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le traducteur, dont le style lâche énerve toute la vigueur. et toute la précision du latin. Miror, Patres Conscripti, in locum Aureliani fortissimi imperatoris senem velle principem facere. En membra quæ jaculari valeant, quæ hastile torquere, quae clypeis intonare, quæ ad exemplum docendi militis frequenter equitare. Vix munia senatús implemus, vix sententias ad quas nos locus arctat, edicimus. Videte diligentiùs quàm ætatem de cubiculo atque umbrá in pruinas astusque mittatis. An probaturos senem Imperatorem milites creditis? Videte ne et Reipublicæ, non eum quem velitis, principem detis.

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« Je m'étonne, pères conscripts, que vous pensiez à » mettre un vieillard à la place du vaillant Aurélien. Je ne » suis plus fait pour lancer des traits, pour manier le javelot, » pour agiter le bouclier pour monter à cheval, » animer les troupes par mon exemple. Je puis à peine » m'acquitter de ma charge de sénateur, et opiner sur » les affaires, comme mon devoir l'exige: pensez donc à ce » que vous faites en voulant, à l'âge où je suis, me tirer de » mon cabinet et de ma vie tranquille pour m'exposer » à l'intempérie des saisons. Croyez-vous que les soldats » puissent agréer pour Empereur un vieillard? Ne vous » exposez pas à donner à la République un chef qui ne sera » pas de son goût. »

Je me contenterai de relever le contre-sens qui se trouve dans la dernière phrase. Le traducteur l'a fait de dessein prémédité. Il nous avertit qu'il a changé le texte, et qu'il a traduit comme s'il y avoit dans le latin: Videte ne et Reipublicæ, non eum quem velit, principem detis.

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Je lis, dit le traducteur, velit au lieu de velitis (1), parce

(1) Le traducteur s'est permis de changer encore le texte dans ce passage de la Vie de Probus: Amor militum erga Probum ingens semper fuit, neque enim unquam ille passus est peccare militem. Ille quin etiam Aurelianum sæpè a gravi crudelitate deduxit. M. de Moulines traduit: « L'amour des soldats envers Probus étoit extrême; car il ne permit jamais » qu'on les vexât, et souvent il adoucit à leur égard l'humeur trop rude » d'Aurélien. » Le traducteur nous avertit qu'au lieu de peccare militem, il a lu peccare in militem ou vexare militem. D'abord, j'observerai que passus est peccare in militem, ou vexare militem, n'est pas latin; il faut dire: passus est peccari in militem ou vexari militem. Mais d'ailleurs nulle nécessité de changer le texte; car, à travers l'obscurité de la phrase latine, on entrevoit que l'auteur a voulu dire « Probus étoit fort aimé des soldats, et pourtant il ne leur pardonnoit aucune faute, sans être » néanmoins trop sévère; car souvent il adoucit à leur égard l'extrême » dureté d'Aurélien. » Ce sens très-raisonnable est autorisé par ce passage de Capitolin, dans la Vie de Gordien: Tribuni eum et duces usque adeò timuerunt et amaverunt, ut neque vellent peccare, neque ex ullá parte

» qu'il semble absurde que Tacite dise aux sénateurs qui » l'élisent: Gardez-vous de donner à la République un princo » qui ne sera pas de votre goût. « Tous les manuscrits portant velitis, il n'étoit pas permis au traducteur de changer le texte; il devoit s'attacher à entendre le sens de ces mots, non eum qum velitis principem, lesquels ne signifient pas, un prince qui n'est pas de votre goût, mais un prince tout autre que celui dont la République a besoin, et que vous voulez. lui donner. Et alors la phrase latine n'a rien d'absurde; car elle veut dire, prenez garde de vous tromper dans votre choix; ou bien : prenez garde de choisir un prince qui ne réponde pas à votre attente.

