Page images
PDF
EPUB

Nouvelles libertés de penser, (qu'est-ce que des libertés de penser?) et que ce livre, d'abord fait avec d'autres livres, a été refait par M. Naigeon, puis plus correctement réimprimé par ses soins dans l'Encyclopédie; et qu'ensuite, vingt ans après, il a refait, avec ce même recueil, un autre recueil qu'il a intitulé philosophique. Quel est le but de cette longue notice qu'on rencontre ensuite, plus longue que toutes les autres, et dont le résultat est que, dans tout ce fatras, il n'y a de M. Naigeon que le nom tout seul? Pourquoi enfin M. Naigeon parlet-il si souvent de M. Naigeon? Que ne se laisse-t-il oublier. Il y gagneroit tant, et cela lui seroit si facile ! Ne le corrigerat-on jamais de la manie de mettre sa phrase dans tous les livres, et de profiter de toutes les occasions pour crier : c'est moi qui ai fait cela?

Revenons à M. Barbier. J'ai dit qu'il ne citoit pas toujours exactement les titres des ouvrages et les noms des auteurs: en voici quelques preuves. Je lis à la page 168 de son premier volume: Dictionnaire portatif de Mythologie (par l'abbé Declaustre), Par. 1758, etc. Ce Dictionnaire n'est point portatif, et l'édition que j'en ai actuellement sous les yeux est de 1745: d'où je conclus que M. Barbier s'est également trompé et sur le titre de cet ouvrage, et sur l'époque où il a paru. Il dit que M. Emery, auteur du Christianisme de François Bacon, étoit supérieur général de la communauté de Saint-Sulpice: comme si on pouvoit être supérieur général d'une seule communauté! C'étoit de la congrégation qu'il falloit dire. Il appelle M. de Crouseilhes, actuellement évêque de Quimper, M. de Groseilles, et madame d'Houdetot, madame de Houdetot. Tous ces noms sont assez connus pour qu'on ne dût pas s'y tromper.

Les erreurs où il est tombé en attribuant certains ouvrages à des auteurs qui ne les ont pas faits, sont les plus graves qu'il ait pu commettre dans un Dictionnaire de cette espèce; et j'espère que, par cette raison seule, on me permettra de m'y arrêter plus long-temps. Je commence par les plus légères, par celles qu'il a faites en parlant des journaux.

Il prétend que le Journal Français, ou Tableau politique et littéraire de Paris, étoit rédigé par MM. Nicole et la Deveze. Il est pourtant sûr que M. la Deveze, auteur de quelques journaux très-estimés, je pourrois dire très-fameux, dont M. Barbier ne dit pa un mot, n'a jamais travaillé au Journal Français, et que celui-ci étoit uniquement rédigé, non par M. Nicole le moraliste, mais par M. Nicolle homme de lettres. (Le nom de celui-ci est, comme en voit, un peu différent. ) Pourquoi dit-il que M. Geoffroy

est

est auteur de presque tous les articles non signés du Feuilleten du Journal de Empire? Il ne falloit pas dire presque, il falloit dire de tous, et ajouter que, dans ce journal, il ne l'est que des articles non signés du feuilleton. J'espère qu'il me permettra d'être un peu plus instruit que lui sur ce qui concerne le Mercure : je lui ferai donc observer qu'il s'est trompé en assurant qu'en l'an huit, MM. de Fontanes, La Harpe, Morellet, et Bourlet de Vauxcelles, se chargèrent de faire revivre le Mercure. M, Morellet ne contribua en rien à la résurrection du Mercure. Ce journal n'cut alors d'autres coopérateurs que MM. de Fontanes et de Vauxcelles, que M. Barbier cite, et M. Esmenard, qu'il ne cite pas. Ce fut en l'an X seulement que La Harpe remplaça M. de Fontanes; et il ne faut pas oublier de remarquer que M. Barbier, en nommant plus bas tous les auteurs qui s'en chargèrent en l'an X, ne parle plus de La Harpe.

Ces erreurs sont légères sans doute, et il m'étoit plus facile de les relever qu'il ne l'étoit à M. Barbier de ne pas y tomber. Venons donc à de plus graves Il se vante, dans sa préface, d'avoir découvert le véritable auteur du recueil latin intitulé Selecta è profanis Historic, etc. Et où M. Barbier a-t-il fait cette découverte ? Est-ce dans quelque vieux livre, dans quelque ancien manuscrit que personne jusqu'à lui n'a pu déchiffrer? Non, c'est dans le Traité des Etudes. Certes, c'étoit donc une découverte bien facile à faire; et, sans vanité, je puis m'étonner de ne l'avoir pas faite moi-même. « Dans » le temps, dit-il, où la littérature étoit cultivée avec soin » dans toutes ses parties, les meilleurs écrivains ne dédai» gnoient pas d'indiquer les auteurs anonymes. Le Traité des n Etudes de Rollin m'en a fait connoître plusieurs, entre >> autres Jean Heuzet, auteur de l'excellent recueil intitulé

