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DECEMBRE 1806.

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Tant que la science physiognomonique ne s'écarte dans ses procédés, de la manière de juger par le sens physio nomique; c'est-à-dire, tant qu'elle n'a pas la prétention d'être autre chose que ce sens lui-même, il n'y a nulle matière à discussion; mais aussi elle ne fait que nous expliquer fort longuement ce que nous pourrions reconnoître au premier coup d'œil, ce que nous savons déjà, ou ce que nous apprendrons infailliblement et plus sûrement, pour peu que nous ayons quelque commerce avec les hommes. Nous connoissons d'avance tous ces dessins, tous ces profils dont elle remplit inutilement ses volumes; mais cette connoissance ne nous empêche pas de prendre quelque plaisir à les considérer, et nous aimons à vérifier si telle figure caractéristique a produit sur l'auteur du livre la même impression que celle qu'elle a faite sur notre esprit : nous nous applaudissons lorsque son jugement se trouve d'accord avec le nôtre, comme s'il pouvoit ne pas l'ètre, comme si nos yeux pouvoient voir les objets autrement qu'ils ne sont, et comme si ces objets pouvoient produire des effets différens sur des esprits d'une même nature! Notre petite vanité se trouve flattée; nous aimons à nous reconnoître dans un auteur qui s'est fait une sorte de réputation, et qui a écrit de gros livres! Lorsqu'au contraire cette science ambitieuse veut s'élever au-dessus de ce que le sentiment peut nous apprendre, et nous faire entrer dans des considérations dont nous ne sommes pas à portée de faire l'application sur quelque figure vivante, les objections naissent en foule, et nous commençons par demander quelle garantie elle peut nous donner de la certitude de ses nouvelles observations? L'expérience, répond-elle; mais notre propre expérience elle-même ne fait naitre en nous qu'une présomption modérée et circonspecte. Comment pourrions-nous ajouter plus de foi aux remarques des autres qu'à celles que nous avons faites nous-mêmes? Et quand il seroit vrai que toutes ces observations seroient d'une exactitude rigoureuse, ne resteroit-il pas toujours à l'homme la liberté d'agir, et de donner un beau démenti à la physiognomonie? Lavater, qui croyoit à la vérité des idées religieuses plus encore qu'à la science dont il a voulu poser, les premiers fondemens, et qui n'écrivoit pas pour s'enrichir, auroit avoué tout simplement qu'en effet ce libre arbitre de l'homme est un terrible argument contre la solidité de son système, et il n'auroit point tenté de le réfuter. Les philosophes qui feignent de ne croire à rien, excepté aux chimères sur lesquelles ils spéculent, ont trouvé le moyen de trancher la question: chez eux ce ne sont pas les passions qui modifient les formes extérieures du corps humain, ce sont, au contraire, ces formes elles-mêmes

qui produisent les passions; en sorte qu'il devient très-assuré qu'un homme dont la tête s'élargit un peu à côté des tempes est un voleur, et qu'il n'y a pas de libre arbitre, ni de faculté délibérative qui puisse l'empêcher de voler; en un mot, qu'il n'est pas libre, qu'il a reçu en naissant la passion du vol, comme le loup, le renard et la pie, et qu'on fera bien de l'enfermer, si on veut s'éviter la peine de le pendre. Il faut avoir une physionomie merveilleusement conformée pour oser avancer une pareille doctrine, ou se croire bien assuré qu'elle ne sera pas adoptée. Il est vrai cependant que l'homme naît avec la faculté de faire le mal comme le bien; mais il ne faut pas réduire cette faculté à telle ou telle passion particulière à laquelle il se livreroit avec la précision machinale d'un automate, et il ne faut pas croire sur-tout que ce soit parce qu'il aura les oreilles d'une certaine longueur. Attribuer une telle puissance à la matière, c'est lui soumettre l'ame, et réduire celle-ci à l'état d'une esclave. En effet, si cette ame se crée sur le modèle des parties de notre corps, comme il faudroit le croire, en adoptant l'idée des nouveaux physiognomonistes sur la puissance des formes, elle ne doit pas avoir un seul mouvement qui soit l'effet de sa volonté, puisque toute volonté suppose l'indépendance; elle doit obéir passivement à la matière, et n'avoir jamais deux idées opposées. Le contraire de cette étrange proposition se faisant sentir dans toutes nos actions, puisqu'assurément ce n'est pas ma main qui ordonne à mon esprit de former ce raisonnement, mais que c'est mon esprit qui veut que ma main l'écrive; puisque ce ne sont pas les yeux de mes lecteurs qui contraignent leur esprit de me donner quelqu'attention, mais que c'est au contraire leur esprit qui commande à leurs yeux de lui prêter leur assistance pour communiquer avec ma pensée; il reste aussi clair que le jour que l'ame est la souveraine maîtresse des actions du corps, et que tous les organes physiques ne sont que ses très-humbles valets: d'où nous tirerons la conséquence que, quelque puissance qu'on veuille accorder à la matière sur les passions, et quelque véhémens que soient ses appétits, il y a toujours dans l'homme un maître qui peut les modérer ou les réprimer; que ce ne sont pas les formes de notre corps qui produisent ces passions; qu'elles ont toutes leur germe dans notre cœur, et que, si quelques-unes d'elles s'y développent et y font des ravages, il ne faut pas nous en prendre à l'épaisseur de nos lèvres, ni à la petitesse de notre menton; mais uniquement à la corruption de notre ame, et au mauvais usage que nous aurons fait de sa raison et de sa liberté.

