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un lit entier de couches, qui depuis la base jusqu'au sommet da Ruffiberg, dans une profondeur quelquefois de cent pieds, une largeur d'environ mille pieds, et une longueur de près d'une lieue, s'est séparé des couches inférieures, et a glissé parallèlement à leurs plans, dans le fond de la vallée, avec une rapidité inconcevable pour une aussi foible inclinaison.

Le paysan qui me servoit de guide dans mon excursion sur -cette montagne, a été témoin de ce spectacle. Il-habitoit dans le chemin de l'écroulement, à Ober-Rothen, hameau situé sur la pente du Ruffiberg; il étoit occupé à couper du bois près de chez lui, et à cinq ou six pas du lieu où l'avalanche a passé. Il entend tout-à-coup un bruit semblable à un tonnerre, et sent en même temps sous ses pieds une espèce de frémissement. Il quitte à l'instant la place; mais à peine at-il fait quatre ou cinq pas, qu'il est renversé par un courant d'air. Il se relève immédiatement. L'écroulement étoit achevé; l'arbre qu'il coupoit, la maison qu'il habitoit, tout avoit disparu, et il voit, suivant ses expressions, une nouvelle création. Une nuée immeuse de poussière qui succéda l'instant d'après, jeta un voile sur toute la contrée.

Quelques relations ont annoncé que ce bouleversement - avoit été accompagné de flammes et d'une odeur sulfureuse. Mais les témoins les plus dignes de foi, que j'ai consultés , à ce sujet, n'ont rien aperçu de tout cela. On dit que des charbonniers faisoient du charbon sur le chemin de l'ava› lanche, et il est possible que la dispersion de leurs fours embrasés, ait donné lieu à quelque apparence de flamme.

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La plupart des habitans de la contrée, affirment que l'écroulement n'a pas duré trois minutes, on peut-être beaucoup moins, et qu'il s'est fait sentir en même temps dans le haut et dans le bas de la montagne.

Quoique cette chute ait été subite et inattendue, elle a été précédée plusieurs heures à l'avance de quelques indices qui sont importans à recueillir, parce qu'ils pourront à l'avenir engager les habitans à s'éloigner du danger, et parce qu'ils sont une conséquence de la cause qui a déterminé la rapidité de l'écroulement.

Un habitant de Spitzbuhl, métairie située à-peu-près aux deux tiers de la hauteur de la montagne, entendit dans les rochers, à deux heures après midi, une espèce de craque- ment qu'il attribua à des causes surnaturelles ; il descendit aussitôt à Arth, pour engager un ecclésiastique à venir les détruire.

A-peu-près dans le même temps, mais à Under-Rothen, hameau situé vers le pied de la montagne, Martin Weber,

en enfonçant sa bèche dans le sol, pour arracher des racines, vit la terre rejaillir avec une légère explosion et une sorte de sifflement contre sa tête. Il quitta aussitôt l'ouvrage, et alla raconter à ses voisins un phénomène dont ils ne tinrent aucun compte.

Les bergers qui vivent encore dans les lieux intermédiaires entre ces deux stations, m'ont dit, que dès le matin et pendant toute la journée, la montagne avoit fait du bruit, jusqu'au moment où l'éboulement s'est opéré avec la rapidité de l'éclair, et une secousse telle, qu'à Saint-Anne et Arth, villages situés à vingt minutes des lieux dévastés, tous les meubles des habitations ont été vivement ébranlés. On n'a cependant rien ressenti, ni rien entendu à Schwytz, qui n'est qu'à une lieue et demie de la scène. Le bruit précurseur de la catastrophe provenoit de la rupture de la couche qui s'est éboulée; elle n'a conmencé à s'affaisser subitement et à glisser que lorsque toutes ses parties ont été désunies.

Je suis monté sur le sommet du Ruffiberg, par son côté oriental, en traversant le village de Saint-Ange; la pente est toujours douce, et pourroit se faire à cheval; on ne trouve sur cette route que des vergers, des prairies, des bois de sapin clair-semés; on n'observe nulle part, pendant celte ascension, le rocher qui sert de base à la terre végétale; on voit seulement ressortir çà et là, de gros blocs de poudingue; mais ces blocs sont depuis long-temps détachés. On les trouve sur-tout dans des espèces de petits vallons larges et peu profonds, dont la montagne est quelquefois sillonnée depuis son sommel à sa base. Ils semblent attester que le Ruffiberg a produit, dans différentes époques et sur différens points de sa surface, des éboulemens analogues à celui qui vient d'avoir lieu.

