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48.

Voici maintenant l'arrêt d'admission: Art. 28. « Lorsque le Conseil, soit en ordonnant l'envoi des motifs, ou après les avoir vus, jugera que la demande en cassation mérite d'ètre instruite contradictoirement avec toutes les parties intéressées, l'arrêt qui interviendra, ordonnera seulement que la requête en cassation leur sera communiquée pour y répondre dans les délais du règlement, faute de quoi il sera fait droit ainsi qu'il appartiendra.

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la récompense de hauts services rendus, celles de maître des requêtes étaient vénales. Constituées à titre d'office elles avaient atteint des prix extrêmement élevés, puisqu'au commencement du dernier siècle, on en voit le prix porté à 180,000 et 200,000 livres. Hâtons-nous d'ajouter que les inconvénients de la vénalité étaient corrigés en partie par les conditions imposées pour l'acquisition d'une charge de maître des requêtes. Il fallait avoir tiente et un ans et avoir occupé une place de conseiller de cour Souveraine pendant six ans. De plus, comme c'était parmi eux que se recrutaient ordinairement les intendants de justice, police et finances, les commissaires répartis dans les généralités du royaume pour l'exécution des ordres du roi, on comprendra qu'il s'était établi et qu'il se maintenait dans le corps des maitres des requêtes, ces traditions de science et d'honneur qui sont les meilleures et les plus sûres garanties d'une bonne jus-gés par les rapporteurs, pour être signés et remis au greffe, le tice. V. Aucoc, p. 72 et s.

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42. Le nombre des maîtres des requêtes, que diverses ordonnances avaient successivement augmenté, s'élevait, dans les derniers temps, au chiffre de 78. Les quatre doyens des maîtres des requêtes avaient séance au Conseil. Le plus ancien prenait le titre de conseiller d'Etat ordinaire; il avait le privilège de faire assis et couvert les rapports dont il était chargé. Les autres maitres des requêtes devaient faire leur rapport debout et dé

couverts.

43. Les maîtres des requêtes étaient principalement chargés des rapports à faire devant le Conseil des parties. La règle d'après laquelle un rapport devait être présenté dans toutes les affaires soumises au Conseil des parties, règle sagement recueillie et inscrite parmi celles qui régissent la procédure devant la Cour de cassation, donne bien à comprendre l'importance du rôle joué dans le Conseil des parties par les maîtres des requêtes. L'art. 7 du règlement de 1738, en effet, voulait que la requête en cassation, avec l'arrêt ou jugement en dernier ressort et la quittance de la consignation de l'amende, fût remise au greffier du Conseil, et que le demandeur y joignit une requête pour faire commettre un rapporteur en la forme ordinaire. Et l'art. 8 ajoutait qu'aucune requête en cassation ne pourrait être reçue, si elle n'avait pas été présentée et le rapporteur commis dans les délais impartis.

44. L'art. 19, relativement à la nécessité de faire commettre un rapporteur, exceptait les requêtes en cassation des arrêts par lesquels l'appel des jugements rendus par les juges et consuls, ou autres juges, aurait été reçu bien que lesdits jugements ne fussent pas sujets à l'appel; « ces requêtes, présentées sans consultation d'avocat et sans consignation d'amende, seront, dit le règlement, remises à un des sieurs maîtres des requêtes, sans qu'il soit besoin de se faire commettre pour y être statué sur son rapport, ainsi qu'il appartiendra, après en avoir communiqué aux sieurs commissaires nommés pour l'examen des demandes en cassation. >>

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45. L'art. 21 porte : <«< Aucune requête en cassation ne pourra être portée au Conseil sans avoir été préalablement communiquée aux sieurs commissaires, nommés en général pour l'examen des demandes en cassation; ou, lorsqu'il s'agira du domaine, des aides et gabelles, ou de matières ecclésiastiques, aux sieurs commissaires nommés pour l'examen desdites matières; et seront lesdites requêtes rapportées au premier Conseil qui sera tenu après la communication auxdits sieurs commissaires, à l'effet de quoi monsieur le chancelier donnera la parole aux rapporteurs desdites requêtes, par préférences à

tous autres. >>

46. — Il n'est pas nécessaire d'insister davantage sur les conditions dans lesquelles se faisait l'instruction des recours portés devant le Conseil des parties; il suffit, sans entrer dans le détail, d'en avoir indiqué les lignes principales. Quant aux décisions prises par le Conseil, à la suite du rapport qui lui avait été présenté, la reproduction des art. 25 et 28 du règlement de 1738 feront apparaitre la grande division des arrêts de rejet, des arrêts d'admission et des arrêts de cassation.

47. Suivant l'art. 25: « En cas que, sur le rapport de la requête en cassation, le demandeur se trouve non-recevable ou mal fondé dans sa demande, il sera rendu arrêt par lequel ledit demandeur sera débouté de sa demande ou déclaré non-recevable, s'il y échet; et, dans l'un et l'autre cas, il sera condamné par le même arrêt en l'amende de 150 livres, ou de 75 livres, suivant la distinction portée par l'art. 5 ci-dessus ». C'est l'arrêt de rejet sur premier examen de la requête.

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49. Lorsque l'instruction contradictoire ordonnée avait été faite par mémoires écrits, un nouveau rapport était présenté au Conseil, lequel, sans débats oraux, sans publicité, sans conclusions du ministère public, statuait sur le pourvoi, c'està-dire, le rejetait définitivement ou cassait la décision souveraine qui lui avait été déférée. Les arrêts devaient être rédi

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jour du conseil suivant (Reglement de 1738, 2o partie, tit. 13, art. 2). L'arrêt devait contenir les noms et les qualités prises par les parties dans les actes et exploits introductifs de l'instance, les demandes et conclusions portées par leurs requêtes, avec un extrait sommaire des pièces y jointes, et les rapporteurs ne pouvaient recevoir ces qualités des mains des parties ou de leurs avocats, mais étaient tenus de les faire faire par leurs clercs et de les revoir exactement. Le dispositif de l'arrêt devait être écrit en entier de la main du rapporteur, et l'arrêt être signé par le chancelier et le rapporteur (art. 3 et 4 du titre 13).

