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Le morceau le plus intéressant de ce recueil est un poëme scandinave, intitulé: Isnel et Aslega. Le coloris en est quelquefois brillant; les sentimens sont en général naturels et bien exprimés; et le poète a su se préserver de l'abus qu'on a fait trop fréquemment de nos jours de la poésie ossianique. Nous citerons un passage de ce poëme, qui, sans être très-remarquable, n'est pas dépourvu d'élégance et de pureté. Une femme craint le sort des combats pour celui qu'elle aime: Jeune héros, des amans le modèle, Dans le sentier où la gloire t'appelle Tes premiers pas rencontrent le tombeau. Astre charmant, astre doux et nouveau, Tu n'as pas lui long-temps sur la colline ! De ton lever que ta chute est voisine!

Tu disparois que de pleurs vont couler !

On pourroit faire beaucoup d'observations sur le plan de ce poëme ; mais l'exécution fait oublier quelquefois les défauts de combinaison.

Parmi les pièces fugitives, nous en avons remarqué une qui mérite d'être distinguée: c'est le réveil d'une mère. Il étoit difficile de peindre mieux les jouissances pures qu'éprouve une femme vertueuse en voyant les jeux de ses enfans. Adèle et son frère entrent le matin dans la chambre de Céline :

Tous deux du lit assiégent le chevet;

Leurs petits bras étendus vers leur mère,
Leurs yeux naïfs, leur touchante prière,
D'un seul baiser implorent le bienfait.
Céline alors d'une main caressante
Contre son sein les presse tour-à-tour;
Et de son cœur la voix reconnoissante
Benit le ciel et rend grace à l'amour.
Non cet amour que le caprice allume,
Ce fol amour qui, par un doux poison,
Enivre l'ame et trouble la raison,
Et dont le miel est suivi d'amertume;
Mais ce penchant par l'estime épuré,
Qui ne connoft ni transports, ni délire,
Qui sur le cœur exerce un juste empire,
Et donne seul un bonheur assuré.

Cette peinture de l'amour maternel est pleine de charme et de vérité. On ne peut s'empêcher d'être étonné que M. de Parny l'ait si bien rendue, lui qui s'est consacré toute sa vie à exprimer une toute autre espèce d'amour.

Des trois ouvrages qui composent le Portefeuille Volé, nous ne parlerons que du premier qui est une froide parodie du Paradis Perdu de Milton. On ne peut concevoir quel a été le but de l'auteur dans cette production bizarre: tout ce que l'on y découvre, c'est une haine impuissante contre la religion. Il cherche à tourner en ridicule les mystères; et comme ses traits sont toujours émoussés, le ridicule tombe nécessairement sur le poète. On ne trouve qu'une chose assez vraie dans cet ouvrage : l'auteur prête aux esprits infernaux les goûts et les passions des philosophes et des révolutionnaires. On y voit le culte de la raison, et les rêveries des prétendus savans qui croient trouver dans la connoissance imparfaite qu'ils peuvent avoir de la nature, des argumens en faveur de leur incrédulité. Un adversaire des sophistes du 18° siècle n'auroit pas fait autrement que M. de Parny: il auroit jugé, comme lui, dignes de l'enfer, ces nouveaux Érostrate. Le passage où M. de Parny fait ces aveux précieux se trouve dans le premier chant du Paradis Perdu. Les démons tiennent conseil: un chimiste se lève :

Que trouvons-nous dans cette horrible enceinte ?

Un air infect et lourd, des rocs brûlans,

Des iners de feu, des gouffres, des volcans.
De tous ces corps vous extrairez sans peine
Carbone, azoth, oxigène, hydrogène,
Et calorique (il abonde aux Eufers):
Recomposez ces élémens divers,
Variez-les, sous votre main féconde

De nouveaux corps naîtront subitement.

Pour être Dieux, pour faire un autre monde,

Vous avez tout, matière et mouvement.

Un autre dia ble n'a pas grande foi à la chimie; il répond au

sayant:

Si ta chimie est bonne,

Elle auroit dû fondre le fer maudit

Qui dans le ciel deux fois te pourfendit.
Je connois peu l'azoth et le carbone;

Je sais la guerre, et la ferai : j'ai dit.

Satan, après avoir recueilli les avis, donne le sien, et s'adressant aux démons, il les peint, comme les sophistes se peignent souvent eux-mêmes!

Vous qu'on comme rebelles,
Vous, à l'honneur, à la raison fidèles,
De l'esclavage éternels ennemis,
Pour la vengeance à jamais réunis,
A la valeur aliez la prudence.