Le sommet (1) de la montagne n'a point croulé : il offre une ligne droite horizontale, qui sert de réunion à deux plans peu inclinés, couverts de gazon : l'un se dirige vers un point intermédiaire entre le lac de Zug et le lac Egéri; l'autre plan opposé descend vers le lac de Lowertz: c'est sur cette dernière surface, et à une toise environ au-dessous du sommet, que l'écroulement commence à devenir seusible. Le chemin qu'il a suivi étoit, avant la catastrophe, légèrement creusé en gouttière ou en forme de vallon peu profond vers

(1) Il y avoit autrefois sur ce sommet un fort qui a servi de poste avancé dans les anciennes guerres que les Suisses ont eu à soutenir contre les Autrichiens: quoique je fusse prévenu sur ce point, je n'ai su voir dans cet endroit, aucun vestige de maçonnerie ou de construction quelcon que. L'on m'a assuré cependant qu'il en restoit quelques traces.

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EPT

DECEMBRE 1806.

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le bas de la montagne, mais il n'étoit point concave vers le haut, et l'on voyoit dans toute cette route, sur un fond de prairies et de bois, des blocs de poudingue dispersés et à moitié enfouis dans la terre végétale.

La lisière orientale de l'avalanche, ou un de ses bords latéraux, situé du côté de Schwytz, montre évidemment que dans toute la route de l'éboulement, les couches supérieures se sont affaissées verticalement contre les inférieures, en raison d'un espace vide qui s'est formé entr'elles, dans une direction parallèle à leurs plans et à la pente de la montagne.

Cete lisière offre un escarpement ou un mur vertical qu'on ne voyoit point avant l'écroulement la hautenr de ce mur, au-dessus de la surface supérieure de l'avalanche, indique, près du sommet du Ruffiberg, la profondeur de l'affaissement (1) cet escarpement a environ quatorze pieds de haut, vers le sommet de la montagne; mais il augmente insensiblement; et beaucoup plus bas, ou à moité hauteur de cette dernière, il m'a paru à l'œil avoir plus de cent pieds. Il disparoît graduellement ensuite, sous les débris de l'écroulement. La roche qui constitue ce mur, est un grès calcaire et argileux, disposé par couches dont on ne voit que la coupure elles dégénèrent en marne, et enfin en argile par l'action de l'eau les parties les plus accessibles à ce liquide sont de l'argile; celles où il ne peut aborder sont du grès; du moins en général, car ces différentes couches ne paroissent pas toutes susceptibles d'une décomposition également facile. Leur plan dans le haut de la montagne, descend vers le fond de la vallée, parallèlement à la pente du Ruffiberg, sous un angle de 25 degrés. Cet angle est plus petit vers le milieu et vers le bas de la montagne; car la pente de cette dernière, entre son pied et son sommet, a la forme d'un arc dont la corde doit être supposée dans l'air. Ce mur et tous les bancs dont il est formé, sont coupés tranversalement à la direction de l'avalanche, par de larges fentes à-peu-près verticales.

Ges couches de grès et d'argile sont contigues: j'ai vu cependant, immédiatement au-dessous du sommet, entre deux d'entr'elles, une couche de houille pulverulente et empâtée dans l'argile. Cette couche n'a pas un pouce d'épaisseur.

La partie supérieure de l'escarpement est recouverte, tantôt par de la terre végétale, tantôt par des blocs de poudingue,

(1) Cette indication ne peut être juste que pour le sol situé près du sommet de la montagne, parce que dans cet endroit seulement, il y a eu affaissement sans éboulement vers le fond de la vallée.

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qui ne se confondent point avec le grès, et qui sont d'une nature différente. C'est en partie le poids de ces blocs sur ces couches de grès ramolli, qui a déterminé leur affaissement, et enfin leur chute dans le fond de la vallée. L'on conçoit encore que les couches inférieures ont pu être décomposées avant les supérieures par l'introduction de l'eau dans les fentes dont j'ai parlé plus haut. Ce liquide, après être parvenu à leur extrémité inférieure, s'est insinué entre les plans des couches contigues à cette extrémité, a coulé parallèlement à eur plan, vers le pied de la montagne, et les a décomposées dans toute sa longueur.

La coupure verticale de cet escarpement, parallèlement à sa longueur, me paroît due en grande partie à un filon de spath calcaire, qui recouvre comme un vernis la surface du mur, mise au jour par l'affaissement. Le filon " en coupant ainsi verticalement plusieurs couches de grès, a établi entre ses parties une solution de continuité, qui a déterminé une fracture nette, et sur un seul plan.