50. Quant aux règles sous l'empire desquelles se trouvait le recours en cassation devant le Conseil des parties, notaminent en ce qui concernait les ouvertures à cassation, on doit reconnaître qu'au moment où cette institution allait, non pas disparaître, mais tout au moins se transformer, elle laissait derrière elle un ensemble de principes que l'institution nouvelle n'avait qu'à continuer d'appliquer et qui sont encore aujourd'hui les principes fondamentaux auxquels obéit notre Cour suprême. On en peut juger par les très-importants mémoires demandés par Louis XV à deux de ses conseillers d'Etat, Gilbert de Voisins et Joly de Fleury, mémoires qui, mieux que tous autres documents, montrent comment, avec le temps, on s'était dégagé de toutes les fausses conceptions et de toutes les fausses pratiques, comment on avait fini par déterminer et fixer les véritables règles du recours en cassation.

51. Il ne s'agit plus maintenant d'erreur de fait et de mal jugé; jamais le mal jugé au fond ne peut être invoqué comme moyen de cassation. « C'est en quoi, dit Gilbert de Voisins, la cassation diffère de l'appel, différence qu'il importe essentiellement de maintenir pour ne pas confondre insensiblement les tribunaux de premier ordre avec ceux soumis à l'appel. L'appel remet le fond en question; la cassation, au contraire, attaque un arrêt revêtu d'une pleine autorité, dont il ne peut être dépouillé qu'autant qu'il se trouve en excéder les bornes légitimes, ce qui donne prise à la cassation pour ne casser qu'en ce point, sans toucher au reste.

52. Pour ce qui est des ouvertures à cassation, l'exposé en est fait également par Gilbert de Voisins: « 1° si dans la manière de procéder aux arrêts et dans leur formation, il s'est trouvé quelques irrégularités vicieuses et quelques défauts essentiels, comme si les juges n'étaient pas au nombre requis, ou qu'entre eux il y en eut qui manquassent de caractère ou de pouvoir; si l'arrêt qui avait passé souffrait, dans sa rédaction, quelques changements sans l'aveu de tous; si, lorsqu'il y avait partage, on a donné arrêt dans ces cas, et autres du mème genre, il faut bien que le roi y pourvoie, et qu'il casse ce qui s'est fait irrégulièrement par des juges qui ne sauraient le réparer. 2o Lorsque les cours excèdent leurs pouvoirs, soit en entreprenant sur ce qui est réservé au roi par la législation, pour le règlement de l'ordre public, la dispensation des grâces et des privilèges, et autres choses de ce genre; soit en donnant atteinte aux titres émanés de sa puissance, et revêtus des solennités légitimes; soit en donnant à leur juridiction plus d'étendue qu'elle n'en doit avoir en entreprenant sur celle des autres, il appartient au roi d'y mettre ordre par la cassation de leurs arrêts. 3o La contravention aux ordonnances fait une ouverture de cassation qui est considérée comme la principale. En effet, les ordonnances du royaume, publiées et enregistrées dans les cours, sont pour elles des lois inviolables. Ainsi, la contravention aux ordonnances, pourvu qu'elles ne soient pas tombées en désuétude, comne il arrive faute d'avoir été pourvu 16

à temps à leur maintien, est ordinairement le moyen de cassation le plus clair et le plus précis, et a lieu en toutes sortes de matières, soit du fond, soit de la forme, excepté le cas où s'applique la voie de droit de la requête civile. »

53. Et quant à l'esprit dans lequel doivent être appliquées es règles et examinés les pourvois, on ne saurait mieux dire que ne le fait, de son côté, Joly de Fleury. « Au fond, dit-il, dans l'examen des requêtes en cassation, tout s'interprète contre le demandeur. On n'écoute que les moyens qui sont fondés sur une contravention claire et précise aux ordonnances; encore faut-il qu'il soit question d'une disposition importante: car c'est l'intérêt public et le respect de la loi plus que l'intérêt de la partie que l'on consulte.

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54. Malheureusement, il y avait une ombre au tableau : c'était, ainsi que nous l'avons déjà expliqué, le pouvoir que conservait le Conseil d'évoquer et de retenir l'affaire pour la juger au fond, pouvoir dont, quoi qu'on en ait dit, il savait user à l'occasion et suivant les circonstances.

55. Les points communs entre le Conseil des parties et la Cour de cassation sont nombreux; sous bien des aspects, c'est l'identité, de telle sorte qu'on a pu dire que non seulement la Cour de cassation procédait du Conseil des parties, mais qu'elle en était, à proprement parler, la continuation Toutefois, l'identité est loin d'être complète, et, à côté des caractères et des détails d'administration qui appartiennent à l'une et à l'autre des institutions, il convient de signaler les différences qui les séparent.

