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Em; je l'ai citée dans mon Mémoire sur les Basaltes, publié dans le Journal de Physique de fructidor an 9 (août 1801.)

«Quand on parcourt en barque le rivage de la mer, depuis » Catane jusqu'au château d'Iaci, dit ce célèbre observateur, » on voit que toutes les laves de l'Etna qui sont arrivées jus» qu'à la mer, sont figurées en colonnes prismatiques régu» lières, qui s'élèvent du fond des eaux jusqu'à un ou deux » pieds au-dessus de leur surface; la partie supérieure du » courant qui ne s'est pas plongée dans la mer, est divisée en » blocs informes qui reposent sur la tête des colonnes. On » pourroit calculer l'espace que ces courans ont envahi sur » la mer, en reconnoissant l'étendue de la partie cristallisée.... » La lave de 1669, arrivée à la mer, a éprouvé le retrait régu>>lier dans quelques portions de la partie du courant qui est » entré dans l'eau; on y peut voir des colonnes et des ébauches » de colonnes dans les excavations que le prince de Biscari a » fait faire à l'extrémité de ce courant pour y pratiquer un

» vivier.

» Le Vésuve a formé également des laves prismatiques, » lorsque ses courans sont parvenus jusqu'à la mer; on en voit » de belles colonnes dans les escarpemens du rivage, sous le » château de Portici. » La même observation a été faite en Islande sur les côtes voisines de l'Heckla.

Lorsque M. Dolomieu écrivoit ces observations, si on lui eût dit qu'il se formeroit un jour des hypothèses absolument contraires à ce qu'il avoit vu et observé tant de fois; que les colonnes prismatiques qui, au pied du Vésuve et de l'Etna bordent le rivage de la mer en masses dures et compactes, suite des courans de laves sortis de leurs flancs ou de leur sommet, passeroient pour être sorties de ces volcans en poudre ou en vase qui, délayée dans les eaux de la mer, s'étoit ainsi déposée et cristallisée, et que cette hypothèse paroiroit de tous points la plus satisfaisante, quel n'eût pas été son étonnement! Il existe encore heureusement des observateurs pour opposer à ces nouvelles hypothèses la certitude des faits, et des observations exactes.

«En parlant des basaltes de l'île de Staffa, poursuit » M. Patrin, dont les colonnes sont curvilignes, M. Deluc »> nous dit qu'il les admire beaucoup, et il a raison : car » dans la nature tout est admirable; mais je dois observer, » à l'égard de ces basaltes, que la circonstance d'être curvi» lignes ne les rend pas plus merveilleux que ceux à colonnes » droites. Presque toutes les substances cristallisables pré>> sentent parfois cet accident, et même les cristallographes » le regardent comme une grande imperfection. >>

est

M. Patrin n'a point compris ce qui fait ici le sujet de mon admiration: ce n'est pas sur une seule colonne curviligne isolée qu'elle porte, et je l'avois clairement exprimée: je sais que le prisme courbé d'un cristal quelconque, et ce cas est rare, une imperfection qui ne peut arriver que par accident. Ce qui fait le sujet de mon étonnement et de mon admiration, c'est cette réunion d'une multitude de prismes curvilignes, dont l'ensemble présente un sphéroïde d'une dimension énorme. Avant que des hommes instruits et attentifs eussent abordé à l'ile de Staffa, on étoit bien éloigné d'avoir seulement l'idée a'un pareil phénomène. La courbure de ces prismes n'est donc ni une imperfection ni un accident, mais la suite d'un ensemble qu'on ne peut contempler qu'avec étonnement et admiration. Et quand M. Patrin dit que la circonstance d'être curvilignes ne rend pas ces prismes plus merveilleux que ceux à colonnes droites, il est loin de saisir le vrai merveilleux de ce phénomène. Nous ne voyons même à l'ile de Staffa qu'un fragment de cet étonnant shpéroïde; le reste, qui en faisoit le complément, a été rompu et brisé dans les catastrophes arrivées à la surface de notre globe. Les bouches d'où sont sorties les matières qui ont produit ces masses énormes de colonnes prismatiques droites et courbées, que sont-elles devenues? Ces bouches, sans doute, n'étoient pas sous-marines, puisque ces massses s'élèvent plus de cent pieds au-dessus de l'eau.