Selecta è profanis, etc. » A entendre M. Barbier, on diroit que Rollin a eu directement pour objet d'indiquer des auteurs anonymes, et qu'il a clairement désigné Jean Heuzet comme éditeur du Selectre, etc. Si M. Barbier a cru se mettre, par cette phrase, à côté de Rollin, il s'est trompé : Rollin a fait quelque chose de mieux que des Dictionnaires et des Catalogues. Laissons chaque homme à sa place; M. Barbier n'a aucune raison d'être mécontent de la sienne, et de la considération dont il jouit. Quant à moi, je pense que nous serions trop heureux si nous avions toujours des bibliothécaires aussi instruits que lui, et des professeurs aussi vertueux et aussi savans que Rollin.

J'ai cependant parcouru tout le Traité des Etudes, pour tâcher de trouver cette mine ou cette veine d'auteurs anonymes

E e

qui a enrichi M. Barbier, et je déclare que je n'y ai rien trouvé de contraire à l'opinion commune, qui attribue cet excellent recueil à Rollin lui-même. Voici seulement ce qu'on lit dans le chapitre Ill, de l'Etude de la langue latine : « Un ancien » professeur de l'Université (et ici Rollin met en note à la » marge M. Heuzet, autrefois profeseur au Collège de » Beauvais), à qui j'ai communiqué mes vues, a bien voula >> composer de ces sortes d'histoires tirées de l'Ecriture-Sainte, » pour l'usage des enfans qui commencent à étudier la langue » latine, ou qui sont dans les premières classes. J'espère que » le public aura lieu d'être content de ce petit ouvrage; et » que l'approbation qu'il lui donnera, portera l'auteur à en » composer un second dans le même goût, mais d'un genre » différent, où l'on ramassera des histoires et des maximes de » morale tirées des anciens auteurs.... Ce second ouvrage a paru » depuis la première édition du mien.... Ony a ramassé (il ne » dit pas Jean Heuzet) avec beaucoup d'ordre et de choix des » principes excellens de morale, etc. » Il seroit inutile d'aller plus loin. Je vois que ce second ouvrage a paru; je crois même que c'est celui que nous appelons Selecice è profanis? Mais Rollin ne fait entendre en aucune manière que ce soit Jean Heuzet qui l'ait fait.

Avant de passer aux ouvrages pseudonymes, je ne puis m'empêcher de dire un mot sur les efforts que M. Barbier prétend avoir faits pour en découvrir les véritables auteurs; et je ferai ensuite remarquer une distinction assez singulière qu'il établit à leur sujet.

Pour connoître les noms des auteurs, il a consulté, dit-il, tous les savans; par exemple, M. Demanche, M. Solvet, M. Bleuet, M. By, tous grands noms connus, comme on sait, dans la république des lettres : je ne l'én blâme point. Les éloges qu'il leur donne, et la reconnoissance qu'il leur témoigne font autant d'honneur à son cœur qu'à sa modestie. On pourroit seulement dire que l'homme vraiment modeste est modeste en tout; qu'il ne fait pas tant de bruit des petits bienfaits qu'il peut avoir reçus; et que, lorsqu'on se répand ainsi en éloges exagérés, on court risque de se faire soupçonner d'avoir voulu recevoir soi-même beaucoup d'éloges. Mais je ne l'excuserai certes pas d'avoir consulté, sur les Ouvrages dits philosophiques, l'homme de lettres distingué..... Lecteur, vous savez d'avance que cet homme est M. Naigeon; et, si je ne vous l'avois déjà dit, vous ne l'auriez pas reconnu à ce portrait. Il seroit difficile de croire qu'un homme de lettres aussi distingué par ses erreurs, ait pu fournir à ce Dictionnaire beaucoup de vérités. Je pense même que M. Barbier

ne s'y est pas attendu, et que c'est peut-être ce qui lui a fait établir dans sa préface la distinction dont je vais parler.

Il distingue donc deux sortes d'auteurs pseudonymes: l'une, de ceux qui mettent leur nom à des ouvrages qu'ils n'ont point fails, et ceux-là se nomment plagiaires; l'autre, de ceux qui mettent sur le frontispice de l'ouvrage qu'ils publient le nom d'un auteur célebre, et ceux-ci doivent passer plutôt pour des imitateurs mal-adroits, que pour des imposteurs. Ainsi donc, lorsqu'un auteur décrédité compose un détestable ouvrage, et qu'après l'avoir rempli de maximes pernicieuses, il le fait répandre sous un nom jusqu'alors respecté, cet auteur n'est pas tout à-la-fois un empoisonneur public et un imposteur, c'est un imitateur mal-adroit; et le savant, l'homme respectable qui, par cette imitation mal-adroite, arrivera peut-être à la postérité tout chargé d'horribles maximes qu'il détestoit dans son cœur; cet homme, dis-je, n'aura aucun motif de se plaindre: car, après-tout, on n'a fait autre chose que le diffamer. Ainsi, lorsqu'il arrivera à M. Naigeon lui-même de donner à M. de Burigni, à vingt autres, des ouvrages qu'ils n'ont points faits..... lecteurs, vous voilà prévenus n'appelez pas cela une imposture, ce n'est qu'une mal-adresse.