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56. L'idée qui domine les deux institutions est qu'elles doivent être un tribunal suprême ayant pouvoir sur toutes les juridictions, qu'elles ont charge de ramener au respect de la loi quand elles s'en écartent. Mais, tandis que le tribunal de cassation se renferme dans ce rôle, dès son origine, et s'y maintient au milieu des variations auxquelles seront soumis les pouvoirs publics, sous l'ancienne monarchie, au contraire, ce rôle s'altère facilement et se trouve subordonné au bon plaisir du souverain dont, avant tout, on doit, nous ne dirons pas seulement sauvegarder les droits, mais étendre et assurer l'autorité. 57. Si, du caractère général des institutions nous descendons dans leur fonctionnement intérieur, là encore, quand les ressemblances paraîtront le plus accusées, nous serons frappés par des différences qui correspondront bien à la différence des temps. Ainsi en est-il de cette très-spéciale organisation qu'on nomme la Chambre des requêtes, et qui a pour objet d'opérer un triage parmi les recours portés devant le tribunal suprême et de n'accorder l'honneur de la discussion contradictoire qu'à ceux qui peuvent avoir quelque chance de réussite. Devant le Conseil des parties, l'examen préalable, le triage par des maîtres des requêtes et des commissaires existe bien, mais point de Chambre des requêtes, c'est-à-dire, point de corps constitué d'une manière permanente, avec un personnel fixe et des attri

butions nettement déterminées.

58. Ajoutons que si l'examen préalable des pourvois par les maîtres des requêtes pouvait être considéré comme une garantie d'une bonne administration de la justice devant le Conseil des parties, toutefois, l'intervention de titulaires d'offices vénaux qui, peu à peu, s'étaient substitués aux conseillers d'Etat dans la première étude et dans le rapport de l'affaire ne peut se comparer aux sûretés qu'offrent l'examen fait et le rapport présenté par les hauts magistrats qui composent notre Cour de cassation. «Les bureaux, dit Guyot, sont composés d'un ou de plusieurs conseillers d'Etat et de maîtres des requètes. L'examen qu'ils font d'une affaire dans l'assemblée qu'ils tiennent chez le président du bureau, en abrège beaucoup ensuite la discussion au Conseil et en facilite le jugement ». V. Guyot, Dictionn.,

vo Conseil du roi.

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59. On conviendra bien que cet examen fait sous le manteau de la cheminée, chez le président du bureau des requêtes, peut malaisément être mis en parallèle avec l'audience publique de notre Chambre des requêtes, le rapport lu publiquement par le membre de la Chambre qu'a désigné son président et la discussion qui peut être présentée au nom du demandeur au pourvoi par un avocat. Toutefois, il faut remarquer que le débouté de la requête sans que son examen eût été fait par le Conseil n'était possible que sous la condition de l'avis unanime du rapporteur et des commissaires, ce qui donne à signaler une différence considérable avec la Chambre des requêtes, différence qui n'est peut-être point à l'avantage de cette dernière en effet,

bien qu'instituée dans la pensée que toute affaire présentant quelque doute doit être renvoyée à l'examen contradictoire de la Chambre civile, la Chambre des requêtes peut cependant rejeter le pourvoi à la simple majorité, ce qui constitue une véritable anomalie qu'on avait d'ailleurs évitée à la création du tribunal de cassation en imposant l'obligation d'une majorité composée des trois quarts des voix, pour que la requête pût être rejetée sur le simple examen de la section des requêtes.-V. infrà, n. 83. 60. En dehors de la publicité qui est incontestablement une des meilleures et des plus sûres garanties d'une bonne justice, et qui faisait défaut devant le Conseil des parties, il est une autre garantie qu'on cherche vainement dans les décisions de ce Conseil et qui, dans notre organisation judiciaire, est devenue une des bases fondamentales de toute décision de juge: nous voulons parler de la nécessité de motiver les jugements et arrêts, nécessité qui s'applique aux arrêts de la Cour de cassation comme à ceux des cours d'appel.

61. Or, au Conseil des parties, nulle obligation de motiver les arrêts, ce qui était une lacune d'autant plus grave que, par cela même que les temps comportaient plus d'arbitraire, on aurait dû trouver plus de précautions prises pour en limiter les

effets.

62. En résumé, le pourvoi en cassation n'a été placé dans ses véritables conditions que par la création d'un corps judiciaire spécial, uniquement chargé d'en connaître le tribunal de cassation, suivant sa désignation primitive, aujourd'hui la Cour de cassation. C'est la création, l'organisation et les attributions de ce corps judiciaire, qu'il nous faut maintenant exposer.

63. Le Conseil des parties ne pouvait résister à la tourmente révolutionnaire; les défiances, sinon les haines qui poursuivaient les grands corps judiciaires et réclamaient leur destruction devaient s'attaquer avec une vivacité particulière à une institution qui, tout en participant aux pouvoirs souverains des cours de justice, était en même temps un des principaux rouages du Grand Conseil de gouvernement. Le Conseil des parties devait disparaître et disparut avec ce Grand Conseil. Toutefois, on doit remarquer que l'institution, en elle-même, correspondait si bien aux exigences des temps nouveaux comme à celles des temps anciens qu'elle fut, parmi les institutions judiciaires, la première, sinon la seule que l'on rétablit ou plutôt que l'on maintint, sous un autre nom à la vérité, mais en lui conservant la plus grande partie de ses attributions. Il faut d'ailleurs constater que les défiances et les antipathies des hommes nouveaux étaient surtout dirigées contre les Parlements à raison du rôle politique que ceux-ci avaient joué, et qu'on entendait désormais réserver exclusivement aux assemblées législatives; le Conseil des parties n'avait point été mêlé aux luttes si violemment soutenues par les cours souveraines, de telle sorte que les services par lui rendus dominaient surtout les esprits des jurisconsultes éminents qui participaient à l'élaboration de la nouvelle organisation judiciaire.