M. Patrin n'admet pas ces catastrophes, quoiqu'elles soient empreintes sur la surface de la terre, et qu'elles annoncent que nous ne voyons dans les montagues que des masures restées debout de couches qui se sont rompues et affaisées dans le sol. « Ces machines, dit-il, sont commodes pour le créa» teur du système, mais elles ne conviennent point à la » marche de la nature, qui se montre toujours sage et >> uniforme. >>

Il compare ces révolutions et ces catastrophes, citées en preuves pour rendre raison de l'état présent de la surface du globe, à une décoration d'Opéra, où les coups de baguette d'un enchanteur opèrent des changemens subits et prodigieux. Qui est désigné dans la pensée de M. Patrin, par. cet enchanteur d'Opéra produisant d'un coup de baguette des changemens subits et prodigieux? Seroit-ce CELUI qui, dit l'historien sacré de la Genèse, se révélant au pere de la seconde race des hommes, lui annonçà que la fin de toute chair étoit venue devant lui; car ils ont rempli la terre d'extorsions, et voici que je les détruirai et la terre avec eux ? Les fontaines du grand abyme furent rompues, ajoute l'historien sacré, et les caux se renforcèrent et s'accrurent fort sur la

terre

terre. Les preuves de la réalité de cette sentence et de son exécution, par l'affaissement des continens qu'habitoit cette race criminelle, et de leur submersion, désignées par la rupture des fontaines du grand abyme et l'accumulation prodigieuse des eaux, sont présentées dans le plus grand détail, dans les lettres sur l'histoire de la Terre et de l'Homme, adressées à la reine de la Grande-Bretagne, et dans la sixième des Lettres sur l'histoire physique de la Terre, écrites au professeur Blumenbach, à Gottingue (1).

C'est à propos des basaltes, continue M. Patrin, que » M. Deluc affirme qu'il faut bien se garder de faire des » recherches sur les causes de la cristallisation, attendu que » c'est un mystère: nous ne devons faire autre chose que nous >> taire et admirer. C'est, dit-il, un sentiment bien doux que » celui de l'admiration! heureux le naturaliste qui éprouve » ce sentiment! il s'arrête où l'intelligence humaine ne peut » pénétrer; il s'élève à l'Auteur de la nature, et ne s'égare pas » dans de vaines recherches. Je n'applique point, ajoute» t-il, ces réflexions à la recherche des lois de la cristallisation; » cet objet de simple curiosité peut exercer l'imagination » sans conséquences qui influent sur les principes religieux » Ces dernières paroles m'ont paru dignes d'attention, » venant sur-tout d'un homme aussi grave et aussi circons» pect que M. Deluc j'ai pensé que peut-être il m'étoit » échappé quelque expression mal sonnante dans ma lettre sur » la cristallisation du basalte; j'ai reconnu qu'il n'y avoit pas » un mot qui, de près ni de loin, pût fournir matière à cen» sure théologique.

:

de ces écrivains

» Cependant, comme M. Deluc n'est pas » qui jettent les mots au hasard, il falloit bien qu'il eût un >> motif et un but en parlant de la sorte. J'ai donc de nou» veau pesé ses paroles, et lui-même m'a mis sur la voie par >>la liaison qui se trouve dans sa phrase entre la recherche » des lois de la cristallisation, et ce qu'il appelle de vaines » recherches dont les conséquences peuvent influer sur les » principes religieux. Le sens de cette phrase étant indivi»sible, elle devoit avoir pour objet quelque ouvrage où il » seroit question des lois de la cristallisation et en même » temps de quelques recherches sur sa cause. J'ai pensé alors » à un Traité de minéralogie qui roule principalement sur » les lois de la cristallisation, et où probablement l'auteur » auroit parlé des causes de ce phénomène.

(1) Ces Lettres ont été imprimées chez Nyon, libraire, rue du Jare dinet. 1798.

A a

» J'ai trouvé en effet à la page 10 du 1 volume, un pas»sage qui, s'il étoit sorti d'une plume profane, pourroit >> donner matière à interprétation; il est conçu en ces termes : » Les forces actives qui sollicitent les molécules d'un mi»néral suspendues dans un liquide, ont un certain rapport » avec la figure de ces molécules, et c'est dans ce rapport » que consiste la tendance qu'ont par elles-mêmes les molé»cules à se réunir, conformément aux lois d'une aggréga» tion régulière. Mais pour qu'elles parviennent à ce but, il faut qu'elles aient le loisir de se chercher, de s'appliquer » les unes contre les autres par les faces convenables, et de » concourir toutes en même temps à l'harmonie qui doit » naître de leur ensemble.