Mais voici un contre sens plus inexcusable. Le sénat, pour vaincre la résistance de Tacite, lui rapporte l'exemple de Trajan et d'Adrien qui n'étoient parvenus à l'Empire que dans un âge avancé. Il ajoute ensuite: Imperatorem te, non militem facimus. Tu juhe, milites pugnent. Animum tuum, non corpus eligimus. «Nous ne vous créons pas soldat, mais » Empereur. Vous, ordonnez aux soldats de combattre; c'est « votre ame et non votre corps que nous élisons. » Le traduc➡ teur a cru que ces mots : Tu jube, milites pugnent, né faisoient qu'une seule phrase, et que la construction étoit : tu, jube ut milites pugnent, et en conséquence il a traduit, vous, ordonnez que les soldats combatient; au lieu que ces mots : Tu, etc., etc. forment deux phrases très-distinctes. Tu, jube, vous, vous commanderez (› ), milites pugnent, et les soldats combattront: tu est opposé à milites, comme Imperatorem est opposé à militem dans la première phrase, comme animum est opposé à corpus dans la troisième. Ce sont trois antithèses qui eurent un grand succès, puisque l'historien latin nous avertit que la première et la troisième furent répétées vingt fois par acclamation dans cette assemblée du sénat; mais la seconde, tu jube, milites pugnent, fut répétée jusqu'à trente fois. Dixerunt tricies, dit Vopisque; les sénateurs répétèrent trente fois : Tu jube, milites pugnent. Ces mots avoient donc un sens moins commun que celui que leur donne le traducteur, sans quoi il est probable qu'ils n'eussent pas été répétés un si grand nombre de fois, malgré

peccarent. « Les tribuns et tous les chefs avoient pour lui un sentiment «mêlé de crainte et d'amour, qui les retenoit dans le devoir, et leur ôtoit » même l'idée de s'en écarter. » D'ailleurs, quand Probus fut én Empeyeur par les soldats, il leur dit : « Vous vous repentirez de votre choix; car je ne sais pas vous flatter. »

(1) Quoique jube soit à l'impératif, je l'ai traduit par le futur, afiu de faire mieux, sentir la distinction des deux phrases.

l'extrême complaisance qu'avoit à cette époque le sénat

romain.

Je ne puis me dispenser de relever encore un contre - sens d'une autre espèce, dont les suites peuvent être plus dange-. reuses: car il a déjà été fait par Montaigne, et lui a fourni unemauvaise preuve pour appuyer une absurde calomnie contre les premiers chrétiens (1). Vopisque dit, dans la Vie de l'Em-, pereur Tacite : Cornelium Tacitum, scriptorem Historia Augustæ, quòd parentem suum eumdem diceret, in omnibus bibliothecis collocari jussit; et, ne lectorum incuria deperiret, librum per annos singulos decies scribi jussit, et in bibliothecis poni. M. de Moulines traduit ainsi : « Il fit » placer dans chaque bibliothèque un exemplaire de Cor» neille Tacite, qui a écrit l'Histoire des Empereurs, et qu'il » disoit être son parent; et de peur que cet ouvrage ne périt » par la négligence des lecteurs, il en fit faire, chaque, » année, dix copies qu'on déposoit dans les bibliothèques. Le traducteur oublie que le règne de Tacite ne fut que des six mois: or ce prince n'ayant pas même régné une année, on ne peut pas dire, il fut faire, chaque année, dix copies qu'on déposou dans les bibliothèques. Il falloit dire: I ordonna que, chaque année on feroit dix copies de cet ouvrage, etz, qu'on les déposeroit dans les bibliothèques.

Toutes les citations que je viens de faire prouvent suffi→ samment que l'Histoire Auguste est encore à traduire : conclusion fort différente de celle des deux critiques célèbres que j'ai nommés plus haut. En rendant d'ailleurs justice au mérite littéraire de M. de Moulines, je pense que sa qualité d'étranger ne le rendoit guère propre à ce genre de travail. Nos bonnes traductions françaises ont toutes été

(1) Voici le passage de Montaigne ( tom. II, ch. 19, ) « Il est certain » qu'en ces premiers temps que notre religion commença de gagner au torité avec les lois, le zèle en arma plusieurs contre toute sorte de livres païens, de quoi les gens de lettres souffrent une merveilleuse perte. J'estime que ce désordre ait plus porté de nuysance aux lettres que tous les feux des Barbares. Cornelius Tacitus en est un bon témoin; » car, quoique l'empereur Tacitus, son parent, en eút peuplé par or » donnances expresses toutes les librairies du monde, toutefois un seul » exemplaire entier n'a pu échapper à la curieuse recherche de ceux qui » desiroient l'abolir, pour cinq ou six vaines clauses contraires à notre

créance.» Tacite ne regna que six mois, et au milieu du désordre de la confusion, et de l'ignorance qui régnoient alors dans l'empire romain, il étoit bien difficile que cet Empereur parvînt dans l'espace de six mors à peupler toutes les librairies du monde des œuvres de son parent; il étoit également difficile qu'après sa mort son ordonnance fût maintenne par des successeurs qui avoient un esprit, un caractère et des intérêts toug différens, et dont aucun n'étoit parent de Tacite.

données par des Français. On peut dire de la prose ce que Voltaire disoit des vers:

O vous,

Messieurs les beaux-esprits,

Si vous voulez être chéris

Du Dieu de la double montagne,

Et que toujours dans vos écrits
Le Dieu du goût vous accompagne,
Faites tous vos vers à Paris,

Et n'allez point eu Allemagne!