64. Les grands réformateurs de l'Assemblée constituante qui considéraient avec raison comme une œuvre nécessaire entre toutes la création de l'unité dans la législation, une organisation judiciaire qui assurat, sur tous les points du territoire, le respect de cette loi unique, devaient juger indispensable l'établissement d'un corps judiciaire dominant toute la hiérarchie des tribunaux et des cours de justice, n'ayant d'autre mission que de surveiller la stricte observation de la loi avec pouvoir d'y rappeler les juges qui s'en écarteraient unité de législation, égalité de justice, tribunal de cassation, sont, en réalité, choses corrélatives et unies par un lien nécessaire, en ce sens, que l'institution est la consécration de principes qui, sans elle, demeurant sans gardiens, resteraient exposés aux mauvaises entreprises de l'intérêt personnel comme aux empiètements de l'esprit de corps.

65. Ces idées forment d'ailleurs le fond de la mémorable discussion que provoqua, dans l'Assemblée constituante, le projet d'établissement d'un tribunal suprême; elles se trouvent dans la bouche de tous les orateurs, alors même qu'ils diffèrent le plus sur les conditions d'organisation et de fonctionnement de ce tribunal.

66. — Du reste, avant même d'être entrée dans l'examen des principes qui devront présider à l'organisation judiciaire nouvelle, l'Assemblée nationale avait fait pressentir quelle serait sa décision relativement à l'établissement d'un tribunal de cassation; par un décret du 20 oct. 1789 elle avait dit : « L'assemblée najonale a décidé que, jusqu'à ce qu'elle ait organisé le pouvoir

judiciaire et celui d'administration, le Conseil du roi sera autorisé à prononcer sur les instances qui y sont actuellement pendantes, et qu'au surplus, il continuera provisoirement ses fonctions, comme par le passé, à l'exception néanmoins des arrêts de propre mouvement, ainsi que des évocations avec retenue du fond des affaires, lesquels ne pourront plus avoir lieu, à compter de ce jour; mais le roi pourra toujours ordonner les proclamations nécessaires pour procurer et assurer l'exécution littérale de la loi ». Cette disposition, toute provisoire qu'elle était, n'en plaçait pas moins le pourvoi en cassation sur ses véritables bases, l'interdiction imposée aux juges de connaitre du fond des affaires et par la suppression du droit d'évocation.

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67. De fait, entre le fonctionnement du Conseil des parties et le fonctionnement du tribunal de cassation, point de lacune; le second prend immédiatement la place du premier et continue son œuvre en continuant de se soumettre à ses règles. Le décret du 27 nov. 1790, qui mettait à exécution le principe posé par la loi du 21 août de la même année, se borne à dire : « Le Conseil des parties est supprimé, et il cessera ses fonctions le jour que le tribunal de cassation aura été installé » (art. 30). Si bien que installation du tribunal de cassation n'ayant eu lieu qu'en avril 1791, le Conseil des parties continua jusque-là de siéger et de rendre ses arrêts. Les instances pendantes devant le Conseil, au moment de sa disparition, restèrent dans le même état devant le tribunal de cassation; on se borna à substituer comme rapporteurs de nouveaux juges aux maîtres des requêtes désignés au Conseil. Tarbé, p. 246, n. 547.

68.

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Nous avons vu qu'à l'Assemblée constituante tout le monde était d'accord sur la nécessité d'un tribunal suprême chargé de réviser les arrêts et jugements en dernier ressort au point de vue de la juste application de la loi; mais il n'en était pas de même sur les questions de savoir où résiderait ce tribunal, s'il aurait une résidence fixe, comment il serait composé, qui le nommerait. Dans le conflit d'opinions que provoque la discussion de tous ces points, on voit apparaître les préoccupations qui hantent l'esprit des législateurs ce tribunal suprême qui aura juridiction sur toute la France leur fait peur; on craint qu'il ne devienne une puissance dont on ait à redouter les envahissements sur d'autres pouvoirs.

69. - Barnave, tout en reconnaissant la nécessité d'établir une Cour de cassation, éprouvait le besoin de se rassurer sur la tyrannie qui résultait du pouvoir des grands corps, et il n'y parvenait qu'en imposant l'ambulance au tribunal dont il demandait l'établissement.

70.- Si étrange que nous paraisse aujourd'hui cette idée d'une Cour de cassation ambulante à travers la France, elle n'en préoccupa pas moins et très-sérieusement les législateurs de 1790 (V. Discours de rentrée de 1891 par M. l'avocat général Reynaud : Gaz. des trib., 17 oct. 1891).

Il fallut l'énergique intervention de Merlin et de Tronchet pour faire écarter cette idée bizarre de l'ambulance et ramener Assemblée à des notions pratiques et de bon sens.

71. L'ambulance écartée, se présenta la question de savoir si le tribunal de cassation serait unique, composé de membres siégeant tous au même lieu, ou divisé en sections ayant chacune juridiction sur un certain nombre de départements.

72. — Le tribunal unique, par son importance, par la puissance qu'il pourrait acquérir, apparaissait toujours aux novateurs comme une menace; les dangers qu'on entrevoyait seraient, croyait-on, conjurés, si l'on disséminait les membres de ce tribunal sur divers points du territoire.

73. Mais l'Assemblée comprit que le tribunal de cassation, essentiellement fait pour établir l'unité de la législation par l'unité de la jurisprudence, manquerait à sa mission s'il était divisé en sections indépendantes les unes des autres, pouvant adopter sur une même question de droit des solutions différentes, sans qu'au dessus d'elles un pouvoir régulateur put faire cesser ces divergences.

74. A une très-grande majorité, il fut décidé que le tribunal de cassation serait sédentaire, unique, et siégerait dans le même lieu que le Corps législatif.

75. Ces questions résolues, il en restait une singulièrement grave et d'où pouvait dépendre l'avenir de l'institution nouvelle et Faction qu'elle était destinée à exercer. D'après quelles règles serait déterminée la composition du tribunal qu'il s'agissait de creer? Dans quel personnel se recruterait-il? Qui nommerait les juges du tribunal de cassation?

