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M. Langlès ne s'est pas exercé sur des sujets d'une utilité dé pouillée de tout agrément; mais le peu que nous venons d'en extraire suffira peut-être pour en donner une idée suffisante; et nous ne devons pas perdre de vue qu'après avoir donné de justės louanges à son amour pour le travail et aux intentions honorables qui l'animent, il nous reste à observer que ce n'est pas sans peine qu'on rencontre dans toutes ses traductions une foule de mots orientaux que personne ne peut prononcer, et qu'on reconnoît à peine, parce qu'il a cru devoir en changer l'orthographe, et la rendre plus conforme à l'étymolo→ gie. Si l'usage établi ne s'opposoit pas à ce changement, la raison de M. Langlès auroit sans doute plus de poids, mais elle ne suffiroit pas encore, parce qu'il faut d'abord qu'il y ait dans les organes du peuple auquel on propose de nouveaux sons, tout ce qui est nécessaire pour les rendre avec facilité; et qu'il est en outre indispensable que ces sons se trouvent en harmonie avec ceux qui composent le fonds de son langage habituel. Les organes de la voix s'arrangent pour prononcer la langue maternelle, et l'oreille se façonne à l'audition de ses accens. Pour parler ou seulement pour entendre parler une autre langue, il faut une autre étude, et ce n'est pas en par→ courant un voyage en Perse qu'on prétend apprendre le persan, On n'est jamais obligé de conserver l'étymologie qu'autant qu'elle s'accorde avec les sons de la langue dans Jaquelle on traduit; et quand on ne la conserve point, on ne doit pas s'embarrasser si nos voisins nous entendront plus difficilement, ou si les Turcs, les Arabes, les Indoux, les Tartares et les Persans reconnoîtront leur langue dans un traducteur européen. L'important est d'écrire en français pour des Français, et de franciser autant qu'il est possible les noms étrangers qui ne peuvent s'offrir à notre prononciation sans rompre la douce habitude de nos mouvemens.

Nous souhaiterions vivement que ce reproche fût le seul que nous pussions adresser à M. Langlès; mais il en est un beaucoup

plus grave auquel il doit s'attendre de notre part, et que nous lui ferons avec toute la liberté que peut inspirer la franchise de son caractère. Nous lui demanderons donc ce qu'il y a de commun entre tous les voyages qu'il traduit et ses opinions religieuses; s'il croit qu'il est utile aux progrès des langues, des sciences ou des lumières en général, de laisser soupçonner qu'il n'aime point la religion chrétienne et qu'il méprise ses ministres; si c'est bien l'expression de sa pensée qu'il a déposée dans tant de notes philosophiques, faites il y a déjà sept ou huit ans, ou si ce n'est qu'un hommage involontaire rendu aux principes de ces temps d'anarchie et de désastres? Malheureusement, nous venons de qualifier son caractère, et nous ne pensons pas qu'il soit capable d'un tel déguisement. Cette pensée est douloureuse, sans doute; car enfin M. Langlès a des talens, il est laborieux et il a des vertus privées. Le temps n'est plus où les livres d'algèbre pouvoient traiter avec succès de la politique, de la religion, fronder les souverains et les prêtres, aux grands applaudissemens d'une nation en délire. Un nouveau siècle s'ouvre, où, pour se faire écouter, il faudra parler de ce qu'on sait ; et si l'homme religieux se laisse apercevoir dans un livre étranger à la religion, ce ne sera plus désormais que d'une manière digne à la fois d'un sage écrivain, d'un honnête homme et d'un ami de son pays. C'est ce que M. Langlès paroît avoir parfaitement senti dans des ouvrages plus récens que ceux que nous annonçons aujour➡ d'hui, puisque le savant seul s'y montre, et qu'il a évité d'y rien faire entrer qui ne puisse être avoué dans tous les temps et dans toutes les circonstances.

G.

SALON DE 1806.

(III et dernier Article.)

