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à tes tendres enfans, à ton vaste royaume, à toute la Thessalie.

ADMÈTE.

Alceste, ô ciel! tu nommes tous ceux qui ont besoin de ma vie, et tu ne parles pas de toi! Et tes pleurs mal retenus s'échappent enfin sur ton visage et tous tes membres fré

missent.....

ALCESTE.

Ah! il n'est plus temps de me taire : ce funeste secret ne peut plus se cacher, et tu ne dois l'apprendre que de moi. Malheureuse! j'ai eu la force et le courage de remplir un devoir sacré. Que ne puis-je, de même, en dissimuler les suites cruelles! Mais la nature impérieuse ressaisit tous ses droits. Hélas! je suis trop mère, et je fus épouse.

Que dis-tu ?

ADMÈTE.

ALCEST E.

Ah! je ne puis plus dire que je le suis.

ADMÈTE.

Un froid mortel a glacé mon cœur. Oh ciel! tu n'es plus mon épouse!

ALCEST E.

d'instans.

Je la suis encore, mais pour peu

ADMÈTE.

Qu'entends-je ? Qui oseroit t'arracher à moi?

ALCESTE.

Les dieux de qui tu m'avois reçue. Je leur ai juré de mourir volontairement, pour te soustraire à la mort. C'est l'irrévocable arrêt du destin.

ADMÈTE.

Ah! femme impitoyable! Et tu crois, insensée, me soustraire à la mort en t'y livrant toi-même. Tu nous a tués tous

Tolto hai tu, cruda, i genitori entrambi,

E madre sei?

ALCESTE.

Fui moglie anzi che madre:

E ai figli nostri anco minor fia danno,
L'esser di me pria che del padre orbati.

ADMÉTO.

E ch'io a te sopravviva, o Alceste, il credi
Possibil tu?

ALCEST E.

Possibil tutto, ai Numi: E a te il commandan essi. Or degg' io forse Ad obbedirli, a venerarli, o Adméto, A te insegnar, che d'ogni pio sei norma ? Essi infermo ti vollero; essi, addurre Poscia in forse il tuo vivere, poi, Quasi vita seconda; et, di te in vece, Vittima aversi alcun tuo fido: ed essi (Dubitarne puoi tu?) me debil madre, Me sposa amante, al sagrificio eccelso Degli anni miei per gli anni tuoi guidaro Con invisibil mano, essi soltanto. AD MÉTO. I Numi? ah, no : forse d'Inferno i Numi.

ALCESTE.

Ch' osi tu dire, oimè! dal Ciel mi sento Spirare al core inesplicabil alto Ardir, sovra l'umano. Ah, mai non fia Che il mio Adméto da me vincer si lasci Nè in corraggio viril, nè in piena e santa Obbedienza al Cielo. A me, se caro Costi il morir, tu il pensa: e a te, ben veggo, Più caro ancor forse avverrâ che costi Il dover sopravvivermi. A vicenda E a gara entrambi, per l'amor dei figli, Per la gloria del regno e l'util loro, E per lasciar religioso esemplo Di verace pietà, scegliemmo or noi, L'un di morir, di sopravviver l'altro, Bench' orbo pur della metà più cara Di se medesmo. Ne smentir vorresti. · Tui miei voti: nè il puoi, s'anco il volessi. Di tua ragione omai non è tua vita : Ei n' è solo signore il sommo Apollo, Ei che a te la serbava. E il di lui nume, Che spirto forse alle mie voci or fassi, Già il veggo, in te muto un tremore infonde, Ne replicarmi ardisci: e in me frattanto Vieppiù sempre insanabile seperggia La mortifera febbre,

deux d'un seul coup. Barbare, tu nous a ravis l'un et l'autre à nos deux enfans, et tu es leur mère !

ALCESTE.

Je fus épouse avant d'être mère; et d'ailleurs nos enfans perdent moins en moi qu'ils n'eussent perdu dans leur père.

ADMÈTE.

Que je te survive, Alceste; le crois-tu possible?

ALCESTE.

Tout est possible aux dieux: eux-mêmes te l'ordonnent. Est-ce donc moi, & Admète, qui dois t'apprendre à leur obéir, à les respecter; à toi, le modèle de la piété ? Ce sont eux qui avoient étendu leurs mains sur toi, et qui ont mis tes jours en danger: ce sont eux qui ont voulu te donner une seconde vie, et prendre quelqu'un des tiens à ta place! ce sont eux enfin, oui, ce sont eux seuls, qui d'une main invisible, m'ont poussée, moi, foible mère, moi, épouse et amante, au grand sacrifice de mes jours pour les tiens.

ADMÈTE.

Les dieux! non, cruelle: les dieux infernaux peut-être.....

ALCESTE.

Qu'oses tu dire ? C'est le ciel même qui inspire à mon cœur une force inconnue et plus qu'humaine. Eh quoi, il faut un mâle courage, une pleine et sainte obéissance, et mon Admète se laisseroit vaincre par moi! Tu peux penser s'il me coûte de mourir, et je vois trop qu'il t'en coûtera plus encore de me survivre. Hé bien! à l'envi l'un de l'autre dévoués à nos enfans, à la gloire et au salut de l'Etat, jaloux de laisser à l'avenir un vrai et saint exemple de piété, nous avons choisi l'un de mourir, l'autre de vivre, quoique privés de la plus chère moitié de soi-même. Tu ne voudrois pas démentir ma promesse, et tu ne le pourrois pas quand tu le voudrois. Ta vie ne t'appartient plus le grand Apollon en est le seul maître, lui qui te l'a rendue. C'est son esprit, c'est lui qui parle par ma voix. Déjà il t'inspire une sainte terreur qui t'empêche de me répondre, et cependant la fièvre mortelle s'allume de plus en plus, et circule dans mon sein, etc.