76. L'Assemblée constituante, sans vouloir aller jusqu'à placer le tribunal de cassation dans le Corps législatif lui-même, comme l'y invitait Robespierre, ne voulut cependant pas laisser au pouvoir exécutif la nomination des magistrats qui devaient composer ce tribunal. Dominé par le courant d'idées qui prétendaient ne trouver que dans l'élection la base légitime de tous les pouvoirs sociaux, le législateur de 1790 voulut que les membres du tribunal de cassation tinssent leur mandat du suffrage de leurs concitoyens et que ce mandat fût renouvelé tous les quatre ans, erreur qui n'eût pu qu'être funeste, si elle avait persisté, aucun corps de justice n'exigeant pour son recrutement un soin plus scrupuleux et n'ayant plus tations de la politique, das à perdre par l'immixtion dans les agiluttes de l'élection, comme par le renouvellement fréquent de ses membres qui est, à proprement parler, la contradiction même de son rôle et de sa mission. Renouard, Le trib. et la Cour de cass., introd., p. 35.

77. Quant aux principes mêmes sur lesquels devait reposer la juridiction à instituer, au caractère qu'elle devait avoir, à la nécessité d'enlever de ses attributions tout ce qui la transformerait en troisième degré de juridiction, il ne parait point que, dans la discussion à laquelle a donné lieu la loi qui a créé le tribunal de cassation, il se soit produit aucun désaccord sur ce point.

78. A la suite des longs débats dont nous venons de donner une esquisse, l'Assemblée constituante vota, le 27 nov. 1790, la loi portant institution d'un tribunal de cassation, et réglant sa composition, son organisation, ses attributions. Cette loi fut sanctionnée le 1er déc. 1790.

79. Les premiers articles de cette loi ont déterminé les attributions du tribunal de cassation et fixé les règles qui doivent présider à l'examen des pourvois d'une façon qu'on peut dire définitive et irrévocable. « Les fonctions du tribunal de cassation seront de prononcer sur toutes les demandes en cassation contre les jugements rendus en dernier ressort, de juger les demandes de renvoi d'un tribunal à un autre pour cause de suspicion légitime, les conflits de juridiction et les règlements de juges, les demandes de prise à partie contre un tribunal entier (art. 2). - Il annulera toutes procédures dans lesquelles les formes auront été violées, et tout jugement qui contiendra une contravention expresse au texte de la loi. Et jusqu'à la formation d'un code unique des lois civiles, la violation des formes de procédure prescrites sous peine de nullité, et la contravention aux lois particulières aux différentes parties de l'Empire donneront ouverture à cassation. Sous aucun prétexte et en aucun cas, le tribunal de cassation ne pourra connaître du fond des affaires. Après avoir cassé les procédures ou le jugement, il renverra le fond des affaires aux tribunaux qui devront en connaître, ainsi qu'il sera fixé ci-après (art. 3).

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80. L'art. 4 interdisait le recours en cassation contre les jugements rendus en dernier ressort par les juges de paix; on voulait ainsi donner promptement l'autorité de la chose jugée à des sentences statuant sur des intérêts de minime importance, en même temps que débarrasser le tribunal suprême de contestations qui auraient pu prendre un temps mieux employé à l'examen de litiges plus sérieux. Mais cette interdiction était trop absolue, dès lors qu'elle s'appliquait même aux pourvois formés pour cause d'incompétence ou d'excès de pouvoirs, et qu'elle plaçait ainsi les juges de paix dans cette situation qu'audessus d'eux il n'existait aucune autorité qui pùt réprimer les mauvaises entreprises par lesquelles ils tenteraient de franchir les limites de leurs attributions. On ne tarda pas à le comprendre, et la loi du 27 vent. an VIII, par son art. 77, en reproduisant l'interdiction formulée par l'art. 4, L. 27 nov. 1790, relativement au recours en cassation contre les jugements en dernier ressort rendus par les juges de paix, ajoutait : « Si ce n'est pour cause d'incompétence ou d'excès de pouvoir. »

81. La loi de 1790 conserve l'examen préalable par un Bureau dit des requêtes, avec faculté de rejeter définitivement le pourvoi.

82. ... Et elle déclare (art. 9) que les demandes en renvoi d'un tribunal à un autre pour cause de suspicion légitime, les conflits de juridiction et règlements de juges seront portés devant le bureau des requêtes et jugés définitivement par lui sans frais, sur simples mémoires, par forme d'administration et à la pluralité des voix. L'attribution de ces matières à la Chambre des requêtes avec droit de décision définitive est demeurée telle qu'elle a été fixée par la loi d'institution qui assurait ainsi le espect du principe posé par l'art. 12, L. 16-24 août 1790 :

« L'ordre constitutionnel des juridictions ne pourra être troublé, ni les justiciables distraits de leurs juges naturels, par aucunes commissions, ni par d'autres attributions ou évocations que celles qui seront déterminées par la loi. »

83. L'art. 10 pose un principe nouveau qui modifie d'une façon notable le mode de procéder suivi devant le Conseil des parties, où l'admission de la requête en entraînait le renvoi devant le Conseil tout entier, sans exclusion des commissaires qui avaient examiné préalablement le pourvoi. La loi de 1790 crée deux sections, une section ou bureau des requêtes, une section de cassation. Si, à la majorité des trois quarts des voix, la requête est rejetée, le résultat est définitivement acquis et la section de cassation n'a pas à connaître du pourvoi; mais si la requête est admise, le rôle de la section des requêtes est terminé et celui de la section de cassation commence, avec cette circonstance qu'au début, la section de cassation connaissait des requêtes qui lui étaient renvoyées, tant au civil qu'au criminel; il en a été ainsi jusqu'à la création d'une troisième section dite section criminelle.

