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(SAMEDI 29 NOVEMBRE 1806.)

MERCURE

DE FRANCE.

POÉSIE.

SUR LES FEMMES AUTEURS.

CHEZ les oiseaux, ne vous déplaise,

La femelle n'a point de chant.
Nature veut qu'elle se taise,
Même en dépit de son penchant.

Cette Philomèle vantéc,
Si docte en bécarre, en bémol,
Dont votre oreille est enchantée,
Ne fut jamais qu'un rossignol.

Ce que vous nominez 'a fauvette
Est un male au gosier charmant,
Qui, pour sa compagne muette,
Chante son amoureux tourment.

Vos La Sazes, rimsnt leur flamme,
Tratnent un vers efféminé.

O que Racine a mieux peint l'ame
De leur sexe passionné !

Riches de grace et de plumage
En hantez le double valton,
Mais sans mêler votre ramage
Aux doctes cygnes d'Apollon.

Dd

Ne citez jamais vos La Suzes,
Parlez de Sapho seulement :
Sapho couchoit avec les Muses;

Elle fut presque leur amant.

Par M. LE BRUN, de l'Institut.

IMITATION D'YOUNG.

O NUIT, de l'univers reine antique et sacrée,
Toi qui verras finir le jour et la durée,
Si du fils de Jessé tu daignas autrefois
Monter la harpe sainte et soutenir la voix;
Loin des bornes du monde où mon ame s'élance,
Dans ces heures de paix, de deuil et de silence,
Viens toi-même échauffer mes lyriques transports!
Viens.... que des immortels j'égale les accords!

L'enfant de Sibaris veille encore dans l'ombre:
Est-ce pour admirer les prodiges sans nombre
Qu'étale à nos regards la splendeur de la nuit ?
Non, non la volupté, dont l'attrait le séduit,
Le promène au milieu de ses fêtes impies.
De coupables beautés, rivales des harpies,
Se disputent son or, l'abreuvent tour-à-tour
Du philtre, des poisons d'un impudique amour,
Et le soleil, levé pour éclairer le monde,
Le retrouve abruti par la débauche immonde.
Arrête, malheureux! Si ton cœur abattu
N'est pas sourd à l'honneur et mort à la vertu,
Lève les yeux au ciel qu'épouvante ton crime,
Et contemple avec moi sa majesté sublime.
S'il te faut des parvis et des dômes brillans,
Où l'or se mèle aux feux des cristaux vacillans,
Viens sous la voûte immense où Dieu posa son trône,
Et pour Jérusalem renonce à Babylone.

Vois l'astre au front d'argent : son éclat tempéré Frappe ton ceil vers lui mollement attiré.

Plus doux que le soleil il caresse ta vue,

Et te laisse jouir d'une scène imprévue.

Vois comme ses rayons tremblent sur les ruisseaux,
Mêlent l'albâtre au vert des jeunes arbrisseaux,

Se glissent divisés à travers le feuillage,
Et blanchissent au loin les roses du bocage!
Du globe des vivas, du terrestre ho izon,
Détache à cet aspect ton cœur et ta raison.

Suis mes pas sans effroi : viens, nouveaux Prométhées,
Dérobons tous leurs feux aux voûtes argentées,
Et, nous applaudissant de ce noble larcin,
Réveillons la vertu qui dort dans notre sein.
Entre au sein du foyer où la foudre s'allume,
Où du rapide éclair bouillonne le bitume;
Mesure sans pâlir, dans son orbe trompeur,
Cet astre vagabond qu'exagère la peur,
Qui, les cheveux épars, et la queue enflammée,
S'offre comme un fantôme à la terre alarmée.
Dans son horrible éclat vois un ciel orageux....
Mais plutôt, affranchi du tourbillon fangeux
Qui pesoit sur ton anie et la ten it captive,
Dans un ciel tout serein que ta vue attentive,
S'égarant an hasard de beautés en beautés,
Compte du firmament les berceaux enchantés.
L'alégresse, l'amour, dans ton cœur se confondent....
Tu viens parler aux cieux, et les cieux te répondent.
Quels sublimes objets ! Quel luxe éblouissant!
Le jour n'a qu'uo soleil à l'horizon naissant,
Et de mille soleils la nuit est éclairée.
Mille astres, à ma vue interdite, égarée,
Epanchent à la fois des torrens lumineux,
Qui sans les fatiguer réjouissent mes yeux.

Oh, que je puisse encore égarer ma pensée,
Au gré de mes desirs dans l'espace élancée !
Qu'elle suive le vol de ces astres lointains....
Desirs présomptueux ! Efforts trop incertains!
Je ne puis avancer, ma foiblesse succombe;

Un long voile s'étend, et sur mes yeux retombe. Dicu seul et les esprits, chef-d'œuvre de ses mains, De cet autre univers connoissent les chemins.

