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public d'un Etat, et relativement aux nations étran gères, ce territoire forme un seul tout qui est sous l'empire du souverain ou de l'Etat. La souveraineté est un droit à la fois réel et personnel. Conséquemment, aucune partie du territoire ne peut être soustraite à l'administration du souverain, comme aucune personne habitant le territoire ne peut être soustraite à sa surveillance, ni à son autorité.

La souveraineté est indivisible. Elle cesseroit de l'être, si les portions d'un même territoire pouvoient être régies par des lois qui n'émaneroient pas du même souverain.

Il est donc de l'essence même des choses, que les immeubles dont l'ensemble forme le territoire public d'un peuple, soient exclusivement régis par les lois de ce peuple, quoiqu'une partie de ces immeubles puisse être possédée par des étrangers.

Règles pour les Juges.

Il ne suffisoit pas de parler des effets principaux des lois; il falloit encore présenter aux juges quelques règles d'application.

La justice est la première dette de la souveraineté : c'est pour acquitter cette dette sacrée que les tribunaux sont établis.

Mais les tribunaux ne rempliroient pas le but de leur établissement, si, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, ils refusoient de juger. Il y avoit des juges avant qu'il y eût des lois, et les lois ne peuvent prévoir tous les cas qui peuvent s'offrir aux juges. L'administration de la justice seroit donc perpétuellement interrompue, si un juge s'abstenoit de juger toutes les fois que la contestation qui lui est soumise n'a pas été prévue par une loi.

L'office des lois est de statuer sur les cas qui arrivent le plus fréquemment. Les accidens, les cas fortuits, les cas extraordinaires, ne sauroient être la matière d'une loi.

Dans

Dans les choses mêmes qui méritent de fixer la sollicitude du législateur, il est impossible de tout fixer par des règles précises.

C'est une sage prévoyance de penser qu'on ne peut tout prévoir.

De plus, on peut prévoir une loi à faire sans croire devoir la précipiter. Les lois doivent être préparées avec une sage lenteur. Les Etats ne meurent pas, et il n'est pas expédient de faire tous les jours de nouvelles lois.

Il est donc nécessairement une foule de circonstances dans lesquelles un juge se trouve sans loi. Il faut donc laisser alors au juge la faculté de suppléer à la loi par les lumières naturelles de la droiture et du bon sens. Rien ne seroit plus puéril que de vouloir prendre des précautions suffisantes pour qu'un juge n'eût jamais qu'un texte précis à appliquer. Pour prévenir les jugemens arbitraires, on exposeroit la société à mille jugemens iniques, et, ce qui est pis, on l'exposeroit à ne pouvoir plus se faire rendre justice; et avec la folle idée de décider tous les cas, on feroit de la législation un dédale immense dans lequel la mémoire et la raison se perdroient égale

ment.

Quand la loi se tait, la raison naturelle parle encore: si la prévoyance des législateurs est limitée, la nature est infinie; elle s'applique à tout ce qui peut intéresser les hommes: pourquoi voudroit-on méconnoître les ressources qu'elle nous offre?

Nous raisonnons comme si les législateurs étoient des dieux, et comme si les juges n'étoient pas même des hommes.

De tous les temps, on a dit que l'équité étoit le supplément des lois. Or, qu'ont voulu dire les jurisconsultes Romains quand ils ont ainsi parlé de l'équité?

Le mot équité est susceptible de diverses acceptions. Quelquefois il ne désigne que la volonté constante d'être juste, et dans ce sens il n'exprime qu'une vertu. Dans d'autres occasions, le mot équité désigne

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une certaine aptitude ou disposition d'esprit qui dis tingue le juge éclairé de celui qui ne l'est pas, ou qui l'est moins. Alors l'équité n'est, dans le magistrat, que le coup-d'oeil d'une raison exercée par l'observation, et dirigée par l'expérience. Mais tout cela n'est relatif qu'à l'équité morale, et non à cette équité judiciaire dont les juriscónsultes Romains se sont occupés, et qui peut être définie un retour à la loi naturelle, dans le silence, l'obscurité ou l'insuffisance des lois positives.

C'est cette équité qui est le vrai supplément de la législation, et sans laquelle le ministère du juge, dans le plus grand nombre des cas, deviendroit impossible.