84. Par ses art. 11 et 12, la loi d'institution applique au tribunal de cassation le principe de publicité des audiences et de la libre discussion proclamé par l'art. 14, tit. 2, L. 16-24 août 1790. Il était d'ailleurs nécessaire que la loi nouvelle s'expliquât, notamment en ce qui concernait l'examen préalable fait par le bureau des requêtes. Nous avons vu, en effet, qu'au Conseil des parties, cet examen avait lieu à huis-clos, chez le président du bureau (V. suprà, n. 58 et s.). Faisons de plus remarquer que, tel qu'il est formulé, l'art. 12 avait fait des observations que les parties elles-mêmes voudraient présenter, non une simple faculté, mais un véritable droit que l'Ordonnance de 1826 a fait disparaitre. — V. infrà, n. 361.

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85. L'art. 13 de la loi de 1790 et plus tard l'art. 19, L. 2 brum. an IV (24 oct. 1795), décident que « dans toutes les sections du tribunal de cassation, les affaires seront jugées sur rapport fait publiquement par l'un des juges, lequel n'énoncera son opinion qu'en même temps que ses collègues et dans la même forme ». Le rapport fait avant toute discussion avait été un usage constamment suivi au Conseil des parties; c'était une tradition qu'il était infiniment sage de maintenir, l'obligation du rapport lu publiquement étant une des plus sérieuses garanties que trouvent les parties devant le tribunal suprême, soit à cause de l'étude sérieuse du litige qu'elle comporte nécessairement, soit par l'influence qu'elle exerce sur la composition de ce tribunal et son recrutement. Remarquons encore la défense faite au rapporteur, et dans la loi de 1790 et dans la loi de l'an IV, d'énoncer son opinion, défense qui, nous le verrons, est aujourd'hui complètement méconnue à la chambre des requêtes. - V. infrà, n. 303 et s.

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86. L'art. 14 fixe à trois mois, en matière civile, à partir de la signification du jugement à personne ou à domicile, le délai pour se pourvoir en cassation pour tous ceux qui habitent en France, sans aucune distinction quelconque, et sans que, sous aucun prétexte, il puisse être donné des lettres de relief de laps de temps pour se pourvoir en cassation. La loi est muette quant aux personnes habitant hors de France, d'où la conséquence qu'on en tira que, relativement à ces personnes, on devait se reporter, pour déterminer les délais du pourvoi, aux dispositions du règlement de 1738.

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89. Les art. 19, 20 et 21 réglaient les effets de la cassation quant au renvoi à un autre tribunal, et les conditions dans lesquelles ce renvoi devait être opéré, et organisaient un système bizarre et compliqué qui était appelé à promptement disparaître pour être remplacé, tant pour les tribunaux d'appel que pour le tribunal de cassation, par un système d'une application plus facile.

«Dans le cas où la procédure aura été cassée, dit l'art. 20, elle sera recommencée à partir du premier acte où les formes n'auront pas été observées; l'affaire sera plaidée de nouveau dans son entier, et il pourra encore y avoir lieu à la demande en cassation contre le second jugement. >>

89 bis. L'art. 21 réglait la très-délicate et très-difficile question de savoir quels seraient les effets de la cassation prononcée, et comment un tribunal qui ne doit pas être un troisième degré de juridiction pourrait, sans prendre ce caractère, imposer une solution pour le litige qu'il s'agissait de terminer. Nous verrons plusieurs fois le législateur revenir sur l'examen de cette question, modifier les résolutions précédemment prises, jusqu'à ce que, par la loi du 1er avr. 1837, il ait formulé un système qu'on peut considérer aujourd'hui comme définitif.

90. La loi de 1790 institue auprès du tribunal de cassation un commissaire du roi, nommé par le roi, et, tout en lui donnant des fonctions du même genre que celles qui sont confiées aux commissaires auprès des tribunaux de district (art. 23), elle lui confère un pouvoir très-particulier qui consiste à surveiller l'exécution de la loi dans tous les tribunaux du royaume, et, au cas où la loi aurait été violée, à se pourvoir, malgré le silence gardé par les parties: c'est l'institution du pourvoi dans l'intérêt de la loi dont les conditions n'ont point été modifiées (art. 25). Le droit pour le ministère public de se pourvoir dans l'intérêt de la loi ne concerne, dans cet article, que les matières civiles; la loi des 16-29 sept. 1791 concernant la police de sûreté, la justice criminelle et l'établissement des jurés, l'a étendu aux matières criminelles (art. 16).

91. L'art. 30 prononçait la suppression du Conseil des parties (V. suprà, n. 67). Enfin, la loi des 14-17 avr. 1791, qui fixait la date d'installation du tribunal de cassation, par son art. 4, renvoyait purement et simplement au tribunal de cassation, pour y être instruits et jugés, sans qu'il fût besoin de nouvelle assignation ni de reprise d'instance, les procès en cassation pendants au Conseil des parties et aux commissions du Conseil. 92. En résumé, relativement aux pourvois en cassation formés contre des arrêts de cours souveraines ou contre des jugements en dernier ressort, rien n'était changé aux conditions dans lesquelles ils devaient être instruits et jugés; il faut reconnaître toutefois qu'une modification profonde et des plus heureuses était apportée aux attributions du nouveau tribunal par le caractère qui lui était donné de corps exclusivement judiciaire, par la suppression de tout ce qui rattachait le Conseil des parties aux Conseils de gouvernement, de tout ce qui permettait, par une ingérence arbitraire, telle que l'évocation, de porter le trouble dans l'ordre des juridictions dont le tribunal de cassation était, au contraire, constitué le défenseur et le gardien. Le tribunal et la Cour de cassation (publié par les soins du parquet de la Cour), Introduction, p. xv.