M. Aparicio, Mad. Mongès, Mlle Lorimier, etc.; revue générale du Salon.

M. APARICIO s'étoit fait connoître à la dernière exposition, par son tableau d'Athalie : les moyens d'exécution en parurent encore foibles; mais la noblesse et la clarté de la composition, l'expression juste et vraie des divers personnages, promettoient un véritable talent. Voilà sans doute pourquoi plusieurs journalistes ont cru pouvoir avant l'exposition, annoncer avec de grands éloges le nouvel essai de ce jeune artiste, représentant l'Epidémie d'Espagne en 1804 et 1805. Mais le public n'a pas tout-à-fait ratifié ces louanges indiscrètes, et peut-être n'ont-elles servi qu'à le rendre plus sévère. Le groupe principal représente le père de l'Auteur, qui, frappé de la contagion, reçoit dans ses derniers momens une lettre et le portrait de ses deux fils. Cette scène seroit pathétique, si tous les moyens d'exécution répondoient à l'idée. Le torse nud du vieillard est d'un dessein qui n'a ni correction, ni noblesse. Le turban qu'il a autour de la tête, la fait paroître d'une grosseur choquante, et un vieillard près d'expirer, ne devroit pas être debout. Sa fille qui lui présente le portrait, est froide et sans expression, et le prélat qui l'assiste n'a pas assez de calme et de dignité: on voudroit voir dans ses traits cette piété courageuse et ferme qui inspire la confiance aux mourans. En général il y à peu de partie dans ce tableau qui ne. laisse quelque chose a desirer : d'ailleurs les différens groupes ne sont point assez liés entr'eux, et la composition manque absolument d'unité; mais elle annonce de l'imagination dans l'artiste qui l'a conçue, et elle ne dément point les espérances qu'a données son premier ouvrage. Elles seront remplies sans doute si M. Aparicio a le courage de préférer une critique. sévère et impartiale,aux éloges trompeurs qui voudroient lui persuader qu'il a déjà atteint le but, lorsqu'il ne fait qu'entrer dans la carrière.

Plusieurs femmes ont acquis une juste célébrité dans la peinture; mais jusqu'à Mad. Mongès, aucune n'avoit osé s'élever aux grandes compositions historiques. Elles demandent une force de tête et une persévérance dont peu d'hommes sont capables mais tant de difficultés ne peuvent arrêter Mad. Monges, et déjà elle les a vaincues presque toutes. Il y a du nerf et de l'exécution dans son tableau de Thésée et

Pyrithous délivrant deux femmes des mains de leurs ravisseurs: son plus grand défaut est d'offrir deux groupes absolument séparés. Il faut convenir encore que les deux héros manquent de noblesse, et que sans le secours du livret, il seroit assez difficile de deviner quels sont les brigands.

Mlle Lorimier a moins d'ambition : elle ne sort point des sujets gracieux où son sexe a naturellement tant d'avantage. Elle pense avec raison qu'il est toujours glorieux d'exceller, même dans un genre secondaire, et que le public aime mieux être touché des beautés d'un ouvrage, qu'étonné des difficultés qu'il présentoit. On ne sauroit choisir ses sujets avec plus de goût et de bonheur que Mlle Lorimier : cette année elle a représenté, n°. 362, Jeanne de Navarre, conduisant son fils Arthur, au tombeau qu'elle a fait élever à la mémoire de son époux Jean IV, duc de Bretagne. Ses traits et son attitude expriment une mélancolie profonde, et non l'égarement de la douleur. La tête de l'enfant est pleine de naïveté et d'attention. L'héroïne n'est point vêtue de noir, comme un peintre ordinaire n'auroit pas manqué de la représenter. Si elle porte encore une couleur sombre, c'est qu'elle convient à sa tristesse habituelle; mais le terme de son denil est expiré depuis long-temps. Cette idée si délicate et si touchante suffiroit pour faire deviner le sexe de l'auteur, et c'est de quoi il faut le féliciter.

