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vingt ans, des monumens de leur grandeur; et je me suis étonné que l'Histoire seule restât muette, quand, autour de nous, tout nous parloit d'eux. M. Salgues me répond que, si, dans tous nos auteurs, cette partie de notre Histoire est très-courte, c'est que l'histoire de ces temps est obscure et incertaine. C'est aussi ce que je disois; et j'en concluois qu'il falloit l'éclaircir, et se donner l'espace nécessaire pour discuter les diverses opinions. Etoit-ce donc la peine d'écrire sept ou huit pages contre ce que j'ai dit, pour n'y faire jamais autre chose que répéter la moitié de ce que j'ai dit?

Mais M. Salgues croit que, si j'ai fait l'éloge de Dagobert, c'est uniquement à cause de l'argent que ce prince donnoit à des Cordeliers ou à des Bénédictins. M. Salgues se trompe: je sais très-bien que les Cordeliers n'ont été fondés que plus de six cents ans après Dagobert; et comme je ne puis me résoudre à supposer qu'il l'ignore, j'appelle seulement cet anachronisme une très-grande étourderie. Faut-il lui apprendre encore que Dagobert a fait autre chose que de fonder des monastères, et que ce fut ce prince qui le premier fit faire la collection des lois des différentes nations soumises à l'Empire français et que cette collection est, selon Velly, un des plus beaux monumens de son règne? M, Anquetil, dont les expressions ne different pas beaucoup à cet égard de celles de Velly, prétend que cet ouvrage fut le fruit de sa maturité ; et que, dans sa jeunesse, Dagobert respecta peu les mœurs qu'il a depuis recommandées; mais comme Dagobert n'a régné que dix ans, et qu'il est mort à trente-six, comme d'ailleurs cette phrase est fort peu correcte, je suis persuadé que M. Anquetil l'auroit réformée, s'il eût pu revoir son histoire. Je crois aussi qu'il auroit un peu plus parlé de ce prince, et qu'il n'auroit rien dit de sa jeune maturité.

J'aurois voulu, je l'avoue, quelques détails de plus sur un roi qui a laissé de son règne un si beau monument. Je n'ai point cependant témoigné de douleur de ce que M. Anquetil et la plupart de nos historiens n'ont pas déifié Dagobert comme on a déifié saint Roch. Des expressions pareilles ne sont pas à mon usage, et je n'ai pas la coutume de plaisanter sur les rites religieux. Je ne sais si cela convient mieux à M. Salgues qu'à moi; mais il devroit savoir, comme moi, que l'église ne déifie personne; et d'ailleurs je ne trouve rien de bien plaisant dans le rapprochement qu'il fait de Dagobert et de saint Roch, Il est peut-être meilleur juge que moi en matière comique, et je devrois m'en rapporter à lui sur cela; je le prie cependant de vouloir bien ne jamais me prêter des expressions que je n'ai pas em loyées: je n'ai nullement besoin d'un interprète aussi plaisant que lui.

Je n'ai pas dit non plus que, si on traite si légèrement les premiers rois, c'est parce qu'ils comblerent de bienfaits les respectables moines de leurs temps. J'aurois pu le dire, sans doute, au moins de quelques historiens; c'est un torqu'on pourroit reprocher à Mezerai, et à une foule d'historiens subalternes, entre lesquels l'abbé Millet n'est parvenu à se faire distinguer que par son affectation à dire toujours du mal du clergé. Mais ma pensée étoit que si on traite si mal la première partie de notre histoire, c'est parce qu'on ne la sait pas, et qu'on ne veut pas se donner la peine de l'apprendre. Du reste, c'est encore par étourderie que M. Salgues se permet de plaisanter sur les respectables moines de ce temps-là. Je le préviens qu'il aura contre lui tous les savans; et, par exemple, un historien qu'il n'a peut-être pas lu, mais dont l'autorité doit, en ce moment, paroître très-grandc : cet historien n'est autre que M. Anquetil. « Les établissemens, >> dit-il, des monastères ont encore eu un autre genre d'utilité » que les fondateurs ne prévoyoient pas. Entre les hommes » occupés de travaux manuels, il s'en est rencontré plusieurs » portés par leur génie à l'étude, et propres aux sciences. Ils » ont copié des livres, conservé les anciens auteurs, et écrit les » faits de leur temps; leurs recueils sont devenus les fastes de la » nation. Ainsi, les monastères ont été utiles aux progrès de » l'esprit et à la propagation des lumières.... Il nous a paru, » ajoute-t-il, d'autant plus convenable de consigner ces faits » dans l'histoire, que la destruction des monastères par toute » la France va bientôt effacer du souvenir jusqu'aux traces » des services rendus par ceux qui les ont habités. Autour des » monastères se sont bâties des villes, etc. etc. » Et d'où est tiré ce passage? M. Salgues ne s'en doute pas, ou du moins ne s'en souvient plus. Ce n'est pas assez de lui dire que cet éloge des moines a été fait par M. Anquetil; il faut encore lui apprendre qu'il est tiré de la vie de Dagobert (tom. I, pag. 157 et 158), et que c'est celui des respectables moines de ce temps. Comme il faut être étourdi pour entreprendre l'apologie d'un livre, sans s'être auparavant instruit de ce qu'il contient! M. Salgues sera-t-il surpris que je l'accuse d'étourderie, lorsque, ayant voulu écrire contre moi, il se trouve convaincu d'avoir écrit contre l'auteur même qu'il vouloit défendre?

