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» dangereux s'il étoit à portée du commun des lecteurs. Il » auroit été très-fáché qu'il devint public. J'en cite pour » preuve la lettre qu'il m'écrivit.... Il me marquoit dans son >> billet, que j'ai gardé pour sa justification, si l'on trakissoit sa » confiance, que cet ouvrage n'étoit que pour des amis inte»rioris admissionis. J'aurai occasion de parler dans la suite » de la coupable frénésie qui règne aujourd'hui, de tirer des » cabinets, et de rendre publics des écrits qui n'en devoient » jamais sortir.

On se souvient sans doute que, selon M. Naigeon luimême, Freret n'a fait qu'un seul ouvrage philosophique; on vient de voir que, selon Duclos, Freret auroit été très-fáché que cet ouvrage devint public; on voit ce que Duclos pense de cette frénésie qui fait exposer au grand jour des ouvrages qui n'étoient destinés qu'à l'obscurité. Quel est donc ce service que M. Naigeon à rendu à Freret, et quelle opinion faut-il se former de tous ces philosophes qui publient, comme lui, les ouvrages posthumes des philosophes leurs amis?

Parlerai-je maintenant des notes dont M. Naigeon prétend avoir enrichi cette lettre. Citerai-je celle où, après avoir rapporté une objection de Freret, il dit que cette objection seroit très-embarrassante pour des hommes sensés qui auroient le malheur de croire à la Religion Chrétienne; et cette autre note plus ridicule encore, où après avoir traité Tertullien, Lactance, Athénagore, de pauvres raisonneurs, il les renvoie à l'école du grand auteur de l'excellent ouvrage intitulé: Examen critique des Apologistes de la Religion Chrétienne? En vérité, puisque, selon les philosophes, cet ouvrage est si bon et si savant, je m'étonne que personne ne veuille plus l'avouer. Du reste, selon moi, l'absurdité de tous ces jugemens est si grande, que je me crois dispensé d'en relever l'impiété.

On sera peut-être étonné qu'à-propos d'un dictionnaire de titres et de noms, je cite tant de livres et de mauvais raisonnemens. Mais pourquoi aussi M. Barbier a-t-il permis qu'on portât dans ce Dictionnaire tant de faux jugemens, et qu'on y insérât tant d'anecdotes douteuses, pour ne rien dire de plus ? Par exemple, à l'article Pensées philosophiques (par Diderot), je trouve rapportée l'anecdote suivante: «A cette époque, Diderot se trouvoit dans l'im» possibilité de prêter six cents fr. à une femme qui en avoit » besoin et qu'il desiroit obliger. Il s'enferma dans sa chambre, » travailla de toutes ses forces, composa en quatre jours les » Pensées philosophiques, et les ayant présentées à son

» libraire, il en reçut la somme qu'il desiroit prêter. »> Cela peut être arrivé: c'étoit un homme fort étrange que ce Diderot; d'ailleurs il n'est pas impossible que le même homme fasse tout à-la-fois un peu de bien et beaucoup de mal. Mais si je disois maintenant que, pour rendre service à une famille, un homme s'est enfermé dans sa chambre, qu'il ya préparé des poisons, qu'il les a vendus, et que du prix il a secouru cette famille qui ensuite peut-être a péri par l'effet de ces mêmes poisons, je ne ferois sans doute pas un grand éloge de cet homme, et je ne donnerois pas une haute idée de sa bienfaisance. Ce seroit pourtant l'histoire de Diderot.