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» Il est bien certain que si l'on prenoit littéralement les » expressions de ce passage, il en résulteroit que les molécules » minérales sont douées de la plus admirable intelligence, » sur-tout si on les suivoit dans toutes leurs manoeuvres de » détails qu'elles semblent exécuter sous les yeux de l'auteur, » et qui ressemblent aux évolutions de la plus belle tactique: » tout cela, je le répète, pris à la lettre, ne seroit nullement >> orthodoxe; mais comme les principes religieux de l'auteur » sont à l'abri de tout soupçon, il est évident que ce n'est » qu'un style figuré dont il se sert pour fixer de quelque ma»nière les idées du lecteur.

» Mais je demande pourquoi M. Deluc fait tomber sur >> ma tête une censure qui regarde un ouvrage qui m'est >> étranger? »>

Cette citation est bien longue; j'aurois desiré l'abréger; mais il falloit la transcrire en entier pour en saisir l'esprit : car il y a plus ici qu'une simple méprise.

Je n'aurois point relevé ces passages, qui n'intéressent pas une question de physique terrestre ou de géologie, si dans sa nianière de transformer les passages qu'il cite, pour les faire cadrer à sa critique, M. Patrin n'avoit pas introduit, de même, à sa manière, un naturaliste célèbre et respectable. Que penser de cette marche toujours la méme? Quel est l'esprit qui la dicte? Il devient donc nécessaire que je répète ici ce que j'ai dit, et dans mes propres termes.

» Les différentes formes que prennent les basaltes, ai-je dit, celles sur-tout où la masse entière se divise en colonnes courbées présentant des segmens de cercle d'une dimension énorme, tels qu'on en voit dans l'île de Stuffa, sont des formations qui restent dans le secret des mystères de la nature. Nous les voyons comme nous voyons les formes des cristaux, où nous ne pouvons que contempler, jouir et admirer; car

plus nous cherchons à pénétrer dans le mystère de la cristalli sation, plus nous avons lieu de nous persuader qu'elle est audessus de nos connoissances. Les expressions de molecules similaires, d'affinités d'aggrégation, sont un repos pour la pensée; mais elles ne lèvent pas le voile, et le mystere subsiste. Mais si nous ne pouvons qu'admirer, c'est au moins un sentiment bien doux que celui de l'admiration. Heureux le naturaliste qui éprouve ce sentiment! Il s'arrête où l'intelligence humaine ne peut pénétrer; il s'élève à l'auteur de la nature et ne s'égare pas dans de vaines recherches. Je n'applique point cette réflexion à la recherche des lois de la cristallisation. Cet objet de simple curiosité, peut exercer l'imagination, sans conséquences qui influent sur les principes religieux. »>

J'invite maintenant le lecteur à comparer ce passage et les pensées qu'il exprime, avec la manière dont N. Patrin les présente. Fort heureusement que, sans m'en douter, sans que je pusse le prévoir, j'ai prévenu par la conclusion l'interprétation que M. Patrin lui a donnée.

«Heureux le naturaliste, ai-je dit avant cette conclusion, » heureux le naturaliste qui éprouve le sentiment de l'admi» ration! Il s'arrête où l'intelligence humaine ne peut péné» trer; il s'élève à l'Auteur de la nature, et ne s'égare pas dans » de vaines recherches. »

Cette exclamation et ces réflexions ont fort étonné M. Patrin; il a cru un moment qu'elles s'adressoient à lui, quoique leur application soit manifestement générale. « M. Deluc, remarque-t-il, n'est pas de ces écrivains qui jettent les » mots au hasard; il falloit bien qu'il eût un motif et un but » en parlant de la sorte. »

Très-certainement ces mots ne sont pas jetés au hasard; ils s'adressent à tous les écrivains qui, traitant des merveilles de la terre et de l'univers, forment des hypothèses sans recourir à l'intervention d'une cause première intelligente, qui leur ait donné l'existence et placé dans l'ordre et l'harmonie où nous les voyons. Cette disposition malheureuse de l'esprit, leur fait imaginer ces hypotheses qui les égarent dans de vaines recherches. C'est bien ce que j'ai voulu exprimer et ce que j'ai eu en vue. Mais quand M. Patrin a dirigé ces réflexions sur le Traité de Minéralogie dont il parle, et qui étoit loin de ma pensée, c'est là où il y a plus qu'une simple méprise.

Geci me rappelle un passage de M. Patrin, contenu dans une lettre qu'il écrivit le 12 septembre 1801, publiée dans le n°. 140 de la Bibliothèque Britannique.

Le sujet de cette lettre étoit la masse de fer de Sibérie, qui a joué un grand rôle dans les discussions sur les pierres

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