u Il est bon, ajoute-t-il, il est bon de faire observer que ce » bon Dagobert laissa une mémoire odieuse au peuple, et que » les moines eux-mêmes poussèrent l'ingratitude jusqu'à » supposer qu'il étoit damné. » Et je trouve, moi, qu'il est curieux de faire remarquer que M. Salgues a toujours contre lui l'autorité de tous les historiens. « Les moines, dit Velly,

» que Dagobert avoit comblés de bienfaits, l'ont comblé des » plus brillans éloges : on love leur reconnoissance; on n'en >> blåme que l'excès. » Quant à la mémoire que ce prince a laissée, comme je ne connois encore que l'autorité de M. Salgues qui se soit élevée contr'elle, je crois inutile de la défendre.

Dieu préserve tout auteur des apologies de M. Salgues! Après avoir prêté à M. Anquetil des opinions que ce vieillard n'avoit pas, voici maintenant qu'il diffame Velly, en lui faisant dire ce qu'il ne dit point; mais ceci a besoin de quelques développemens.

Je reprochois à M. Anquetil d'avoir raconté, en parlant de Clotilde, une anecdote qui est au moins douteuse, et qui ne s'accorde pas avec la réputation que cette princesse a laissée de sa Sainteté. « Le fait peut être vrai, disois-je ; les Saints ne » sont pas sainis en tout; ils ont comme nous leurs passions et » leurs foiblesses, et leur Sainteté consiste à en triompher plus » souvent que nous. Mais enfin le fait n'est pas constant. »> Voilà ce que je disois; et M. Salgues me répond que toutes les actions d'une Sainte ne sont pas des actes de vertu, que plusieurs Saints ont été de grands pécheurs avant leur conversion, etc. Il a raison; mais l'a-t-il mieux dit que moi ? Et parce que toutes les actions d'une Sainte ne sont pas des actes de vertu, faut-il en conclure que tous les traits de barbarie qu'on racontera d'une Sainte sont nécessairement vrais ? et cela prouve-t-il que M. Anquetil a raconté cette anecdote, parce que c'étoit un homme de bien?

C'est ainsi peut-être qu'on raisonne au Vaudeville. A cette occasion, je ferai remarquer que M. Salgues n'oublie pas toujours qu'il est rédacteur du Courrier des Spectacles. Il me fait l'honneur de me comparer à cet officier prussien qui joue un rále si plaisant dans le joli vaudeville de la Colonne de Rosbach. On lui rappelle, dit-il, que le grand Frédéric ne parloit qu'avec honneur des soldats français, et qu'il disoit: « Si j'avois une armée de français, je serois maître de l'Eu» rope. »« Cela est vrai, répliqua l'officier prussien ; mais il » ne faut pas en convenir. » Je crois sur la parole de M. Salgues que cette réponse fait rire au théâtre, et quand au rit, on a toujours raison; mais il n'est pas moins vrai que c'est une réponse de très-grand sens, et que c'est ainsi que doit parler en pareille occasion tout homme jaloux de la gloire de son pays. J'aurois cependant grand tort si j'en faisois une pareille, lorsqu'il s'agit de la religion et des faits, qui peuvent jeter quelques nuances sur les vertus de ses héros. La religion et la vertu, Monsieur, n'ont pas besoin pour se conserver intactes, d'autant de précautions que la gloire et l'honneur.... Mais

de quoi viens-je vous entretenir! Contentez-vous de juger des spectacles: vous savez très-bien ce qui doit faire rire, car vous le voyez ; et cela, nous pourrons consentir à l'apprendre de vous. Mais puisque vous avez renoncé à des occupations plus graves, bornez-vous donc à nous apprendre cela. Et ne vous exposez plus désormais au ridicule de nous parler d'un joli vaudeville, quand il s'agit de Sainte-Clotilde et de SaintLouis.

Si pourtant, M. Salgues ne faisoit jamais que des plaisanteries de cette espèce, et s'il se contentoit de les diriger contre moi, je me dispenserois de lui répondre. Mais, lorsque non content de s'égayer si mal à propos sur mon compte, il insulte étourdiment à la religion, aux mœurs, au public, et à la mémoire de nos plus respectables historiens, m'est-il permis de garder le silence? Et puisque j'ai été malheureusement l'occasion ou le prétexte de cette insulte, ne dois-je pas faire tous mes efforts pour en rejeter la honte sur celui qui se l'est permise?

