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plois si variée et pourtant si complète en soi, un rare savoir, un grand sens, beaucoup de lettres, une politique habile et profonde, une extrême magnificence, une générosité chevaleresque, et on aura le crayon de cet homme remarquable qui sembla revivre dans son fils, duquel il s'agit ici.

Choisi pour être un des enfants d'honneur de Louis XIII, M. le duc d'Haluin avait dû à cette position la faveur précoce du roi qui le distingua toujours. Faisant ses premières armes sous les ordres de son père, il reçut sa première blessure au siége de Sommières, et montra tant d'habileté, de courage et de sangfroid à la prise de Privas, du Pas-de-Suze et de Rouvray, qu'il fut nommé chevalier de l'ordre à trente-deux ans, puis lieutenant-général pour le roi en Languedoc. A peine pourvu de ce gouvernement, il battit les Espagnols à Leucate, ainsi qu'il l'apprendra lui-même par ses dépêches. Fait bientôt après maréchal de France, on le verra remporter encore d'autres succès dans le Roussillon.

Homme d'esprit et d'érudition, aimant comme son père les lettres et le savoir, il fut un des premiers protecteurs de Bossuet, qui lui dédia sa réfutation du catéchisme de Paul Ferry 1. Le maréchal de Schomberg avait épousé la célèbre mademoiselle d'Hautefort, si connue par sa beauté et par l'amour plus que respectueux que Louis XIII avait eu pour elle. Ce fut de madame la maréchale de Schomberg que Louis XIV avait coutume de dire, <«<qu'il ne connaissait que << deux femmes dont il pût garantir la vertu sur parole, la reine <<< et madame de Schomberg. La maréchale était d'ailleurs

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la réfutation de ce catéchisme que Bossuet entra dans la carrière de la controverse théologique.

si suprêmement grande dame en toutes choses, que plus tard, le même roi lui proposa d'être dame d'honneur de madame la dauphine, afin, dit-il, — « de remettre à la cour la dignité et << la grandeur qu'on commençait d'y perdre.... »

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La manière d'écrire de M. le maréchal de Schomberg nous a paru franche et hardie; on n'y trouve jamais d'envieuses et jalouses réticences, d'hypocrisie révérencieuse, mais souvent les formes de la politesse la plus digne. Qu'il blâme ou qu'il approuve, qu'il demande ou qu'il accorde un service, on reconnaît un naturel ouvert, facile et généreux; d'une rare précision dès qu'il parle d'opérations de guerre, en peu de mots il donne un crayon ferme et net de sa pensée ou de sa position militaire; aussi les théories les plus confuses de la stratégie prennent-elles sous sa plume un dessin aussi simple que parfaitement bien arrêté. Riant et gai comme tout caractère loyal et courageux, s'il ne met pas un très-grand atticisme dans sa plaisanterie, il fait au moins preuve d'un esprit naturel fort réjouissant, lorsqu'il se livre à ses joviales boutades de soldat 1.

Somme toute, et singularité remarquable, malgré sa hautę position, ses succès de guerre, et la confiance dont l'honorait le roi et Richelieu, M. le maréchal de Schomberg est le seul, qui, dans sa correspondance, ne décèle ni mauvais vouloir, ni rivalité haineuse contre les autres généraux. Il sert la France et le roi du mieux qu'il peut, et par l'autorité de son noble et gracieux esprit, semble réduire à l'aménité la plus charmante des caractères jusqu'alors aussi ombrageux qu'arrogants et jaloux.

' Voir entre autres la réponse du duc respondance de Sourdis, t. I, liv. II, ch. iv, d'Haluin au mémoire pour l'artillerie. Cor- p. 457. Idem, liv. III, ch. v, p. 489.

Il est impossible de donner les mêmes éloges à M. le maréchal de Vitry, un des acteurs les plus malheureusement célèbres de l'assassinat du maréchal d'Ancre, et qui joua un triste rôle dans les événements développés par la correspondance dont il s'agit. Fils aîné de Louis Gallucio de l'Hospital, marquis, puis duc de Vitry, un des meilleurs capitaines de Henri IV, le duc de Vitry, duquel nous allons parler', remplaça son père dans sa charge de capitaine des gardes. Lors du voyage de Louis XIII en Guienne, M. de Vitry s'était lié avec M. de Luynes, favori du roi; ce fut, dit-on, de ce moment que ces deux seigneurs résolurent d'assassiner le maréchal d'Ancre, dont la toute-puissance portait ombrage au roi. Ce prince se plaignant un jour à M. de Vitry de se voir peu accompagné à la chasse, celui-ci lui répondit : « Sire, vous serez toujours mal suivi tant que vous ne serez <«< pas le maître. — C'est vrai, dit Louis XIII, ils font tout «< ce qu'ils veulent; mais nous ne serons pas toujours comme << cela. >>