Je ne citerai plus qu'un seul titre de ce Dictionnaire avec la notice qui le suit. A l'article Recherches sur le Despotisme oriental (par Boulanger), etc., édition de 1766, l'auteur nous fait observer « qu'on ne trouve pas dans cette édition »linteressante lettre de Boulanger à Helvétius, que l'on » voit dans l'édition originale de Genève 1761. » J'ai donc cherché cette édition originale, pour savoir en quoi cette lettre pouvoit être très intéressante, et j'ai trouvé qu'elle étoit en effet très-remarquable après ce que nous avons vu. Boulanger y prétend que la police ne se fera bien en France que lorsqu'on aura divinisé la raison. (Il ne faut pas disputer des goûts; mais la raison a été un moment divinisée; et si la police se faisoit bien alors, il faut avouer qu'elle avoit au moins le défaut, d'être trop expéditive.) Il ajoute que pour hâter cet heureux temps, il faut endoctriner la jeunesse. « Et à qui, dit-il, donner une telle commission, si ce n'est » à la philosophie? » (L'entendez-vous, lecteurs; c'est la philosophie qui doit préparer, non pas le règne, mais le culte de la raison.) « Elle ne doit pas même attendre qu'on la lui » donne. » (Aussi ne l'a-t-elle pas attendu.) « Les élèves » de la philosophie sont déjà nombreux; un bien plus grand >> nombre est tout prêt de suivre ses étendards; et l'anarchie » religieuse, qui augmente tous les jours, lui montre un » peuple de sujets qu'il lui sera facile de conquérir : elle doit » se hâter de le faire.» (Heureusement elle s'est trop hâtée de le faire: elle y a perdu l'empire qu'elle avoit usurpé sur nous. Mais écoutez l'aveu suivant :) « Si cette anarchie étoit de trep » longue durée, elle pourroit précipiter le genre humain dans » un plus mauvais état que le premier. On a dit l'Europe » sauvage, l'Europe païenne; on a dit l'Europe chrétienne, » peut-être dira-t-on encore pis; mais il faut qu'on dise » enfin l'Europe raisonnable. » Lecteurs qui aimez les souvenirs doux, les images douces, et les sentimens honnêtes; vous dont j'ai excité peut-être toute l'attention par ce mot

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seul d'interessante lettre, convenez du moins, ah! convene
que dans la bouche des philosophes les mots ont bien changé DE
d'acception.

Eh bien, insensés! on a dit, vous dites peut-être encore Eu
rope raisonnable. Mais que seroit devenue, que deviendrost
cette vieille Europe, si une main puissante, seul
soutenoit toutes les parties. Comment sont tombés tant

pires puissans, si ce n'est par l'eflet de vos funestes doctrines Partout la seule raison règne. Ah! qu'elle règne bien sele excepté en France, où heureusement la religion a recommencé à régner!

Je crois avoir donné une idée suffisante de ce Dictionnaire, et de la manière dont les livres philosophiques y sont appréciés. Je devrois maintenant faire connoître quelques-uns des jugemens qu'on y porte sur ceux qui ont été faits contre les philosophes. Qu'il me suffise de dire qu'après ce titre Variétés morales et philosophiques, (par feu M. Moreau historiographe), etc. l'auteur ajoute Le trop fameux Mémoire sur les Cacouacs fait partie de ce recueil. Eh! pourquoi ce Mémoire est-il trop fameux? Est-ce parce qu'on y répand sur les Cacouacs, c'est-à-dire sur les philosophes tout le ridicule et le mépris qu'ils méritent? Les philosophes croient-ils donc être encore dans ce temps où ils étoient assez puissans et assez forts en nombre, pour qu'on ne pût obtenir quelque considération qu'en l'achetant d'eux au prix de tous ses principes? Et si ce Mémoire est devenu fameux, même dans ce temps, n'est-ce pas la preuve qu'il contenoit de grandes vérités, dont malheureusement on ne sut pas profiler? Ce mémoire est trop fameux! Certes, M. Moreau, historiographe de France, et ancien magistrat d'une cour souveraine, avoit une considération personnelle qui pouvoit suffire à donner quelque crédit à ses ouvrages. Ses principes en morale et en politique furent. toujours sages et vrais ; et les philosophes eux-mêmes ne peuvent lui reprocher que cette plaisanterie qu'il écrivit contre eux. M. Moreau enfiu valoit bien M. Damilaville, commis au vingtième, et peutêtre quelqu'autre que je ne veux plus nommer. Comment se fait-il donc que ce soit ce même M. Moreau qui est appelé quelque part dans la correspondance de Voltaire, un gredin et un polisson.

Quelle tâche pénible je viens de remplir ! Que d'absurdités, d'inconséquences, de contradictions, et pour tout dire en un mot, que d'impiétés il m'a fallu lire, pour arriver au but que je m'étois proposé!. Je les avois lus autrefois ces livres vraiment trop fameux, qu'on a certainement beaucoup trop loués dans

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ce Dictionnaire; mais lorsque je les ai relus maintenant, ils ont, fait sur moi une impression bien plus forte. Il y a vingt ans t c'étoit le dégoût et le mépris qu'ils m'inspiroient ; maintenant j'ai cru sentir une odeur de mort qui s'en exhaloit; et plusieurs fois j'ai été tenté de les fermer, et de renoncer au projet que j'avois de démontrer combien peu ils méritoient tous ces éloges.

