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Cette Edition, très-correcte, se trouve à Liége, chez LEMARIE, proche l'Hôtel-de-ville.

MOTIFS DE LA PREMIÈRE LOI

Sur la promulgation, les effets et l'application des Lois, exposés par le Conseiller d'Etat Portalis.

CITOYENS LÉGISLATEURS,

LE projet de loi que je viens vous présenter, au nom

du Gouvernement, est relatif à la publication, aux effets et à l'application des lois en général.

Le moment est arrivé où votre sagesse va fixer la législation civile de la France. Il ne faut que de la violence pour détruire, il faut de la constance, du courage et des lumières pour édifier.

Nos travaux touchent à leur terme.

Le vœu des Français, celui de toutes nos assemblées nationales seront remplis ; jusqu'ici la diversité des coutumes, formoit, dans un même Etat, cent Etats différens. La loi, partout opposée à elle-même, divisoit les citoyens au lieu de les unir. Cet ordre de choses ne sauroit exister plus long-temps. Des hommes qui, à la voix puissante de la patrie, et par un élan sublime et généreux, ont subitement renoncé à leurs priviléges et à leurs habitudes, pour reconnoître un intérêt commun, ont conquis le droit inappréciable de vivre sous une commune loi.

C'est dans le moment de cette grande et salutaire révolution dans nos lois, qu'il importe de proclamer quelques-unes de ces maximes fécondes qui ont été consacrées par tous les peuples policés, et qui servent à diriger la marche de toute législation bien ordonnée. Ces maximes sont l'objet du projet de loi que je présente; elles n'appartiennent à aucun code particulier. Elles sont comme les prolégomènes de tous les codes.

Mais il nous a paru que leur véritable place étoit en avant du code civil, parce que cette espèce de code est celle qui, plus que toute autre, embrasse l'universalité des choses et des personnes.

Dans un gouvernement, il est essentiel que les ci

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toyens puissent connoître les lois sous lesquelles ils vivent et auxquelles ils doivent obéir.

De là, les formes établies chez toutes les nations pour la promulgation et la publication des lois.

On a cru devoir s'occuper de ces formes, auxquelles l'exécution des lois se trouve nécessairement liée.

Il est sans doute une justice naturelle émanée de la raison seule, et cette justice, qui constitue pour ainsi dire le cœur humain, n'a pas besoin de promulgation. C'est une lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, et qui, du fond de la conscience, réfléchit sur toutes les actions de la vie.

Mais, faute de sanction, la justice naturelle qui dirige sans contraindre, seroit vaine pour la plupart des hommes, si la raison ne se déployoit avec l'appareil de la puissance pour unir les droits aux devoirs, pour substituer l'obligation à l'instinct, et appuyer par les commandemens de l'autorité les inspirations honnêtes de la nature.

Quand on a la force de faire ce que l'on veut, il est difficile de ne pas croire qu'on en a le droit. On se résigneroit peu à se soumettre à des gênes, si l'on pouvoit avec impunité se livrer à ses penchans.

Ce que nous appelons le droit naturel ne suffisoit donc pas ; il falloit des commandemens ou des préceptes formels et coactifs.

On voit donc la différence qui existe entre une règle de morale et une loi d'Etat.

Or, ce sont les lois d'Etat qui ont besoin d'être promulguées pour devenir exécutoires; car ces sortes de lois, qui n'ont pas toujours existé, qui changent souvent, et qui ne peuvent tout embrasser, ont leur époque déterminée et leur objet particulier. On ne sauroit être tenu de leur obéir sans les connoître.

Sous l'ancien régime, la loi étoit une volonté du prince.

Cette volonté étoit adressée aux Cours souveraines, qui étoient chargées de la vérification et du dépôt des

lois.

La loi n'étoit point exécutoire dans un ressort, avant d'y avoir été vérifiée et enregistrée.

La vérification étoit un examen, une discussion de la loi nouvelle. Elle représentoit la délibération qui est de l'essence de toutes les lois. L'enregistrement étoit la transcription sur le registre de la loi vérifiée.

Les Cours pouvoient suspendre l'enregistrement d'une loi, ou même le refuser. Elles pouvoient modifier la loi en l'enregistrant, et dès-lors ces modifications faisoient partie de la loi même.

Une loi pouvoit être refusée par une Cour souveraine, et acceptée par une autre. Elle pouvoit être diversement modifiée par les diverses Cours.

La législation marchoit aussi d'un pas chancelant, timide et incertain. Dans cette confusion et dans ce conflit de volontés différentes, il ne pouvoit y avoir d'unité, de certitude, ni de majesté dans les opérations du législateur. On ne savoit jamais si l'Etat étoit régi par la volonté générale ou s'il étoit livré à l'anarchie des volontés particulières.

Tout cela tenoit à la constitution d'alors.

La France, dans les temps qui ont précédé la révolution, présentoit moins une nation particulière qu'un assemblage de nations diverses, successivement réunies ou conquises, distinctes par le climat, par le sol, par les priviléges, par les coutumes, par le droit civil, par le droit politique.

Le prince gouvernoit ces différentes nations, sous les titres différens de duc, de roi, de comté. Il avoit promis de maintenir chaque pays dans ses coutumes et dans ses franchises. On sent que dans une pareille situation, c'étoit un prodige quand une même loi pou voit convenir à toutes les parties de l'empire. Une marche uniforme dans la législation étoit donc impossible.

S'il n'y avoit point d'unité dans l'exercice du pouvoir législatif, par rapport au fond même des lois, il ne pouvoit y en avoir dans le mode de leur promulgation. Chaque province de France formant un état à part,

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