Le corps est fait pour l'ame, comme l'habit est fait pour le corps; il n'y a pas de doute: l'un et l'autre peuvent cacher

de grands défauts, et ne laisser voir qu'un visage imposteur. Cependant, comme l'air de santé qui se voit sur la figuré annonce celle de tout le reste du corps, de même aussi, ce que le visage laisse entrevoir de l'ame, peut faire présumer ce qu'elle est dans tout le reste. L'homme a taillé son habit, mais il n'en a pas fait la matière; la forme peut en être belle, quoique le fond ne soit d'aucun prix: il habille bien, et donné à celui qui le porte un air de dignité qui en impose; cependant ce n'est qu'un fripon. De même Pame, par son adresse, a su revêtir la figure de son hôte d'un voile trompeur qui la fait passer pour ce qu'elle n'est pas : elle n'a fait ni les yeux!, ni le nez, ni la bouche; mais elle sait donner à tout cela une expression si touchante de bonhomie et de candeur naïve, qu'il est impossible de n'y être pas trompé. Vous feuilleterez fong-temps la Physiognomonie de Lavater, ou même celle de M. Moreau, avant de trouver le moyen de vous garantir des piéges de cet homme; vous le chercherez vainement ce moyen, il n'y est pas. Cependant il y en a un bien simple, qui vaut à lui seul plus que toutes les leçons de leur science: Tenez-vous en garde, et ne vous fiez jamais au seul témoignage de vos yeux.

G.

Réponse à deux Articles du COURRIER DES SPECTACLES, au sujet du compte qui a été rendu, dans le MERCURE, de l'Histoire de France de M. Anquetil.

COMMENT se fait-il que j'aïe à répondre au rédacteur du Courrier des Spectacles, et que ce rédacteur soit M. Salgues, ét que M. Salgues ne soit pas d'accord avec moi sur tout ce que j'ai dit de l'Histoire de France de M. Anquetil? Cela m'étonne car, s'il y a quelque rapport entre M. Salgues et moi, il n'y en a point entre moi et le Courrier des Spectacles. Cependant, puisque je suis attaqué dans ce journal par des calomnies, il faut bien que je me défende.

:

Lorsque l'estimable auteur de l'Esprit de la Ligue et de la dernière Histoire de France termina, dit M. Salgues, il ya peu de mois, sa longue et honorable carrière, je crus devoir quelques éloges à sa mémoire : je ne m'attendois pas que, peu de temps après, j'aurois à le défendre. Et pourquoi le rédacteur du Courrier des Spectacles crut-il devoir des éloges à l'auteur de Esprit de la Ligue et de la dernière

Histoire de France? Pourquoi se croit-il chargé aujourd'hui du soin de le défendre ? Pourquoi enfin ne s'attendoit-il pas à remplir cette tâche, si tant est que ce soit la sienne? Les éloges de M. Salgues sont-ils donc comme le bouclier d'Achille? et doivent-ils mettre à couvert de tous les traits de la critique les auteurs auxquels il accorde sa protection? N'est-il plus permis de trouver des imperfections dans un écrivain que le Courrier des Spectacles a loué? Cette règle seroit assez commode pour beaucoup d'auteurs dramatiques; mais je n'entends pas m'y soumettre, et j'ose même dire que M. Salgues est le seul homme en France qui puisse s'étonner de voir censurer ceux qu'il a loués?