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Après plusieurs tentatives déjouées ou manquées, la mort du maréchal fut enfin à tout prix résolue; un dimanche soir M. de Vitry dit au roi : « Sire, je vous rendrai compte de sa « liberté ou de sa vie devant qu'il soit demain midi; car je me « saisirai de lui s'il vient au Louvre, et s'il n'y vient, je l'irai <<< forcer dans son logis. » En effet, le lendemain, le maréchal fut assassiné par MM. de Vitry et du Hallier son frère, aidés de quelques gardes ; le meurtre terminé, Louis XIII paraissant à son balcon s'écria: « Je vous remercie, Vitry: je suis maintenant roi.»>

Après cet attentat, M. de Vitry, nommé maréchal de France, attendit durant quelques années l'opportunité d'une

Né à Paris en 1581.

guerre pour faire ses premières armes et mériter ainsi le grade dont le roi avait payé sa détestable action; M. de Vitry montra du moins un grand courage de soldat au siége des villes de Châteaurenaud, de Gien, de Gergeau, de Sancerre et de Sully; mais nommé gouverneur de Provence en 1631, il révolta les parlements et la noblesse par ses hauteurs et par son excessive dureté. Aussi, Richelieu parlant de lui dans son Testament politique, dit-il qu'il fut obligé de lui ôter le gouvernement de Provence, quoiqu'il en fût digne par sa hardiesse, parce qu'ayant l'hu<< meur insolente et altière, il n'était pas propre à gouverner un << peuple jaloux de ses priviléges et de ses franchises comme les << Provençaux. >>

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A ces causes d'éloignement pour M. de Vitry, se joignit, chez le cardinal, le profond ressentiment des mauvais services que le maréchal avait opiniâtrément rendus aux armes du roi, en traversant de tout son pouvoir, qui était immense et absolu dans son gouvernement, toutes les entreprises tentées ou exécutées par M. de Bordeaux qu'il exécrait.

A ce propos, et pour donner une idée des façons de voir si différentes selon les temps et les mœurs, on fera remarquer que le cardinal de Retz, sans blâmer autrement M. de Vitry d'être un des meurtriers du maréchal d'Ancre, dit simplement en parlant de lui : « Il avait peu de sens, mais était hardi jusqu'à la témérité, et l'emploi qu'il avait eu de tuer le maréchal d'Ancre « lui avait donné dans le monde un certain air d'affaire et « d'exécution. »

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Ce qui contribua aussi beaucoup à perdre complétement M. de Vitry fut son incroyable brutalité à l'égard de M. de Bordeaux, qu'il osa frapper dans un conseil de guerre. A peine instruit de ce scandale, Richelieu écrivit à M. de Vitry

, par

une lettre effrayante de calme et de laconisme pour lui demander si véritablement il avait bien osé cette énormité. La réponse du maréchal au cardinal, en manière de justification, nous a paru un des plus curieux spécimens de l'impression, traduite, réfléchie, si cela se peut dire, presque physiquement par le langage. On voit que cette lettre a été écrite, le bouillant maréchal, au moment même de la réception de la dépêche de Richelieu. Rien de plus colère, de plus désordonné, de plus confus, de plus emporté que ce style souvent inintelligible, qui balbutie et qui écume de rage, dans toute l'exaltation d'une furie mal contenue par la respectueuse terreur qu'inspirait Richelieu; rien de plus curieux que ces phrases sans suite, pour ainsi dire haletantes, que ces élans de haine insensée, de dédain écrasant contre M. de Bordeaux, çà et là coupées par des divagations inouïes, et terminées enfin par une promesse de réparation désespérée évidemment arrachée par la crainte.

Nous le répétons, cette pièce nous a paru un triste mais curieux document: triste, en cela qu'il dévoile une passion mauvaise dans tout son hideux paroxysme; curieux, en ce qu'on y démêle facilement la cause première de la haine toujours croissante de M. de Vitry contre M. de Bordeaux, haine qui aveugla tellement le maréchal qu'il se rendit presque coupable de haute trahison envers le roi, en compromettant le salut de plusieurs de ses places fortes de Provence.

En présence de ces scandaleux méfaits, la tardive punition de M. de Vitry semblerait inexplicable, si la bizarrerie du caractère vacillant, rancuneux et timoré de Louis XIII ne l'expliquait.

Quelquefois honteux et irrité de la suprême autorité de Richelieu, excité contre le cardinal par le favori du jour, ce

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