Car il est rare qu'il naisse des contestations sur l'application d'un texte précis. C'est toujours parce que la loi est obscure ou insuffisante, ou même parce qu'elle se tait, qu'il y a matière à litige. Il faut donc que le juge ne s'arrête jamais. Une question de propriété ne peut demeurer indécise. Le pouvoir de juger n'est pas toujours dirigé dans son exercice par des préceptes formels : il l'est par des maximes, par des usages, par des exemples, par la doctrine. Aussi, le vertueux chancelier d'Aguesseau disoit très-bien que le temple de la justice n'étoit pas moins consacré à la science qu'aux lois, et que la véritable doctrine, qui consiste dans la connoissance de l'esprit des lois, est supérieure à la connoissance des lois mêmes.

Pour que les affaires de la société puissent marcher, il faut donc que le juge ait le droit d'interpréter les lois et d'y suppléer. Il ne peut y avoir d'exception à ces règles que pour les matières criminelles ; et encore, dans ces matières, le juge choisit le parti le plus doux si la loi est obscure ou insuffisante, et il absout l'accusé si la loi se tait sur le crime.

Mais en laissant à l'exercice du ministère du juge toute la latitude convenable, nous lui rappelons les bornes qui dérivent de la nature même de son pouvoir.

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Un juge est associé à l'esprit de législation; mais il ne sauroit partager le pouvoir législatif. Une loi est un acte de souveraineté, une décision n'est qu'un acte de jurisdiction ou de magistrature.

Ór, le juge deviendroit législateur, s'il pouvoit, par des règlemens, statuer sur les questions qui s'offrent à son tribunal. Un jugement ne lie que les parties entre lesquelles il intervient. Ua règlement lieroit tous les justiciables et le tribunal lui-même.

Il y auroit bientôt autant de législations que de res

sorts.

Un tribunal n'est pas dans une région assez haute, pour délibérer des règlemens et des lois. Il seroit circonscrit dans ses vues, comme il l'est dans son territoire; et ses méprises ou ses erreurs pourroient être funestes au bien public.

L'esprit de judicature, qui est toujours appliqué à des détails, et qui ne prononce que sur des intérêts particuliers, ne pourroit souvent s'accorder avec l'esprit du législateur, qui voit les choses plus généralement et d'une manière plus étendue et plus vaste.

Au surplus, les pouvoirs sont réglés ; aucun ne doit franchir ses limites.

Conventions contraires à l'Ordre public et aux bonnes Mours.

Le dernier article du projet de loi porte qu'on ne peut déroger par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs.

Ce n'est que pour maintenir l'ordre public, qu'il y a des gouvernemens et des lois. Il est donc impossible qu'on autorise entre les citoyens des conventions capables d'altérer ou de compromettre l'ordre public.

Des jurisconsultes ont poussé le délire jusqu'à croire que des particuliers pouvoient traiter entr'eux comme s'ils vivoient dans ce qu'ils appellent l'état de nature, et consentir tel contrat qui peut convenir à leurs intérêts, comme s'ils n'étoient gênés par aucune loi. De tels contrats, disent-ils, ne peuvent être protégés par

des lois qu'ils offensent; mais comme la bonne foi doit être gardée entre des parties qui se sont engagées réciproquement, il faudroit obliger la partie qui refuse d'exécuter le pacte, à fournir par équivalent ce que les lois ne permettoient pas d'exécuter en nature.

Toutes ces dangereuses doctrines, fondées sur des subtilités, et éversives des maximes fondamentales, doivent disparoître devant la sainteté des lois.

Le maintien de l'ordre public dans une société, est la loi suprême. Protéger des conventions contre cette loi, ce seroit placer des volontés particulières au-dessus de la volonté générale, ce seroit dissoudre l'Etat.

Quant aux conventions contraires aux bonnes mœurs, elles sont proscrites chez toutes les nations policées. Les bonnes mœurs peuvent suppléer les bonnes lois : elles sont le véritable ciment de l'édifice social. Tout ce qui les offense, offense la nature et les lois. Si on pouvoit les blesser par des conventions, bientôt l'honnêteté publique ne seroit plus qu'un vain nom, et toutes les idées d'honneur, de vertu, de justice, seroient remplacées par les lâches combinaisons de l'intérêt personnel, et par les calculs du vice.

Tel est le projet de loi qui est soumis à votre sanction. Il n'offre aucune de ces matières problématiques qui peuvent prêter à l'esprit de systême. Il rappelle toutes les grandes maximes des gouvernemens; il les fixe il les consacre. C'est à vous, citoyens Législateurs, à les décréter par vos suffrages. Chaque loi nouvelle qui tend à promulguer des vérités utiles, affermit la prospérité de l'Etat et ajoute à votre gloire.

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