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comme il le voulait, attribua le non - succès de cette journée, au moins douteuse, à l'absence de Bernadotte, ce qui était vrai, mais en même temps il en fit un objet de reproche pour le maréchal, ce qui était une horrible injustice. On l'accusa de n'avoir pas voulu marcher sur Preussich-Eylau, quoique, assure-t-on, le général d'Haupoult l'eût averti du besoin que l'on avait de lui. Mais comment constater ce fait, puisque ce jour-là même le général d'Haupoult fut tué? Qui pouvait assurer que ce général eût pu communiquer directement et personnellement avec le maréchal Bernadotte? Quiconque a bien connu Bonaparte, ses ruses, et le parti qu'il savait tirer des paroles placées par lui dans la bouche des morts, ne verra point là une énigme difficile à deviner, et pour en trouver le mot, il suffirait d'ailleurs de se rappeler la manière dont il chargca la mémoire de l'amiral Brueys, de la perte du combat naval d'Aboukir et de la destruction de notre flotte, parce que l'amiral ayant été tué ne pouvait pas le démentir. Il en fut de même à Eylau à l'égard du général d'Haupoult.

Quoi qu'il en soit, la journée d'Eylau fut terrible; on gagna la nuit comme l'on put, en attendant toujours, mais en vain, le corps de Ber

nadotte; et après une perte considérable, l'armée française eut le triste honneur de coucher sur le champ de bataille. Bernadotte arriva trop tard et rencontra l'ennemi qui battait en retraite et se dirigeait sans crainte d'être inquiété dans la direction de Koenigsberg, la seule capitale qui restât encore à la Prusse. Le roi de Prusse était alors à Memel, petit port sur la Baltique à trente lieues de Koenigsberg.

Lorsque, plus tard, Bernadotte étant à Hambourg, je lui parlai des reproches que Bonaparte lui avait adressés à l'occasion de la journée d'Eylau, il me dit : « Vous le voyez, toujours des assertions calomnieuses de la part de cet homme-là; mais cela m'est égal, je me f... de lui! » Je lus à Bernadotte un bulletin que j'avais reçu du quartier-général, dans lequel Bonaparte se plaignait encore de Bernadotte, comme il l'avait fait après Auerstaedt, et lui reprochait de l'avoir abandonné. Bernadotte m'expliqua la manoeuvre tout-à-fait à son avantage, et il ajouta même sur quelques généraux des réflexions peu favorables, et qui, selon moi, manquaient de convenances. Comme ils vivent encore, je me tairai pour leur éviter une querelle avec leur ancien camarade, le roi de Suède.

CHAPITRE XIX.

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La bataille d'Eylau, et Te Deum chanté en Russie. —Pierre et Catherine. - AmSélim, Mustapha et Mahmoud. bassade de Sébastiani à Constantinople. Nouveaux trônes en Europe. - Mission de Gardanne en Perse. Souvenir de Joséphine. Lettre qu'elle m'écrit pour me recommander M. Fazy. Note destinée à un jour

nal et non imprimée. Effet produit à Berlin, lors de la nouvelle de la mort du duc d'Enghien. L'ambassa

deur de France et les Français abandonnés.

Inconvenances de Napoléon à l'égard de la reine de Prusse. Adoration des Prussiens pour leur reine. M. de Turenne à Hambourg. Le maréchal Victor prisonnier.Nouvelles difficultés de ma position. Abus du pouvoir militaire. - Droits diplomatiques soutenus. · Rancune du maréchal Brune.

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Après la conquête du champ de bataille, jonché de morts, d'Eylau, de part et d'autre on resta quelque temps stationnaire, et plusieurs jours se passèrent sans grands événemens; les offres de paix faites par l'empereur, avec bien peu d'em

la

pressement, il est vrai, furent rejetées avec un orgueil dédaigneux. Il semblait qu'une victoire disputée à Napoléon dût être regardée comme un triomphe, et l'on aurait dit que la bataille d'Eylau avait fait tourner la tête aux Russes, qui firent chanter un Te Deum; mais pendant que l'empereur faisait de nouvelles dispositions pour se porter en avant, sa diplomatie agissait au loin, et suscitait à la Russie un ennemi, qui fut longtemps redoutable pour elle : la Turquie lui déclara C'était une diversion puissante, qui guerre. obligeait la Russie à dégarnir ses frontières de l'ouest pour s'assurer une ligne de défense sur ses frontières du sud, si prodigieusement reculées depuis Pierre-le-Grand jusqu'à Catherine, que Voltaire a aussi surnommée le Grand. Napoléon s'était avancé à Finkenstein, où il attendait le moment où il serait nécessaire qu'il se mît à la tête de son armée. Ce fut pendant son séjour dans cette ville qu'il apprit la révolution de Constantinople, qui avait coûté la vie au sultan Selim, qui la coûta plus tard au fameux visir Mustapha Baraictar, et qui plaça enfin sur le trône ottoman le sultan Mahmoud. La Porte, arrachée à l'influence anglaise par les habiles négociations du général Sébastiani, mit le plus grand apparat dans

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sa déclaration de guerre à la Russie, et fit déployer, dans cette circonstance, l'étendard du prophète.

En même temps que l'ambassadeur de France, à Constantinople était parvenu à faire déclarer la Turquie contre la coalition, l'empereur somma l'Espagne, conformément au traité d'alliance qui existait entre cette puissance et la France. de mettre un corps de troupes à sa disposition. L'empereur le destinait à occuper la ligne de l'Elbe, et l'on verra plus tard ce qui advint de l'accomplissement de la volonté de l'empereur.

Quelque temps après, eut lieu la fameuse ambassade en Perse du général Gardanne, ambassade dont les voies avaient été ouvertes par l'heureux succès de la mission de mon ami Amédée Jaubert; et le lecteur doit se rappeler le désir que j'avais eu de l'accompagner, et que j'avais témoigné à l'empereur dans la dernière audience que j'avais eue de lui avant son départ pour se faire couronner roi d'Italie. Il n'y avait pas deux ans de cela, et que de choses s'étaient passées. L'Autriche conquise, la Prusse occupée, la Russie menacée, Naples enlevée à la maison de Bourbon, la république Batave transformée en royaume de Hollande, et trois royaumes surgis

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