Après cette belle scène qui termine le second acte, le poète ne soutient plus son vol, et malheureusement il est encore loin du terme de sa carrière. On voit dans le troisième acte Alceste sur son lit de mort, employant un reste de vie à consoler son époux et son beau père. Ce tableau est touchant; mais la situation est trop prolongée. Admète, comme dans la tragédie grecque, reproche à Phérès de n'avoir pas voulu mourir à sa place. Cette discussion est traitée ici plus sérieusement que dans Euripide, et elle n'en est peut-être que plus

bizarre.

La principale difficulté du sujet étoit de lier Hercule à l'action, et de trouver un dénouement vraisemblable; car celui de la pièce grecque ne peut être raisonnablement admis dans une tragédie moderne. On prétend que Racine ne put trouver de solution à cette espèce de problème, et que c est là ce qui l'empêcha de traiter un sujet qui lui paroissoit le plus touchant de l'antiquité. Il eût été glorieux pour Alfieri de triompher d'une difficulté que Racine avoit désespéré de vaincre; mais il ne l'a pas même tenté. Dans sa tragédie, Hercule arrive au quatrième acte, à la nouvelle du danger d'Admète. Il apprend qu'Alceste va mourir à sa place; il forme le projet de la rendre à son époux, à qui il la ramène en effet au cinquième acte. C'est, à quelques circonstances près, le même fonds que dans la tragédie grecque. A la vérité, le poète moderne s'est interdit la gaieté un peu triviale qu'Euripide a prêtée à son Hercule. Il en résulte que ces derniers actes auroient moins diverti le peuple d'Athènes, mais ils n'en sont pour nous ni plus intéressans, ni plus vraisemblables.

Je reviendrai sur Alfieri dans l'un des prochains numéros.

G.

Coup-d'œil sur quelques ouvrages nouveaux.

L'AGRÉABLE AUTEUR de la Gastronomie a voulu faire un nouveau poëme, et en cela, comme dans tout le reste, le plus difficile n'est pas de faire, mais de réussir. Son intention, en le composant, étoit d'égayer ses lecteurs; mais son œuvre a été trouvée froide, et personne n'a pu rire sans sujet. Voilà, en quatre mots, toute l'histoire du Poëme de la Danse, ou les Dieux de l'Opéra (1). C'est un spectacle assez triste que

(1) Un vol. in-12. Prix: 3 fr., et 3 fr. 75 cent. par la poste. A Paris, chez Giguet et le Normant,

celui d'un poète qui se démène pendant six chants sans pouvoir dérider ses auditeurs; et nous en aurions détourné la vue bien volontiers, s'il ne falloit pas savoir profiter des fautes même qui peuvent échapper quelquefois aux hommes d'un talent reconnu.

Toute la France et même toute l'Europe dansante connoît le nom de Vestris ; celui de Duport promet d'égaler un jour sa renommée, et peut-être d'établir la sienne sur de nouveaux principes de saltation. Les deux danseurs ne sont cependant pas rivaux. Duport s'apprête à remplacer Vestris, et Vestris ne cherche point à imiter Duport: l'un acheve une brillan'e carrière, l'autre la commence. C'est d'un fait si simple, d'une succession si commune de talens, que M. Berchoux a prétendu faire le sujet d'un poëme! Les petites passions qui circu lent dans les coulisses des théâtres sont venues à son secours, et les divinités de contrebande l'ont aidé de toute leur puissance d'emprunt, sans pouvoir faire oublier la pauvreté du fonds, et sans rien ajouter à la médiocrité de son intérêt. La raison de cette foiblesse du sujet n'est pas plus difficile à concevoir que celle de l'impuissance des moyens accessoires. S'il est quelquefois possible d'amuser le public par le récit historicoburlesque de quelqu'aventure arrivée à des contemporains, il faut que cette aventure ait au moins un air de vérité, et que la situation des acteurs puisse prêter au badinage innocent d'une Muse joyeuse et légère. Aucune de ces conditions ne se rencontre ici : Vestris n'est point en guerre avec Duport; la nature de leur talent et la différence de leur âge ne permettent pas qu'on suppose une telle lutte. Le danseur qui, pour conserver sa supériorité, s'efforceroit de surpasser tous les jeunes élèves qui peuvent se présenter sur la scène, et qui n'auroit pas lui-même le don d'une éternelle jeunesse, seroit un fou qu'il faudroit lier, puisque sa chute seroit aussi inévitable, qu'il est assuré que la vieillesse et les infirmités viendroient le surprendre dans ce combat perpétuel. Ajoutez à cela que le vainqueur ne retireroit aucune gloire de ce triomphe facile, et que le vaincu ne recueilleroit de sa défaite d'autre honte que

celle du ridicule attaché à une entreprise extravagante. Un artiste qui a long-temps joui d'un grand succès, ne peut pas. plus se trouver humilié par un successeur, qu'un père ne peut être chagrin de se voir plus âgé que ses enfans. Supposer de la jalousie entre le maitre qui a fait une longue suite d'élèves, et le dernier de ces élèves devenu maître, c'est admettre qu'il peut y avoir égalité de forces et d'agilité dans l'un et l'autre, ou bien c'est se condamner à mettre en scène la folle prétention d'un radoteur. Une action de ce genre ne

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