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93. — Les règles qui devaient présider au fonctionnement du tribunal de cassation, et qui, ainsi que nous venons de l'expli87. Le grave principe de l'effet non suspensif du pourvoi quer, étaient destinées à lui donner son véritable caractère, rea été fixé en termes absolus par l'art. 16 de la loi de 1790: «< En çurent une consécration solennelle pour leur inscription dans la matière civile, la demande en cassation n'arrêtera pas l'exécu- constitution des 3-14 sept. 1791 (art. 19, 20 et 21) dont les distion du jugement, et, dans aucun cas et sous aucun prétexte, positions furent reproduites par la constitution de 1793. il ne pourra être accordé de surséance ». 94. Cette règle est deLe décret-loi des 27 nov.-1er déc. 1790, dans un chameurée sans restriction, telle qu'elle a été formulée par la loi pitre spécial, intitulé: Forme de l'élection du tribunal de cassad'institution du tribunal de cassation; elle est la conséquence tion, determinait les conditions de nomination des juges qui delogique de cette idée que le tribunal de cassation n'est et ne vaient composer ce tribunal. Les membres du tribunal de cassadoit jamais être un troisième degré de juridiction; mais, ainsi tion ne devaient être élus que pour quatre ans; ils pouvaient que nous le verrons plus tard (V. infrà, vo Cassation, mat. civ.), être réélus tous les quatre ans, on devait procéder à l'élection par l'absolu de sa formule, elle produit parfois des effets bien du tribunal de cassation en entier. Les départements de France rigoureux et qui autorisent à se demander si elle ne pourrait concouraient successivement par moitié à l'élection des membres pas être quelque peu adoucie. du tribunal de cassation. Pour la première élection, on devait tirer au sort, dans une des séances de l'Assemblée nationale, les quarante-deux départements qui devaient élire chacun un sujet pour remplir une place dans le tribunal; à la seconde élection, les quarante et un autres départements devaient être appelés à exercer leur droit d'élection, et ainsi successivement (art. 1, 2 et 3).

88. L'intitulé du jugement de cassation, la rédaction des qualités et du dispositif, l'interdiction de donner aucune qualification aux plaideurs dans l'intitulé des jugements et d'y inscrire d'autres énonciations que leurs noms patronymiques et de famille, et celui de leurs fonctions ou de leur profession, forment l'objet des art. 17 et 18.

Les quarante-deux départements qui devaient procéder à la

première élection furent désignés par le sort et proclamés le 28 janv. 1791.

95. Chaque département, en même temps qu'il élisait un juge, élisait un suppléant, destiné, non seulement à succéder au juge, dans le cas où celui-ci viendrait à cesser de remplir ses fonctions, par décès ou par démission, jusqu'à expiration de la période pour laquelle le mandat électoral avait été conféré, mais aussi à le remplacer dans les cas où, par l'acceptation de fonctions incompatibles, il y aurait vacance temporaire du siège, sauf au juge titulaire à reprendre sa fonction quand l'empêchement aurait cessé.

96. Huit jours après la publication du décret d'institution, les électeurs de chacun des départements désignés par le sort pour nommer cette fois les membres du tribunal de cassation devaient se rassembler et élire le sujet qu'ils croiraient le plus propre à remplir une place dans ce tribunal (art. 4). L'élection ne pouvait être faite qu'à la majorité absolue des suffrages. Si les deux premiers scrutins ne produisaient pas cette majorité, au troisième scrutin, les électeurs ne votaient que sur les deux sujets qui avaient réuni le plus de voix au second, et, en cas d'égalité de suffrages, le plus ancien d'âge était élu (art. 5). L'art. 6 fixait les conditions d'éligibilité des membres du tribunal de cassation.

97. Les premières élections pour le tribunal de cassation furent faites au commencement de 1791. Le 20 avril, en exécution d'une loi du 17 du même mois, le tribunal fut installé par deux commissaires de l'Assemblée.

98. Les juges titulaires élus en vertu de la loi du 1er déc. 1790 se réunirent le 2 mai 1791 sous la présidence de leur doyen d'age; ils arrêtèrent de nommer les vingt juges qui, en conformité de la loi, devaient composer le bureau des requêtes; le choix en ayant été fait et proclamé, les vingt-deux autres juges formèrent la section de cassation.

99. La loi du 17 avr. 1791, en vertu de laquelle le tribunal de cassation devait être installé, supprimait les offices des avocats au Conseil et les remplaçait par un corps d'avoués au tribunal de cassation qui devaient jouir aussi du droit d'exercer auprès des tribunaux de district. Provisoirement, seraient admis à exercer auprès du tribunal de cassation, les procureurs au Grand Conseil et tous ceux auxquels était accordée la faculté de remplir les fonctions d'avoués auprès des tribunaux de district; mais ils seraient tenus d'opter, et ne pourraient exercer en même temps auprès des tribunaux de district et auprès du tribunal de cassation (art. 5). La mesure ainsi prise eut à peine le temps d'être appliquée; une loi des 21 sept. 1791-15 avr. 1792 décréta que l'autorisation provisoire accordée aux ci-devant avocats aux Conseils, d'exercer en même temps les fonctions d'avoués auprès du tribunal de cassation et auprès des tribunaux de district, demeurait abrogée.

100. La mise en pratique de l'institution devait donner à apercevoir, soit des lacunes à combler, soit des modifications à apporter au rouage récemment créé, ou tout au moins renouvele, du tribunal de cassation; un certain nombre de décretslois intervinrent dans ce but pendant les années qui suivirent la mise en mouvement du tribunal de cassation.