Quant à moi, je déclare (et, en cela, je ne crois point faire un acte de modestie) que je m'attends toujours à voir censurer les jugemens que je porte sur certains ouvrages, et surtout à les voir censurer par ces journaux dans lesquels on affecte de défendre je ne sais quelle philosophie qui n'est ni la bonne, ni la mauvaise, et dont les rédacteurs, êtres amphibies, ne sachant jamais ce qu'ils veulent, par une conséquence nécessaire, ne savent jamais ce qu'ils disent: je veux parler de ces journaux qui, n'osant pas nous reprocher comme un tort de combattre la philosophie antichrétienne, nous font un tort au moins de chercher les occasions de la diffamer. Ce que je n'attendois pas, , c'est de trouver une accusation pareille dans un journal rédigé par M. Salgues; et c'est encore de la lui voir diriger contre moi. Car, je dois le dire à sa louange, je n'ai eu l'honneur de le rencontrer qu'une seule fois au bureau du Journal de l'Empire; et il y parloit sur la religion, sur la philosophie, sur le Mercure, sur le Journal de l'Empire, et sur tous les rédacteurs de ces journaux, comme je pense et comme j'écris. Mais alors M. Salgues n'étoit pas encore rédacteur du Courrier des Spectacles.

Qu'y a-t-il donc maintenant entre lui et moi? J'ai dit que M. Anquetil avoit illustré sa vie par de bons ouvrages; j'en ai parlé comme d'un vieillard qui avoit rempli sa tache, et qui auroit du ne plus penser qu'à jouir en paix de la considération qu'il s'étoit acquise. Cela ne suffit pas il falloit dire encore que M. Anquetil étoit un Saint, et que si Saint François de Sales eût pu renaître parmi nous, c'est sous ses traits peut-être qu'il eût voulu se montrer. En vérité, j'aime mieux laisser dire à M. Salgues ces choses-là, que de les dire moi-même; et pourtant je crois qu'on sera plus étonné de les rencontrer dans le Courrier des Spectacles que dans le Mercure. J'ai ajouté que M. Anquetil étoit bon et sage, très-éclairé, très-savant. Cela ne suffit pas non plus: il falloit dire que M. Anquetil étoit né avec un esprit éclairé

et serein. Je crois avoir eu la même pensée que lui: mais c'est de cette dernière manière que M. Salgues s'est exprimé; et apparemment c'est la bonne, puisqu'il en fait le sujet de sa première leçon qu'il me donne.

Jusque-là, il me semble que je suis pleinement d'accord avec lui. Je n'ai point dit que M. Anquetil fût un Saint, parce que je l'ignorois; je ne me souviens même pas qu'il fût prêtre; et quand je m'en serois souvenu, ce n'étoit peut-être pas une raison pour le trouver meilleur historien. Mais j'ai dit que, pour avoir fait de bons ouvrages dans un petit genre, il ne devoit point se croire assuré de réussir dans un genre plus élevé; et je l'ai plaint d'avoir cédé trop facilement aux illusions de l'amour propre, dont, après tout, aucun homme, et surtout aucun auteur, n'est exempt. J'ai enfin osé relever les expressions inconvenantes qui lui sont échappées en parlant de nos Saints; et aussitôt voilà M. Salgues qui se récrie, et qui dit que j'ai accusé M. Anquetil d'incapacité, d'amour propre, d'étourderie, et d'une effrayante indifférence pour tout ce qui concerne la religion. Il est vrai que je me suis servi de toutes ces expressions; mais, en les employant, je crois les avoir suffisamment expliquées, pour qu'il n'en résultât rien d'injurieux à la mémoire de M. Anquetil. Ce n'est pas moi, c'est M. Salgues qui s'est plu à les réunir dans une même ligne ; et si maintenant le portrait qui en résulte n'est pas ressemblant, c'est bien sa faute, et non la mienne.

Ce mot d'étourderie paroît être celui qui l'a le plus offensé. J'ai témoigné moi-même combien j'étois fâché d'être réduit à l'employer en parlant de M. Anquetil; mais je demande à M. Salgues lui-même, de quel mot plus doux je devois me servir pour caractériser les inconvenances que je reprochois à cet historien? Le mot est dur, j'en conviens, quand il est tout seul; et ce n'est pas ainsi que je l'ai employé pour M. Anquetil. Il faut cependant que M. Salgues s'y accoutume; car il est lui-même (et cette fois je dis le mot tout seul), il est très-étourdi; et je vais tâcher de démontrer si bien ses étourderies, qu'il ne sera pas tenté de m'accuser d'avoir manqué de politesse en me servant de cette expression contre lui.

Il m'a semblé que Velly, M. Anquetil, tous nos historiens, avoient traité les commencemens de la monarchie française avec trop de légèreté. J'ai fait observer que tous ces rois prétendus fainéans (car c'est à tort, dit M. Anquetil lui-même, qu'on leur donne ce nom) avoient laissé jusque dans les dernières classes du peuple de profonds souvenirs; j'ai montré la France entière couverte encore, il n'y a pas

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