Nous voici arrivés aux calomnies contre Velly. Pour prouver que M. Anquetil, en sa qualité d'homme de bien, a pu raconter, au sujet de Sainte Clotilde, une anecdote douteuse, M. Salgues ne trouve rien de mieux que d'accuser Velly d'avoir fait, en parlant de Saint Bernard, uue faute encore plus grave. « Quelques-uns, dit cet écrivain, regardent ses sermons » (de Saint Bernard) comme des chefs-d'oeuvre de sentiment » et de force. Certains beaux esprits de nos jours n'en juge>>roient pas de même, et ne goûteroient que médiocrement » cette luxurieuse abondance d'expressions mystiques, de » métaphores trop recherchées, d'allégories quelquefois peu »> nobles, presque toujours outrées, qui règnent dans la plupart de ses discours. En voici quelques exemples. » Ici je m'arrête, et on va comprendre pourquoi. J'ai transcrit jusquelà ce passage, comme je le trouve dans le Courrier des Spectacles, et j'observe d'abord que ces derniers mots, en voici quelques exemples, sont de M. Salgues; ensuite qu'il a omis étourdiment, entre la première et la seconde phrases, une phrase entière, celle où Velly nous apprend que feu M. Henri de Valois, cet homme illustre du siècle passé, préféroit les discours de Saint Bernard à tous ceux des anciens, tant latins que grecs; enfin qu'il s'est arrêté brusquement, lorsque Velly ajoutoit : « Mais ce n'est point par ses sermons qui nous » restent, quoique pleins de force, qu'il faut juger du mérite » de ce grand homme. »>

Comment ferai-je maintenant, de quelle tournure me servirai-je pour donner à nos lecteurs une idée des excès auxquels M. Salgues s'est porté? Car, ici, il m'est impossible de

continuer à citer ses paroles. Je m'arrête donc, et me contente de lui demander: Où sont ces petites distractions que Velly lui-même s'est, dites-vous, permises? Que voulez-vous dire, quand vous nous assurez avec tant de confiance, qu'il égaie son récit par des citations amusantes? Il n'y a point de citations dans cette page de Velly, qu'il vous plaît d'appeler un récit, et qui n'est qu'un jugement très-sage et très-mesuré qu'il porte sur un grand homme qui fut aussi un grand Saint. Quoi! parce qu'il vous plaît à vous-même de citer quelquesunes de ces phrases de Saint Bernard, que, selon Velly, les beaux esprits de nos jours ne goûteroient pas, vous partez de là pour accuser Velly d'être un homme qui cherche à dire des gaietés, d'être un baladin, un plaisant! Mais qui est-ce qui s'égaie ici et indécemment et scandaleusement? Est-ce Velly qui parle de ces phrases dans un gros livre que peu de gens lisent, ou vous qui les insérez dans un journal? Est-ce Velly qui les met en note, au bas de sa page, ou vous qui les placez dans le discours? Est-ce Velly qui les a laissées en latin, c'est-à-dire dans une langue que peu de gens entendent, ou vous qui les traduisez en français? Et c'est vous qui vous êtes rendu coupable d'une aussi odieuse plaisanterie, vous M. Salgues!... Mais j'oubliois que vous n'êtes plus que le rédacteur du Courrier des Spectacles.

Ce passage de Velly m'a fait souvenir d'une omission assez singulière que j'avois remarquée en lisant la nouvelle Histoire de France, mais dont je n'ai point parlé en rendant compte de cet ouvrage. M. Anquetil laisse Saint Bernard au milieu de la seconde croisade. La mort de ce grand homme lui auroitelle paru un événement de peu d'importance? et a-t-il cru pouvoir se dispenser d'en parler? M. Salgues trouvera peutêtre de bonnes raisons pour le justifier sur cette omission; en attendant qu'il les donne, je dois faire observer que si M. Salgues ne se fût pas cru obligé à défendre M. Anquetil, je n'aurois pas été obligé de relever cette nouvelle faute.

Certes, ce n'est pas l'imprudente apologie que M. Salgues a voulu faire de M. Anquetil, qui m'inspirera du respect pour la mémoire de cet historien: elle n'est propre, au contraire, qu'à me faire observer des fautes auxquelles je n'avois pas cru devoir m'arrêter. J'ai dit, par exemple, qu'il parloit de la religion avec un respect et une indifférence qui effraie: j'aurois dû dire aussi qu'il parle de la révolution et des excès auxquels elle a donné lieu, avec une modération et un sang froid qui indigne. J'ai fait remarquer les inconvenances dans lesquelles il tombe, en parlant de nos Saints, de nos rois, de nos grands-hommes; j'aurois dû encore noter les inconvenances non moins grandes qu'il a commises, en parlant des

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