Faut-il donc s'étonner qu'aux jours de l'ignorance Ces astres, qui des Dieux nous offrent l'apparence, Aient usurpé l'encens des crédules mortels? Le sage dans son cœur lui dresse des autels, Et respectant des cieux la majesté suprême, Au milieu de la nuit se demande à lui-même : « Quel art dut présider à ce dôme éclatant

» Sur un fleuve d'azur sans orage flottant?

» Rien dans son noble auteur n'annonce l'indigence:
» La sagesse et le choix, l'ordre et l'intelligence,
>> Savamment combinés brillent de toutes parts.
» Un seul lien unit tant de mondes épars.
» O surprise! Tandis qu'un mouvement rapide
» Les emporte à travers cet océan du vide,

» Que tout part, va, revient, se balance, s'étend,
» Roule, vole, et se suit dans un ordre constant,
>> Quel repos solennel plane sur la nature !
» Quelle main de ces corps dessina la stature ?
» Quel invisible bras, par la force conduit,
» Peupla d'or et de feux les déserts de la Nuit,
» De ces astres roulans étendit la surface,
» Et versa leurs rayons au milieu de l'espace,
>> Plus nombreux mille fois que les sables des mers,
» Les perles du matin, les frimats des hivers,
>> Et tous ces flots brûlans qu'en sa course agrandie,
>> Au dessus des cités entraîne l'incendie?

>> C'est en vain que l'impie ose élever sa voix,
» Et dépouiller encor l'Eternel de ses droits.
» Le hasard n'a point fait le monde planétaire,
» Ni ces globes qu'emporte un mouvement contraire.
» Il est sans doute un chef qui sous ses pavillons

» De ce peuple étoilé range les bataillons,

» Les lie à ses drapeaux sans trouble et sans murmure, >> Fait d'un or immortel resplendir leur armure,

» Campe leurs légions dans un ciel radieux,
» Discipline leurs rangs et les arme de feux. »

Oui, la Religion est fille d'Uranie:
Tout d'un Dieu créateur dévoile le génie.
Mais combien il éclate avec plus de grandeur
Dans ce vaste appareil de flamme et de splendeur !
Vous, astres lumineux, vous, planètes errantes,
Et de lois et de moeurs famille différentes,
Qu'importe, dites-moi, cet éclat fastueux ?
Palais aériens, temple majestuenx,

Loges-tu l'Eternel ?....... Insensé, quelle audace!
Dès que je nomme Dieu, toute pompe s'efface:
La terre, comme un point, disparoît devant moi,
Et le sujet se perd dans l'éclat de son Roi.

Et l'homme, chaque nuit, témoin de ces spectacles, Pour croire à l'Eternel, demande des miracles!

Des miracles!... Ingrat, contemple l'univers!
Dieu, sur tous les soleils, tous les mondes divers,
Grave en lettres de feu son nom et sa puissance;
Il nous poursuit partout de sa magnificence.

M. BAOUR-LORMIAN.

FRAGMENTS

Du poëme intitulé: LE JARDIN DE KENSINGTHON.

Ici, sur l'arboisier, sur ces jeunes boutons,
La chèvre en bondissant conduit ses rejetons:
Ils se livrent, joyeux, des guerres innocentes,
Entrechoquant leurs fronts et leurs cornes naissantes.
Là, savourant les fleurs du cytise et du thym,
Sur l'herbe humide encor des perles du matin,
A peine revêtu de sa toison légère,
L'agneau suit en bêlant les traces de sa mère,
Et n'a point à frémir, au sein de ses ébats,
D'un cerbère aboyant qui harcèle ses pas.

Navigateur pompeux, lå le cygne nageant,
Promène avec orgueil son plumage d'argent.
Tantôt au bruit flatteur des ondes carressantes
Il livre aux vents légers ses voiles frémissantes,
Tantôt dans le cristal qui réfléchit les cieux
Il se mire, il se plonge, ou par un vol joyeux
Effleure en s'agitant sa limpide surface.

Mais si mon œil admire et sa forme et sa grace,
Mon ame admire encore un attrait plus charmant,
L'instinct, ce doux instinct, rival du sentiment.
Tandis que sur son nid sa compagne fidelle
Couve en paix sur la rive, il voltige autour d'elle;
Soudain quelque étourdi vient-il au bord de l'eau
De ses tendres enfans effrayer le berceau,
Il s'élance, son cou se dresse, son œil brille,
Et sur son lit de jonc il défend sa famille.

DUPUY-DES-ISLETS.

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