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genres plus forts et plus sévères que celui de la pastorale. Il ne se rapproche jamais plus de son modèle que lorsque l'art de Virgile élève l'Eglogue jusqu'au ton de la plus haute poésie. Voyez ces vers de la quatrième, où l'enthousiasme prophétique annonce les destinées de cet enfant mystérieux qui doit changer l'univers :

Regarde, aimable enfant, regarde la parure
Dont la terre pour toi s'embellit sans culture;
Vois parmi des lions se jouer les agneaux;
Du reptile expirant se roidir les anneaux,
La brebis nous offrir sa mamelle abondante,
Et le lierre au baccar s'unir avec l'achante;
L'hiver même au printemps a ravi ses couleurs:
Ton magique berceau te prodigue des fleurs;
L'aconit meurt penché sur sa tige flétrie,
Et partout va germer l'amome d'Assyrie!

Mais alors, que d'un père et de ses grands aïeux
Les hauts faits et l'histoire étonneront vos yeux,
Que de vos saints devoirs vous saurez l'étendue,
La vendange aux buissons rougira suspendue;
Comme elle, sans secours, les fertiles sillons
Etaleront aux yeux l'or mouvant des mo ssons;
Et le chêne, à travers son écorce endorcie,

Laissera d'un miel pur s'échapper l'ambroisie.

Trouve-t-on souvent, dans les ouvrages de poésie moderne, des vers d'une expression si poétique et d'une aussi riche harmonie? L'églogue entière est à-peu-près écrite avec le même soin. Virgile, après avoir célébré dans celle-ci la renaissance de l'âge d'or, pleure, dans la suivante, la mort de Daphnis, et peint la désolation des bergers et des campagnes, qui ont perdu leur protecteur. Le caractère de ces différentes beautés ne paroit point s'être perdu dans la traduction :

Ainsi que, dans nos prés, un superbe taureau
Est à la fois la fo: ce et l'orgueil du troupeau,
Que l'ormeau s'embellit de sa vigne fidelle,
Que de raisins chargée une vigne est plus belle;
Ainsi, de tous les siens Daphnis, heureux pasteur,
Est lui seul et l'amour et l'éternel honneur.

Mais, depuis qu'il n'est plus, le deuil nous environne,
Apollon nous a fui, Palès nous abandonne.
Ces monts, jad s parés d'une riche moisson,
N'offrent que la maigreur d'un aride gazon;
Et partout sur nos pas, au lieu du beau Narcisse,
De ses dars aérés le chardon se hérisse!

Mais Daphnis le commande : ah! de fleurs, de berceaux,
Pasteurs, couvrez la terre et le cristal des eaux!

Que sa tombe, du moins, soit ici notre ouvrage,
Et qu'alentour ces vers attestent notre hommage:
C'est moi qui fus Daphnis; que ce gazon léger,
Dans ces bois que j'a'mois protège encor ma cendre;
De ces bois jusqu'aux cieux ma gloire doit s'étendre,
Berger d'un beau troupeau, moins beàu que son berger.

Le traducteur, dans ces vers, a réuni l'exactitude et l'élégance; il exprime tous les détails champêtres; il lutte avec art contre l'harmonie de l'original. L'âpreté, vraiment imitative, de ce vers latin,

Carduus et spinis surgit paliurus acutis.

se reproduit dans ce vers français:

De ses dards acérés le chardon se hérisse.

Celui-ci :

Berger d'un beau troupeau, moins beau que son berger. rend avec la plus heureuse précision,

Formosi pecoris custos, formosior ipse.

On sait que l'auteur de la Chartreuse et de Vert-Vert a voulu faire aussi une traduction des Eglogues latines. Il crut que son genre naturel avoit quelque rapport avec cette mollesse aimable et cette finesse naïve dont les Muses champêtres ont doué Virgile, au jugement d'Horace :

Molle atque facetum

Virgilio annuerunt gaudentes rure camenœ.

Mais la mollesse de Virgile ne dégénère point en langueur;
et ses graces, toujours naturelles, ne sont jamais négligées.
Les agrémens et l'heureuse facilité de Gresset, n'ont rien de
commun avec la beauté toujours parfaite de Virgile. Cependant
on trouve dans sa traduction quelques vers qui méritent de
rester dans la mémoire des amateurs. On peut citer ceux-ci,
par exemple, tirés de l'Eglogue sur la mort de Daphnis :
Sous ce froid monument le beau Daphnis repose;

Il n'a presque vécu que l'âge d'une rose.
Il étoit le pasteur d'un aimable troupeau;
Lui-même étoit encore plus aimable et plus beau.
Bergères, qui passez sous ce bocage sombre,

Donnez des larmes à son ombre,

Donnez des fleurs à son tombeau.

Ces vers sont une paraphrase du texte ; ils ne sont peut-être

pas même dans le goût sévère de l'antiquité, mais ils ont de

la douceur et de la grace.

Après ces vers si fameux et si touchans de Malherbe :

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.

il est heureux d'avoir trouvé celui-ci,

Il n'a presque vécu que l'âge d'une rose.

L'âge d'une rose est une expression charmante, quoique, à la vérité, elle ne soit pas dans Virgile.

Le mérite essentiel de Virgile est précisément opposé au caractère des ouvrages de Gresset. Ce mérite est de ne jamais rien dire de superflu. Son style offre toujours le choix avec la richesse, et la précision avec l'abondance. Cette précision est sur-tout remarquable dans les Eglogues; et le traducteur n'a point manqué ce trait principal de son modèle. Il a su vaincre dans ce genre toutes les difficultés, lorsque deux bergers se répondent alternativement et par le même nombre de vers. En voici un exemple:

CORYDON.