101. — C'est ainsi que la loi des 16-29 sept. 1791 compléta, avec le décret en forme d'instruction pour la procédure criminelle des 29 sept.-21 oct. 1791, le système du recours en cassation en le réglant pour ce qui concernait les matières criminelles. Le Code d'instruction criminelle ayant consacré un chapitre spécial aux demandes en cassation et formulé toutes les regles qui devaient être suivies, tant pour la procédure que pour le jugement des pourvois formés contre les décisions rendues au criminel, la loi de 1791 n'a plus qu'un intérêt historique; il suffit d'en indiquer le caractère.

102. — La loi des 30 sept.-19 oct. 1791, relative au Code militaire, à l'exception des délits purement militaires qui étaient jugés, sans recours, par la cour martiale, attribuait aux tribunaux ordinaires tous les faits que la loi commune qualifiait et qui n'attaquaient pas directement le devoir, la subordination et la discipline militaires, et, pour les décisions concernant ces sortes de faits, elle accordait la faculté du recours en cassation qui devait s'exercer dans la forme et les délais prescrits à l'égard des jugements criminels en général. D'un autre côté, la loi du 3 pluv. an II (12 janv. 1794) posait le principe d'après lequel les jugements des tribunaux criminels militaires ne sont pas sujets à cassation.

103. La volonté qu'on avait jusqu'alors manifestée d'étendre le plus possible la garantie du recours au tribunal de cassation s'arrêta avec la création du tribunal révolutionnaire. L'art. 13, L. 10 mars 1793, contient cette laconique formule : «<les jugements de ce tribunal seront exécutés sans recours au tribunal de cassation ». Une pareille justice ne comportait pas l'obstacle et le frein d'une révision.

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104. Un décret du 4 germ. an II (24 mars 1794) indique que des hésitations s'étaient produites sur l'application de certaines dispositions de la loi du 27 nov. 1790. Il décrète qu'à l'avenir toute violation ou omission des formes prescrites en matière civile par les décrets émanés des représentants du peuple depuis 1789, quand même ils ne prononceraient pas expressément la peine de nullité, donnera ouverture à cassation; en conséquence, la disposition de l'art. 3, Décr. 27 nov. 1790, qui, jusqu'à la formation d'un code unique des lois civiles, ne permet de casser les jugements pour violation de formes, que lorsqu'il s'agit de formes prescrites à peine de nullité, demeure restreinte aux formes déterminées par les lois antérieures à 1789 qui ne sont pas encore abrogées (art. 2 et 3).

105. Les articles suivants de ce même décret, sous forme d'interprétation de la loi du 27 nov. 1790, énoncent des règles qui n'avaient pas été formulées par cette loi et dont l'importance mérite d'être signalée.

106. L'art. 4 contient la formule d'une double règle, l'une générale et applicable à toutes les juridictions, et d'après laquelle les nullités de procédure, qui n'ont pas été proposées avant le débat sur le fond, sont couvertes par l'acceptation de ce débat; l'autre, qu'on peut appeler la règle des moyens nouveaux, qui rend non-recevables devant la Cour de cassation les moyens qui n'ont pas été préalablement soumis à l'examen des juges du fond. V. sur ce point, infrà, vo Cassation (mat. civ.).

107. L'art. 5 déclare qu'il ne peut également y avoir lieu à cassation au préjudice des mineurs, des interdits, des absents indéfendus, des femmes mariées, des communes ou de la République, sous prétexte que le commissaire national n'aurait pas été entendu dans les affaires qui les intéressaient et qui ont été jugées à leur avantage. La règle que les mesures de protection ordonnées dans l'intérêt des mineurs et des incapables peuvent être invoquées par ces derniers ou leurs représentants, mais ne peuvent pas l'être contre eux est de jurisprudence constante à la Cour de cassation; ainsi, une commune peut invoquer, en tout état de cause, le défaut d'autorisation de plaider, mais il n'en est pas de même de son adversaire, au cas où elle a gagné son procès. V. suprà, vo Autorisation de plaider, n. 633 et s.

108. Enfin, l'art. 6, Décr. de germ. an II, impose l'obligation de motiver, à l'avenir, tous les jugements par lesquels le tribunal de cassation rejettera des requêtes en cassation. Le Code procédure civile, art. 141 et, après lui, la loi du 20 avr. 1810, art. 7, devaient imposer à toutes les juridictions l'obligation de motiver leurs sentences, sous peine de nullité; on peut dire que nulle part cette obligation n'était mieux justifiée qu'au tribunal de cassation dont les décisions ne sont pas seulement destinées à conduire au règlement d'une affaire déterminée, mais à donner des enseignements qui pourront servir de guides aux tribunaux inférieurs. L'art. 17 de la loi du 27 nov. 1790 se bornait à exiger la mention du texte de la loi ou des lois sur lesquelles la décision était appuyée, et, à l'origine, cette injonction avait été suivie à la lettre c'est ainsi qu'on rencontre des arrêts ne portant que cette simple et laconique formule « Vu l'article de telle loi, casse..., ou, Considérant que le jugement attaqué a violé les dispositions de telle loi, casse ». On reconnut vite qu'un pareil laconisme se trouvait contraire au rôle que le tribunal de cassation était appelé à jouer, et, de là, la disposition de l'art. 6, Décr. de germ. an II. La loi du 9 mess. an II (27 juin 1794) étendit aux jugements rendus par le tribunal de cassation, en matière criminelle, l'obligation de motiver les décisions écrites, pour les matières civiles, dans le décret de germ. an II, prescription qu'édicta à nouveau le Code du 3 brum. an IV, par son art. 353.

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109. Une des principales préoccupations des législateurs de la Constituante, lorsqu'ils avaient organisé le pouvoir judiciaire et particulièrement le tribunal de cassation, avait été de prendre des précautions contre les empiètements auxquels pourrait se livrer cette haute juridiction; ils ne s'étaient pas

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