Encore un mot, et je termine toutes ces observations. Les philosophes ont perdu leur crédit; ils ne comptent plus parmi eux aucun homme qui ait le talent d'écrire et de composer un ouvrage; un ouvrage au moins qui soit fait pour aller à la postérité. Ils se sont aperçus eux-mêmes du vide immense que Voltaire, Diderot, et deux ou trois autres ont laissé dans leur secte. Aussi ont-ils depuis long-temps renoncé à instruire l'univers sous leur propre noms. Ils sentent que leurs noms, heureusement très-obscurs, n'imposent plus au vulgaire, et que l'univers est las de recevoir leurs leçons. Forcés de replier leurs forces, ils se contentoient il y a quelques années de publier des éditions d'anciens et vrais philosophes, où ils les faisoient parler à leur gré. C'étoit encore un moyen qui leur restoit pour tromper le public. Et maintenant que cette ressource leur est ôtée, maintenant que leurs éditions elles-mêmes n'ont plus de crédit, que feront-ils que peuvent-ils faire? Vous le voyez : quand ils savent qu'un homme estimable va publier quelque livre qui pourroit être utile, ils l'entourent, ils l'obsèdent, jusqu'à ce qu'ils aient obtenu de lui de pouvoir, à la faveur de son nom, répandre encore quelques-unes de leurs erreurs.

Mais, dans ces occasions, nous est-il permis de garder le silence? Et lorsque cet auteur estimable nous avertit luimême que non-seulement il n'a pas repoussé ces suggestions perfides, mais qu'il les a cherchées; lorsqu'il nomme celui dont il les a reçues, et qu'il le nomme avec honnenr, ne devons nous pas crier au public: Fænum habet in cornu, cornu ferit ille, caveto.

Ce Dictionnaire va peut-être parcourir l'Europe; peut-être même parviendra-t-il à la postérité. Eh bien! faut-il que l'Europe croie que nous sommes encore en admiration devant les philosophes? Faut-il que la postérité prenne les jugemens qui sont portés dans cet ouvrage, pour les jugemens de notre siècle? Il m'a semblé que la vérité devoit au moins s'échapper par quelqu'endroit ; et puisque tous les journalistes ont cru devoir honorer ce livre de leurs éloges; puisqu'il s'en est trouvé même quelques-uns qui, en relevant une ou deux des erreurs qu'il contient, ont semblé, vouloir faire

entendre qu'ils n'en contenoit pas d'autres, je me suis cru obligé de dire la vérité tout entière.

GUAIRARD.

P. S. Cet article étoit déjà imprimé, lorsque j'ai appris que j'étois attaqué dans le Courrier des Spectacles, au sujet du jugement que j'ai porté sur l'Histoire de France de M. Anquetil. Cette agression m'étonne : il y a peut-être quelques chose de commun entre M. Salgues et moi; mais ce n'est pas aux spectacles que nous nous rencontrerons, et ce n'est pas danr son Courrier des Spectacles que je m'attendois à voir discuter mes opinions sur la religion et sur la manière d'écrire l'histoire. Quoi qu'il en soit, il m'accuse, avec beaucoup de poli tesse, de ne penser à rien moins qu'à me donner le plaisir d'un autodafé. Certes, cette accusation vaut bien la peine d'être repoussée; mais comme les lecteurs du Mercure ne seroient pas contens de recevoir un numéro rempli par moi seul, je suis obligé de renvoyer ma justification au numéro prochain.

VARIÉTÉS.

LITTÉRATURE, SCIENCES, ARTS, SPECTACLES, ET NOUVELLES LITTÉRAIRES.

-L'Ecole de Médecine de Paris a tenu, le 17 novembre 1806, une séance publique pour l'ouverture de ses cours pendant l'année 1807.

A cette séance, se trouvoient M. le conseiller-d'Etat à vie, directeur de l'instruction publique; MM. les professeurs de l'Ecole de Médecine; MM. les membres de la Société de cette Ecole, et une foule d'élèves.

M. de Jussieu, président, a prononcé un discours dans lequel il a eu principalement pour objet, 1° d'offrir quelques réflexions sur les rapports de la médecine avec les autres parties de la philosophie naturelle; 2o de présenter un tableau abrégé des travaux de l'Ecole de Médecine, et des observations qui lui ont été communiquées pendant l'année précé dente.

Les rapports de la médecine avec les autres sciences physiques, sont évidens. Il sont établis: 1o avec la chimie, et par les heureuses applications de sa méthode a l'étude des mala❤ dies, et par les faits nombreux et les renseignemens importans qu'elle a fournis à l'art de guérir; 2°. avec la zoologic, pour d'utile rapprochemens entre l'organisation de l'homme

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