La lisière occidentale de l'avalanche se termine insensible-. ment, et n'offre pas, comme la lisière orientale, un mur vertical ou un enfoncement rapide.

Je parlerai maintenant de l'espace compris entre ces lisières, ou de l'avalanche elle-même.

J'ai dit que le sommet de la montagne est une ligne droite horizontale, qui sert de réunion à deux plans de gazon, inclinés et appuyés l'an contre l'autre, en forme de toit. A une toise environ au-dessous de ce sommet, et dans une longueur horizontale de deux cent soixante pas, le sol commence insensiblement, sur une pente de 25 degrés, à se diviser, à offrir dans une terre d'argile ramollie et couverte de gazon, des fissures souvent transversales au cours de l'avalanche; elles sont d'autant plus larges et plus rapprochées, qu'elles s'éloi gnent plus du sommet de la montagne.

On trouve çà et là, sans ordre déterminé, entre ces fissures, dans le terreau végétal et dans l'argile, des fragmens isolés de troncs et de branches d'arbres, convertis en charbon de terre, à cassure lisse, éclatante, trapézoïdale et lamelleuse dans le sens transversal à la direction des fibres ligneuses. Ces fragmens sont souvent cylindriques, et portent seulement à leur face extérieure, le moule du végétal, et celui de la fibre ligneuse. J'ai vu un de ces fragmens, qui avoit quatorze pouces de long sur neuf de large; leur volume est communément beaucoup moindre. Ils ne sont nullement pyriteux, non plus que tout le reste de la montagne. Leur présence dans ce lieu étoit connue avant l'éboulement, et ne paroît point y avoir contri

bué. Ils ne se trouvent en quantité notable qu'au sommet de Ruffiberg. On en rencontre, à ce que l'on m'a dit, très-rarement, quelques petits fragmens dans tout le cours de l'avalanche; mais je n'en ai vu que dans le haut.

L'intégrité des bandes de gazon, comprises entre les fissures dont je viens de parler, indique que près du sommet de la montagne, il n'y a point eu d'éboulement, mais seulement un affaissement qui se manifeste par la hauteur de l'escarpement de grès, au pied duquel elles se trouvent. Leur nombre augmente à mesure qu'on descend, et bientôt elles se multiplient et s'élargissent tellement, qu'elles n'offrent plus que des blocs de terre argileuse, bouleversée dans tous les sens. C'est ici, et à environ trente toises au-dessous du sommet, que l'on voit un bois de sapin qui a changé tout à-la-foís de position avec la couche de terre sur laquelle il végète. On redoute beaucoup la chute ultérieure de ce bois; mais ces craintes (ne me paroissent pas, du moins pour le présent, très-fondées, parce que l'affaissement est opéré. La secousse qui en est résultée a donné au sol actuel une assiette solide. Le bois lui-même repose sur un plan incliné au plus de 25 degrés, et cette pente est trop douce pour qu'il puisse faire beaucoup de chemin par l'effet seul de cette inclinaison. Quelques arbres se sépareront, se déracineront peut-être; mais ils ne glisseront avec tous les autres débris de l'écroulement au pied de la montagne, que lorsque la couche de grès et de poudingue qui leur sert de fondement aura été détruite et ramollie par l'action des eaux; or cette décomposition paroît exiger une longue suite d'an

nées.

Un manuscrit (1) de 1352, rapporte qu'il existoit un village nommé Rothen à l'endroit du Ruffiberg où s'est fait le dernier éboulement. La tradition confirmée par plusieurs monumens, apprend que ce village a été détruit par une catastrophe à-peu-près semblable à la dernière, et qu'il a été reconstruit peu-à-peu, et sur-tout depuis cent ans, sur les ruines de l'an→ cien. On ne peut guère conclure du passé au présent dans des événemens aussi peu susceptibles d'être soumis au calcul; inais il me paroît que si l'on pouvoit hasarder à ce sujet quelques conjectures, il faudroit beaucoup plus d'un siècle pour opérer ce ramollissement.

Je crois que la chute des débris de l'avalanche, est pour les temps présens, beaucoup moins à craindre que celle de quelques parties de la montagne, qui n'ont point été déplacées. Toute la bande verticale de grès qui forme la lisière

(1) Der Bergfall bey Goldau von J. H. Meyer.

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