R.

Introduction au

Discours prononcé à l'Athénée de Paris, le 15 décembre 1806, par M. Chénier, de l'Institut National. Cours de littérature française.

-

On a long-temps exagéré les avantages de ces réunions littéraires, si fort en vogue depuis la fin du dernier siècle, dont le but est de mettre à la portée des esprits les plus superficiels toutes les théories de la littérature, et de rendre tout-à-coup savant sans étude et sans efforts. Il a été reconnu, depuis, que tous ces cours, sur les diverses parties des connois, sances humaines, ne donnoient guère que des notions fausses ou imparfaites, propres seulement à enhardir la présomption; qu'il valoit beaucoup mieux ignorer que mal savoir, et que la manie du bel-esprit étoit fort différente de l'amour des lettres et de l'instruction.

Dans le siècle des grands écrivains, les bureaux d'esprit furent livrés à un juste ridicule. Les littérateurs étoient alors beaucoup moins répandus dans le monde. Leur vie laborieuse ne se partageoit qu'entre les longs travaux du cabinet, et la société de quelques amis, réunis par les mêmes goûts. Ils ne récitoient leurs ouvrages que devant des auditeurs également capables d'en sentir les beautés, et de leur en indiquer les défauts. Ces juges sévères et éclairés n'auroient pas été séduits par ces petites ressources du bel-esprit, par ces cliquetis de mots et ces froides étincelles qui font aujourd'hui la fortune des poètes d'Athénée. Tout fut perdu dès que chaque cercle voulut avoir ses poètes et ses Aristarques, et que tout le monde se mêla de juger et d'écrire. L'exemple et les préceptes des grands maîtres perdirent leur autorité, et la république des lettres tomba dans une véritable anarchic.

C'est à-peu-près à cette époque que le Lycée, appelé aujourd'hui l'Athénée, rassembloit à ses séances la plus brillante société de Paris. Cet établissement eut sans doute beaucoup plus d'éclat que d'utilité réelle. Il eut l'inconvé→ nient que nous venons de remarquer, comme attaché à toutes les réunions de cette espèce, de inultiplier les demi-connoissances et les prétentions, vrais fléaux des talens réels; mais il faut convenir aussi que les lettres lui ont une obligation dont elles conserveront le souvenir, puisqu'il donna naissance an Cours de Littérature de M. de La Harpe. La mort prématurée de cet excellent critique fit perdre aux séances littéraires tout l'intérêt qu'il leur avoit donné pendant si long-temps. On s'aperçut bientôt que, pour le remplacer, il ne suffisoit pas de s'asseoir dans la même chaire; et le ridicule ne fut pas épargné aux prétentions mal fondées qui se manifestèrent à ce sujet : les auditeurs désertèrent : c'est de cet état presque désespéré que M. Chénier entreprend aujourd'hui de relever l'Athénée de Paris, pour lui rendre son ancienne splendeur.

C'est une tâche bien difficile à remplir que celle de tracer un tableau complet et raisonné d'une littérature aussi étendue que la nôtre. Parler de tant d'auteurs différens, avec une parfaite connoissance des sujets qu'ils ont traités, des circonstances où ils ont écrit, de l'influence réciproque qu'a exercé leur génie sur leur siècle, et leur siècle sur leur génie, se rendre court et rapide sans être superficiel, approfondir tant d'objets divers, sans fatiguer des auditeurs peu appliqués, qui ne veulent s'instruire qu'en s'amusant; toutes ces conditions, si pénibles à remplir, veulent à la fois une érudition profonde, et une élocution élégante et facile, qu'il est donné a bien peu d'hommes de réunir. Toutefois il paroît que M. Chénier, loin d'être effrayé de tant d'obligations, ne craint pas même d'agrandir la carrière immense qui s'ouvre devant lui. On va le voir tracer la route qu'il se propose de

suivre :

« La poésie, dit-il, l'éloquence, l'histoire, les romans, n genre intermédiaire entre l'histoire et la poésie, sont des » partics brillantes de notre littérature, mais ne la forment » pas tout entière, On ne la compléteroit même pas en » ajoutant à ces parties la grammaire, la rhétorique et la » poétique. Il faut y joindre encore la philosophie et ses prin

cipales applications; examiner dans leur marche progressive » l'analyse des sensations et des idées, la morale publique et » particulière, et les diverses branches de l'art social. Nous » écarterons d'un examen déjà très-étendu les sciences phyasiques et mathématiques, la jurisprudence proprement

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