De fleurs, à ton aspect, la terre se couronne,
Chaque arbre sème au loin les trésors de Pomone;
Mais on verroit bientôt, si l'on perd Alexis,
Les champs décolorés et les fleuves taris.

THYRSIS.

Tout perit dans ces lieux de l'air qu'on y respi e;
Les pampres sont flétris, l'herbe altérée expire!
Mais que Phyllis paroisse, et tout va refleurir;
Et des cieux plus féconds les sources vont s'ouvrir !

CORYDON.

C'est du choix de Vénus que le myrte s'honore;
Des lauriers immortels Apollon se décore;
Mais tu plais à Phyllis, modeste coudrier,
Toi seul effaceras le myrte et le laurier!

THYRSIS.

Des sapins élevés les monts s'enorgueillissent,
De l'ombre des palmiers les jardins s'embellissent;
Les palmiers, les sapins, si tu viens dans ces lieux,
Lycidas, moins que toi sauront charmer nos yeux!

Les intentions de Virgile sont toujours senties et rendues par le traducteur. Ce vers-ci, comme l'observe Fénélon,

Aret ager, vitio moriens sitit aeris herba.

peint en quelque sorte, par des inversions pénibles et la

dureté des sons qui le commencent et le terminent, le desséchement de la terre flétrie.

Celui-ci, au contraire, par son harmonie pleine et facile,

Jupiter et læto descendet plurimus imbri.

semble faire entendre le doux bruit de la rosée qui s'épanche sur les campagnes dans un beau jour de printemps. Ce genre de beautés reparoît, autant que notre langue le permet, dans ces deux vers français :

Les pampres sont flétris, l'herbe altérée expire!

Et des cieux plus féconds les sources vont s'ouvrir !

Virgile, en imitant avec goût Théocrite, a fait moins d'Eglogues, et les a plus variées. Il ne décrit pas toujours les combats des bergers, qui se disputent le prix du chant. Tantôt, comme on l'a 'éjà vu, c'est le berceau d'un enfant divin que le poète environne de tous les bienfaits de la terre et du ciel; tantôt c'est un demi-Dieu, c'est Silène qui chante au milieu des nymphes et des bergers la naissance du monde, l'âge d'or et les célèbres métamorphoses, et les antiques amours dont les champs furent le théâtre. Ailleurs, c'est un berger proscrit, loin du champ de ses aïeux, qui s'arrête avec attendrissement près d'un autre berger, dont la voix reconnoissante honore le bienfaiteur qui vient de lui rendre l'héritage paternel. Ce dernier sujet semble le plus heureux qu'ait jamais choisi la Muse pastorale, et rien n'étonne plus que le jugement qu'en porte M. de Marmontel, dans ses Elémens de Littérature. « Virgile, » dit-il, étoit fait pour orner l'Eglogue de toutes les graces » de la nature, si, au lieu de mettre ses bergers à sa place, il >> se fût mis lui-même à la place de ses bergers. A l'ombre des » hêtres, on l'entend parler de calamités publiques, d'usur»pation, de servitude; les idées de tranquillité, de liberté, » d'innocence, d'égalité disparoissent, et avec elles s'évanouit » cette douce illusion, qui, dans le dessein du poète, devoit » faire le charme de ses pastorales. »

Il nous est impossible de partager l'avis du critique. C'est précisément le contraste des calamités et des discordes civiles, qui fait mieux sentir le charme de l'innocence et de la paix

champêtre. Ce pasteur, couché tranquillement sous le hêtre voisin de sa cabane, semble plus heureux près de celui qu'on arrache à la sienne. En bénissant le Dieu qui fait ce loisir à Tityre, je suis plus touché des plaintes de Mélibée. Je m'intéresse à ces moissons qu'il a semées, et que va recueillir un so'd it avide, à ces arbres qu'il a plantés, et dont l'ombre ne le couvrira plus, et jusqu'à cette chèvre, fugitive avec lui, qui est contrainte d'abandonner ses deux petits mourans sur la pierre du rocher.

Pourquoi les vers suivans faisoient-ils verser des larmes à Fénélon?

Fortunate senex! hic inter flumina nota

Et fontes sacros frigus captabis opacum.

C'est qu'ils sont prononcés par un homme qui fuit dans des contrées inconnues, loin des ombrages et des fleuves de la patrie.

On trouve assez souvent de pareilles erreurs dans ces Elémens de Littérature, qui peuvent égarer quelquefois l'opinion des jeunes gen, mais qui seront lus avec fruit par ceux dont le goût est formé. M. de Marmontel, par exemple, juge fort bien la seconde Eglogue: « Virgile a, dit-il, un exemple » admirable du degré de chaleur auquel peut se portr » l'amour, sans altérer la douce simplicité de la poésie » pastorale. C'est dommage que cet exemple ne soit pas » honnête à citer. »

A l'aide du changement fait dans cette Eglogue par
nouveau traducteur, on peut en citer quelques traits:

Approchez, belle enfant; voyez combien de lis
En corbeille, en faisceau les Nymphes ont cueillis !
L brillante Nais pour vous unit en gerbes
La pâle violette à des pavots superbes;
L'hyacinthe au narcisse, et le feu du souci
Près du vaciet en deuil brille plus adouci.

C'est trop peu que des fleurs, je veux y joindre encore
Des coins au blond duvet, que le safran colore;
Des prunes dont l'azur enchante les regards,
Et des marions choisis, dépouillés de leurs dards.
Chéris d'Amaryllis, ces tresors de l'automne
Seront, par votre choix, la gloire de Pomone.
Et vous, myries, lauriers. je vous offrirai tous:
Ensembl confendus ves parfums sont plus doux.

le

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