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Ah! viens écarter les pavots

Qui couvrent sa paisible conche;

Viens effleurer son sein, l'arracher au repos,
Et que ton doux baiser s'imprime sur sa bouche!

A son réveil dis-lui tout bas

Qu'avant le lever de l'aurore

J'ai dit aux fleurs son nom, qu'elles n'ignoroient pas;
Je l'ai dit à l'écho qui le redit encore...

Hyacinthe GASTON.

LE LIÈVRE, LA TAUPE ET LE HÉRISSON,

F.ABLE.

UN lièvre avoit son gfte auprès de la tanière
D'un maussade et vieux hérisson,;
Chacun de son côté vivoît à sa manière,
A l'abri du mênic buisson,

Quand une taupe y vint reuser sa taupinière:
Entre les gens de certaine f çon,

Nous savon tous qu'il est d'us ge
Que le dernier venu dans tout le voisinage
Promène sa personne, où tout au moins son nom.
En habit de velours, notre taupe au plus vite
Fait donc au lièvre sa visite:

Après la révérence, aprè mant compliment
(Ceux des bêtes, dit-on, ressemblent fort aux nôtres),
Après avoir parlé de soi très-longuement,
On parla quelque peu des autres,

Et du voisin conséquemment.

Quel esprit! dit la taupe; y peut-on rien comprendre?
» Est-il rien de moins amusant?

» Est-il rien de moins complaisant ?
» Savez-vous par quel bout le prendre?
» Il yit toujours triste et caché,
» Une sombre humeur le dévore;
» Il blesse quand il est fâché,

» Et quand il joue il blesse encore;

» Et c'est pourtant chez lui que je cours de ce pas. »
"Madame, dit le lièvre, assurément badine?»

« Et le bon ton, voisin... » « Et le bon sens, voisine,
» M'assure que vous n'irez pas.

« Plains et fuis, nous dit-il, ces personnes chagrines
» Qu'on ne peut aborder avec sécurité,

» Et qui, même dans la gaieté,

Ne quittent jamais leurs épines. »

M. ARNAULT.

ENIGME.

A BIEN des gens si je sais plaire,
C'est à bon titre assurément,
Puisque l'utilité jointe à l'amusement
Fut de tout temps mon partage ordinaire.
Il n'est presque point de maison

Où je ne sois du moins pour quelque chose;
Car, à défaut de moi, l'usage et la raison
Veulent qu'on ait un peu de ce qui me compose.
Si quelqu'un n'éprouvoit pour moi que de l'ennui,
Qu'il en convienne sans rien craindre;

On sait qu'il est moins à blâmer qu'à plaindre,
Et chacun dit: tant pis pour lui.

LOGOGRIPHE.

Jx mords les grands quoique petit,
Et cela par pure innocence,
Pour contenter mon appetit,
Mon goût et mon intempérance.

Un instant il faut s'amuser:

Neuf pieds font toute ma structure:
Lecteur, pour les décomposer,
Donne-toi de la tablature.

Je suis des oiseaux un manger;
Une ville de l'Italie;

Du cheval une maladie;

Un jeu qui n'est point étranger;
Un poisson de mer; un herbage
Dont le vendangeur fait potage;
Un habitant de Canada;
D'ami l'épithète ordinaire.
Ma foi, lecteur, j'en reste là;

Car rimer n'est point mon affaire.

CHARADE.

Mon premier, cher lecteur, que tu bois volontier,
Devenu mon second, te donne mon entier.

Mots de l'ENIGME, du LOGOGRIPHE et de la CHARADE insérés dans le dernier Numéro.

La mot de l'Enigme du dernier No. est Souris,

Celui du Logogriphe est Cabriolet.

Colui de la Charade est Cou-rage.

OPERE POSTUME DI VITTORIO ALFIERI. → Œuvres Posthumes de Victor Alfieri.

(II. Extrait.)

J'AI parlé avec quelque détail de l'Alceste d'Alfieri. Cette tragédie est précédée d'un drame d'une espèce particulière, qui, par les beautés qu'on y trouve, autant que par sa singularité, paroît mériter aussi un examen de quelqu'étendue.

Porté à écrire des tragédies par cet attrait irrésistible qui 'allie presque toujours à un véritable talent, Alfieri regretta toute sa vie de ne pouvoir les faire représenter d'une manière satisfaisante, et devant des auditeurs capables de les apprécier. Ses préfaces, ses examens, sont remplis de plaintes à ce sujet. Il s'y élève contre l'Opéra avec l'animosité qu'inspireroit un rival heureux; il s'indigne que ce spectacle frivole, qui énerve et dégrade les ames, ait pris si long-temps le pas sur la divine tragédie, qui les élève et les fortifie. Voyant donc ses compatriotes accoutumés à ne chercher au théâtre qu'un yain amusement pour les oreilles, il conçut l'idée d'un genre de drame où la musique se réuniroit à la déclamation, espérant ainsi les conduire par degré à écouter et à sentir la vraie tragédie. Il appelle ce genre nouveau tramélogédie, nom formé des deux mots mélos et tragédie, assez bizarrement entrelacés, et qui, selon lui, n'en est que plus propre exprimer cette alliance nouvelle de la tragédie et de l'opéra, On ne s'arrêtera pas à démontrer que la réunion de ces deux espèces de drames ne pourroit jamais produire que des ouvrages bâtards, où les moyens d'imitation propres à l'un et à l'autre se nuiroient réciproquement: Alfieri l'a senti luimême. « Je n'ai point eu, dit-il, avec beaucoup de raison, » la folle et puérile vanité d'inventer un nouveau genre de » drame, sachant bien que la vraie gloire d'un poète est de >> traiter avec succès les genres déjà trouvés, et non pas >> inventer de moins parfaits. » Il n'a donc pas eu d'autre but que de faire, en quelque sorte, l'éducation théâtrale de ses compatriotes, et de leur apprendre à apprécier ces beaux spectacles où quatre ou cinq personnages conduits chacun par des passions différentes, concourent au développement d'une action simple, noble et intéressante. Il reste à savoir si

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la tramélogédie seroit propre à remplir cette intention, et si pour enseigner à goûter les bons ouvrages, il est à propos de commencer par en présenter de défectueux. Ce qui est certain, c'est qu'un moyen plus simple et plus efficace à la fois d'inspirer aux Italiens le goût des représentations tragiques, seroit de leur donner d'excellentes tragédies.