Je vois sous le n°. 155, un tableau de M. Devosge, représen tant le beau trait de Cimon qui vint se mettre en prison à la place du corps de Miltiade, son père. M. Lordou a exposé le même sujet sous le n°. 361. Il peut être intéressant de comparer en peu de mots ces deux compositions; l'une et l'autre sont simples et bien conçues. M. Devosge a eu l'idée de laisser apercevoir dans le fond du tableau le bûcher préparé pour recevoir le corps de Miltiade, ce qui complète l'explication du sujet.La sœur de Cimon qui s'appuie tendrement sur lui, est bien liée à l'action, et contribue à appeler l'intérêt sur le jeune homme; il est encore juste d'observer que M. Devosge a abordé plus de difficultés d'exécution, puisque ses personnages sont de grandeur naturelle: tels sont les avantages qu'il a sur son rival, qui dans tout le reste me paroît avoir beaucoup mieux réussi. Ses airs de tête sont plus expressifs, et ses figures mieux groupées. Parmi ses personnages il a introduit un guerrier qui apporte une armure et des branches de laurier manière ingénieuse de rappeler les exploits de Miltiade, Mais ce qui me paroît surtout digne d'éloge, c'est l'attitude du jeune homme, qui sans faire attention aux chaînes dont le géolier a déjà chargé ses mains, reste immobile, les y eux fixés sur le

corps de son père. Cette seule idée suffit pour attester dans l'artiste une belle imagination, et pour faire tout espérer d'un talent qui s'annonce si heureusement.

En face de ce tableau on verra aussi avec intérêt (no. 303) la mort de Marc-Aurèle, par M. Trèzel. Ce sujet est heureusement chosi; et l'attitude de Commode qui, au lieu d'écouter avec recueillement les instructions de son père, saisit la couronne et porte un œil avide sur les dignité impériale, indique aussi un artiste qui pense. Les marques de la autres personnages prennent bien part à l'action, suivant leur âge, leur profession et la crainte ou l'espérance qui les agite. On peut reprocher à cette composition d'être trop portée sur un seul côté du tableau; on peut desirer plus de noblesse dans quelques airs de tête : mais ce qu'on veut sur-tout dans le premier ouvrage d'un jeune peintre, c'est la justesse des expressions: avec le temps il apprendra à être à-la-fois noble

et vrai.

C'est à regret que je renonce à parler de plusieurs tableaux très-dignes d'une mention particulière, tels qu'Atala et Chactas, no. 255; les reproches d'Hector à Páris, et sur-tout les honneurs rendus à Raphaël après sa mort, no. 24; ouvrage aussi remarquable par l'intérêt de la composition, que par la beauté de l'effet; mais je suis forcé de quitter les tableaux d'histoire pous jeter un coup d'œil sur les portraits.

L'ouvrage de ce genre le plus important, qui même à considérer la dignité et le style de l'exécution rentre dans les compositions historiques, est le portrait de S. M. l'Empereur et Roi, par M. Robert Lefebvre. Il est destiné à orner l'une des salles du Sénat Conservateur. L'Empereur y est représenté sur son trône, et revêtu des ornemens impériaux. Son attitude est noble et simple. Tous les accessoires sont traités avec beaucoup d'effet et de vérité, et avec une grande facillité de pinceau. L'or et les broderies brillent aux yeux, sans trop les arrêter. Le fond du tableau est d'un beau style d'architecture, etla lumière y est bien conduite. L'expression de la tête pourroit être moins vague et plus historique : mais malgré ce défaut cet ouvrage est digne de sa destination, et de l'artiste habile à qui on

l'avoit confié.

On sait qu'Alexandre n'accordoit qu'à un seul artiste l'honneur de reproduire ses traits sur la toile, et qu'il ne pouvoit souffrir....

qu'un artisan gross er Entreprit de tracer d'une ma n criminelle, Un portrait réservé pour le pinceau d'Apelle.

Il n'en est pas de même aujourd'hui dès qu'un grand

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