Dans les productions qui composent le Portefeuille Volé, on ne trouve aucune trace du talent que M. de Parny a déployé dans ses poésies érotiques. La licence est sans délicatesse, le comique est froid et forcé, et le badinage manque absolument de grace. On prouveroit facilement la justesse de ces critiques, si la décence permettoit de faire quelques citations. Il suffira de dire que ces poëmes sont très-au-dessous de la Guerre des Dieux, ouvrage qui, malgré les circonstances à l'époque desquelles il parut, malgré la licence effrénée qui y règne, n'a pas été lu, même par ceux qui partageoient les opinions de l'auteur.

Ces poëmes, comme nous l'avons dit, ne portent pas son nom : ainsi M. de Parny peut encore les désavouer; et nous nous empresserions d'insérer dans ce journal ce témoignage de son repentir. Heureux s'il pouvoit en faire autant à l'égard de la Guerre des Dieux, qu'il n'a pas rougi de signer!

P.

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Voyage

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Voyage de l'Inde à la Mecque; par Abdoulkerim, yori de
Tahmas-Qouly-Khân. - Voyage de la Perse dan

Inde, et du Bengale en Perse, avec une Notice sur les vol cen tions de la Perse, un Mémoire historique sur Persepahs et des notes. Et le Voyage pittoresque de l'Inde, depuis 1780 jusqu'en 1783; par William Hodges, peintre anglais. Traduits de différentes langues orientales et européennes, par M. Langlès, membre de l'Institut, conservateur des manuscrits orientaux à la Bibliothèque Impériale, et professeur de persan à l'Ecole spéciale des langues orientales vivantes. Cinq vol. in-18, et atlas. Prix: 15 fr., et 20 fr. par la poste. A Paris, chez Delance, libraire, rue des Mathurins; et chez le Normant, imprimeur-libraire.

M. LANGLES est certainement un de nos savans les plus laborieux, et qui remplit avec le plus d'honneur pour lui, et le plus d'utilité pour le public, le poste où sa connoissance des langues orientales l'a fait appeler, puisqu'il traduit tout ce qu'il trouve d'intéressant dans les manuscrits confiés à sa garde, et qu'il les fait passer dans notre langue. Son zèle pour compléter son instruction et la nôtre sur le caractère, les mœurs, les lois et les coutumes des peuples de l'Asie, ne se borne même pas au simple travail d'un traducteur, qui lui mériteroit cependant de justes éloges; il consacre encore à cette étude d'assez fortes sommes, lorsqu'il s'agit de se procurer, à grands frais, ce que nos voisins publient de plus précieux sur ces mêmes nations, et il n'épargne ainsi ni peines, ni soins, ni fortune pour nous composer un fonds de renseignemens que des circonstances favorables peuvent quelque jour nous rendre très-avantageux. Les vastes contrées de l'Orient sont comme un héritage vacant; c'est une succession ouverte aux nations civilisées; il faut apprendre à la connoître avant de la recueillir.

SE

Quoique les différens voyages, dont M. Langlès a donné successivement la traduction à diverses époques, datent déjà d'un temps assez éloigné, eu égard aux grands événemens qui se sont passés dans l'Inde, depuis que ces voyages avoient été entrepris, il leur reste encore assez d'intérêt pour les faire rechercher par un lecteur curieux de connoître, entr'autres choses, l'état politique des Anglais dans ces contrées avant ces derniers événemens, et de savoir par quels moyens ils se maintenoient d'abord dans la possession des premiers établissemens qu'ils avoient pu former dans un pays qui se trouve aujourd'hui soumis entièrement à leur domination. Le premier de ces voyages, fait et écrit par Abdoulkérim, favori de Tahmas-Kouly-Khân, est un journal exact des marches militaires de ce conquérant au retour de son expédition de l'Indoustan, depuis 1739 jusqu'en 1741, à la suite duquel se trouve le pélérinage d'Abdoulkérym à la Mecque, par Bagdad, Alep et Damas. L'auteur de cette espèce d'itinéraire s'est appliqué, par dessus tout, à donner des notes sur les distances de tous les endroits habités, ou qui sont remarquables par leur situation et par les accidens pittoresques qui les distinguent. Il pourroit, au besoin, servir de guide, et les géographes pourront le consulter avec confiance. Le second voyage de la Perse dans l'Inde est antérieur au pélerinage d'Abdoulkérym, de trois cents ans; il sembleroit, par cette raison, qu'il auroit dû être placé à la tête de toute la collection; mais c'est une traduction de l'original persan, faite par M. Langlès après celle du premier voyage qu'il avoit traduit de l'anglais. L'auteur de ce voyage est un ambassadeur persan envoyé par son maître au roi de Bisnagor (Golconde), pour établir entr'eux des liaisons politiques et commerciales. Sa relation est aujourd'hui plus curieuse qu'utile; elle pourroit seulement donner le moyen d'établir quelque comparaison entre l'état ancien des pays qu'il parcourt, et l'état dans lequel ils se trouvent maintenant, si sa manière de voir les choses étoient toujours d'un homme

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