:

De six trumelogéties dont Alfieri avoit conçu le plan, il n'en exécuta qu'une seule, dont le sujet est la Mort d'Abel Comme dans l'Epopée, deux espèces de personnages y concourent à l'action, les uns sont merveilleux ou allégoriques ils ne s'expriment qu'en vers. rimés et destinés au chant; les autres ont le langage plus modeste des héros tragiques, et sont réduits aux vers blancs et à la déclamation. La pièce s'ouvre par un dialogue entre. Lucifer et le Péché. Tous deux, indignés du sort heureux dont jouit encore la première famille du genre humain, malgré la faute d'Adam et d'Eve, veulent chercher les moyens de troubler son bonheur. Dans cette intention, ils convoquent tous les esprits infernaux, Le résultat de leur délibération est d'envoyer sur la terre, l'Envie et la Mort. Voilà le sujet du premier acte, qui est tout en opéra. Il m'a paru froid et monotone, et surtout trèsingrat pour la musique. Quels vers lyriques que ceux-ci !

Voi, che nel lago di sangue giacete,

E di quel vi pascete;

Voi, che in bitume, sepolti vi siete
Tra zoifi bollentissimi;

E voi, che tra fierissimi
Muggite, latrati,
Ruggiti, ululati

De tanti nostri
Orrendi mostri

Lagrimosi rabbiosi vivete.

« Vons qui êtes couchés dans le lac de sang, et qui vous en >> repaissez, vous qui êtes ensevelis dans le bitume, au milieu » des soufres brûlans; et vous qui, au milieu des cruels >> mugissemens, aboiemens, rugissemens, gémissemens de >> tant d'horribles monstres, vivez dans la rage et dans les >> pleurs. »

Le musicien condamné à rendre toutes les images accumulées dans ces vers, feroit sans doute un chant vraiment infernal; mais il est douteux que des oreilles italiennes voulussent s'en accommoder. Ce n'est point-là la poésie du Tasse dans cette strophe fameuse :

Chiama gli abitator dell' ombre eterne, etc.

Au deuxième acte, le jour est sur son déclin. Adam e

Eve, suivis bientôt de Caïn et d'Abel reviennent à leur cabane. Tous les quatre adressent une prière à Dieu, et après avoir réparé leurs forces par un repas frugal, ils vont se livrer au sommeil.

C'est alors que les esprits infernaux se préparent à accomplir leurs desseins. L'Envie s'approche de Cain et lui jette, un de ses serpens il se réveille aussitôt; des transports inconnus l'agitent. A l'aspect de sa famille paisiblement endormie, il conçoit pour la première fois des sentimens de : jalousie et de haine. Îl veut l'abandonner pour jamais, et saisissant l'instrument de ses travaux, désormais son seul bien, il s'éloigne à grands pas des cabanes. L'Envie le suit pour achever de le subjuguer. Cette situation est vraiment dramatique. L'idée en paroît prise dans le VII. livre de l'Enéide, où Alecton lance de même un de ses serpens dans le sein, d'Amate; mais Alfieri a su se l'approprier; et l'on reconnoît dans le monologue de Caïn ce coloris sombre et cette énergie qui caractérisent son pinceau tragique.

Cependant Adam et Eve réveilles avec l'aurore, sont étonnés de ne plus voir leur fils aîné avec eux. Abel s'offre à calmer leur inquiétude, et il vole sur les pas de son frère.

Après avoir erré une partie du jour, Caïn commence à sentir sa colère s'apaiser, et le repentir succède à son égarement involontaire. Il se représente ses parens livrés à la douleur, il se rappelle la tendresse qu'ils lui ont toujours montrée, et il veut retourner dans leurs bras; mais deux êtres inconnus viennent se présenter à lui sous l'extérieur le plus séduisant. Ce sont l'Envie et la Mort qui ont pris une forme humaine pour le tromper. Le poète a supposé qu'Adam ne voulant point causer à ses enfans d'inutiles regrets, ne leur avoit jamais parlé ni de sa faute, ni du Paradis qu'elle lui avoit fait perdre. L'Envie apprend tout à Cain. De plus, elle lui fait croire qu'il y a encore une place dans ce lieu de délices pour l'un des enfans d'Adam, et que c'est dans le dessein de la conserver à Abel qu'on l'a laissé luimême dans une si profonde ignorance. A la voix de l'Envie, des chœurs d'hommes et de femmes viennent former des danses devant lui : ils lui font la peinture la plus séduisante du bonheur qui l'attend dans le paradis terrestre; ils l'invitent à traverser le fleuve qui l'en sépare, et ils disparoissent. Caïn est à peine resté seul, qu'Abel se montre sur les bords de ce fleuve fatal. Persuadé qu'il est accouru sur ses pas pour le traverser avant lui; éperdu, hors de lui-même, Cain s'emporte en menaces terribles. Les protestations de son frère, ses tremblantes supplications l'attendrissent un moment; mais a

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