai terminé les Observations que je viens d'indiquer par une suite de conclusions qui découlent des faits que j'ai établis La seconde de ces conclusions est en ces termes : « Les corps cristallisés que renferment les laves leur sont étrangers; ils ont été formés antérieurement par la voie humide dans des

(1) Tous les articles du nouveau Dictionnaire d'Histoire Naturelle qui concernent les volcans et la géologie, ont été faits par M. Patrin.

t

ཀཱ

couches que les feux volcaniques ont réduites en fusion, laissant intacts ces cristaux, parce que leurs feux n'ont pas assez d'intensité pour les fondre. » Cette conclusion est simple, sans complication, et elle est exprimée, ce me semble, en termes clairs et précis. Cependant, voici comment M. Patrin la présente, et je citerai ses propres termes :

« Quant à M. Deluc, il soutient que les cristaux volca>>niques non-seulement ne sont pas de formation nouvelle, » mais encore qu'ils existoient avant la formation des roches » qui, suivant lui, ont fourni la matière des laves. Ces roches » ont succédé à d'autres couches de la terre qui avoient été » détruites, et qui contenoient ces mêmes cristaux, qui ont » résisté à cette destruction. Mais, de cette manière, il semble » que ces cristaux auroient dû exister avant la création : car, » s'ils n'ont pas pu être formés dans les couches actuelles de » la terre, on ne voit guère comment ils auroient pu l'être » dans des couches antérieures. »

Je laisse au lecteur instruit et attentif à prononcer sur ce qu'on doit penser de cette manière de présenter l'état de la question. Elle est d'autant plus étrange que, quelques pages avant la conclusion que je viens de rapporter, je m'étois exprimé ainsi sur le même sujet :

nos

« Nous voyons que pour réduire en fusion les roches et les minéraux, il faut les briser en très-petites parcelles; cependant, il n'y a ni pilons ni bocards dans les couches où les laves prennent naissance; et les feux volcaniques ne peuvent pas mieux que ceux de fournaux fondre des roches en grandes masses. Il faut donc que ces couches soient dans un état pulvérulent et vaseux pour pouvoir être fondues. Alors on conçoit que, dans de telles couches, les affinités chimiques peuvent s'exercer et former des cristaux isolés et groupés, qui restent enveloppés dans la matière en fusion. »

Quel rapport a cet exposé avec l'entassement de roches et de couches, dont M. Patrin fait remonter l'existence des cristaux jusqu'avant la création? Il est aisé de critiquer une opinion quand on la dénature à ce point. Que penser, je le répète, de cette manière d'argumenter?

Je ne suppose pas que M. Patrin mêle ici ce que j'ai dit de l'origine vraisemblable des grenats qu'on trouve isolés dans diverses espèces de roches: ce seroit par trop changer les questions. J'ai attribué l'origine de ces grenats à des couches qui ont été détruites dans l'ancienne mer; et les grenats qu'elles renfermoient, restés isolés après cette destruction, ont été déposés dans des couches nouvelles, qui sont celles où nous les trouvons aujourd'hui, comme on trouve dans les couches

sableuses de la Westphalie des noyaux isolés d'échinites siliceux, qui ont eu leur berceau dans des couches de craie blanche, détruites de même dans l'ancienne mer. Il existe encore une butte de ces couches de craie près de Lunebourg.

Je citerai à cette occasion un autre fait remarquable. On trouve dans une couche des collines sableuses des environs d'Aix-le-Chapelle, des fragmens roulés de diverses espèces de fossiles marins. Mon frère m'en a envoyé une petite collection qu'il a prise sur les lieux. Ce sont des tronçons d'orthocératites de l'espèce dont les cloisons sont découpées en feuilles de persil, des noyaux de térébratules lisses, de petites glossopetres, des fragmens de bélemuites, de petits porpites d'une très-jolie espèce, etc.; et ce qui prouve évidemment que ces fragmens ont été roulés sur le fond de l'ancienne mer, c'est que quelques-uns ont des vermiculites attachés à leur surface. Voilà donc un exemple sans réplique de la destruction des couches qui contenoient ces divers fossiles dans leur entier, dont les fraginens ont été déposés dans les couches. sableuses que la mer a étendues sur son fond depuis cette destruction. M. Patrin ne pensera pas, sans doute, que, pour expliquer ces transpositions, il faille supposer que ces fragmens de fossiles marins ont existé avant la création,