Je demande donc qui est l'auteur du Christianisme dévoilé? Et M. Naigeon (car je me flatte que c'est M. Naigeon tout seul que j'ai à combattre) me répond que cet ouvrage est la première des nombreuses productions philosophiques mises au jour par le baron d'Holbach, sous le voile de l'anonyme et sous des noms empruntés. Ainsi donc, le Christianisme dévoilé est une production philosophique. Voilà un aveu précieux, et une expression bien convenue entre nous. Toutes ces productions qui ont déshonoré la fin du dernier siècle sont donc aussi des productions philosophiques, et ceux qui en ont sali notre littérature sont des philosophes. Qu'on ne dise plus que c'est nous qui accusons la philosophie de les avoir faits, et qu'en cela nous la calomnions; voilà un phi-· losophe qui en convient: Habemus confitentem reum.

Mais je demande encore à M. Naigeon s'il est bien sûr que ce soit M. le baron d'Holbach qui ait fait le Christianisme dévoilé, et s'il en est sûr, où peut-il l'avoir appris ? Est-ce à table, dans ces fameux diners que M. le baron d'Holbach, homme riche, et, à ce qu'on assure, très-bienfaisant, donnoit aux beaux-esprits de Paris, dont le dîner ne valoit pas le sien? Je conviens que M. Naigeon étoit souvent de ces dîners-la. Est-ce dans sa société intime? M. Na geon put y être admis. Mais s'il ne l'a su que par des confidences,

comment se permet-il de le dire? Est-ce parce que M. le baron d'Holbach est mort, et qu'il n'y a plus de grands dîners chez lui? Allons plus loin je demande encore à M. Naigeon pourquoi il ne veut pas que le Code de la Nature soit de Diderot. Est-ce que c'est maintenant la famille de Diderot qui donne à dîner?

Je n'ai certes pas l'intention de défendre M. le baron d'Holbach contre les accusations, ou, si on veut, contre les éloges de M. Naigeon. Messieurs, entre vous le débat: quand vous n'êtes pas d'accord, nous ne pouvons que rire de vos disputes. Cependant, si je consulte l'opinion publique, il me semble que M. le baron d'Holbach a bien assez de droits à l'estime de M. Naigeon, sans qu'on lui prête encore ceux qu'il n'a pas. Ce qu'il y a de certain, c'est que le Christianisme dévoilé est de Damilaville pour cette fois, l'homme de lettres disting é sera convaincu d'erreur et par un homme qui étoit bien plus en état que lui de fournir à M Barbier des renseignemens sur les ouvrages dits philosophiques; c'est-à-dire, par Voltaire lui-même. « Damilaville » vient de mourir, écrit Voltaire à M. le marquis de Ville» vicille (1); il étoit l'auteur du Christianisme dévoilé, et de » beaucoup d'autres écrits. On ne l'a jamais su ses amis » lui ont gardé le secret, tant qu'il a vécu, avec une fidélité » digne de la philosophie. » Je ferai observer, en passant, que la fidélité de la philosophie se borne à garder les secrets des vivans; les secrets et l'honneur des morts lui importent peu. Voilà donc Damilaville, le cher ami de Voltaire, convaincu Voltaire lui-même d'avoir fait le Christianisme dévoilé: et voilà M. Naigeon autrefois, dirai-je l'ami, le confident, non, mais du moins, l'un des dîneurs de M. d'Holbach, convaincu de l'avoir calomnié, en l'accusant du même ouvrage. Et voilà les hommes qui s'appeloient les honnêtes gens! Ce qu'il y a de bien singulier, c'est qu'encore dernièrement on a nu lire dans un de nos journaux () que lorsqu'il s'agissoit d'un trait de fausseté et de bassesse, c'étoient toujours les ennemis des philosophes qu'on en trouvoit coupables; et que lorsqu'il s'agissoit au contraire d'un trait de franchise ou de générosité, c'étoit toujours à la philosophie qu'on étoit obligé d'en faire honneur. Et à propos de quoi faisoit-on cette observation? A propos d'une calomnie répandue dans le temps. par le parti philosophique de l'Académie française, contre le parti sage et honnête de cette même Académie: je dis une

par

-

() Time 79 de la Correspondance, édition in-12.

(2) La Revue.

[ocr errors]
« PreviousContinue »