Les exemples qui prouvent la vérité de ces destructions sont si répétés, que j'en citerai un autre très-intéressant. On trouve dans le nombre des coquilles fossiles de la montagne de Turin, des limaçons de l'espèce appelée fripière, chargés de petits galets roulés d'une espèce de serpentine. Une couche de cette roche avoit donc été détruite, et ses débris dispersés sur le fond de la mer quand ces limaçons y vivoient, puisque leur coquille est couverte de ces débris. Et la couche où ils sont déposés est toute composée de petits débris roulés de cette même serpentine. Je possède quelques-uns de ces limaçons, que nous avons trouvés séparément, mon frère et moi, en différentes courses.

« Au reste, ajoute M. Patrin à la suite du pamagraphe » que j'ai transcrit, comme M. Deluc est le seul qui sou»tienne une semblable opinion (et je n'ai pas l'espérance de » le faire changer d'avis), je ne m'y arrêterai point. »

M. Patrin se trompe. Quand M. Hauy a nommé le schorl des volcans pyroxène, c'est-à-dire étranger au feu, il a pensé comme moi; M. Dolomieu a pensé de même. Ainsi, loin de me trouver dans l'isolement où M. Patrin veut me placer, je suis réuni d'opinion avec deux des plus célèbres naturalistes; et je suis bien persuadé que plusieurs autres observateurs pensent de même: car les faits sur lesquels cette opinion

[ocr errors]

est fondée sont trop évidens pour ne pas convenir de leur vérité. Je rappellerai ici un de ces faits entre ceux que j'ai cités dans mes Observations.

On trouve dans une même lave, dans un même fragment de lave trois de ces corps cristallisés très-distincts.

La leucite, ou grenat blanc, de forme ronde, à vingtquatre faces trapézoïdes et de couleur gris-blanc; ces cristaux,. de diverses grandeurs, sont quelquefois groupés par deux, trois et quatre cristaux réunis, quelquefois confondus en partie les uns avec les autres, d'autres fois simplement adhérens entr'eux, comme il arrive si fréquemment aux cristaux formés par la voie humide.

Le schorl-pyroxene, cristal prismatique octaèdre à deux pyramides diédes, de couleur olive foncé et quelquefois noir, quelquefois aussi d'un vert plus tendre et un peu transparent. Ces schorls sont de même fréquemment groupés sous toutes sortes de modes de réanion; les faces du prisme varient dans leur largeur, et le prisme lui-même varie beaucoup dans ses proportions, comme il arrive si souvent aux cristaux de roche. On en trouve aussi de microscopiques parfaitement réguliers. J'ai cité encore des exemples de schorls et de leucites réunis, la leucite embrassant le schorl.

Le troisième corps est la chrysolite. Celle-ci, de couleur de péridot et transparente, est le plus souvent en brises, et par conséquent sans forme régulière.

Le schorl-pyroxene et la leucite se trouvent dans les laves cellulaires, ou à boursoufflures, et dans les laves spongieuses, comme dans les laves compactes. On les trouve isolés en grand nombre parmi les menues scories. M. Dolomieu cite à ce sujet un fait bien remarquable: « Les leucites isolées, dit-il, » sont si abondantes dans les envirous de Rome, qu'on peut » dire qué la route de Rome à Frascati en est couverte. »

Ces trois corps cristallisés, la leucile, le schorl et la chrysolite, renfermés dans une même lave, dans un même fragment de lave, sont séparés de la lave elle-même par une ligne aussi tranchée que les petits cailloux qui composent un pouding le sont de la pâte qui les réunit ; leur couleur, très-différente entr'eux, est très-différente de celle de la lave; et la leucite, qui s'en sépare facilement, y laisse en creux sa forme ronde, et l'empreinte de ses facettes. Et le schorl en particulier n'a point de rapport chimique avec la lave.

Voilà des faits exacis et vrais qu'il faut expliquer et concilier, avant d'avancer l'hypothèse que les corps cristallisés renfermés dans les laves se forment de leur substance pendant leur refroidissement. Il faut expliquer comment il se pour

« PreviousContinue »